Andreas AUER, Professeur à la faculté de droit de l’Université de Genève [1]
Introduction.
Adoptée le 18 mars 1994, la loi fédérale sur les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers[2] opère une série de modifications de la loi fédérale du 26 mars 1931 sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE)[3], ainsi que de la loi sur l’asile du 5 octobre 1979 (LA)[4]. Selon le Conseil fédéral, ces modifications ont pour but central d’assurer l’exécution du renvoi des étrangers qui ne détiennent pas d’autorisation de séjour ou d’établissement[5]. La question de savoir si ces mesures sont conformes à la Constitution fédérale et aux Conventions internationales liant la Suisse a été minutieusement examinée[6] par le Conseil fédéral qui a fait de la réponse affirmative à laquelle il est parvenu un argument politique central — devant les Chambres et l’opinion publique — en faveur des mesures de contrainte. Quant à la doctrine, à l’exception de l’un des experts consultés par les autorités fédérales[7], elle n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer en détail même si, dans la presse, quelques voix discordantes se sont faites entendre[8].
Le présent article se propose de réexaminer cette question, à la lumière surtout de deux éléments clef de notre ordre constitutionnel, à savoir l’interdiction des discriminations et la protection des libertés. Auparavant, il y aura lieu de résumer succinctement le contenu principal de la loi du 18 mars 1994. Puis, il ne sera sans doute pas inutile de rappeler certains traits caractéristiques de l’ordre constitutionnel suisse en matière de contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales. Il apparaîtra ainsi que l’Assemblée fédérale, en votant la loi sur les mesures de contrainte, n’a pas correctement rempli le rôle — assurément difficile — de gardienne de la Constitution qui est le sien.
Les mesures de contrainte
La première mesure est la détention dite préparatoire. Inconnue en droit positif, elle permet d’emprisonner un étranger sans autorisation régulière, pour une durée de trois mois au plus, si l’une des conditions énumérées à l’art. 13a let. a – e LSEE (nouveau) est remplie. Ces conditions visent ou créent des infractions administratives telles que le refus de décliner son identité, le non-respect d’une interdiction d’entrée ou le dépôt d’une demande d’asile après une décision d’expulsion administrative ou judiciaire. Particulièrement importante est la disposition de l’art. 13a lettre e LSEE (nouveau). Elle permet l’emprisonnement d’un étranger sans papiers qui menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle et qui pour ce motif, (…) fait l’objet d’une poursuite pénale ou a été condamné. La décision de détention est prise par l’autorité administrative cantonale, à savoir, selon les cantons, par un fonctionnaire de police. Sa légalité[9] et son adéquation doivent être examinées dans les 96 heures — soit quatre jours — au plus tard par une autorité judiciaire au terme d’une procédure orale[10]. Selon la formule choisie, elle ne peut pas concerner un enfant ou un adolescent de moins de quinze ans[11].
La seconde mesure est la détention en vue du refoulement. Consacrée depuis 1986 à l’art. 14 LSEE qui exige cependant que la décision de renvoi ou d’expulsion soit exécutoire et qui limite la durée de la détention à trente jours, la nouvelle mesure privative de liberté peut être prise dès la notification d’une décision de renvoi ou d’expulsion — soit avant l’expiration du délai de recours — et ce pour une durée maximale de neuf mois. La détention en vue du refoulement peut être prononcée pour les mêmes motifs que ceux qui justifient la détention préparatoire; elle est en outre possible lorsque des indices concrets font craindre que (l’étranger renvoyé ou expulsé) entend se soustraire au refoulement, notamment si son comportement jusqu’alors mène à conclure qu'(il) se refuse à obtempérer aux instructions des autorités[12].
Comme troisième mesure privative de liberté, la loi du 18 mars 1994 introduit la possibilité d’arrêter, pendant une durée maximale de 72 heures, un étranger dont le renvoi peut être exécuté immédiatement et qui a déposé une demande de restitution de l’effet suspensif[13]. Il s’agit — dit le Conseil fédéral — d’éviter par ce moyen que les requérants qui ont fait l’objet d’une décision de non-entrée en matière ne passent à la clandestinité[14]. Prise par l’autorité administrative, cette mesure ne fait pas en principe l’objet d’un contrôle judiciaire.
D’autres mesures ne sont pas privatives mais restrictives de la liberté personnelle[15]. Aux termes de l’art. 13e al. 1 LSEE (nouveau), l’autorité cantonale peut assigner un étranger en situation irrégulière qui trouble ou qui menace la sécurité et l’ordre publics à un territoire ou lui interdire de pénétrer dans une région déterminés. Selon le message du Conseil fédéral, l’autorité cantonale doit jouir d’une large liberté d’appréciation, notamment pour déterminer l’aire géographique de l’assignation qui peut s’étendre à une région, un canton, une ville, un village ou un arrondissement urbain[16]. En cas de désobéissance, une détention préparatoire et/ou une détention en vue du refoulement peut être prononcée.
Enfin, la nouvelle loi étend considérablement la possibilité, pour les autorités administratives et judiciaires, d’ordonner la fouille de personnes et la perquisition de locaux. Les étrangers en procédure de renvoi peuvent être fouillés par les fonctionnaires de la police lorsqu’il s’agit de mettre en sûreté des documents de voyage et d’identité[17]. Suite à une première décision de renvoi ou d’expulsion, le juge peut en outre ordonner la perquisition d’appartements et de locaux lorsqu’il présume qu’un étranger faisant l’objet d’une telle décision s’y trouve caché[18]. Cette dernière disposition restreint donc la liberté personnelle de toute personne, suisse ou étrangère, qui en remplit les conditions.
Ajoutons encore que la loi du 18 mars 1994 supprime la possibilité, pour l’Office fédéral des réfugiés, d’interner des étrangers renvoyés lorsque l’exécution du renvoi n’est pas possible, n’est pas licite ou ne peut être raisonnablement exigée[19]. Seule reste alors la possibilité de l’admission provisoire. Les Chambres ont suivi à cet égard l’avis de l’expert du Conseil fédéral qui avait considéré que cette mesure d’internement, peu utilisée au demeurant, était contraire à l’art. 5 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH)[20]. Sur ce point, la révision votée élimine fort opportunément une violation de la Convention que le Tribunal fédéral a pourtant laissé passer[21]. On verra que, malheureusement, ce petit rayon de soleil est obscurci par de gros nuages.
Le caractère incomplet du contrôle de la constitutionnalité des lois fédérales et ses conséquences
Contrairement à une opinion malheureusement fort répandue, le législateur suisse est tenu de respecter la Constitution. Cette obligation résulte de la lettre[22], de la systématique[23] et de la nature juridique de la Constitution fédérale[24]. Si les art. 113 al. 3 et 114bis al. 3 Cst. prévoient que le Tribunal fédéral est tenu d’appliquer les lois fédérales et excluent ainsi tout contrôle judiciaire de la constitutionnalité de celles-ci, cela ne peut conférer aucun « droit » à l’Assemblée fédérale de se mettre au-dessus de la Constitution. Au contraire, il faut admettre qu’en posant cette règle, le constituant de 1874 a voulu que l’Assemblée fédérale soit la seule gardienne de la Constitution[25]. Cette exclusivité a pour effet d’alourdir considérablement la responsabilité juridique de cet organe, pourtant éminemment politique: il doit se donner les moyens de veiller à ce que les lois qu’il vote soient conformes à la loi fondamentale[26].
L’exclusion du contrôle judiciaire de la constitutionnalité des lois fédérales ne s’adresse pas seulement au Tribunal fédéral, mais à toutes les autorités chargées de l’application de ces lois. Aucun juge, aucun fonctionnaire ne peut refuser d’appliquer une loi fédérale pour le motif qu’elle lui paraît contraire à la Constitution. Approuvée par la doctrine unanime[27] et confirmée par une jurisprudence constante, cette extension du sens littéral de la règle de l’art. 113 al. 3 Cst. aura des effets importants, dans le domaine qui nous occupe, sur la portée et l’efficacité du contrôle judiciaire exercé sur les décisions de détention. Dans le processus d’application de la loi, le juge ne pourra pas remettre en cause le principe de la mesure de détention et devra se contenter d’en examiner la conformité à la loi et l’adéquation. En aucun cas, l’intervention du juge ne pourra compenser ou corriger une irrégularité constitutionnelle qui se trouverait dans la loi.
Certes, le juge pourra ordonner dans un cas particulier la libération d’un étranger dont la détention lui paraît non conforme aux exigences légales ou contraire à la règle de la proportionnalité[28]. Il lui faudra pourtant vaincre deux obstacles, qui sont de taille. Les mesures de contrainte dans le domaine du droit des étrangers sont en effet formulées comme des Kannvorschriften qui laissent à l’administration le soin de décider si elles doivent être ordonnées. Pour que l’exercice de ce choix puisse être sanctionné par le juge, il faudra établir l’existence d’un véritable abus du pouvoir d’appréciation[29]. Or en cette matière où considérations pénales, préoccupations de maintien de l’ordre public et constatations de fait se mélangent inévitablement, il faudra une haute dose d’erreur, de la part de l’administration, pour que le juge puisse ou doive conclure à un abus du pouvoir d’appréciation, ce d’autant plus qu’il doit prendre sa décision à l’issue d’une procédure orale et dans un délai très bref. Mais il y a plus. En définissant les conditions de mise en détention, la loi du 18 mars 1994 fait appel à des notions juridiques indéterminées[30]. Celles-ci confèrent à l’administration une importante marge d’appréciation pour déterminer leur sens précis. Il est vrai que le juge peut théoriquement librement revoir l’exercice de cette marge d’appréciation, tant il est vrai qu’il s’agit là d’une question de droit[31]. Mais ici aussi, il lui faut respecter ce que Pierre MOOR appelle judicieusement « la responsabilité politico-administrative » de l’administration[32], une responsabilité qui, en matière du droit des étrangers et s’agissant de mesures de contrainte, est particulièrement lourde et donc délicate pour le juge. Tout porte donc à croire que le contrôle judiciaire des mesures de contrainte aura une portée pratique fort limitée.
Le contrôle préventif — obligatoire et exclusif — que l’Assemblée fédérale exerce sur la constitutionnalité des lois fédérales est nécessairement un contrôle abstrait qui porte sur la norme elle-même et non sur un cas d’application. Or la jurisprudence du Tribunal fédéral relative au contrôle abstrait d’actes normatifs cantonaux contient un certain nombre d’éléments dont les Chambres auraient de bonnes raisons de s’inspirer. Ainsi s’applique notamment le principe dit de l’interprétation conforme à la Constitution[33]. Ce principe signifie que toute autorité appelée à juger de la conformité d’une norme à une norme supérieure doit s’efforcer de conférer à la première un sens qui soit en harmonie avec la seconde. Saisi d’un recours de droit public dirigé contre un arrêté, le Tribunal fédéral n’annulera ce dernier que s’il ne se prête à aucune interprétation conforme au droit constitutionnel invoqué[34]. Appelé à interpréter les lois fédérales, il choisira, lorsque plusieurs interprétations sont possibles, celle qui est conforme à la Constitution[35]. En d’autres termes, la simple éventualité d’une application inconstitutionnelle d’une loi ne justifie pas l’annulation de celle-ci par le juge constitutionnel. En revanche, la jurisprudence a clairement rappelé que le législateur n’en a pas moins pour devoir d’adopter une réglementation à même de prévenir, autant que possible, la violation ultérieure des droits fondamentaux[36]. Trois critères sont déterminants dans cette appréciation. D’une part, le législateur doit tenir compte de la nature et de la portée des droits individuels en jeu et tout particulièrement de la gravité de l’atteinte dont ils sont menacés[37]. Ensuite, sans se borner à traiter le problème de manière purement abstraite[38], il doit prendre en considération les conditions dans lesquelles la règle qu’il édicte sera appliquée et, en particulier, la qualité des organes chargés de cette application[39]. Il doit enfin examiner si la perspective d’un contrôle ultérieur offre des garanties suffisantes aux destinataires de la norme litigieuse[40]. S’il est vrai que le juge constitutionnel ne saurait laisser subsister une norme dont la teneur permet de craindre, avec une certaine vraisemblance et au vu des circonstances, qu’elle soit interprétée à l’avenir contrairement à la Constitution[41], alors il faut conclure que l’Assemblée fédérale, gardienne de la Constitution, n’a tout simplement pas le droit d’adopter une telle norme.
C’est dans cette perspective, imposée par le caractère incomplet de la juridiction constitutionnelle en Suisse, qu’il convient d’aborder la question de la constitutionnalité de la loi du 18 mars 1994.
L’interdiction des discriminations.
Discriminer signifie faire subir à une personne ou à un groupe social déterminé un traitement à part qui leur est préjudiciable et qui ne se justifie ni par les faits à réglementer ni par les circonstances. Trois éléments sont caractéristiques: le traitement particulier qui sépare et qui isole la personne ou le groupe visé, le préjudice que ce traitement implique et l’idée que ce préjudice s’impose et se justifie par l’infériorité de cette personne ou de ce groupe[42].
Les requérants d’asile et les réfugiés constituent par définition un groupe social susceptible de faire l’objet de mesures discriminatoires. De telles mesures, d’abord, sont très souvent à l’origine de leur départ du pays et de l’impossibilité d’y retourner[43]. En demandant l’asile, ils se mettent ensuite d’emblée dans une position de dépendance à l’égard de l’État d’accueil. Souvent, ils viennent d’un pays du Sud, ce qui implique que leur origine ethnique, leur apparence physique, leur appartenance religieuse et leur statut social les marginalisent au sein de la société civile du pays d’accueil. Tous les éléments sont donc réunis pour que cette société et/ou l’État soient tentés de leur faire subir un traitement discriminatoire.
Le principe d’égalité garanti par l’art. 4 Cst. consacre, pour l’État, une interdiction générale de discriminer, à savoir de faire subir à une personne un traitement particulier pour un motif qui n’est pas justifié par les circonstances. Depuis plus d’un siècle[44], cette interdiction s’adresse aussi bien à celui qui fait la loi qu’à ceux qui sont chargés de son application. Dans notre contexte, seule la prohibition de l’inégalité dans la loi, dirigée contre les discriminations qui sont le fait du législateur, est pertinente. Il est vrai que le pouvoir d’appréciation du législateur quant aux distinctions et assimilations qu’il entend opérer est nécessairement large, étant donné que légiférer signifie inévitablement distinguer, classifier et grouper. Mais l’art. 4 Cst. lui interdit — selon la formule jurisprudentielle bien connue — de faire des distinctions juridiques qui ne trouvent pas de justifications dans les faits à réglementer[45]. Dans certains arrêts, le Tribunal fédéral est même allé plus loin en opérant une distinction entre l’inégalité dans la loi ainsi définie et la discrimination, à savoir un traitement inégal qui touche l’homme dans sa valeur de personne qui ne serait admissible au regard de la Constitution qu’en présence de raisons pertinentes et sérieuses découlant des différences de fait[46]. Mais il n’est pas certain que cette distinction soit utile en droit, car la marge d’appréciation du législateur, et le pouvoir d’examen du juge qui en résulte, varie nécessairement en fonction, d’une part, de chaque critère de distinction et, d’autre part, de chaque situation concrète dans laquelle il s’applique[47]. L’interdiction des discriminations législatives et le principe de l’égalité dans la loi sont donc, du moins dans notre contexte, des concepts équivalents.
L’art. 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 que la Suisse a ratifié en 1992[48] prévoit que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. Cette disposition consacre donc expressément le principe de non-discrimination comme un principe fondamental et général en matière des droits de l’homme. Selon le Comité des droits de l’homme, le terme discrimination doit être compris comme s’étendant à toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée notamment sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation, et ayant pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Et de préciser: lorsqu’un État partie adopte un texte législatif, il doit, conformément à l’art. 26, faire en sorte que son contenu ne soit pas discriminatoire[49].
Pour sa part, l’art. 14 CEDH consacre un droit à la non-discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention[50]. Selon la doctrine et la jurisprudence, cette interdiction des discriminations ne va cependant pas plus loin que l’égalité garantie par l’art. 4 al. 1 Cst.[51]. Elle revêt cependant une importance particulière chaque fois qu’une différenciation législative a des effets sur la titularité ou la portée des libertés. L’art. 14 CEDH a ainsi une portée certes accessoire[52], mais autonome, en ce sens qu’une mesure étatique peut être discriminatoire tout en constituant une restriction admissible à une liberté. La Cour a considéré que l’égalité de traitement est violée si la distinction manque de justification objective et raisonnable en précisant que l’existence d’une pareille justification doit s’apprécier par rapport au but et aux effets de la mesure considérée, eu égard aux principes qui prévalent généralement dans les sociétés démocratiques[53]. La doctrine en déduit que la clause de la nécessité dans une société démocratique qui détermine la proportionnalité des restrictions aux droits et libertés garantis par la Convention s’applique aussi dans le contexte de l’art. 14 CEDH[54].
Le critère de la nationalité constitue assurément un critère en principe valable de distinctions législatives. Il existe de très nombreux exemples de lois et d’actes réglementaires qui traitent différemment les Suisses et les étrangers. Mais il n’en reste pas moins que, malgré la lettre claire de l’art. 4 al. 1 Cst., le principe d’égalité appartient aussi aux étrangers. Doctrine et jurisprudence sont unanimes sur ce point[55]. Dès lors, l’interdiction de discriminations est un droit de l’homme et non pas un droit des citoyens. Depuis quelques années, le Tribunal fédéral a d’ailleurs commencé à poser quelques limites au pouvoir du législateur d’opérer des distinctions selon la nationalité. Ainsi, en 1988, il a jugé qu’un canton ne peut pas priver les requérants d’asile des allocations familiales qui sont versées aux autres catégories d’étrangers de même qu’aux Suisses[56]. La même année, il a encore dit que, pour fixer le montant d’une redevance de chasse, le critère de la nationalité manque de pertinence[57]. Et en 1993, il a constaté, en ce qui concerne l’exercice de la profession[58] respectivement l’admission au stage d’avocat[59], que l’exigence de la nationalité suisse est, à elle seule, inconstitutionnelle[60].
La loi du 18 mars 1994 s’adresse, d’après sa lettre claire, à tous les étrangers qui ne possèdent pas d’autorisation régulière de séjour ou d’établissement[61]. Le critère formel dont elle se prévaut n’est donc pas, ou pas seulement, celui de la nationalité[62] mais celui de la nature de l’autorisation de police des étrangers détenue. Cela exclut négativement et les Suisses et tous les étrangers qui sont au bénéfice d’un permis gris (B) ou vert (C). Cela inclut d’autre part différentes catégories d’étrangers. Il y a d’abord et principalement les requérants d’asile qui n’ont que provisoirement le droit de séjourner en Suisse[63]. Il y a ensuite les personnes en séjour illégal soit les étrangers clandestins et ceux dont le permis a cessé d’être valide qui peuvent être tenus en tout temps de quitter la Suisse[64]. Il y a encore les personnes bénéficiant d’une admission provisoire qui, comme mesure de remplacement, est en règle générale prononcée pour une durée de douze mois, renouvelable[65]. S’y ajoutent enfin tous les étrangers qui ont un permis autre que de séjour ou d’établissement, à savoir les saisonniers[66], les frontaliers[67], les stagiaires, étudiants, rentiers etc.
Toutes ces personnes ne sont cependant soumises aux dispositions de la loi du 18 mars 1994 que si elles ont fait ou sont « susceptibles » de faire l’objet d’une mesure d’éloignement — renvoi ou expulsion — dont la loi entend précisément garantir l’exécution. C’est bien de « mesures de contrainte » qu’il est question. A ce sujet, la loi procède à une assimilation pour le moins surprenante, sinon abusive entre les requérants d’asile dont la demande est pendante et qui ont le droit de séjourner en Suisse jusqu’à la fin de la procédure[68] et les requérants déboutés (refus d’entrer en matière ou rejet de la demande) qui ont fait l’objet d’une décision de renvoi[69]. Tous deux sont en effet soumis aux mesures de contrainte: détention préparatoire pour les premiers, détention en vue du refoulement pour les seconds. C’est dire que le « groupe-cible » des mesures de contrainte est bel et bien celui des demandeurs d’asile qui, comme le dit ouvertement le message, peuvent tous être sommés de quitter le pays[70]. Cette assimilation de tout demandeur d’asile à un étranger renvoyé n’est pas conforme aux exigences des art. 4 Cst. et 26 du Pacte II. Elle n’est pas justifiée par les faits à réglementer dans la mesure où la situation juridique de ces deux catégories de requérants est radicalement différente. Elle est insoutenable parce qu’elle sous-entend que le simple fait de déposer une demande d’asile rend possible le renvoi qui, à son tour, justifie une détention. C’est donc bien d’une discrimination qu’il s’agit, d’une discrimination étatique contre une catégorie d’étrangers qui, nous l’avons dit, est fortement exposée à de nombreuses discriminations sociétales contre lesquelles le droit est souvent impuissant.
Le critère formel de distinction retenu par la loi du 18 mars 1994 s’avère discriminatoire à un autre niveau encore. Parmi les motifs qui peuvent justifier une détention préparatoire[71], il en est un qui est manifestement étranger à ce critère: la lettre e du nouvel art. 13a LSEE proposé. Que l’on soit en possession d’un permis ou non, que l’on ait ou que l’on ait pas fait l’objet d’une décision de renvoi, que l’on soit demandeur d’asile ou étranger en séjour, que l’on soit suisse ou étranger — ces distinctions sont sans pertinence pour déterminer quelle sanction doit encourir une personne qui menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie ou leur intégrité corporelle. Cette norme permet, en d’autres termes, l’emprisonnement d’un étranger qui n’a peut-être commis aucun délit, alors qu’un Suisse ou un étranger avec permis qui se comporteraient de la même manière ne peuvent être privés de leur liberté que dans les conditions strictes prévues par le droit pénal. On peut dire aussi qu’elle crée une espèce de détention préventive déguisée pour requérants d’asile et étrangers en séjour illégal[72]. Il faut même dire qu’en permettant de punir un étranger qui a déjà fait l’objet d’une condamnation, la loi crée une forme de peine non prévue par la code pénal qui s’appliquera, dans les faits, uniquement aux requérants d’asile. Un étranger sans permis qui menace sérieusement d’autres personnes et qui fait l’objet d’une poursuite pénale ne doit pas être traité différemment qu’un étranger avec permis ou un Helvète qui observeraient le même comportement[73]. Bref, la loi du 18 mars 1994 peut constituer un bel exemple d’école d’une loi discriminatoire, incompatible avec les art. 4 Cst. et 26 du Pacte II, notamment parce qu’elle établit une distinction ayant pour effet ou pour but de compromettre (…) la jouissance ou l’exercice par tous, dans des conditions d’égalité, de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales[74].
Les mesures de contrainte ont pour but et pour effet de restreindre la liberté personnelle des étrangers sans permis de séjour ou d’établissement. Impliquant une privation de la liberté pendant trois respectivement neuf, voire douze mois, elles constituent une restriction grave à la liberté, au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral[75]. Nous verrons que cette restriction générale n’est pas conforme aux garanties constitutionnelle et conventionnelle de la liberté personnelle[76]. Il se pose dès lors la question de sa conformité à l’art 14 CEDH: elle est fortement compromise. Les libertés garanties par l’ordre constitutionnel suisse appartiennent, sauf exception rare, tant aux Suisses qu’aux étrangers[77]. La nationalité n’est plus guère un critère valable pour déterminer le cercle des titulaires des droits fondamentaux. Ce n’est pas cette titularité d’ailleurs que les mesures de contrainte remettent en cause. Elles s’en prennent bien plutôt à la portée des libertés. Les étrangers sans permis doivent subir, en tant que groupe, des restrictions graves à leur liberté personnelle qui n’existent pas pour les étrangers avec permis et pour les Suisses. Ces restrictions se justifient, selon les autorités, par le souci de garantir le départ effectif de Suisse des étrangers renvoyés ou expulsés. Il est fort douteux que ce motif remplisse la condition d’objectivité posée par la Cour. Il n’est guère douteux en revanche que ces mesures ne franchissent pas la barre, relativement haute, de la nécessité dans une société démocratique qui s’applique, nous l’avons vu[78], au principe de non-discrimination de l’art. 14 CEDH. Eu égard notamment à la gravité des restrictions qu’elles impliquent, à leurs effets, à leur difficulté d’application enfin, on ne saurait prétendre sérieusement que les mesures de contrainte correspondent à un besoin social impérieux au sens de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg[79]. Dès lors, la violation de l’art. 14 CEDH est consommée.
Aux termes de l’art. 9 al. 1 du Pacte II, nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires. L’interdiction de la détention arbitraire a été retenue par les auteurs du Pacte comme une solution alternative à une énumération exhaustive des causes de détention comme la connaît la CEDH. Selon la doctrine et la jurisprudence, il s’agit d’une condition supplémentaire — inconnue dans la CEDH[80] — que les mesures privatives de liberté doivent remplir et qui s’adresse tant au législateur qu’aux autorités chargées de l’application des lois. Il convient de l’interpréter largement: la détention ne doit pas être inappropriée, injuste ou non prévisible et l’exécution concrète de l’arrestation ne doit pas être discriminatoire[81]. Dans son observation générale 8 (16), le Comité des droits de l’homme a précisé que l’art. 9 al. 1 — qui comprend l’interdiction de l’arbitraire — s’applique à tous les cas de privation de liberté, qu’il s’agisse d’infractions pénales ou d’autres cas tels que, par exemple, les maladies mentales, le vagabondage, la toxicomanie, les mesures d’éducation, le contrôle de l’immigration, etc.[82]. Nous voici donc dans un domaine, nouveau pour la Suisse, où l’interdiction de l’arbitraire va apparemment plus loin que l’exigence de la légalité[83] et dont la loi du 18 mars 1994 pourrait bien constituer un cas d’application ayant valeur de précédent. Car si une détention préparatoire, décrétée en application du nouvel art. 13a let. e LSEE, consomme une assimilation insoutenable de deux situations juridiques fort différentes et si elle apparaît comme discriminatoire au regard du droit suisse, européen et international[84], il y a très peu de chances qu’elle puisse résister au grief de la violation de l’art. 9 du Pacte II.
La loi doit enfin être considérée comme discriminatoire à un quatrième niveau encore, plus symbolique que normatif, mais pas moins réel pour autant. En permettant à l’autorité de mettre en détention, pendant un an, un étranger qui n’a commis aucun délit; en instituant une espèce de droit pénal spécial pour les étrangers sans permis; en les couvrant d’assignations et de bannissements; en exposant les requérants d’asile à des fouilles sur leur personne et leurs biens durant la procédure de renvoi, elle nourrit les préjugés latents ou explicites qui considèrent que tous les étrangers et particulièrement les demandeurs d’asile sont des délinquants. Car consciemment ou non, l’idée de détention est assimilée à un acte répréhensible, à une culpabilité, à une faute. Etre demandeur d’asile, être étranger sans permis est un crime — telle est bien l’idée xénophobe et donc profondément discriminatoire que cette loi ne peut que renforcer, qui se dégage indirectement de ses différentes dispositions et que l’on retrouve malheureusement en filigrane dans quelques passages du rapport du Conseil fédéral[85]. Certes, ce rapport n’a pas tort en considérant que les requérants d’asile impliqués dans le trafic de drogue rendent un mauvais service aux étrangers qui se comportent correctement[86]. Mais les mesures adoptées rendent un service plus mauvais encore à tous les étrangers parce qu’elles ne peuvent pas ne pas en ternir l’image auprès de la population suisse. Une loi qui confirme et qui renforce les préjugés de nature discriminatoire au sein de la société civile doit accepter le reproche d’être elle-même discriminatoire, donc contraire à l’art. 4 Cst.
La garantie des libertés
La liberté personnelle est une liberté centrale parce qu’elle s’efforce de protéger la personne humaine dans ce qu’elle a de plus élémentaire, de plus précieux et aussi de plus fragile. Outre l’intégrité physique et psychique, elle protège la liberté de mouvement, à savoir le droit de ne pas être victime de détentions arbitraires et injustifiées[87]. Implicitement garantie par la Constitution fédérale[88] et consacrée expressément par les art. 5 CEDH et 9 du Pacte II, elle est une condition d’exercice de toutes les autres libertés dont les origines remontent à la garantie de l’habeas corpus consacrée en Grande Bretagne depuis le 17e siècle[89] et qui, à en juger par le nombre d’arrêts nationaux[90] et internationaux qui en traitent, est toujours d’une actualité brûlante.
L’art. 5 ch. 1er CEDH concrétise cet aspect spécifique de la liberté personnelle en énumérant les cas dans lesquels une personne peut être privée de sa liberté. Selon la Cour, cette énumération est exhaustive. Pour être compatible avec la Convention, une privation de liberté doit donc nécessairement se fonder sur un des motifs énumérés à l’art. 5 ch. 1 CEDH, étant entendu que ces motifs doivent être interprétés restrictivement[91]. Aussi précieuse et efficace que soit cette condition, il ne faut pas en déduire mécaniquement que, du moment où elle est remplie, la liberté personnelle est respectée. Car les causes de détention et d’arrestation énumérées à l’art. 5 ch. 1er CEDH concernent surtout deux des trois conditions élémentaires et classiques de restriction aux libertés, à savoir celle de la base légale et de l’intérêt public. C’est une chose que de savoir si une détention peut rentrer dans l’un des cas prévus par la Convention qui définissent autant de justifications de cette détention. Mais c’est une autre chose que de déterminer si cette restriction à la liberté personnelle est conforme au principe de la proportionnalité, c’est-à-dire adéquate, propre et, surtout, nécessaire. Tout porte à croire que l’exigence de la proportionnalité est plus solidement ancrée dans la jurisprudence relative à la liberté personnelle garantie implicitement par la Constitution fédérale[92] que dans la jurisprudence des organes de Strasbourg relative à l’art. 5 ch. 1 CEDH[93]. Si tel est le cas, le principe de faveur consacré par l’art. 60 CEDH, qui tend à éviter un nivellement par le bas des libertés[94], doit s’appliquer pleinement, de sorte que le législateur ne peut se contenter de se référer à la CEDH pour réduire la protection supérieure qui résulte du droit constitutionnel interne. Or, en pratique, le respect de l’exigence de la proportionnalité par une mesure privative de liberté ne peut être testé que dans un cas concret, par rapport à une mesure de détention déterminée. Savoir si une telle détention est apte à atteindre le but d’intérêt public recherché, si elle est nécessaire à cette fin et si la gravité de la restriction à la liberté personnelle qu’elle cause est dans un rapport adéquat avec l’importance du but visé ne peut pas s’apprécier de façon abstraite. Il faut tenir compte des particularités de chaque cas individuel et peser soigneusement les deux intérêts en présence. De sorte que, même conforme à l’une des hypothèses mentionnées dans la Convention, mainte détention s’avère inconstitutionnelle dans la pratique[95].
La détention préparatoire peut se fonder, de l’avis du Conseil fédéral[96], sur l’art. 5 ch. 1 let. f CEDH qui permet de priver une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours de sa liberté. Rien n’est moins sûr. Il est vrai que la Commission européenne des droits de l’homme a jugé qu’il n’est pas nécessaire, pour prononcer la détention d’une personne, qu’une ordonnance d’expulsion soit effectivement en vigueur contre elle et qu’il suffit qu’une procédure d’expulsion soit en cours, pourvu qu’une procédure régulière d’expulsion ait été engagée et soit sérieusement poursuivie et même si aucune décision d’expulsion n’était finalement prise[97]. Mais cette affaire concernait une personne qui avait précisément fait l’objet d’une décision d’expulsion. Or la loi du 18 mars 1994 permettra d’ordonner la détention de toute personne qui a formulé une demande d’asile, sans qu’aucune décision, même de première instance, n’ait été prise à son égard. A moins que l’on soit prêt à admettre que le simple dépôt d’une demande d’asile signifie qu’une procédure régulière d’expulsion est engagée et sérieusement poursuivie, la détention préparatoire viole, dans son principe même, l’art. 5 ch. 1 let. f CEDH. Elle a pour effet de faire de toute la procédure d’asile une procédure régulière de renvoi. Elle transforme tout demandeur d’asile en une personne contre laquelle une procédure d’expulsion est en cours. Elle préjuge que toute demande d’asile fera l’objet d’une décision de non-entrée en matière ou de rejet. Elle en finit donc, et pour de bon, avec tout ce que le droit suisse peut encore dire à propos du droit d’asile. La Cour constitutionnelle autrichienne a rendu récemment un arrêt qui montre bien les limites du pouvoir de détention de l’État en vue de l’expulsion d’un étranger[98]. L’ancienne loi autrichienne sur l’asile permettait d’obliger les requérants d’asile à séjourner dans un camp de réfugiés afin d’établir les faits nécessaires à une décision sur leur demande. La Cour a constaté qu’il s’agissait bien d’une mesure de privation de liberté et que cette mesure ne pouvait pas se fonder sur l’art. 5 ch. 1 let. f CEDH, car son but — s’assurer de la coopération du requérant dans la procédure d’asile — était étranger à celui de la disposition conventionnelle invoquée. La procédure d’asile, dit-elle en substance, ne peut être considérée comme une simple partie de la procédure d’expulsion au sens de l’art. 5 CEDH. C’est pourtant précisément ce que fait la loi du 18 mars 1994.
La violation de l’art. 5 ch. 1 let. f CEDH est particulièrement évidente dans le cas de l’art 13a let. e LSEE (nouveau) qui vise l’étranger qui menace sérieusement d’autres personnes ou met gravement en danger leur vie. Il est très difficile de prétendre qu’une détention prononcée contre un étranger qui, pour ce motif, a fait l’objet d’une poursuite ou d’une condamnation pénales poursuive véritablement le but visé par la disposition conventionnelle qui est censée lui servir de fondement, à savoir la garantie de l’exécution du renvoi. Car la finalité première qui — n’en déplaise au Conseil fédéral[99] — se dégage de la lettre et de la systématique de cette disposition n’est pas d’ordre administratif mais pénal. Il s’agit bel et bien de s’assurer le contrôle d’une personne dont on a des raisons de croire qu’elle a commis une infraction contre la vie et l’intégrité corporelle, ces infractions étant définies aux art. 111 à 136 du Code pénal. Or, l’art. 5 CEDH contient une disposition spécifique — la lettre c — couvrant l’arrestation et la détention d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction[100]. Seulement, la détention n’est alors possible que dans le but de conduire cette personne devant l’autorité judiciaire compétente et moyennant le respect de toutes les garanties de forme et de fond prévues par l’art. 5 ch. 3 CEDH. Telle n’étant manifestement pas la finalité de la détention préparatoire — ni d’ailleurs de la détention en vue du refoulement — dont la procédure ne respecte pas les garanties exigées, l’art. 13a let. e LSEE (nouveau) ne trouve pas de fondement valable dans la CEDH. On peut dire aussi qu’en l’adoptant, l’Assemblée fédérale a détourné l’art. 5 ch. 1 let. f de son but[101] et, partant, commis une violation de l’art. 18 CEDH[102].
L’une des innovations les plus marquantes de la loi du 18 mars 1994 est le nouvel art. 13e LSEE qui permet à l’autorité cantonale d’assigner un étranger sans permis qui trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics à un territoire défini, ou de le « bannir » d’une région déterminée. Le message du Conseil fédéral justifie cette mesure par le fait que seules les personnes qui séjournent régulièrement en Suisse peuvent se prévaloir de la liberté de mouvement et de domicile; il s’agirait dès lors non pas d’une mesure privative de liberté mais d’une mesure qui limite la liberté de mouvement qui ne serait pas soumise aux exigences de l’art. 5 ch. 1 CEDH[103]. Cette assertion est à la fois vraie et fausse. Vraie, parce que la liberté d’établissement n’appartient pas en principe aux étrangers[104]; vraie, parce que les autorisations de séjour et d’établissement ne sont valables que dans le canton où elles ont été délivrées[105]; vraie aussi, parce que les requérants d’asile qui se trouvent en Suisse n’ont le droit de séjourner jusqu’à la clôture de la procédure que dans le canton auquel ils ont été attribués[106] et parce que l’autorité fédérale ou cantonale peuvent leur assigner un lieu de séjour et un logement déterminés[107]; vraie encore dans la mesure où l’art. 5 ch. 1 CEDH concerne les privations de liberté et non les restrictions aux libertés[108]. Mais l’assertion est fausse dans la mesure où le droit positif suisse ne contient aucune disposition qui habilite l’autorité à interdire à une personne de quitter un territoire ou de pénétrer dans une région[109]. Ce n’est assurément pas de séjour[110], ni de domicile[111] qu’il s’agit dans ce cas, mais d’une restriction à la liberté de se déplacer, à la liberté d’aller et de venir, à la liberté de bouger, le cas échéant à l’intérieur d’un canton ou d’un lieu de séjour déterminés. Or cette liberté bénéficie d’une double protection. Elle est garantie au niveau international par l’art. 12 du Pacte II[112], qui lie la Suisse. Certes, la garantie internationale ne profite qu’aux personnes qui se trouvent « légalement » en Suisse, ce qui semble exclure d’emblée les « étrangers en séjour illégal ». Mais, dans la mesure où l’art. 13e LSEE (nouveau) s’applique principalement aux requérants d’asile, qui ont un droit provisoire de rester en Suisse[113], il restreint bel et bien leur liberté de circulation au sens de l’art. 12 du Pacte qui leur appartient pleinement[114]. Il est pour le moins surprenant que le message du Conseil fédéral ne s’y réfère point[115], même si, à première vue, la mesure proposée remplirait les conditions de restriction définies à l’art. 12 al. 3 du Pacte II. On peut se demander si la liberté de circulation n’est pas protégée, en droit interne, par le droit à l’intégrité psychique que comporte la liberté personnelle, à savoir la faculté, qui est propre à l’être humain, d’apprécier une situation donnée et de se déterminer en conséquence[116]. La liberté de se déplacer ne peut-elle, ne doit-elle pas être considérée comme une manifestation élémentaire de la personne humaine au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral[117]? N’est-elle pas pleinement comprise dans le droit de choisir son mode de vie, d’organiser ses loisirs et d’avoir des contacts avec autrui auquel se réfère parfois la jurisprudence?[118]. Élémentaire, elle appartient en principe à toute personne, quelle que soit sa nationalité et même quel que soit son statut au regard de la police des étrangers[119]. L’art. 13e LSEE (nouveau) peut donc être considéré comme une restriction — toute nouvelle en droit suisse — à cet aspect essentiel de la liberté personnelle. On concédera que cette disposition répond à un intérêt public valable, à savoir la lutte contre le trafic illégal de stupéfiants que sa lettre mentionne d’ailleurs expressément. Mais ne s’agit-il pas aussi, et peut-être surtout, de pouvoir prononcer la détention des étrangers sans permis qui contreviendraient à un ordre d’assignation ou d’interdiction de zone?[120]. Si tel est le but, même accessoire, de la nouvelle disposition, on peut se demander si elle échapperait encore aux exigences de l’art. 5 ch. 1 CEDH! Quoi qu’il en soit, il est fort douteux que la condition de la proportionnalité soit respectée. Il est loin d’être certain d’abord qu’une telle mesure soit apte à produire le but visé, tant il est vrai que son application sera difficile et impliquera des moyens de surveillance très importants. La nécessité de cette mesure sera également fort difficile à établir. Mais c’est le rapport entre la gravité de la restriction et l’importance du but visé qui semble surtout manquer de l’adéquation mesurée qu’exige la jurisprudence du Tribunal fédéral. Car, contrairement à ce qui a été dit[121], c’est bien d’une restriction à une liberté qu’il s’agit et elle est loin d’être anodine.
Il n’est pas nécessaire de poursuivre davantage cette approche abstraite, car il n’est pas contesté ni contestable que dans l’ensemble, les mesures de contrainte ont pour effet direct et voulu de restreindre les libertés des étrangers sans permis de séjour et d’établissement[122]. Liberté personnelle, liberté de mouvement, droit au respect de la vie privée et familiale — ces libertés ont une portée sensiblement plus réduite pour les destinataires des mesures de contrainte que pour ceux qui y échappent. Pour savoir si le législateur fédéral est en droit d’imposer ces limites générales, il ne suffit certes pas d’affirmer que les étrangers, n’ayant pas le droit de s’établir en Suisse, doivent subir les restrictions spécifiques à l’exercice de leurs libertés. Toutes ces libertés, faut-il le rappeler, sont des droits de l’homme dont les étrangers peuvent se prévaloir au même titre que les nationaux. Mieux vaut aborder cette question dans la perspective du contrôle abstrait de normes retenue par la jurisprudence du Tribunal fédéral[123], en tenant compte des trois critères dégagés.
En premier lieu, il faut donc tenir compte de la nature et de la portée des droits individuels en jeu et de la gravité de l’atteinte dont ils sont menacés[124]. Deux constatations doivent suffire. La liberté personnelle, on l’a dit[125], pour être la liberté la plus ancienne et la plus classique de notre ordre constitutionnel, n’en est pas moins l’une des libertés les plus délicates et les plus fragiles qui ne finit pas d’être menacée par les formes si variées et ingénieuses de l’activité étatique contemporaine. D’autre part, il y a longtemps que les juges constitutionnels nationaux et internationaux insistent sur la gravité de la restriction à cette liberté que constituent les mesures d’arrestation et de détention[126], mais aussi de fouilles et de perquisitions. Or les mesures consacrées par la loi du 18 mars 1994 accentuent encore cette gravité par le caractère virtuellement généralisé et par la durée considérable de la détention préparatoire et de la détention en vue du refoulement projetées. Manifestement, les deux mesures sont faites pour se compléter et se renforcer[127], de sorte qu’un requérant d’asile qui a la malchance de tomber dès son arrivée en Suisse sous le coup de l’un des motifs qui justifient sa détention aux fins d’instruction de son dossier a de « bonnes » chances de devoir suivre toute la procédure d’asile et celle de son renvoi plus que probable derrière les barreaux. Cela est difficilement compatible avec la recommandation figurant dans l’une des conclusions du Comité exécutif du H.C.R. selon laquelle une mesure d’expulsion ne doit être accompagnée d’une détention, préventive ou non, que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public et ne pas être indûment prolongée[128]. Difficilement compatible aussi avec l’exigence fondamentale de fairness qui s’applique également dans la procédure d’asile. On peut et doit même se demander si la durée considérable de la détention ainsi instituée est conforme aux exigences du principe de la proportionnalité, tant il est vrai qu’elle relègue au second plan toutes sortes d’autres mesures qui pourraient garantir, sans porter une atteinte aussi grave à la liberté de mouvement, l’exécution du renvoi ou de l’expulsion prononcées[129]. Quoi qu’il en soit, la gravité considérable des restrictions à la liberté personnelle que rend possible la loi du 18 mars 1994 est un facteur important pour évaluer la nécessité d’éviter des violations futures de cette liberté dans le processus d’application de la loi. Ce n’est pas de coups de canif plus ou moins innocents à une liberté solidement protégée, mais de coups de massue à une liberté éminemment fragile dont ce processus sera inévitablement semé.
En second lieu, il faut prendre en considération les conditions dans lesquelles la règle édictée sera appliquée et, en particulier, la qualité des organes chargés de cette application[130]. A ce sujet, il faut relever que la plupart des mesures de contrainte peuvent être prises par les autorités cantonales chargées de l’application de la législation d’asile et des étrangers[131]. Il s’agira donc le plus souvent de fonctionnaires de la police cantonale ou communale. Leur tâche est assurément difficile et généralement ingrate. Il ne s’agit pas de nier que dans l’ensemble, habitués à exercer des fonctions de surveillance et de défense de l’ordre public et formés pour ça, les agents de la police des étrangers sont conscients de l’impact de leurs actes sur la liberté des personnes auxquelles ils ont à faire. Cesseraient-ils de l’être, les libertés n’auraient plus aucune chance. Mais il ne s’agit pas de nier non plus que des violations même graves de la liberté de ces personnes sont commises, aujourd’hui, dans bon nombre de cellules et de commissariats de police. Amnesty International a récemment publié un rapport inquiétant à ce sujet, faisant notamment état de brutalités policières pendant certaines gardes à vue[132] et le Comité des Nations Unies contre la torture s’est publiquement inquiété de l’application non conforme aux règles impératives du droit international des dispositions permettant à la Suisse de renvoyer les demandeurs d’asile[133]. Sans qu’il soit nécessaire et possible ici d’apprécier à leur juste valeur ces allégations graves, il faut noter que la mise en oeuvre d’une loi qui accroît considérablement le pouvoir de la police de décréter des mesures comportant des restrictions graves aux libertés ne peut pas manquer d’aggraver considérablement le risque de violations futures de celles-ci. Des violations qui, au demeurant, peuvent aussi être dues à l’insuffisance des moyens, de personnel et des installations dont disposent les cantons pour mettre en oeuvre les mesures envisagées. Ainsi par exemple, il ne suffit pas de décréter que la détention doit avoir lieu dans des locaux adéquats et qu’il faut éviter de regrouper les personnes à renvoyer avec des personnes en détention préventive ou purgeant une peine[134]. On sait que plusieurs cantons — et pas les moins importants — manquent cruellement de locaux appropriés à ce genre de détention. Les aléas du fédéralisme d’exécution peuvent ainsi rendre plus probables encore, sinon vraisemblables, de futures violations des libertés. La jurisprudence précitée a pour but de rappeler à l’auteur de normes ainsi exposées qu’il ne peut se désintéresser de ce danger potentiel.
Enfin, il y a lieu de tenir compte des garanties que peuvent offrir aux destinataires de la norme les modalités d’un contrôle ultérieur de ses actes d’application[135]. L’idée est fort persuasive. Lorsque le juge est à même de surveiller de près la conformité à la Constitution des actes concrets d’application d’une loi susceptible de différentes interprétations, la simple existence de ces différences n’est pas un motif justifiant l’intervention du juge dans la procédure de contrôle abstrait des normes[136]. Mais elle ne convainc pas dans le cas particulier. De façon générale, on peut dire que par rapport à un acte normatif cantonal soumis à un contrôle judiciaire « à double détente »[137], ce genre de compensation procédurale se justifie davantage que par rapport à une loi fédérale que la familière règle de l’immunité protège efficacement contre toute intervention du juge. Nous avons vu que, par l’effet de la règle de l’art. 113 al. 3 Cst., du contrôle judiciaire très limité de l’exercice de la liberté d’appréciation par l’administration et de l’importante « responsabilité politico-administrative » qui incombe à cette administration dans la définition de la politique publique en matière d’immigration et d’asile, le contrôle judiciaire des mesures de contrainte risque fort d’être plus symbolique que réel[138]. Les mesures elles-mêmes — les détentions, les assignations, les fouilles, les perquisitions — sont hors de portée du juge. Leur constitutionnalité ne peut être examinée que dans le cadre très restreint de la proportionnalité de leur durée et de l’adéquation des conditions de leur exécution, sur la base d’une appréciation des faits sur laquelle l’administration aura toujours la haute main. Pratiquement, le juge en sera réduit à exercer un contrôle qui ne pourra guère aller plus loin qu’un simple contrôle de l’arbitraire. Impossible dans ces circonstances de fermer un oeil sur les indéniables ambiguïtés constitutionnelles de la loi du 18 mars 1994. Le juge ne corrigera pas les erreurs du législateur.
Conclusion
Les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers ne résistent pas aux contraintes des mesures constitutionnelles et conventionnelles en matière d’égalité et de droits de l’homme. L’Assemblée fédérale, poussée par un contexte politique fébrile et pressée par une procédure législative que le Conseil fédéral a cru nécessaire d’accélérer, semble avoir cédé à la tentation de se croire au-dessus de la Constitution et des Conventions internationales. Elle a voté une loi qui doit être considérée comme profondément discriminatoire et donc contraire à l’art. 4 Cst. et 26 du Pacte II. Elle a institué de nouvelles formes de détention qui ne respectent pas les conditions posées par la CEDH. A l’époque de la libre circulation des personnes, elle est revenue aux temps où l’État se mettait à prescrire à celles-ci où aller et où ne pas aller. Elle a fermé les deux yeux sur les possibles et, à vrai dire, probables violations des libertés qu’impliquera l’application de cette loi. Ce faisant, elle a failli à sa tâche de gardienne de la Constitution.
Ce texte a été intégré, avec l’accord explicite de son auteur, au « Rapport sur les infractions imputées à la Suisse en matière d’asile pour la période 1979-1994 », déposé et édité par Christophe TAFELMACHER, sur mandat de la Coordination Asile Suisse dans le cadre de l’accusation à la séance sur le droit d’asile du Tribunal Permanent des Peuples (Berlin – décembre 1994).
Un texte a été publié sous le même titre à la revue « Aktuelle Juristische Praxis / Pratique Juridique Actuelle » (AJP/PJA), 1994, pages 749 et suivantes.
[1] Monsieur le professeur AUER remercie Mme Catherine TIREFORT, assistante, de l’important travail de réflexion, de critique et de vérification qu’elle a bien voulu fournir dans le cadre de la préparation de cette contribution.
[2] FF 1994 II 283.
[3] RS 142.20
[4] RS 142.31
[5] FF 1994 I 301, 302.
[6] FF 1994 I 333.
[7] Stefan TRECHSEL, Zwangsmassnahmen im Ausländerrecht, AJP/PJA 1994 43-59; rédigé avant l’adoption de la loi par les Chambres, cet article ne traite pas de toutes les mesures proposées.
[8] Voir un article de Bruno Clément dans Le Courrier du 22 mars 1994 ainsi que ma prise de position dans Domaine public No 1167 du 28 avril 1994.
[9] Le texte français de la loi du 18 mars 1994 est une traduction parfois très approximative de la version allemande. Ainsi le juge doit examiner non seulement la légalité mais la Gesetzmässigkeit, à savoir la conformité au droit, de la décision de détention. De même, la formulation de l’art. 13a premier paragraphe est grammaticalement erronée au point d’être incompréhensible.
[10] Art. 13c al. 2 LSEE (nouveau).
[11] Art. 13c al. 3 in fine LSEE (nouveau).
[12] Art. 13b al. 1 let. c LSEE (nouveau). Ici aussi, la traduction française est fort mauvaise.
[13] Art. 47 al. 2 bis LA (nouveau) en relation avec l’art 17a LA (nouveau).
[14] FF 1994 I 330.
[15] Sur la distinction entre la privation de la liberté et la restriction à la liberté, voir TRECHSEL (note 6) 50-52.
[16] FF 1994 I 313/314.
[17] Art. 14 al. 3 LSEE (nouveau)
[18] Art. 14 al. 4 LSEE (nouveau).
[19] Art. 14a al. 1 LSEE (nouveau).
[20] TRECHSEL (note 6) 49.
[21] ATF 119 Ib 202, 207 Kolb; 110 Ib 1, 8 X..
[22] En chargeant l’Assemblée fédérale de « prendre les mesures pour faire respecter la Constitution fédérale », l’art. 85 ch. 8 Cst. lui demande indirectement de la respecter elle aussi.
[23] En prévoyant la possibilité, pour les Chambres, de voter un arrêté urgent non conforme à la Constitution, l’art. 89bis al. 3 Cst. implique bien qu’elles respectent la Constitution dans l’exercice de la fonction législative ordinaire.
[24] En tant que constitution formelle (art. 118 à 123 Cst.), la Constitution fédérale ne peut vouloir être à la portée du législateur ordinaire.
[25] Le Tribunal fédéral le reconnaît implicitement, voir notamment ATF 106 Ib 182, 190 Henggeler.
[26] Unter diesen Umständen kommt dem Gesetzgeber eine besonders hohe Verantwortung beim Erlass von Bundesgesetzen (…) zu, Walter KÄLIN, Das Verfahren der staatsrechtlichen Beschwerde, 2e éd. Berne 1994 10.
[27] KÄLIN (note 25) 10 et les nombreuses références citées.
[28] Art. 13c al. 2 LSEE (nouveau).
[29] Sur cette notion voir Pierre MOOR, Droit administratif, vol. I Berne 1988 323/324.
[30] Menace sérieuse pour d’autres personnes, grave mise en danger de la vie ou de l’intégrité corporelle, indice concret qui fait craindre qu’une personne entend se soustraire au refoulement, etc.
[31] André GRISEL, Traité de droit administratif, Neuchâtel 1984 vol. I 336.
[32] MOOR (note 28) 331.
[33] Andreas AUER, La juridiction constitutionnelle en Suisse, Bâle 1983 No 147-156.
[34] ATF 118 Ia 64,72 MINELLI; KÄLIN (note 25) 198.
[35] ATF 119 Ia 241, 248 A.S.
[36] ATF 119 Ia 321, 326 D
[37] ATF 114 Ia 350, 355 X.
[38] ATF 111 Ia 23, 26 Hôtel Astoria.
[39] ATF 119 Ia 321, 326 D.; Ainsi, le Tribunal fédéral tient compte, dans l’examen de la constitutionnalité d’un règlement de prison, du fait que ce dernier s’adresse en premier lieu à des fonctionnaires de la police cantonale, sans formation juridique particulière, voir ATF 106 Ia 136, 138 G.
[40] ATF 114 Ia 350, 355 X.
[41] ATF 119 Ia 321, 326 D.
[42] Andreas AUER, La prohibition de la discrimination des requérants d’asile et des réfugiés, in: Walter KÄLIN (éd.), Droit des réfugiés, Fribourg 1991 269.
[43] Haut Commissariat des Réfugiés, Les réfugiés dans le monde 1993: l’enjeu de la protection, Paris 1993 13-29.
[44] ATF 6, 171 Jäggi.
[45] ATF 119 Ia 123, 128 Dr. Paul Kuhn, 118 IV 192, 195 S.
[46] ATF 106 Ib 182, 188/89 Henggeler
[47] AUER (note 41) 272.
[48] RO 1993 747, 750; ci-après Pacte II.
[49] Observation générale 18 (37) du 9 novembre 1989, cité par Walter KÄLIN/Giorgio MALINVERNI/Manfred NOWAK, La Suisse et les Pactes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, Bâle 1991 176.
[50] Jacques VELU/Rusen ERGEC, La Convention européenne des droits de l’homme, Bruxelles 1990 No 132-167.
[51] ATF 118 Ia 341 M.
[52] En ce sens qu’il ne peut pas être invoqué seul, indépendamment du grief d’une atteinte illicite à l’une des libertés garanties par la CEDH.
[53] Arrêt affaire linguistique belge du 23 juillet 1968, Série A No 6 § 10.
[54] « Les indices d’une discrimination seront déduits d’un examen comparatif des systèmes juridiques démocratiques », VELU/ERGEC (note 49) No 153.
[55] Georg MÜLLER, Commentaire de la Constitution fédérale, art. 4, No 26 (1987); Jean-Louis Duc/ Pierre-Yves GREBER, La portée de l’article 4 de la Constitution fédérale en droit de la sécurité sociale, RDS 1992 II 473, 568-578; ATF 93 I 1, 3 X. et la jurisprudence constante.
[56] ATF 114 Ia 1, X.; voir toutefois l’art 21b LA, adopté en 1990, soit après l’arrêt du Tribunal fédéral, qui réintroduit cette discrimination.
[57] ATF 114 Ia 8 Gaioni.
[58] ATF 119 Ia 35 Dr. S.
[59] SJ 1993 668.
[60] Il est vrai que ces derniers arrêts constatent une violation de l’art. 31 et non de l’art. 4 Cst; le résultat est cependant le même.
[61] Seule la disposition concernant la perquisition de locaux suite à une décision de renvoi (art. 14 al. 4 LSEE (nouveau)) pourra s’appliquer aux étrangers en situation régulière ainsi qu’aux Suisses, supra No 7.
[62] Le message admet d’ailleurs que si tel était le cas, l’art. 4 Cst. serait violé, FF 1994 I 307.
[63] Art. 19 al. 1 LA.
[64] Art. 12 LSEE.
[65] Art. 14a et 14c LSEE.
[66] Art. 16 de l’ordonnance limitant le nombre des étrangers, du 6 octobre 1986 (OLE).
[67] Art. 23 et 24 OLE.
[68] Art. 19 LA
[69] Art. 17 LA.
[70] FF 1994 I 310.
[71] Art. 13a let. a – e LSEE (nouveau).
[72] Dans la pratique, un requérant d’asile délinquant a cependant de fortes chances d’être détenu préventivement sur la base du droit cantonal de procédure.
[73] Le Comité exécutif du Haut Commissariat pour les réfugiés a adopté, lors de la 28e session tenue en 1977, une conclusion No 7 (XXVII) dont la lettre d recommande que, dans les cas où l’exécution d’une mesure d’expulsion est impraticable, les États devraient envisager d’accorder aux réfugiés délinquants le même traitement qu’aux délinquants nationaux, voir Office du Haut Commissaire des Nations Unies pour les Réfugiés, Conclusions sur la protection internationale des réfugiés, Genève 1993 15. La Suisse, qui a participé à l’adoption de cette conclusion, est loin d’ »envisager » pareille égalité de traitement.
[74] Comité des droits de l’homme (note 48) 177.
[75] ATF 119 Ia 221, 233 H.
[76] Infra No 26 ss.
[77] Jörg Paul MÜLLER, Commentaire de la Constitution fédérale, Introduction au droits fondamentaux, No 99-102 (1987).
[78] Supra No 18.
[79] Voir par exemple Arrêt Observer et Guardian c. Royaume-Uni du 26 novembre 1991, Série A No 216 § 59.
[80] Selon TRECHSEL (note 6) 44, l’art. 9 du Pacte II, « d’une insuffisance surprenante », va moins loin que l’art. 5 ch. 1 CEDH.
[81] Manfred NOWAK, CCPR-Kommentar, Kehl 1989 181; Décision du Comité des droits de l’homme Van Alphen c. Pays-Bas, du 23 juillet 1990, RUDH 1991 74.
[82] Cité par KÄLIN/MALINVERNI/NOWAK (note 48) 162.
[83] Claude ROUILLER, Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, RDS 1992 II 107, 120.
[84] Supra No 21-23.
[85] Ainsi on peut lire par exemple dans ce message: les requérants d’asile, mais aussi d’autres étrangers qui attirent défavorablement l’attention sur eux par des actes criminels… (FF 1994 I 304); Si les mesures de contrainte n’étaient dirigées que contre les requérants délinquants ou asociaux, elles déplaceraient simplement le problème; le trafic de drogue deviendrait alors le fait d’autres groupes d’étrangers (FF 1994 I 311), etc.
[86] FF 1994 I 305.
[87] ATF 119 Ia 221, 233 H.; Walter HALLER, Commentaire de la Constitution fédérale, la liberté personnelle, No 16 ss. (1987); Jörg Paul MÜLLER, Die Grundrechte der schweizerischen Bundesverfassung, 2e éd. Berne 1991 23 ss.
[88] ATF 89 I 92, 97 Kind X.
[89] Habeas Corpus Act de 1679.
[90] On trouve, au cours des dix années passées, pas moins d’une vingtaine d’arrêts du Tribunal fédéral publiés dans le Recueil officiel qui concernent les mesures et le régime de détention.
[91] Arrêt de la Cour Winterwerp Série A No 33 §37; TRECHSEL (note 6) 48 précise que ce point est incontesté en doctrine.
[92] Voir par exemple ATF 119 Ia 221, 233 H.
[93] TRECHSEL (note 6) 53 préconise, contre la pratique récente de la Commission, l’application du principe de la nécessité à tous les cas de détention énumérés à l’art. 5 ch. 1 CEDH mais reconnaît aussitôt que cette application ne restreindrait guère le législateur dans sa large liberté d’action.
[94] Michel HOTTELIER, La Convention européenne des droits de l’homme dans la jurisprudence du Tribunal fédéral, Lausanne 1985 35.
[95] Voir par exemple ATF 119 Ia 221 H; 118 Ia 64 MINELLI; 117 Ia 69 M; 72 F.; 116 Ia 149 X., etc.
[96] FF 1994 I 312.
[97] Décision du 3 mars 1978 dans l’affaire Caprino c. Royaume-Uni, vol. 12 p.14, 28/29.
[98] Décision du 12 décembre 1992, EuGRZ 1994 176.
[99] FF 1994 I 311/12.
[100] Voir aussi la lette a qui concerne les détentions après condamnation, également prévues par l’art. 13a let. e LSEE (nouveau) dans des conditions non conformes à la CEDH.
[101] Un peu comme la France l’a fait dans l’affaire Bozano; voir l’arrêt de la Cour du 18 décembre 1986, Série A No 111 § 60.
[102] Les restrictions qui, aux termes de la présente Convention, sont apportées aux droits et libertés ne peuvent être appliquées que dans le but pour lequel elles ont été prévues; Sur cette disposition voir VELU/ERGEC (note 49) No 174.
[103] FF 1994 I 314; TRECHSEL (note 6) 51.
[104] Art. 45 Cst; Detlev Christian DICKE, Commentaire de la Constitution fédérale, art. 45 No 12 (1989).
[105] Art. 8 al. 1 LSEE.
[106] Art. 19 LA.
[107] Art. 20 LA.
[108] TRECHSEL (note 6) 50/51.
[109] Contra FF 1994 I 314; TRECHSEL (note 6) 51.
[110] Définie par le droit cantonal, la notion de séjour implique généralement une résidence dans un but particulier et pour une durée limitée, voir RDAF 1994 19, 21.
[111] Art. 23 al. 1 CC; art. 3 al. 1 LFDP;
[112] Quiconque se trouve légalement sur le territoire d’un État a le droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence.
[113] Soit en vertu de l’art. 19 LA, soit suite à une admission provisoire.
[114] NOWAK (note 80) art. 12 No 10.
[115] TRECHSEL (note 6) 51 se facilite trop la tâche en se contentant d’affirmer que l’art. 12 du Pacte ne confère aucun droit à ceux qui sont entrés illégalement dans le pays. Le critère déterminant n’est cependant pas l’entrée, légale ou illégale, dans le pays, mais le droit de rester « légalement » dans le pays dont bénéficient et les requérants d’asile et les personnes admises à titre provisoire.
[116] ATF 90 I 29, 36 X.
[117] ATF 119 Ia 221, 233 H.
[118] ATF 103 Ia 293, 295 Bonzi.
[119] En ce sens, la liberté personnelle semble aller plus loin que l’art. 12 al. 1 du Pacte II.
[120] Voir l’art. 13a let. b et 13b let. b LSEE (nouveau).
[121] TRECHSEL (note 6) 51 est d’avis qu’une telle mesure ne porte atteinte à aucune liberté.
[122] Mais il convient désormais de faire en sorte que, dans le domaine des étrangers et de l’asile, il soit possible de prendre des mesures plus étendues qui permettent de restreindre, autant que faire se peut, la liberté de mouvement de ce groupe de personnes, FF 1994 I 310.
[123] Supra No 12.
[124] ATF 114 Ia 350, 355 X.
[125] Supra No 26.
[126] ATF 119 Ia 221, 233 H.
[127] Voir en particulier l’art. 13b al. 1 let. a LSEE (nouveau).
[128] H.C.R. (note 72) 15.
[129] Il est significatif que plusieurs infractions pénales sanctionnant un comportement semblable à ceux visés par les nouvelles dispositions de la LSEE sont punis d’une peine bien plus légère que celle dont il est question ici. Voir par exemple l’insoumission à une décision d’autorité (art. 292 C.P.) qui est punie d’arrêts ou de l’amende.
[130] ATF 119 Ia 321, 326 D.
[131] Tel est le cas notamment de la détention préparatoire (supra No 3), de l’assignation à un territoire ou une région (supra No 6), de l’arrestation en vue de l’exécution immédiate d’un renvoi (supra No 5) et de la fouille (supra No 7).
[132] Voir le Journal de Genève du 19 avril 1994.
[133] Voir le Journal de Genève du 21 avril 1994.
[134] Art. 13d al. 2 LSEE (nouveau).
[135] ATF 114 Ia 350, 355 X.
[136] Voir par exemple ATF 109 Ia 472, 480 Hans Vest concernant les exigences moins strictes de la densité normative en présence d’un contrôle judiciaire ultérieur efficace et la critique pertinente de Giovanni BIAGGINI, Verfassung und Richterrecht, Bâle 1991 457; 102 Ia 104, 109 Magazine zum Globus AG.
[137] A savoir par le biais du recours de droit public dirigé d’abord contre l’acte lui-même puis, ultérieurement, contre ses actes d’application; ATF 119 Ia 321, 326 D.
[138] Supra No 11.