IMAGINER, PRATIQUER L’INIMITIÉ
Une méthode active, critique, transversale
Marie-Claire Caloz-Tschopp
- Hypothèse exploratoire du « total libéralisme » : dynamiser présent et histoire.
- Hypothèse exploratoire de l’universalisation de l’exil. Serions-nous toutes, tous des exilé.e.s ? Desexil de l’exil (2010)
- Embarras, apories, énigmes. Une méthode, une position transversale.
- Qu’est-ce qu’on fait quand on (re)crée des concepts ? Philosopher avec Deleuze.
- Des idées-force, des schèmes pour imaginer. (ex. chaos-cosmos-démocratie ; Human superfluity, droit d’avoir des droits ; exilés-prolétaires ; bannissement-expulsion-anihilation-exterminisme-disparition, génocides-torture, disparition, etc.).
- Des questions, démarches, choix.
- Les femmes migrantes clandestines, amazones dans les rapports entremêlés de classe, de sexe, de race.
- Des positions en recherche dans le travail.
- (Re)lire d’anciens travaux, être à l’affût de nouvelles recherches.
Introduction
Tout au long du parcours, il a fallu imaginer, apprendre à pratiquer l’observation, l’inimitié accentuée par le tournant de Schengen-Dublin-Frontex et la politique du droit d’asile en Suisse. Le mot d’Achille Mbembé dit mieux l’exigence du conflit que nous résistons à affronter, à vivre. A pratiquer en apprenant à prendre acte que la qualification de l’inimitié, du conflit par Carl Schmitt en termes « d’amis-ennemis » est redoutable et qu’il nous faut nous déplacer et considérer des rapports d’aversaires, aller dans les pas de Kant, de son rêve de paix, et dépasser sa philosophie politique d’Etat en nous déplaçant. Il a fallu pour ce faire, inventer une méthode active, critique, transversale en bousculant les praxis, les concepts, les habitudes politiques et philosophiques. Il a fallu inventer des outils pour simplement dégager des positions interrogatives, pouvoir imaginer et penser ce que nous avions devant les yeux. Imaginer un puzzle et un processus d’embarras, d’apories, de d’énigmes en nous inspirant de Javier Cercas. Voici quelques outils : les hypothèses exploratoires, c’est-à-dire ouvertes, sans clôture logique, l’invention de schèmes, de concepts, d’idées-force pour imaginer. Qu’est-ce qu’on fait quand on (re)crée des concepts s’est demandé Deleuze, question de méthode. Choisir de prendre les femmes migrantes clandestines comme le « spectre » (Derrida) du prolétariat du XXIe siècle, nous indiquant un nouveau rapport entre passé, présent avenir. Tout un parcours de choix et d’invention de méthode !
I. Axes d’une méthode active, critique, transversale
1. Hypothèse exploratoire du «total libéralisme»: dynamiser présent et histoire.
2. Hypothèse exploratoire de l’universalisation de l’exil. Serions-nous toutes, tous des exilé.e.s ? Desexil de l’exil (2010)
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire. Le coup d’envoi du PROGRAMME du CIPh (2009-2010). En attente
LAVAL Christian, CIPH, Qu’est-ce que le commun ?
MARTI Urs, One world. Démocratiser la démocratie.
IVEKOVIC Rada, La nouvelle universalité de l’exil, Séminaire CIPh 2011.
3. Embarras, apories, énigmes. Une méthode, une position transversale.
4. Qu’est-ce qu’on fait quand on (re)crée des concepts ? Philosopher avec Deleuze.
5. Des idées-force, des schèmes pour imaginer.
(ex. chaos-cosmos-démocratie ; Human superfluity, droit d’avoir des droits ; exilés-prolétaires ; bannissement-expulsion-anihilation-exterminisme-disparition, génocides-torture, disparition, etc.).
6. Des questions, démarches, choix.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Apartheid de sexe, guerre, femmes migrantes clandestiness, 2011.
GUILLAUMIN Colette, Le « théorique » et le « politique » sont-ils distincts ? (extrait).
GUILLAUMIN Colette, Le concret et l’idéologique : deux faces d’une même médaille (1981, 1992).
GUILLAUMIN Colette, Vocabulaire et actes. Remarque introductive, 1987.
TABET Paola, La grande arnaque : échange, spoliation, censure de la sexualité des femmes.
VOLLAIRE Christiane, recherche en philosophie, Paris, L’exil comme terrain philosophique.
FIALA Pierre, Sémantique politique: un engagement méthodique dans un champ nouveau.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Que faire de Carl Schmitt ? La question à la question.
7. Les femmes migrantes clandestines, amazones dans les rapports entremêlés de classe, de sexe, de race.
MAYOR Adrienne, Les amazones, Paris, éd. La Découverte, 2017.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, VELOSO Teresa, « Prologue » aux 2 volumes en espagnol sur 3 féministes matérialistes (France, Italie), Tres feministas materialistas, vol. I y 2, ed. escaparate, Chili 2012.
Ces volumes sont en accès sur le site des éditions L’Harmattan, Paris.
8. Des positions en recherche dans le travail.
GUILLAUMIN Colette, Combien c’est difficile… (citation)
BROSSAT ALAIN, « Le jugement politique en déshérence », Transeuropeénnes no. 18, pp. 131-133.
BENSAÏD Daniel, « Dieu que la guerre éthique est jolie… », Transeuropéennes, no. 18, pp. 134-138.
TAFELMACHER Christophe, Durcissement du droit, dilemmes de l’avocat.
TAFELMACHER Christophe, Prendre du recul pour penser le monde et mieux agir.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Derrière le droit, le spectre de la justice (2004).
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Le lit de Procuste de l’intégration, 2001.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, ARIC, A propos du pessimisme de l’intelligence et de l’optimisme de la volonté, 2001. En attente
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Violence d’Etat et droit d’asile en Europe (revue Respublica, 2001).
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, L’évidence de l’asile (extrait), Paris, éd. l’Harmattan, 2016.
9. (Re)lire d’anciens travaux, être à l’affût de nouvelles recherches.
Un choix présenté ici, non exhaustif, de divers travaux, (re)découverts, utilisés dans les divers enseignements, recherches, interventions, illustre des questionnements à partir de pratiques, langues, terrains, domaines hétérogènes. On y retrouve des références incontournables. Pour certaines, minoritaires et invisibles, elles méritent d’être reconnues, pour d’autres, elles ouvrent en 2020, de nouveaux horizons en déplaçant encore les lieux, les continents, les terrains, les espaces publics, les cadres théoriques, les positions. La liste constituée dans des rencontres, des moments de travail commun, est ouverte.
GUATTARI Félix, ROLNIK Suely, Micropolitica. Cartografias del deseo, Sao Paolo, Tinta Limon, 1986.
IVEKOVIC Rada, Pour une révolution épistémologique.
BOZARSLAN Hamit, Crise, Violence, Dé-civilisation, Paris, éd. CNRS, 2019.
MBEMBE Achille, Brutalisme, Paris, La Découverte, 2020.
DE COULON Giada, L’illégalité régulière, éd. Antipodes, 2019.
« La ruse ultime du néolibéralisme, c’est la dépression militante. À force de défaites politiques, même à gauche, beaucoup finissent par se résigner : il n’y aurait pas d’alternative. Au contraire, Engin Sustam nous invite à penser ce qu’on n’avait pas vu venir : l’imprévu des insurrections. La révolte, de la Turquie à la France, du Rojava au Chiapas, ou de Santiago à Hong-Kong, c’est, non pas la révolution qui renverse l’ordre des choses, mais une brèche : dans un monde désespérant, les nouvelles générations ouvrent aujourd’hui des espaces d’espoir ». Quatrième de couverture (trad. française, Eric Fassin sociologue, U. Paris 8)
BREPOHL Marion, Dever de memória e colonialidade: a invisibilidade dos subalternos.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Questões à memória da insubmissão e da emancipação.
GONÇALVES, Marcos, Diáspora haitiana, trabalho e racialização: uma crítica à razão humanitária.
II. Deux situations qui réveillent l’histoire.
Les interrogations ont tenté de cerner les liens entre la Suisse, l’Europe, le Chili, la Turquie. Le Chili (2009-2012) et la Turquie (2014-2015) sont deux terrains de travail entre 2009 et 2015 dans le cadre du Programme du Collège international de philosophie. Il révèle certains processus qui ont lieu ailleurs et méritent une attention et une une analyse approfondie. On ne revient pas indemne du Chili et de la Turquie. Retour impossible. On revient exilé.e en Suisse, en Europe, sur la planète. En recherche de desexil. Dès lors que l’énigme redoutable a été identifiée, le défi est d’identifier la signification d’une philosophie, d’une politique décentrées décolonisées et désimpérialisées, d’en l’explorer et d’en approfondir les embarras, les apories, les énigmes. C’est le thème de cette partie, qui sera approfondi dans la partie sur les politiques de « disparition ». Nous en avons retiré une énigme sur la « violence extrême » que nous avons été amenés à approfondir les politiques de disparition. Nous présentons une série de questions reprises de nos notes de recherche et des débats pour situer nos travaux.
Situation 1. Chili et cône sud d’Amérique latine.
Un exemple emblématique de la stratégie du « choc ». Situer l’énigme du Mont Pèlerin, l’illibéralisme, l’héritage du colonialisme dans des « dictatures » de « sécurité nationale » est un enjeu de déplacement épistémologique et politique. L’autre 11 septembre a eu lieu au Chili et en appelle à un renouvellement de l’interprétation de faits politiques concernant ce pays. Qu’est-ce que la « démolition » (Vignar) ? Quel est le statut des disparitions? Que nous apporte l’angle d’attaque des féministes matérialistes sur la « continuité de la violence » ? Des notions revisitées et mises en lumière. Appropriation, sexage (Guillaumin), quand céder n’est pas consentir (Mathieu), continuum de la violence (Tabet) ; apartheid de sexe; rôle épistémologique des femmes migrantes clandestines dans les rapports de classe/sexe/race.
CALOZ-TSCHOPP M.C. (Suiza), VELOSO Teresa Bermedo (Chile), (dir.), TRES FEMINISTAS MATERIALISTAS, Colette Guillaumin, Nicole-Claude Mathieu, Paola Tabet, Chile, ed. Escarapate, vol. I y II, 2012.
VELOSO BERMEDO Teresa, Franchir le seuil de la douleur extrême, Paris, éd. L’Harmattan, 2018, 186 p.
Escadrons de la mort, l’école française, documentaire de Marie-Monique ROBIN
Chili : choix de textes parmi les publications sur les féministes matérialistes et autres textes d’Amérique latine
VOLLAIRE Christiane, Qu’attendre du féminin pluriel ?
TABET Paola, La grande arnaque : échange, spoliation, censure de la sexualité des femmes.
SIMON Jeanne, Violence, Communauté et civilité: Réflexions sur la résistance Mapuche (Chili) et développement des politiques publiques, intervention orale lors du colloque international d’Istanbul, 2014.
PUGET Janine, psychanalyste Buenos Aires, Lo político y nuevas formas de subjetivación, 2016.
GAUTHIER Andrès, Emma Bosshia, Queridas amigas, queridos amigos, desde Bolivia, 28.11.2019.
ITEI, Bolivia : A 71 anos de la Declaration universal de los derechos humanos, 10.12.2019.
Situation 2. Turquie[2]
Quand on ne s’en sort pas de la violence « extrême »… Que deviennent la politique et la philosophie ? Après le Chili, qu’avons-nous appris de la Turquie ? Violence, contre-violence et civilité (Balibar, Insel, Istanbul, 2014 ; Bozarslan, Sustam). Le cas de la Turquie après notre déplacement au Chili, nous a amenés à devoir faire un pas de plus, à nous situer aux abords d’une des frontières de l’Europe dans la réflexion sur la violence, la politique et la philosophie en intégrant ce que recouvre chez Balibar le double concept de « violence et civilité » en allant sur place à Istanbul en 2014. Depuis 2012, les cartes se redistribuent dans la géopolitique, que devient alors le régime autoritaire qui articule rapports économiques, marché des réfugiés à l’Europe et déplacements en recherche d’hégémonie dans la région ? Les travaux d’Ahmet Insel sont un apport précieux à ce sujet.
Tables des matières et autres textes
INSEL Ahmet « Quand l’identité victimaire renforce la violence et menace la civilité », Balibar Etienne, Caloz-Tschopp Marie-Claire, Insel Ahmet, Tosel André, Violence et Civilité. Autour d’Etienne Balibar, Paris, (chap. 4), La Dispute, 2015, p. 159-178.
INSEL Ahmet, Autoritarisme et violence.
ÖZDEMIR Seçkin Sertdemir, La temporalité et la civilité chez Balibar.
BOZARSLAN Hamit, Quand la violence domine tout mais ne tranche rien.
DIREK Zeynep, Une réponse féministe à Violence et Civilité d’Étienne Balibar.
KARDES Ertan, Une non-violence destructrice.
Gaye ÇANKAYA EKSEN, Problème d’expression de l’unité de la société politique: Balibar et Spinoza.

Textes du groupe de lecture en lien et à distance avec le colloque d’Istanbul et ses suites.
N.B. Choix de textes envoyés par les lectrices et lecteurs à distance lors du colloque d’Istanbul, qui sont publiés ici pour la première fois
VELOSO BERMEDO Teresa, Leer a Etienne Balibar después de vivir la extrema violencia.
BEDİRHANOĞLU Pınar, Istanbul, L’Endettement comme forme d’extrême violence.
MISAS ARENGO Gabriel, Régime d’accumulation, exclusion et violence (Colombie 1950-2010).
NIGRO Roberto, La guerre civile dans le filigrane du démoniaque.
12. Questions pour un débat (méthode, inimitié).
Tout en inventant une méthode, pour ouvrir la boite de Pandore sur une invention en Suisse (3 cercles, apartheid), l’expérience de deux situations au Chili, en Turquie, permet de formuler d’autres questions :
QEn quoi une méthode – active, critique, transversale – embarras, aporie, énigme – transforme-t-elle nos praxis, nos rapports à la politique, à la philosophie de l’ambiguïté en pratiques de l’inimitié ?
QEn quoi intégrer dans les outils de changement, le débat critique sur les Lumières et les mouvements d’émancipation, révolutionnaires, permettrait-il d’identifier une tradition européenne face aux transformations impérialistes, aux nouveaux impérialismes (travaux de Billeter) et aux nouveaux systèmes autoritaires ?
QEn quoi, à quelles conditions une prise en compte conjointe de l’exigence de décentration, de décolonisation, de désimpérialisation, transforment-elles les praxis ?
QQuels sont les rapports entre l’histoire de la société du Mont Pellerin en Suisse et les stratégies du « chaos » en 1973 au Chili et ce qui se passe en Turquie ?
QQu’avons-nous appris de la situation chilienne aujourd’hui ? Quel type d’embarras révèle la quasi absence d’information dans la plupart des partis, des syndicats, du mouvement (hormis des cercles académiques spécialisés) sur la présence, les théories, les actions de la société du Mont Pellerin traduites en stratégies économiques, politiques, militaires de choc anti-socialistes, anti-communistes, du marché libre (Suisse (1947), son choix expérimental du « laboratoire » du Chili (1973) ?
QQu’avons-nous appris de la Turquie, hier et aujourd’hui ? Quelles énigmes de l’autoritarisme, du génocide, des peuples en Turquie au seuil de l’Europe ? (Ahmet Insel)
QL’autoritarisme, le déni du génocide arménien, des peuples expulsés de la politique aux frontière de l’Europe, quelles conséquences pour la philosophie, la politique de l’Europe ?
QThèse « dictature », approche critique. Pourquoi ne peut-on pas se satisfaire de l’approche par le concept de « régime » cher à la Science politique ; parler alors de « dictature » au Chili ou dans le code sud d’Amérique latine, et aussi de « régime autoritaire » (Turquie), comme dans d’autres pays sur la planète d’ailleurs ? Qu’est-ce que le mot « dictature » parvient, en utilisant une catégorie de la tradition en science politique, en philosophie de la politique, à « cacher », à effacer comme énigme redoutable ? Qu’avons-nous à apprendre du Chili et de la Turquie aujourd’hui, à propos d’une « dictature » d’un « régime autoritaire » au-delà des assassinats[3], au-delà du fait qu’elle serait un « syndrome », la « dictature » étant un régime politique dans lequel vit un habitant sur trois sur la planète nous dit l’écrivain égyptien en exil Alaa El Aswani[4] qui dit « désirer la liberté comme la vie même » ? L’usage sans distance critique de la notion de « dictature », de « régime autoritaire » ne cache-t-il pas une des ambivalences face à la violence, une ambiguïté face à la démocratie, non tant comme régime, que comme projet, imaginaire dans les références archives des révolutions et de la pratique révolutionnaire ? La question implique un travail de mémoire en rapport étroit avec l’actualité.
La liste des questions est ouverte.
[2] Voir la revue en ligne Rue Descartes, no. 85, Paris et sa version en italien (Pise) : COMPLETER l’adresse de la revue italienne.
[3] DEPALLENS Jacques, Une dictature ça assassine énormément, Le Courrier, 11.9.2019. PDF
[4] El ASWANNY Alea, Le syndrôme de la dictature, Paris, Actes Sud, 2020.