Deux Europes antagonistes
Politique ou Police?
Marie-Claire Caloz-Tschopp
« Il faut aller jusqu’au bout de cette difficulté et considérer dans l’universalisme d’aujourd’hui que les notions de national et d’étranger sont des constructions idéologiques arbitraires qui servent de curseur d’exclusion, donc de pouvoir et qui sont liées à la construction de ces abstractions que l’on nomme des Etats et qui sont aussi éphémères que toutes les aventures historiques ».
Monique Chemillier-Gendreau[2], Paris.
- Brève introduction sur cinq problèmes philosophiques
- Pouvoir : force et puissance (Arendt, Weil) ; passage du pouvoir à la violence (Balibar)
- Mensonge politique
- Consentement à la violence et l’oubli de la liberté politique
- Ambiguïté dans le pouvoir de dominer et d’agir
- Rapport entre droit et justice (Derrida)
- Dispositifs, outils, technologie (Foucault, Zuboff)
- Le « Laboratoire « Schengen : entre apartheid, « marché unique » et police.
- Schengen-Dublin-Frontex: Une stratégie militarisée, privatisée des polices nationales et de l’UE
- Cinq cas emblématiques
- Le « laboratoire » suisse de politique migratoire, du droit d’asile (1960 et 1980).
- Tendances et inimitiés dans les deux « laboratoires ».
- Que révèle les débats sur le Pacte migratoire (Marakech 2018)?
- Des actes de résistance, de solidarité, de curiosité : la puissance d’agir.
- Des rassemblements européens transnationaux (années 1990)
- Traces récentes de luttes en Suisse (1974, 1990)
- Des recherches civiques et universitaires entrecroisées
Traces d’histoire utiles pour garder les yeux ouvert
Introduction
L’introduction philosophique ne contient pas de documents de la base de données dans les rapports imbriqués entre la Suisse et Schengen, mais présente trois réflexions issues de l’ensemble des travaux et qui sont repris et approfondis dans la partie IV Praxis, expérimentations.
Elle met l’accent sur des questions philosophiques et politiques concernant des tendances des deux « laboratoires » (UE, Suisse), sans qu’ils soient séparés dans la présentation, car les tensions autour du « libre marché », la violence capitaliste et d’Etat structurelles dans la globalisation traversent l’ensemble des données de manière souterraine, complexe, matérielle et concrète.
Ce choix d’organisation des données sous cette forme peut faciliter la présentation des documents, mais dans les faits, l’histoire, des politiques de l’UE et de la Suisse sont imbriquées dans des dynamiques de changements structurels dans une continuité des politiques entre les polices et une discontinuité apparente entre les politiques du capitalisme néo-libéral du discours de Schengen et la brutalité, les transformations d’un pouvoir sécuritaire militarisé visible dans l’irruption majeure de Frontex. Envisagé depuis la violence, le pouvoir (force, puissance) montre ses métamorphoses, contradictions, ambiguïtés dans les imbrications dans le pouvoir de la force Schengen-Dublin-Frontex – et dans celui de la puissance d’action, de luttes et dans les recherches.
Comme on va le voir dans les documents – certains inédits qui ont fait l’objet de recherches de traces et grâce à des collaborations précieuses, sont accessibles dans le projet -, de publications de recherches accumulées, qui pour beaucoup ne font pas partie de sources académiques officielles, durant toutes ces années. Rappelons que la base de données est est limitée, elle est loin d’être exhaustive. Nous avons établi un inventaire de nos outils de travail durant plus de 40 années et que nous avons pu retrouver. Ce ne sont pas les données d’un programme de recherche du FNSRS, ou d’une thèse, ou même d’une recherche systématique. Soulignons tout de même que des thèses cédées par des auteurs ont été intégrées. Le projet fait état de données, livres, articles, documents, échanges qui ont donc eu lieu tout au long de l’action et de la réflexion.
Soulignons, la découverte fondamentale du projet de praxis-mémoire-archives, difficile à expliciter dans un premier temps à cause de la prégnance de la violence, de la rapidité des changements, des mensonges ambigus autour de Schengen notamment et des contradictions dans des luttes autour de la construction européenne: la puissance de la construction par la résistance de l’Autre Europe dans un seul monde. Elle devient une évidence de L’’hospitalité. déconstituante/constituante devient une évidence politique que nous avons tenté d’élaborer (voir partie des propositions dans le texte final). Les luttes, les échecs, les tentatives, les petites victoires sont pour beaucoup invisibilisées ou alors criminalisées, mais ces actions courageuses sont pourtant bien réelles.
Au moment où j’écris je reçois au moins 20 à 30 courriels par jour de Migreurop, GISTI, Amnesty International, Solidarité Sans frontières, GSsA, D’entre les lignes et entre les mots, d’autres réseaux, et en particulier de Marianne Weber à Lausanne, vieille amie résistante qui, malgré son état de santé, nourrit une liste de personnes en informations tous les jours. Il y a les courriels d’exilé.e.s en Suisse, en Europe, du Chili, de Syrie, de Turquie… C’est l’anniversaire de l’accord UE-Turquie, Amnesty international met en garde contre de futurs accords migratoires délétères. La violence, les urgences sont les battements du cœur du monde. Il faut rester au bord de la mer, contenir ses émotions, s’asseoir et écrire, organiser la base de données à temps pour qu’elle ne soit pas un poisson d’avril. Hé oui !
Des questionnements dans la praxis philosophique
Marie-Claire Caloz-Tschopp
Brève introduction sur cinq problèmes philosophiques
Sur les terrains de l’Europe de Schengen-Dublin-Frontex, des politiques de la migration, de l’asile et du droit d’asile, les questionnements dans les praxis philosophiques sont innombrables et divers, comme on peut le voir dans la base de données et dans bien d’autres recherches qui n’ont pu être intégrées.Soulignons ici six questionnements:
- Autour du pouvoir, et du déplacement de la réflexion du pouvoir à la violence
- Du mensonge politique dans les deux laboratoires (UE, Suisse)
- Du consentement à la violence et l’oubli de la liberté politique
- L’ambiguïté dans la liberté politique
- Du rapport entre le droit et la justice
- Des rapports entre migration, dispositif, outils, nouvelles technologies (Frontex)
(1) Pouvoir: force et puissance (Arendt, Weil); passage du pouvoir à la violence (Balibar)
En bref, dans les recherches philosophiques[1]dont sur lesquelles s’appuyer, je ne reprends pas ici le fil rouge de réflexion de toutes ces années, mais je retiens tout d’abord, la question du pouvoir. Deux approches philosophiques ont pu être dégagées dans l’approche du pouvoir : la distinction entre force et puissance (Hannah Arendt et Simone Weil), – qui, pour Arendt, à partir du mensonge politique -, exige de prendre en compte l’ambiguïté du pouvoir de domination et d’action. Nous avons d’approfondi la notion d’ambiguïté avec les travaux du psychanalyste argentin Jose Bleger.
Par ailleurs, le déplacement du pouvoir vers la violence (Etienne Balibar) a impliqué de travailler sur les rapports entre violence et civilité puis d’approfondir un autre axe de travail (après Istanbul), à partir de la violence impérialiste, de l’effet de « boomerang » (Rosa Luxemburg) dans la violence impérialiste et la guerre au début du XXe siècle, avec un aller-retour sur des politiques de torture et de disparition transversales (colonisation, « dictatures » latino-américaines, politiques de migration dans l’UE et ailleurs).
Ce cheminement de la recherche sur les transformations de la violence a aussi impliqué de travailler sur notre propre rapport à la violence, sur des résistances à savoir (au sens de Freud), sur les ambiguïtés des politiques induisant des résistances qui ont « imbibé », non seulement le système d’Etat Schengen-Dublin-Frontex, la société, mais le travail dans des interventions et la recherche (place du déterminisme et de la liberté). On comprend que s’interroger à partir du terrain (permanence juridique pour la défense des droits de requérants d’asile, analyse de discours) sur la banalisation de la violence, notamment par des mensonges dans des politiques présentées comme des évidences autoritaires et sécuritaires, a été fondamentale.
Des praxis de résistance ancrées dans les droits fondamentaux, la solidarité, la désobéissance civile/civique, le travail de connaissance et de réflexion ont été construites par des minoritaires, dans un contexte de discours de déni, de mensonges politiques de Schengen-Dublin-Frontex[2] et de la politique d’apartheid utilitariste, raciste, guerrière de collaboration de la police suisse qui, nous l’avons constaté, a vendu littéralement à l’UE des dispositifs, des outils aux polices européennes (empreintes digitales, modèle des cercles). Le procédé a déjà été utilisé en vendant à l’Allemagne nazie, le J sur les passeports juifs (voir base de données). La déconstruction critique des discours, des faits, des dispositifs, des outils à la lumière de ce que nous observions sur la brutalité, la violence incroyable, banalisée sur le corps d’exilé.e.s, nos corps de chercheurs, militants, professionnels, citoyens a permis de trouver un fil rouge de résistance.
Grâce au travail commun entre Fortress Europ et le Groupe de Genève, nous avons pu analyser les transformations de la stratégie de la Commission européenne de 1998 (5 cercles, visas, expulsions, accords de réadmission des expulsés avec les pays d’origine, etc.). En bref, nous avons pu constater le déplacement d’une stratégie défensive de fermeture (Fortresse europe) vers une stratégie offensive impliquant une philosophie active d’apartheid, de police militarisée, de racisme d’Etat avec le « modèle » des 3 (Suisse), puis 5 cercles (UE) impliquant, par exemple une accélération des expulsions forcées (Dublin) et des accords de réadmission avec les pays d’origine et d’autres mesures, Frontex. La trilogie de Schengen-Dublin-Frontex s’est institutionnalisée. Aujourd’hui l’explosion des budgets et moyens de Frontex est frappante. Nous en sommes arrivées à interroger les évolutions imprévisibles d’une telle situation impliquant la transformation de la violence allant aux extrêmes aux frontières, dans les procédures administratives, les camps, les prisons, etc.. Des chercheurs, des militants en arrivent aujourd’hui à analyser l’extension de la torture dans les politiques migratoires et du droit d’asile de l’UE (Perocco, 2019), non tant sur, les « abus » des polices, mais sur les crimes contre l’humanité impliquant l’ensemble des acteurs des politiques de migration et du droit d’asile (Calame, Attac).
L’Europe vit en tension entre la puissance d’actions citoyennes et les forces guerrières des Etats pris dans des processus de « privatisation » de la sûreté, dont la règle est l’apartheid, notre « passé, présent, avenir » (Monnier), le « marché de l’asile » (Monnier)[3], l’émigration « choisie » (cerveaux, et travailleurs clandestins structurels), le refus de pactes entre Etat et UE, visibles dans l’impasse des politiques migratoires et du droit d’asile prises entre surexploitation des travailleurs migrants, emprisonnements et expulsions des exilés de Dublin (l’Allemagne est le seul Etat qui a dénoncé Dublin).
Dans la violence d’Etat, les mensonges politiques ambigus côtoient les « délits de solidarité » pour tenter de minimiser ses apports des citoyens solidaires. Paradoxe. En étant condamnée, la solidarité acquiert un statut politique dans l’Etat et le droit de punir qui demande à être renversé en droit positif de résistance. La solidarité a permis, permet l’émergence de l’Autre Europe, une Europe alternative basée sur l’hospitalité politique qui n’est encore inscrite dans aucune constitution (nationale et de l’UE). Son inscription dans les lois, permettrait de renverser la « charge de la faute », d’envisager un délit d’hospitalité pratiqué par les Etats sans sanctions. Il demande à être identifié, « nommé », débattu, sanctionné. Son approche philosophique en terme de paix (Kant), mérite une relecture du même Kant (sur la propriété commune de la terre, argument minorisé) pour dégager l’hospitalité politique positive. L’hospitalité n’est rien sans la solidarité et sans un droit de l’hospitalité politique (voir partie V).
(2) Mensonge politique
Trois mensonges politiques ambigus dans deux « laboratoires » (UE, Suisse) ont pesé sur l’imaginaire, les pratiques institutionnelles et de résistance. Elles ont servi à cacher l’imposition du « libre marché », et la construction parallèle d’une Europe des polices, d’une Europe sécuritaire. Leur analyse a permis de travailler sur des contradictions entre les luttes pour une Autre Europe et des tendances de « décivilisation » (Bozarslan, 2019).
Nous nous sommes centrés, vu les contraintes de terrain et aussi par choix sur un lieu paradoxal au centre de l’Europe : la Suisse et ses rapports à Schengen-Dublin-Frontex. Ce choix permet d’observer les imbrications multiples d’un capitalisme globalisé entre un petit pays et l’UE, alors que la Suisse ne fait pas officiellement partie de l’Europe, comme le montrent les cartes européennes. L’intérêt est d’observer ce fait en interrogeant précisément une imbrication policière militarisée dans la trilogie Schengen-Dublin-Frontex qui déborde, fait éclater le cadre des Etats-nations souverains jouant par ailleurs sur un statut d’exception (Sonderfall) ancré dans les frontières nationales, alors que beaucoup de multinationales y ont leur siège mondial en Suisse (ex. Pétrole à Genève ; la moitié des céréales et des oléagineux est échangée par sept firmes, ADM, Bunge, LDC, Cargill, Grencore, Cofeo International, Wilmar, toutes en Suisse ; importance du secteur du café, du coton, de l’or, du pétrole et du charbon pour la Suisse déjà décrite en 1979)[4].
Prendre en compte cet état de fait, suppose une élaboration philosophique, épistémologique, méthodologique critique, une résistance de rupture anticapitaliste pour parvenir à un élargissement de la compréhension. Un tel choix, nous l’avons vu, a plusieurs avantages : intégrer le sens de l’habeas corpus pour analyser les politiques de la migration, dépasser des discours et des pièges expulsifs, racistes par la manipulation de la logique de la différence essentialiste, naturalisante, fixée sur des groupes, populations ; refuser de nous contenter de l’usage du concept de « mobilité » de la main-d’œuvre ; ne pas nous contenter d’un diagnostic d’inégalités fussent-elles abyssales, mais saisir des logiques structurelles du capitalisme dans les rapports de violence d’Etat; nous éloigner des catégories administratives et aussi économiques dans lesquelles sont pensées la migration, le droit d’asile, le travail, le chômage, la santé, la formation, etc. ; repenser la politique et la philosophie à l’échelle de la planète en dépassant des logiques d’apartheid ; prendre en compte les mensonges politiques évoqués qui cachent la gravité de la situation, et aussi accorder une attention spéciale à la valeur d’actions de résistant.e.s qui ont construit une Autre Europe.
Des apories politiques et philosophiques perdurent. Sans solution. Ces apories à transformer en énigmes par l’hospitalité politique, sont héritées de la tradition, du colonialisme, de l’impérialisme, du capitalisme « absolu » (terme du philosophe André Tosel) aussi lisibles sur le terrain de la migration, du droit d’asile. Elles sont noyées dans des mensonges, des débats médiatiques ambigus et aussi dans des impasses de citoyenneté. Leur poids tragique, leur complexité exige de (se) déplacer, décoloniser, désimpérialiser les démarches philosophiques et politiques pour que l’imaginaire se libère et qu’un nouveau paradigme d’émancipation, de solidarité puisse se renforcer.
(3) Consentement à la violence et l’oubli de la liberté politique
Pour saisir la tension entre le consentement aux mensonges politiques et l’oubli de la liberté politique, il est nécessaire de s’atteler aux pièges des mensonges politiques ambigus dans des politiques concrètes et aussi dans l’élaboration théorique (déterminisme). Comment concrètement des faits d’inégalité structurelle, d’exploitation, de discrimination, de démantèlement des droits, de racisme d’Etat, etc. ont été possibles sans critique, voire soulèvements, insurrections de masse en Europe et en Suisse ? Des réactions minoritaires résolues ont eu lieu face à une évolution qui se présentait commes des mesures de « gestion » économique et politique « efficace » avec une philosophie utilitariste d’exploitation prédatrice du travail migratoire et des biens des pays d’origine, en incitant à la concurrence entre travailleurs et une conscience sociale limitée sur la portée du droit d’asile en tant que valeur politique (hospitalité politique) loi et droit constitutionnel (loi d’asile suisse instaurée seulement en 1979, absence de l’hospitalité politique dans les constitutions européennes et les droits). Les réactions provenaient de milieux sensibles aux libertés publiques, dans les milieux syndicaux (droit des travailleurs) et du mouvement d’asile (hospitalité, asile, solidarité). L’imposition du consentement par des mensonges ambigus a concerné l’ensemble de la population prise dans une société monétarisée, la consommation et prisonnière des « bienfaits » de l’apartheid. Elle a visé au premier chef, la population préoccupée par la « crise », les migrants, réfugiés, les exilés soumis à des mesures drastiques et souvent illégales.
Elle a une portée générale pour l’ensemble de la population, qui, jouissant de privilèges illusoires (consommation et démantèlement des droits du travail, du logement, de la santé, de l’information, etc.), constatant la peur, le contrôle, la violence pratiquée sur leurs semblables discriminés, racisés, consent (ou cède ?) à des mesures qui mettent en cause les droits fondamentaux. En clair, la stratégie officielle a mis et met en cause non seulement l’Etat de droit limité en ce qui concerne les droits des « étrangers » mais surtout la possibilité même de la politique, de la citoyenneté en Suisse et dans la construction d’une Europe alternative.
Parmi de nombreux cas et exemples, que nous présentons dans la base de données des références de base (la constitutionalité des droits fondamentaux (Auer), des travaux sur les droits fondamentaux, un guide de procédure du HCR qui a une histoire à connaître, le « droit d’avoir des droits » d’Hannah Arendt. Ce sont des outils pour voir avec d’autres yeux que ceux du consentement, les luttes sur le statut du saisonnier et les « admis provisoires », la distinction asile-droit d’asile, le refus des mesures de contraintes, des emprisonnements administratifs sans faute pour mettre en œuvre les expulsions (1994), les mesures d’expulsion, les camps-prison, la lutte pour la régulation des sans-papiers, etc.. dont peut voir des tracs dans la base de données.
Pour saisir les agissements de la Suisse en profondeur, l’intégration des travaux sur l’Ueberfremdung (surpopulation étrangère) de Marianne Ebel et Pierre Fiala, et aussi la compréhension approfondie de l’introduction du concept d’apartheid par Laurent Monnier sont importants.
On aura compris que le mensonge politique ambigu à l’œuvre dans les « laboratoires » de Schengen » et de la Suisse dans les politiques de migration, du droit d’asile, est le pouvoir de la force qui se rend invisible par l’usage de mensonges. Il a des incidences sur la puissance d’agir. Il induit, voire en arrive à imposer le consentement, l’obéissance sans nécessité d’usage de la force, si ce n’est sur les expulsables, expulsés, si ce n’est comme effet dissuasif réservé aux migrants, requérants, exilés et aux solidaires, aux « cas sociaux ». Le rapport entre force et puissance est ambigu (Arendt). Il n’est pas stable. Ses modes changent. Le glissement de la sécurité à la sûreté armée observable avec Frontex est un mode d’ambiguïté politique de type guerrier dangereux.
La (re)lecture à distance, après coup des matériaux, des faits, permet un constat d’évidence. Dans les années 1980 et déjà depuis les années 1920 (pour l’Etat suisse), des mensonges politiques ambigus à courte vue, ont contribué à banaliser la violence d’Etat (Ueberfremdung, apartheid), à estomper l’exigence d’une alternative politique européenne et en Suisse au capitalisme « néo-libéral ». Le virage des années 1980, a imposé aux opinions publiques, un étrange ballet, avec un discours liberté-sécurité-justice, tout en appliquant une politique d’attaque des libertés, des politiques sociales, des droits, de refus de la nécessité de l’entre-protection solidaire, de la sécurité des sociétés (pensons aux politiques de la santé que révèle le Covid19, à la banalisation de l’emprisonnement, des camps, de l’outil de l’état d’exception). L’ampleur de la négation de la justice a hypothéqué la création d’une citoyenneté européenne et à cantonner les revendications citoyennes dans les Etat, à des luttes pour le droit de vote communal, cantonal et à des mesures dites « d’intégration ».
La formule de « non contemporanéité » du philosophe Ernst Bloch[5] peut s’appliquer aux politiques de migration mensongères, aveugles, ambigues de la Suisse depuis les années 1920 pour ce qui est du XXe siècle, de l’Europe des années 1980, du tournant de sûreté sécuritaire qui se présentait sous un tout autre visage dans les discours de Schengen.
En résumé, le mensonge politique ambigu, loin d’être un simple instrument de pouvoir de souveraineté d’Etat classique, vise l’appropriation, le vol de la liberté politique, qui apparaît de fait dans le rapport entre la police et la politique, les transformations de la violence de sûreté sécuritaire (polices, armées), les restructurations du capital, du travail, la précarisation globalisée (triple peine pour les travailleurs migrants, les femmes migrantes, les clandestins), le pillage des biens de pays du « tiers monde », les tensions, les paradoxes autour des nouvelles frontières de l’UE sécuritaires militarisées (1980), l’augmentation du trafic d’armes et les nouveaux visages des guerres, etc..
La stratégie de résistance, inspirée, par exemple, par Françoise Proust[6], par un lecteur de Spinoza[7], loin d’en rester à un simple refus (de Schengen, de l’Europe), pourrait alors aussi se formuler en des termes plus complexes, (plus rusés ?) nous amenant à devoir emprunter la voie d’un processus « d’envers de la liberté » appropriée, ce qui est dans le laboratoire Schengen, implique dialectiquement son contraire, et une émergence possible qui serait alors une démarche d’espaces de résistance d’entre-protection impliquant sa dimension imaginaire et l’invention d’outils.
Dès sa fondation, Schengen, et d’autres discours économico-politique ultra-libéraux, avec des discours ambigu sur la servitude, la liberté ont été des lieux de manifestations du reflux de pensées d’émancipation politiques, de coups de force conservatrices, sécuritaires, classistes, sexistes et racistes, la face ténébreuse et cachée de passions attaquant les Lumières[8], les révolutions libérales, anarchistes, socialistes et communistes, etc., spectres d’un devenir possible que les tenants de la fermeture ont tenté de chasser de la scène en manipulant la question des étrangers (surexploités par ailleurs) tout en jouant sur le paradoxe entre la liberté (de « libre-circulation », de « mobilité » limitée de fait à la gestion d’une main-d’œuvre de réserve combinant les sans-papiers et la concurrence des cerveaux, du brain-drain globalisé, etc.) et l’autoritarisme, et le « libre marché », la sûreté sécuritaire aux côtés du trafic d’armes, d’interventions armées après l’Irak. Qui ne rêve pas de « libre-circulation », de « mobilité » globalisée ? Mais en quoi la « mobilité » est distincte de la « liberté politique de se mouvoir », en suis-je arrivée souvent à me demander en 2019, tout en appelant à un travail critique sur des concepts économiques et de Schengen. Que recèle la distinction critique de ces deux notions ? La question a été le moteur d’un essai sur La liberté politique de se mouvoir (base de donnée).
Par ailleurs, la scène de la tragédie révèle peut-être une autre dialectique souterraine. Comme si chaque aspiration, bouffée de liberté politique lisible dans les luttes minoritaires, contenait le retournement dans sa face obscure. La question de ce double mouvement, signalé par Colette Guillaumin (1970, 2000), est toujours d’actualité. Il en résulte des ambiguïtés autour de liberté politique/marché libre, de sécurité/sûreté sécuritaire, de graves dénis, comportant le danger de la banalisation de politiques de prédation, de destruction d’un capitalisme absolu, d’un libéralisme « illibéral » et des nostalgies, des pertes, des oublis.
Aujourd’hui où le climat, la santé, les abîmes d’inégalité, les dangers du pillage de la planète, une prise de conscience philosophique, sociale, politique ne peut faire l’économie d’une double approche de l’ambiguïté dans les rapports de pouvoir de domination et d’action, d’une critique radicale du mensonge politique ambigu de Schengen, des paradoxes, du mensonge politique fondateur d’un laboratoire Schengen-Dublin-Frontex dangereux et aussi d’une redécouverte des pensées, des actions minoritaires, clandestines aux frontières qui sont l’Europe alternative. Un des visage du « vertige démocratique »[9] est l’ambiguïté du pouvoir de force et de puissance. Les Marches, Refuges, les appuis à des réfugiés expulsés, sont autant de miroirs d’espaces publics où s’exerce le droit de fuite et la liberté politique de se mouvoir de l’autre Europe qui se cherche et se crée.
Durant cette période et après-coup, nous avons dû traverser durant plus de 40 longues années un climat de violence, d’ambiguïté, d’utilitarisme, de cynisme, de mensonge politique, de haine, d’autoritarisme, la confusion entre sûreté d’Etat et sécurité, dans des schèmes de discours rhétoriques de propagande bien rodés, en nous affrontant à la violence d’Etat et aux démantèlements des droits dans une période de sûreté sécuritaire dans l’UE et en Suisse, qui se développe aujourd’hui.
On peux regretter que la « libre-circulation » que Schengen faisait miroitait comme « liberté » sans entraves, sans contre-pouvoirs de l’économie de marché, – en fait, la liberté sans droits de circulation des biens, capitaux, main-d’œuvre – ait réussi à être traduite en « mobilité » et à pousser dans l’ombre le débat sur l’ambiguïté du pouvoir de violence et de l’usage de la liberté politique.
Après coup, en synthèse, en refaisant un parcours de mémoire sur la base des matériaux recueillis dans le cadre des possibilités du projet, j’en en arrive à penser que Schengen, les mesures d’urgence – incluant la criminalisation des exilés, des solidaires, la mort banalisée aux frontières -, articulées à l’Europe de la globalisation capitaliste ont escamoté, un inventaire politique sérieux de l’apport créatif de la résistance, des insurrections, soulèvements sociaux nécessaire à un possible projet alternatif pour l’Europe, son potentiel, ses embarras, ses difficultés, ses apories, ses énigmes. « L’Euromirage »[10] chez beaucoup d’exilés et la rencontre avec la brutalité, la surexploitation dans des zones l’infra-droit, a nourri les désillusions et les colères.
Avec la distance d’une période de « trouble » (mot d’Arendt) hérité des XIXe et XXe siècle (Auschwitz et Hiroshima) et de l’ambiguïté induite par des mensonges politiques de Schengen dont l’apartheid globalisé, nous entrevoyons le défi, confirmé par des faits récents. L’étape du Covid-19 l’a simplement rendu à la fois plus visible et plus invisible.
(4) Ambiguïté dans le pouvoir de dominer et d’agir
Arrêtons-nous encore un instant à la notion d’ambiguïté qui caractérise la force et la puissance, la liberté politique, le mensonge politique, le consentement et la résistance, la liberté politique, ce qui n’est pas évident au premier abord. On cherche un menteur à accuser, à condamner et on trouve un mode de pouvoir concernant l’ensemble des rapports de pouvoir dans lesquels on est aussi pris. La réflexion enrichie par le déplacement du pouvoir à la violence par Balibar, le travail d’Arendt sur le mensonge politique, permet en interrogeant les rapports difficiles à la violence pour ne pas la dénier ou la réduire à une question utilitariste ou déterminisme, d’effectuer un saut qualitatif en travaillant sur le mensonge politique et la création humaine qui partagent une caractéristique commune nous dit Arendt : l’ambiguïté, notion que nous avons retrouvée aussi dans une réflexion psychanalytique critique sur l’ambiguïté apportée depuis le continent latino-américain par José Bleger, psychanalyste argentin.
Pourquoi est-il si difficile de ne pas s’habituer, banaliser la violence mais d’approfondir la réflexion sur des apories qu’elle contient ? Pourquoi de tels mensonges politiques observés ont été et continuent à être si efficaces, ne parviennent pas à être déplacés vers la création politique et non dans des formes de néofascisme, alors qu’ils ne sont pas (toujours) imposés par la force mais par le soft-pouvoir en conduisant à des conséquences imprévisibles? Pourquoi arrive-t-il que nous cédions au mensonge… mais sans consentir ( ?) à de tels mensonges politiques qui structurent nos sociétés d’apartheid et conditionnent toute notre vie quotienne? Le fait de leur ambiguité ouvre des pistes de réflexion pour « comprendre » comment les transformations de la violence traversent l’ensemble des rapports de pouvoir, en obligeant à reconsidérer à la fois le conflit entre obéissance et désobéissance et le cynisme de fuite devant des responsabilités qui tentent de nous faire consentir ainsi à la violence dangereuse.
L’approche croisée entre littérature, psychanalyse et philosophie pour réfléchir à l’ambiguïté a été très riche dans les travaux. Les travaux sur l’ambiguïté sont nombreux et divers, à plusieurs moments de l’histoire, dans plusieurs continents et domaines du savoir. Ils sont devenus plus courants au tournant, durant et après le XXe siècle[11]. On peut imaginer que l’ambiguïté est un concept intéressant concernant la place, le rôle de l’inconscient et la conscience sociale pour la création littéraire, philosophique des concepts et aussi pour le contexte où elle se développe, son repérage dans le pouvoir de la force et la puissance (Arendt, Weil) étant alors un apport pour la critique de la colonisation, de l’impérialisme, de la situation actuelle.
La réappropriation de la pensée critique et de la puissance d’agir a supposé un travail sur l’ambiguïté en prenant en compte les dénis de la violence, le démontage de mensonges politiques ambigus en s’interrogeant sur ce qu’est l’ambiguïté, en quoi elle est constitutive des rapports de connaissance, de pouvoir, des mensonges politiques, des politiques de « violence d’Etat » et aussi des pratiques de résistance dans leur ensemble ? Ce qui induit l’exigence de leur critique, à tous les niveaux, y compris dans les actions de résistance, de désobéissance civile/civique, dans les stratégies envisagées (notamment face à la construction européenne alternative), dans la (dé)subjectivation dont parle Janine Puget[12], face à l’apartheid, face à la place du soin (care), de l’humanitaire, par rapport à celle du droit, face à celle des victimes face aux sujets de droits, face à l’usage de la haine des étrangers errigés en ennemis de la « nation », de la « république », et même de la « démocratie ».
Une manière de démonter le piège de l’ambiguïté peut être fournie, par exemple, par une stratégie d’action avançant un questionnement philosophique pratique, matériel dans l’action dans des lieux d’Université libre : pourquoi Blocher, le Conseil fédéral et même beaucoup de recherches académiques ne parlent pas d’exil, de desexil, d’hospitalité politique et aussi de démocratie et d’autonomie en travaillant sur les politiques de la migration ? Devant quelles ambiguïtés se trouve-t-on devant l’embarras à utiliser les mots, desexil, hospitalité politique, solidarité, démocratie[13] ? Qui en parle ? Dans quels textes constitutionnels, de lois, de droits, l’hospitalité politique est-elle mentionnée ?
L’analyse des politiques migratoires et du droit d’asile et d’autres politiques impliquant la violence, à partir des recherches sur l’ambiguïté par José Bleger, un psychiatre et psychanalyste argentin en 2016, à l’Université de Genève a été un parcours très intéressant. Il a ouvert de nouvelles perspectives, y compris pour la philosophie.
Le travail a été accueilli dans le cadre d’un Séminaire et deux colloques, grâce à l’engagement personnel de Valeria Wagner, travaillant à la Faculté des Lettres de l’Université de Genève. Elle travaille sur la littérature contemporaine et comparée (phénomènes de conversion, d’ambiguïté qu’elle envisage comme des processus créatifs) a permis des travaux originaux interdisciplinaires sur l’émancipation par le desexil de l’exil, la prise en considération d’une nouvelle étape d’université libre, pour que puissent être mieux repérés ces mensonges politiques, notamment dans les continuités/discontinuités entre « violence d’Etat » et « terrorisme d’Etat » (concepts, comme celui d’ailleurs « d’apartheid », de « guerre civile » à redéfinir à partir d’une reconsidération des transformations de la terreur et de la violence).
Soulignons certains traits de l’ambiguïté que révèle sa définition du Petit Robert que souligne la démonstration d’Arendt. L’ambiguïté joue à la fois sur le langage, la pensée, l’action. En clair, l’observation sémiologique, politique, philosophique concerne les discours, la dynamique de la pensée (les résistances à l’œuvre par exemple) et l’action. Dans la sémiologie les mots contiennent plusieurs sens possibles avec une interprétation incertaine. Ce qui permet, en littérature, la créativité du langage en jouant sur le sens instable, jamais fixé des mots (Wagner). La littérature, le théâtre se sont emparés du terme. Comment depuis la philosophie aborder les mouvements de la création langagière et de concepts? Philosophie et politique. Indétermination, « semble participer à des natures contraires et appeler à des jugements contradictoires». Nous sommes avertis. Ne pas confondre absurdité et ambiguïté (Beauvoir), ambivalence et ambiguïté (Bleger). La psychanalyse met en exergue le statut inconscient de l’ambiguïté (Amati Sas). Ce qui se joue dans ce déplacement, est le fait d’un conflit entre mensonge, pouvoir de la force et puissance d’action politique, avant même qu’intervienne le conflit du « jugement » en philosophie. Le mensonge politique ambigu, souligne Arendt a un lien avec la violence, la guerre. On saisit alors le double enjeu de pouvoir de l’ambiguïté, la créativité et la violence politique guerrière.
Sortir du tournant de l’impasse européenne sécuritaire implique de comprendre ce qui dans les mensonges politiques ambigus de l’espace Schengen, de l’apartheid, de l’humanitaire induisent le consentement et nous aveugle sur la création d’une Europe alternative et ce qui dans le mensonge politique ambigu de l’apartheid renforcé par celui sur les bienfaits de l’humanitaire, nous fait perdre l’horizon des droits et de la justice, abandonner l’acquis d’une culture des droits, des droits de l’homme, de l’égalité, de la solidarité et glisser dans le consentement à l’apartheid renforcé par les passions « nationalistes », sexistes, racistes, en affaiblissant ainsi une politique du conflit.
(5) Rapport entre droit et justice (Derrida)
Après une réflexion sur le pouvoir, le mensonge politique, l’ambiguïté, il est aussi possible, avec Jacques Derrida d’explorer une autre piste, celle des rapports entre droit et justice. Dans un essai en deux parties[14], il explore ces notions et les rapports entre la justice et la force dans l’œuvre de Pascal, la justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique écrit-il, donc on est amené à devoir penser ensembles les notions de force et de justice, conclue-t-il. Mais rien n’est résolu, souligne-t-il. La situation est aporétique. Pas d’échappatoire.
S’il s’agissait de l’application d’une règle de droit comme le demandent les juridictions quand elles sont indépendantes, la Commission Internationale des Droits de l’homme (CIDH), ce serait facile. Consolation : la jurisprudence servira à mieux juger. Les dénonciations des dérives de l’Etat de droit sont kafkaiennes, réelles et en même temps illusoires. Question difficile, aporétique, parce qu’il faut faire l’expérience de la justice pour voir ce lieu où elle est indécidable, incalculable, impossible.
Dès qu’il y a société, la question de la justice se pose. Dès qu’il y a Etat, il y a droit des individus, des groupes, des peuples, des minorités. Mais pas forcément justice. Les insuffisances, les lacunes du droit sont une lanterne d’évaluation de l’état du droit. Un des paradoxes des sociétés, des rapports de pouvoir en général et des rapports de migration en particulier, est la tension, les apories entre justice et droit.
Dans la migration, on observe la violence d’Etat, la limite de l’Etat de droit contrainte par la souveraineté d’Etat, l’apartheid, imaginaire, un « régime » politique, dans lequel nous sommes tous assignés, caractérisé pourtant par la coexistence de discours humanitaires et des violations de droit, la coexistence de textes de lois restreints limités souvent au droit administratif, ou l’absence de droits[15], des sous-statuts, l’absence de statut de droit pour les clandestins structurels du marché du travail.
Un travail soutenu, depuis la pratique dans des collectifs juridiques (locaux, nationaux et internationaux), et dans la recherche philosophique avec des juristes, chercheurs en droit interne et international ont permis de travailler la contradiction entre Etat de droit et violence d’Etat, flagrante en matière de politiques migratoires et du droit d’asile, des lacunes du droit (dont les catégories juridiques enfermées dans le « national » et l’apartheid, l’absence de l’hospitalité comme droit et aussi du délit d’hospitalité dans les constitutions, les lois), à situer des apories, des lacunes du droit (quant aux dénis de justice).
Finalement, avec l’effacement des frontières entre paix et guerre, travailler philosophiquement des distinctions apportée d’une part par Walter Benjamin entre justice, force et droit, et d’autre part par la distinction entre force et droit (bien visible par exemple dans les tensions entre droits de l’homme (DH) et droit international humanitaire (DIH), l’omniprésence de la police, l’apartheid, révèlent la distinction entre force et puissance (Arendt, Weil) que Derrida trouve dans les tensions entre droit et justice.
Les textes, matériaux recueillis l’on trouve dans la base de données, considère les métamorphoses sécuritaires et leurs liens à l’échec dans cette période, de l’Europe politique, les paradoxes, menaces, tensions observables. Des analyses ont lieu sur les institutions, structures, dispositifs, outils, budget, police. Le passage de Schengen-Dublin à… Frontex permet de constater la mise en place d’une stratégie militarisée des polices nationales et européennes. Le cas du dispositif de Dublin mérite qu’on s’y arrête aussi. Le rapport conflictuel entre le droit et la justice s’effacera et jusqu’où ?
(6) Dispositifs, outils, technologie (Foucault, Zuboff)
Pour observer ce que nous avions devant les yeux, pouvoir élaborer les recherches, nous partions de loin… D’une pensée du pouvoir, des rapports, du travail, ou comme nous l’avons appris en lisant les pages du Capital de Marx, le merveilleux petit livre L’Etabli de Robert Linhart[16]. Le rapport matériel se caractérisait, dans le capitalisme de la production où les hommes entretiennent (entretenaient) entre eux par l’intermédiaire des objets, des outils, ce que Marx a appelé les rapports de production et l’extraction de la valeur du travail.
L’outil de l’ouvrier de la fin du XXe siècle n’a pas grand chose à voir avec les dispositifs et les outils du Capital et du pouvoir d’Etat dont Foucault tente de décrire le glissement vers une « biopolitique » en accordant notamment une attention particulière à l’étude des dispositifs et des outils. Sa recherche se complexifie aujourd’hui avec les innovations technologiques qui transforment, bouleversent à la fois les rapports de travail, les rapports Travail-Capital, le système d’Etats et l’ensemble des rapports sociaux.
Dans les années 1980, situés dans les rapports de production en transformation dans les politiques migratoires, et dans les rapports de la violence d’Etat lisibles dans le droit d’asile, il nous fallait comprendre concrètement comment le pouvoir, la violence d’Etat s’immisçaient dans les politiques migratoires en transformant non seulement ces politiques en particulier, mais s’étendaient, étapes par étapes, accélérées aujourd’hui, à d’autres populations (chômeurs, social, santé, formation, vieux, etc.), voire même à l’ensemble de la population « traçable ».
En clair, observer la création de dispositifs, d’outils par la petite lunette dans ces politiques dans les années 1960-2019, permettait de saisir le devenir, la dynamique du capitalisme globalisé et saisir en profondeur ce qu’a montré Laurent Monnier en utilisant le concept d’apartheid. Mais, l’analyse des dossiers d’asile, des lois, des dispositifs de l’époque ne permettait pas d’appréhender le poids des nouvelles technologie du capitalisme de surveillance.
Les mots – dispositifs, outils, concepts – ont été empruntés à Michel Foucault (dispositifs, outils) et à Gilles Deleuze (concepts). Il fallait repérer pourquoi et comment trois exemples de dispositifs, d’outils administratifs, policiers – le « modèle des 3 cercles », la « loi de contrainte », les camps-prison, les empreintes digitales (à la liste il faut ajouter le dispositif européen d’expulsion de Dublin décrit plus haut et d’autres dispositifs « d’externalisation ») ont permis à la fois de qualifier le statut, de ces exemples-clés dans des transformations en cours en Europe et en Suisse et de saisir en quoi la Suisse officielle, bien que n’appartenant pas à l’Europe, a joué un rôle créateur très actif dans la mise en place de l’Europe des polices. Nos découvertes se sont faites pas à pas, en tâtonnant et en subissant les aléas des mensonges politiques ambigus dans les années 1960 (Suisse) et les années 1980 (Schengen), ce dont rendent compte les textes. L’article récent de Soysuren y del Baggio en 2019 (voir la base de données), confirme nos intuitions et constats, tout en accentuant le rôle inventif de la Suisse.
Très brièvement, rappelons que Michel Foucault, depuis l’histoire de la sexualité, dans La volonté de savoir, s’est intéressé à la genèse des rapports de pouvoir qui, pour lui, sont des rapports « stratégiques » de pouvoir qui traversent l’ensemble de la vie en société, ce qui est en débat[17]. Il explique la traduction pratique de ses concepts notamment en s’intéressant à des dispositifs et des outils, dans ce cadre,ce qui a été bien souligné par Gilles Deleuze. Les dispositifs, les outils, les concepts ne sont donc pas de simples instruments de la souveraine domination au sens classique hérité par la tradition de la philosophie politique. Pour Foucault, ils font intrinsèquement partie des stratégies de pouvoir en transformation où celui-ci n’en reste pas à la fameuse « souveraineté » classique du Prince (Hobbes, etc.). Son approche du pouvoir sur le terrain de la sexualité, aboutit à ce qu’il a appelé le « biopouvoir ».
Le pouvoir stratégique devient alors le contrôle de l’accès à la vie (minorité) et « laisser mourir » (la majorité). La formule est séduisante par la simplicité de son renversement. A ce «vieux droit de faire mourir ou de laisser vivre » s’est substitué un pouvoir de faire vivre ou de rejeter dans la mort »[18], ce qu’un chercheur a exploré avec le « jugement de Salomon »[19]. Foucault met en œuvre un renversement des catégories de la souveraineté politique, mais ne permet pas pour autant de saisir la dialectique complexe des rapports entre pouvoir du capitalisme et les nouvelles technologies en expansion explosive. On voit bien pourquoi (voir les statistiques des morts sur les chemins migratoires, les guerres, les politiques des disparitions, etc.) une telle « biopolitique » incite à orienter le regard sur les conditions matérielles, politiques, technologiques de la migration où non seulement le pouvoir de domination d’un Etat souverain, mais la vie, la mort sont directement en jeu.
La prudence s’impose et exige d’intégrer dans les travaux les nombreuses questions dans les débats sur ce concept multiforme de « biopouvoir ». A l’époque, tout en achetant notre premier ordinateur qui se trouve dans les musées, nous avons assisté à l’introduction des ordinateurs dans l’examen des demandes d’asile par l’introduction des Bausteine, textes précomposés (voir base de données). Nous avons pu démontrer qu’ils influençaient la pensée des fonctionnaires dans leur décision. Une expertise juridique du Parlement suisse a montré de son côté que le droit n’était pas respecté dans l’usage de cet outil.
Sur un autre registre, celui du concept, envisagé ailleurs dans nos travaux en tant qu’outil stratégique de la philosophie, de modulation, du contrôle de la pensée en induisant le consentement (Caloz-Tschopp, 2019), il ne correspond pas à une définition classique où le mot exprime en général la représentation mentale générale d’un objet (Petit Robert) hors de tout rapport social.
Dans l’histoire de la philosophie, son usage dépend des tendances dans la manière de concevoir, d’expliquer la pensée, la formation, le sens des concepts (a priori, a posteriori, extraits de l’expérience, extension, concepts empiriques, rationnels purs, schèmes, formes, opérations, le concept et la chose, etc.) comme détachés en quelque sorte des rapports de pouvoir historiques, matériels, symboliques.
Avec Deleuze[20], le concept, susceptible de généralisation, n’obéit pas à une définition universelle. Foucault et Deleuze ne sont pas des philosophes « idéalistes ». Retour à Deleuze. Le concept est donc une sorte de point d’ancrage d’une « topologie », d’une « cartographie » en transformation. C’est un point de repérage provisoire du tissage du mouvement de la pensée philosophique intrinsèquement lié aux stratégies de pouvoir. Plus que des définitions abstraites, figées, fixées, les exemples, les études de cas, les situations, les dispositifs, les outils, les concepts sont autant de moyens stratégiques pratiques, dynamiques, ayant chacun leur spécificité, pour saisir à la fois le lien entre le matériel et l’idéel, de concret et l’abstrait, et en priorité le mouvement de la pensée en action dans les rapports stratégiques de pouvoir en transformation.
Dans leur approche du pouvoir, ces deux philosophes ne sont pas non plus des dialecticiens articulant diverses sphères matérielles (trilogie matières, travail, capital, dans l’économie, la politique, l’Etat, l’armée), les rapports transnationaux impérialistes (guerre), les rapports de classe/sexe/race. Mais leurs travaux déplace des embarras.
On voit l’intérêt à articuler leurs travaux à ce que j’appelle les mensonges politiques ambigus qui est un mode de pouvoir de la force.
A l’époque, nous nous sommes limités à certains dispositifs, outils, et concepts particulièrement illustratifs de la violence d’Etat (« modèle » des trois cercles, loi de contrainte, camps, apartheid). Dans le cas présent, les exemples de dispositifs et d’outils de pouvoir, à partir de Foucault que nous avons pris en considération, ont concerné en priorité les politiques migratoires et du droit d’asile dans les années 1980-2000 (inventaire non exhaustif) qui permettent de saisir des tendances dans les stratégies de pouvoir qui s’y déroulent.
En terme d’enjeux actuels, avec les développements technologiques, bureaucratiques, policiers, militaires, le processus d’innovation des dispositifs et outils concerne, par exemple, le repérages, le contrôle, la « gestion » des exilés forcés, tout en s’étendant à l’ensemble de la population de la planète supposée disposer d’un portable pour pouvoir être tracée. Il faut rattacher ce fait au développement globalisé du « capitalisme de surveillance »[21] par les nouvelles technologies Dans le contexte actuel, le contrôle de la « transhumance » est déjà une réalité[22] ; prenons aussi l’exemple, non du terrain de la migration, mais celui du Covid-19, l’exemple du traçage par l’outil SWISSCOVID SARS_CoV-2 développé dans le laboratoire Security&Privacy Engineering de l’EPFL[23] à Lausanne en rapport direct avec des systèmes d’exploitation de Google et d’Apple et censé assurer un « fonctionnement décentralisé ». On pourrait aussi citer les drones, autre outil d’innovation où la Suisse est très active dans la création, production, consommation (100.000 en Suisse, juin 2020)[24].
En terme pratique, un élément commun relie dans deux époques (1980-2019), deux « laboratoires » étroitement liés. On assiste à une stratégie de police originale dans un lieu, la Suisse (sans police fédérale, ne faisant pas partie de l’Europe), consistant à participer activement à l’Europe des polices en fournissant des « dispositifs », en appliquant les « outils » de Schengen (ex. Dublin) sans participer à l’Europe politique (exemples pour la politique migratoire, du droit d’asile : empreinte digitale et modèle des cercles exportée dans l’UE) et aujourd’hui dans un processus transnational élargi à la planète.
[1] Voir la partie IV à ce propos.
[2] A l’époque (1985), nous sommes allés ensemble, avec Nicolas Busch, à Tampere, pour assister au lancement de Schengen (mise en œuvre en 1995), annoncé comme un « espace de liberté et de justice » pour créer un « marché unique » en Europe en éliminant les frontières intérieures et en renforçant les frontières extérieures.
[3] Marché auquel on peut ajouter aujourd’hui, le « marché de la contestation sociale » dans les recherches sur les mouvements sociaux dans les sciences sociales. Voir à ce propos, l’entretien de la sociologue Monique Pinçon-Charlot, dans la dernière partie.
[4] Voir, Merchants of Grain, 1979 ; Javier Blas, Jack Farchy, agence Bloomberg, The World for sale, 2021. Source, Richard Etienne, « L’emprise des négociants », Le Temps, 20 mars 2021. Signalons aussi une des formes de la résistance, la votation sur l’initiative pour les multinationales responsables du 29 novembre 2020 visant les activités d’entreprises avec siège en Suisse comme Glencore, Syngenta, etc. (pillage des terres, pollution des eaux, usages de pesticides, surexploitation de la population locale expulsée de ses terres et lieux de vie), après 3 ans de débat au Parlement (www, konzern-initiative.ch).
[5] Bloch Ernst, Héritage de ce temps, Paris, éd. Klincksiek, 2017.
[6] Proust Françoise, De la résistance, Paris, éd. Cerf, 1997.
[7] Citton Yves, L’envers de la liberté. L’invention d’un imaginaire spinoziste dans la France des Lumières, Paris, éd. Amsterdam, 2006. ISBN 2-915547-26-2. La citation au début du livre éclaire son propos, son but de la lecture de Spinoza. Voir son dernier essai avec Jacopo Rasmi. Citton Yves, Jacopo Rasmi, Génération collapsonaute. Naviguer par temps d’effondrement, Paris, Seuil, 2020.
[8] Voir notamment dans une abondante littérature, Sternhell Zeev, Les anti-Lumières. Du XVIIIe siècle à la guerre froide, Paris, éd. Fayard, 2006. ISBN 9 78213 623955 et IV-2006 35-2595-3. ; Pelluchon Corine, Les Lumières du vivant, Paris, éd. Seuil, 2020.
[9] Voir la partie IV dans la partie Elaboration politique et philosophique.
[10] Duflot Jean, De Lampedusa à Rosarno. Euromirage, Villeurbanne, éd. Golias-Forum civique, 2011, ISBN 978-2-35472-139-8
[11] Parmi une abondante littérature dans divers contextes, citons, par exemple Ôé Kensaburô, Moi, d’un Japon ambigu, Paris, Gallimard, 2001.
[12] Voir son livre en espagnol dans la base de données. La traduction française vient de paraître en 2020.
[13] Les réponses sont différentes et diversifiées. L’hospitalité est le plus souvent considérée, – non comme un principe, un ancrage politique, constitutionnel, car il dévoile des apories pour le droit et l’Etat -, mais comme une question « morale », de « valeur ». L’embarras a utiliser le terme de démocratie (et des droits de l’homme) renvoie à son usage par exemple, par Bush dans la guerre d’Irak. Il renvoie aussi aux rapports conflictuels, aux débats entre démocratie et pouvoir, traditions, stratégies révolutionnaires, aux pratiques anti-démocratiques des partis, mouvements.
[14] Derrida Jacques, Force de loi. Le « Fondement mystique de l’autorité », Paris, Galilée, 1994. C’est un travail de philosophie politique sur Pascal, Montaigne et Walter Benjamin.
[15] Lockak Danielle, Etrangers de quel droit ? Paris, PUF, 1985.
[16] Linhart Robert, L’établi, Paris, éd. de Minuit, 1978.
[17] Voir par exemple, à propos de localisation du pouvoir, Baier Lothar, « Le pouvoir est partout et nulle part », Franckfurter Allgemeine Zeitung, no. 75, 14 avril 1978, p. 28-29. On pense à l’articulation entre l’économie, les bases matérielles et les structures politiques.
[18] Foucault Michel, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, vol. 1, Paris, Gallimard 1976, p. 181 ; Cours au Collège de France du 17 mars 1976, « Il faut défendre la société », Paris, Gallimard/Le Seuil, 1997, p. 214.
[19] Voir à ce propos, Delfour Jean-Jacques, « Pouvoir de vie et pouvoir de mort. A propos du jugement de Salomon », Esprit, mars-avril 2005. Accessible sur Internet.
[20] J’ai développé ce point dans mon essai de 2019.
[21] Zuboff Shoshana, L’âge du capitalisme de surveillance, Paris, éd. Zulma essais, traduction française 2019.
[22] Bigo, D., « Gérer les transhumances (La surveillance à distance dans le champ transnational de la sécurité) », Penser avec Michel Foucault, Éditions Karthala, coll. « CERI », Paris, 2005, p. 152 STEPH, ENLEVER LA COULEUR VERTE
[23] Barraud E., « La Suisse teste une application de traçage basée sur les protocoles de Google et d’Apple », EPFL Magazine, no. 35, juin 2020.
[24] La lecture de l’article du polytechnicien Daniel Vignar, du livre du lanceur d’alerte d’Edgar Snowden dans la revue en ligne no 12 prolonge la réflexion à ce sujet.
II. La Suisse et Schengen – Dubli – Frontex: deux laboratoires imbriqués
« La migration est désormais une question d’intérêt commun, qui ne peut plus être traitée sur une base purement unilatérale. Mais la multiplication des fora internationaux et la prolifération des standards non contraignants masquent le profond malaise qui domine la question migratoire. Cette effervescence révèle en arrière-fond la tension récurrente entre une réalité sociale du mouvement, que nul ne peut plus ignorer, et un présupposé normatif qui voit dans l’admission des étrangers le dernier bastion de la souveraineté de l’Etat ».
Vera Gowlland-Debbas, Genève.
« Introduction », in Gowlland-Debbas V. (ed.), The problem of Refugees in the Light of Contemorary International Law Issues, Martinus Nijhof, The Hague/Boston/London, Graduate Institute of International Studies, Geneva, 1996, p XII : « It is endeed ironical at a time when it has become fashionable to speak of the withering away or erosion of State sovereignty that we are witnessing a reinforcement of that last bastion of State sovereignty wich is the right to decide who to admit and woho to expel ».
Introduction
Le parcours de deux « laboratoires » (Schengen, Suisse) dans une période (1960-2020) à partir des politiques de migration, d’asile, du droit d’asile, est limité, partiel, partial. Il ne revendique aucune « vérité » absolue. Ce n’est pas une analyse historique, politique, institutionnelle complète, intégrée, ce qui pourrait se faire amplement, se fait dans des recherches indépendantes et académiques jouissant, dont on peut l’espérer, d’une autonomie critique suffisante. Nous n’avons pas travaillé dans le cadre académique stable ou encore de projets du Fonds National Suisse de Recherches Scientifiques (FNSRS), mais dans un cadre indépendant.
Ce qui nous importe, en suivant les travaux limités par des difficultés rencontrées à l’époque (banalisation de la violence, ambiguïté, difficultés d’accès aux informations, mensonges politiques, censure, affrontements à la violence, usure, fatigue, etc.), avec les moyens autonomes et aussi des appuis dont nous avons pu disposer, est de montrer, sans prétention d’exhaustivité, un fil de cohérence des travaux entrepris à situer dans la chronologie des développements de l’Europe de Schengen et Dublin et pour la Suisse de l’apartheid qui a succédé à l’Ueberfremdung, (« surpopulation étrangère ») instauré dans les politiques migratoires en Suisse : l’Europe comme la Suisse, ont passé d’approches d’apartheid défensives à des approches offensives, renforcées et déplacées par la philosophie des cercles (comme on le verra ci-dessous dans des documents de la base de données). Aujourd’hui, la croissance exponentielle des polices européennes militarisées sur le terrain de la migration, des réfugiés, se retrouve dans la répression d’autres mouvements en Europe, aux Etats-Unis, en Chine. En considérant le contrôle de police dans un champ plus large, et avec ses dispositifs et outils, on peut la situer dans L’âge du capitalisme de surveillance, décrit par Shoshan Zuboff (2020), avec l’obligation de repérer ses spécificités dans les politiques migratoires et les transversalités avec d’autres politiques (formation, santé, travail, etc.).
Au premier abord, on pouvait penser qu’il existait une discontinuité entre la politique suisse et l’UE, vu que la Suissse ne faisait pas partie de l’Europe et que sa politique européenne se cantonne officiellement à des accords bi-nationaux et qu’un accord-cadre entre la Suisse et l’UE tarde à être signé. Cependant, la Suisse fait partie des Accords de Schengen. La collaboration entre la police suisse et de l’UE à propos de dispositifs, d’outils précis (empreintes digitales, méthode des trois cercles, par exemple), montre que si le débat politique sur l’adhésion politique à l’Europe stagne, la collaboration policière sans contrôle parlementaire s’est bien installé depuis les années 1980. Cela a impliqué, dès les années 1980, une continuité dans des choix stratégiques d’articulation entre les terrains suisses et l’UE observables dans la construction des mouvements et des problématiques.
La mis en parallèle (Schengen, la Suisse) de deux « laboratoires » ont permis de croiser des tendances et des contradictions. Un tournant a eu lieu dans l’Europe de Schengen-Dublin et aussi en Suisse, après des débats sur l’Europe et les politiques d’asile (années 1990, période E. Kopp et P. Arbenz), pour sortir de l’imaginaire Forteresse, de « l’exception », en fabriquant une philosophie de partage hiérarchisé du monde dans l’accès au droit à l’immigration, traduite dans un outil, – le modèle des cercles, et plus seulement, une philosophie d’apartheid – « développement séparé » -, mais d’apartheid hiérarchisé et expulsif. L’outil du « modèle des trois cercles » énoncé dans un document du Conseil fédéral fabriqué par la police suisse (DFJP) sans réaction du Parlement (la Suisse a été condamnée par l’ONU pour racisme d’Etat, voir base de données). Ce modèle suisse a été un exemple notoire. Les réactions à cet outil sont arrivés plus tard (avocats, syndicats, etc.), quand les travailleurs saisonniers d’ex-Yougoslavie en guerre ont voulu revenir en Suisse et ont constaté qu’ils étaient exclus du droit à l’immigration en Suisse alors qu’ils étaient des habitués pour certains depuis de longues années, car les pays en guerre basculaient dans le 3e cercle (non accès au droit d’immigration).
L’imbrication que l’on peut observer à l’œuvre dans les rapports complexes, paradoxaux entre la Suisse et l’UE, dont l’impulsion sécuritaire est donnée par les polices de la Suisse et plusieurs polices européennes en conflit entre elles (voir les documents de Fortresse Europ dans la base de données), traverse l’ensemble des matériaux, des textes montre la prégnance du pouvoir des polices sur les parlements et même sur le Conseil fédéral (le cas du modèle des cercles en est un exemple) la contradiction entre le « national » et le capitalisme globalisé et la complexification des problèmes.
Dans les pratiques et les recherches, dans des textes de la base de données, on voit les apories de la souveraineté d’Etat et du droit international aux prises avec des transformations d’empires, et de la trilogie minorités-peuples-nation, d’Arendt (minorités-peuples-sans-Etat), de la difficulté à penser un cadre politique qui dépasse les formes d’Etats autoritaires, sécuritaires (Lordon, penser sans Etat ?), de marxistes des années 1920, de Sayad (national-non national), de Bozarslan (peuples et autonomie), Hassner (Etats-nations et empires), de Monique Chemillier-Gendreau (droit des peuples et droit international), de Wallerstein (économie monde), de Balibar (citoyenneté, universalisation), des féministes matérialistes (rapports de sexe et capitalisme) et en sciences sociales, etc.. qui apportent des éléments de réflexion où l’on constate des embarras, des apories, des énigmes intéressantes.
Bien que l’UDC et certains partis, forces politiques défendant le libre marché pour l’Europe et en Suisse tout en parlant à la fois de la « souveraineté nationale », d’expulsion des migrants et du « capitalisme sans entraves de frontières de tous ordres… et de droit, d’institutions de contrôle», de l’affaiblissement de l’Etat keynésien (baisse des impôts, non interventionisme, subvention des entreprises, refus de la « question sociale, etc.), du renforcement de l’Etat de polices militarisée dans Frontex pour ce qui concerne les politiques migratoires et de l’augmentation des budgets militaires.
L’imbrication entre les « laboratoires » de La Suisse et de Schengen-Dublin-Frontex montre à l’œuvre 4 éléments entrelacés dans la globalisation : capitalisme, empires, marché, guerre. Entre capitalisme globalisé, empires, que devient la souveraineté d’Etats nationaux, dont la Suisse et quelle construction de quelle Europe ? L’imbrication met à nu, les illusions et les manipulations nationalistes de l’UDC alors que celles-ci sont diffuses et nourrissent la haine vers les étrangers. Elle met à nu une Suisse qui a intégré à la fois les contraintes du capitalisme globalisé et l’Europe des polices militarisée (voir la partie Frontex). Dans la partie V sur la résistance, on va constater que des minoritaires ont mis le pied dans la porte d’une Autre Europe, une Europe politique. Un des enjeux du travail est que leur création politique soit mieux reconnue.
Soulignons l’imbrication des polices suisses et de l’UE observables depuis les années 1980 qui aujourd’hui s’inscrit dans le schème Schengen-Dublin-Frontex. Une telle imbrication exige une complexification des analyses économiques, politiques, policières et militaires, l’émergence de nouveaux outils technologiques et aussi la prise en compte de la « crise » des partis, forces politiques de l’extrême-droite, de la droite à la gauche, voire l’extrême gauche qui est aussi vécue dans les mouvements. La notion de « populisme » même mise au pluriel est-elle à même de décrire une telle complexité des rapports de pouvoir en transformation? Ce qui nous a intéressé est la rapidité des changements en cours, les mensonges politiques, leur incidence sur l’opinion publique et aussi sur la résistance et par ailleurs, l’avancée de Frontex. Le projet praxis-mémoires-archives fait état d’actions, de recherches dans le tournant de Schengen-Dublin-Frontex. Des luttes minoritaires dans le domaine du droit d’asile qui est la base principale des expériences de résistance sur le terrain des politiques migratoires et du droit d’asile, montre l’émergence, malgré tout, d’une Autre Europe. La situation d’urgence climatique, le Covid aujourd’hui impliquent un nouveau tournant avec de nouveaux problèmes, alors que les divisions augurent de nouvelles compositions. La résistance est mise au défi d’être attentive aux nouvelles formes de convergences avec de nouvelles générations dans les actions.
Le parcours de deux « laboratoires » (Schengen, Suisse) dans une période (1960-2020) à partir des politiques de migration, d’asile, du droit d’asile, est limité, partiel, partial. Il ne revendique aucune « vérité » absolue. Ce n’est pas une analyse historique, politique, institutionnelle complète, intégrée, ce qui pourrait se faire amplement, se fait dans des recherches indépendantes et académiques jouissant, dont on peut l’espérer, d’une autonomie critique suffisante. Nous n’avons pas travaillé dans le cadre académique stable ou encore de projets du Fonds National Suisse de Recherches Scientifiques (FNSRS), mais dans un cadre indépendant.
Ce qui nous importe, en suivant les travaux limités par des difficultés rencontrées à l’époque (banalisation de la violence, ambiguïté, difficultés d’accès aux informations, mensonges politiques, censure, affrontements à la violence, usure, fatigue, etc.), avec les moyens autonomes et aussi des appuis dont nous avons pu disposer, est de montrer, sans prétention d’exhaustivité, un fil de cohérence des travaux entrepris à situer dans la chronologie des développements de l’Europe de Schengen et Dublin et pour la Suisse de l’apartheid qui a succédé à l’Ueberfremdung, (« surpopulation étrangère ») instauré dans les politiques migratoires en Suisse : l’Europe comme la Suisse, ont passé d’approches d’apartheid défensives à des approches offensives, renforcées et déplacées par la philosophie des cercles (comme on le verra ci-dessous dans des documents de la base de données). Aujourd’hui, la croissance exponentielle des polices européennes militarisées sur le terrain de la migration, des réfugiés, se retrouve dans la répression d’autres mouvements en Europe, aux Etats-Unis, en Chine. En considérant le contrôle de police dans un champ plus large, et avec ses dispositifs et outils, on peut la situer dans L’âge du capitalisme de surveillance, décrit par Shoshan Zuboff (2020), avec l’obligation de repérer ses spécificités dans les politiques migratoires et les transversalités avec d’autres politiques (formation, santé, travail, etc.).
Au premier abord, on pouvait penser qu’il existait une discontinuité entre la politique suisse et l’UE, vu que la Suissse ne faisait pas partie de l’Europe et que sa politique européenne se cantonne officiellement à des accords bi-nationaux et qu’un accord-cadre entre la Suisse et l’UE tarde à être signé. Cependant, la Suisse fait partie des Accords de Schengen. La collaboration entre la police suisse et de l’UE à propos de dispositifs, d’outils précis (empreintes digitales, méthode des trois cercles, par exemple), montre que si le débat politique sur l’adhésion politique à l’Europe stagne, la collaboration policière sans contrôle parlementaire s’est bien installé depuis les années 1980. Cela a impliqué, dès les années 1980, une continuité dans des choix stratégiques d’articulation entre les terrains suisses et l’UE observables dans la construction des mouvements et des problématiques.
La mis en parallèle (Schengen, la Suisse) de deux « laboratoires » ont permis de croiser des tendances et des contradictions. Un tournant a eu lieu dans l’Europe de Schengen-Dublin et aussi en Suisse, après des débats sur l’Europe et les politiques d’asile (années 1990, période E. Kopp et P. Arbenz), pour sortir de l’imaginaire Forteresse, de « l’exception », en fabriquant une philosophie de partage hiérarchisé du monde dans l’accès au droit à l’immigration, traduite dans un outil, – le modèle des cercles, et plus seulement, une philosophie d’apartheid – « développement séparé » -, mais d’apartheid hiérarchisé et expulsif. L’outil du « modèle des trois cercles » énoncé dans un document du Conseil fédéral fabriqué par la police suisse (DFJP) sans réaction du Parlement (la Suisse a été condamnée par l’ONU pour racisme d’Etat, voir base de données). Ce modèle suisse a été un exemple notoire. Les réactions à cet outil sont arrivés plus tard (avocats, syndicats, etc.), quand les travailleurs saisonniers d’ex-Yougoslavie en guerre ont voulu revenir en Suisse et ont constaté qu’ils étaient exclus du droit à l’immigration en Suisse alors qu’ils étaient des habitués pour certains depuis de longues années, car les pays en guerre basculaient dans le 3e cercle (non accès au droit d’immigration).
L’imbrication que l’on peut observer à l’œuvre dans les rapports complexes, paradoxaux entre la Suisse et l’UE, dont l’impulsion sécuritaire est donnée par les polices de la Suisse et plusieurs polices européennes en conflit entre elles (voir les documents de Fortresse Europ dans la base de données), traverse l’ensemble des matériaux, des textes montre la prégnance du pouvoir des polices sur les parlements et même sur le Conseil fédéral (le cas du modèle des cercles en est un exemple) la contradiction entre le « national » et le capitalisme globalisé et la complexification des problèmes.
Dans les pratiques et les recherches, dans des textes de la base de données, on voit les apories de la souveraineté d’Etat et du droit international aux prises avec des transformations d’empires, et de la trilogie minorités-peuples-nation, d’Arendt (minorités-peuples-sans-Etat), de la difficulté à penser un cadre politique qui dépasse les formes d’Etats autoritaires, sécuritaires (Lordon, penser sans Etat ?), de marxistes des années 1920, de Sayad (national-non national), de Bozarslan (peuples et autonomie), Hassner (Etats-nations et empires), de Monique Chemillier-Gendreau (droit des peuples et droit international), de Wallerstein (économie monde), de Balibar (citoyenneté, universalisation), des féministes matérialistes (rapports de sexe et capitalisme) et en sciences sociales, etc.. qui apportent des éléments de réflexion où l’on constate des embarras, des apories, des énigmes intéressantes.
Bien que l’UDC et certains partis, forces politiques défendant le libre marché pour l’Europe et en Suisse tout en parlant à la fois de la « souveraineté nationale », d’expulsion des migrants et du « capitalisme sans entraves de frontières de tous ordres… et de droit, d’institutions de contrôle», de l’affaiblissement de l’Etat keynésien (baisse des impôts, non interventionisme, subvention des entreprises, refus de la « question sociale, etc.), du renforcement de l’Etat de polices militarisée dans Frontex pour ce qui concerne les politiques migratoires et de l’augmentation des budgets militaires.
L’imbrication entre les « laboratoires » de La Suisse et de Schengen-Dublin-Frontex montre à l’œuvre 4 éléments entrelacés dans la globalisation : capitalisme, empires, marché, guerre. Entre capitalisme globalisé, empires, que devient la souveraineté d’Etats nationaux, dont la Suisse et quelle construction de quelle Europe ? L’imbrication met à nu, les illusions et les manipulations nationalistes de l’UDC alors que celles-ci sont diffuses et nourrissent la haine vers les étrangers. Elle met à nu une Suisse qui a intégré à la fois les contraintes du capitalisme globalisé et l’Europe des polices militarisée (voir la partie Frontex). Dans la partie V sur la résistance, on va constater que des minoritaires ont mis le pied dans la porte d’une Autre Europe, une Europe politique. Un des enjeux du travail est que leur création politique soit mieux reconnue.
Soulignons l’imbrication des polices suisses et de l’UE observables depuis les années 1980 qui aujourd’hui s’inscrit dans le schème Schengen-Dublin-Frontex. Une telle imbrication exige une complexification des analyses économiques, politiques, policières et militaires, l’émergence de nouveaux outils technologiques et aussi la prise en compte de la « crise » des partis, forces politiques de l’extrême-droite, de la droite à la gauche, voire l’extrême gauche qui est aussi vécue dans les mouvements. La notion de « populisme » même mise au pluriel est-elle à même de décrire une telle complexité des rapports de pouvoir en transformation? Ce qui nous a intéressé est la rapidité des changements en cours, les mensonges politiques, leur incidence sur l’opinion publique et aussi sur la résistance et par ailleurs, l’avancée de Frontex. Le projet praxis-mémoires-archives fait état d’actions, de recherches dans le tournant de Schengen-Dublin-Frontex. Des luttes minoritaires dans le domaine du droit d’asile qui est la base principale des expériences de résistance sur le terrain des politiques migratoires et du droit d’asile, montre l’émergence, malgré tout, d’une Autre Europe. La situation d’urgence climatique, le Covid aujourd’hui impliquent un nouveau tournant avec de nouveaux problèmes, alors que les divisions augurent de nouvelles compositions. La résistance est mise au défi d’être attentive aux nouvelles formes de convergences avec de nouvelles générations dans les actions.
1. Le «Laboratoire» Schengen (1985…) : entre le « marché unique » et la police.
Introduction
La base de données contient des faits, des matériaux de l’histoire récente de l’Europe de Schengen et Dublin en priorité, les années 1960-1980, qui décrivent le rôle de deux « laboratoires » interconnectés – Schengen et la Suisse – dans ce qui est appelé dans les discours de Schengen, la libre-circulation des capitaux, des biens, des services, de la population, mise en œuvre dans les politiques migratoires et du droit d’asile et s’étendant à d’autres secteurs. Ces politiques ont lieu dans un contexte[1] européen et « national » (Suisse)[2] tous deux pris dans le processus de globalisation de la planète. Nos moyens limités ne permettaient pas une profondeur historique qui aurait été utile (années 1800, 1900, années du début du XXe siècle, etc.). Mais certains éléments peuvent être retenus.
Une alternative anticapitaliste de refondation de l’Europe peut être enrichie par ce travail limité de mémoires et d’archives. Après des échecs répétés d’une Europe imposée d’en haut (Constitution, adhésion de la Turquie, Grèce et autres pays du « sud », armée européenne et liens à l’OTAN, Pacte migratoire, Brexit, etc.), les négociations entre présidents et ministres, sur l’engagement d’une dette commune de 400 milliards est une nouvelle tentative pour une Europe qui cherche à se situer entre deux empires (USA, Chine) et le reste du monde. Des pays (Hollande, Danemark, Suède sur la dette commune) et sur la clause concernant les respect des droits de l’homme (Pologne, Hongrie), s’affrontent dans les négociations. Etc., etc.. Le Covid complexifie la donne. L’Europe politique se construira-t-elle par les politiques de la santé ou continuera-t-elle à subir la loi des multinationales privatisées (cliniques, vaccins)?
Notre propos ne concerne pas l’ensemble du dossier européen économique, politique, culturel. Il est limité à l’Europe de Schengen-Dublin-Frontex et des liens paradoxaux de la Suisse à l’Europe (être dans Schengen en n’étant pas dans l’Europe) au moment d’une renégociations des accords sur la question de la migration prioritairement, où les syndicats exigent d’inclure les questions de justice sociale et où, le parti de Blocher ultra-libéral et anti-étrangers, l’Union Démocratique du Centre (UDC) tente une nouvelle fois, de bloquer tout accord avec l’UE sur la migration (débats en septembre 2020).
Il n’est ni non plus inutile d’analyser ce qu’est devenu Schengen en 30 ans, avec des mini-Schengen, des corridors entre pays, ex. Allemagne-Autriche, les logiques nationales mêlées au capitalisme globalisé qui dominent la « libre-circulation » dans une Europe devenue de fait interdépendante à toutes sortes de niveaux de la globalisation des biens, des capitaux, de la force de travail, des technologies, des guerres.
Nous nous concentrons sur le tournant de la fondation de Schengen des années 1980 et sur les « laboratoire » de l’UE et de la Suisse. Les documents présentés ici (non exhaustifs) auxquels nous avons pu avoir accès, ont été des outils d’observation, d’analyse de pratiques de deux « laboratoires » : L’Europe l’UE et la Suisse (1960-1990) en interaction par le biais des polices « nationales » dont pour la Suisse, le Département fédéral de justice de police suisse (il n’existe pas de police fédérale en Suisse, le projet a été refusé par votation populaire) et les polices cantonales.
Le cas de la Suisse mérite qu’on s’y arrête pour une triple raison. En résumé la Suisse, un pays de 8,6 millions d’habitants face à une Europe de 446 millions d’habitants (Eurostat)[3], a été un des « laboratoires » très actif des politiques d’immigration et du droit d’asile dans l’UE alors qu’elle n’a pas adhéré à l’Europe (par votation populaire). En réduisant la politique migratoire, du droit d’asile dès les années 1931 à une question d’ueberfremdung (surpopulation étrangère), de sûreté sécuritaire (accentué par les débats en soubresauts sur le terrorisme[4], les lois de contrainte, l’état d’exception), elle a induit une politique étrangère et intérieure de refus d’une Europe politique démocratique basée sur un renouvellement, l’élargissement de la notion de sécurité, et développé une collaboration des polices sans contrôle parlementaire et sans contre-pouvoirs. Par ailleurs, elle a été le terrain direct, quotidien de la violence d’Etat structurelle.
Nous avons pu mesurer comment ces politiques avaient comme conséquence directe, physique, psychique, économique, politique, non seulement sur l’économie (rapport Capital-Travail) mais surtout sur d’humains ne disposant pas du passeport suisse (20% d’étrangers en Suisse, dont 3% d’étrangers dans le domaine de l’asile) et sur l’ensemble de la vie de la population. Les permanences juridiques, le travail de solidarité ont été des lieux d’observation, d’expérience de la part de simples citoyens de la violence d’Etat et de police de plus en plus militarisée et d’efforts pour déplacer le débat xénophobe et sécuritaire vers celui de l’hospitalité « sans condition » (Derrida) et de solidarité aux frontières.
Il y a un lien historique, culturel en Suisse entre le nationalisme d’un Schwarzenbach avec ses initiatives anti-étranger et un Blocher grand capitaliste qui s’est approprié un parti centriste (l’UDC) en le transformant en parti nationaliste et ultra-libéral, tous deux avec un profil différent, habitants de la « côté dorée » du lac de Zurich. La lecture des reportages de la fuite en Orient et dans la drogue d’Anne-Marie Scharzenbach[5] et de l’essai autobiographique de Fritz Zorn (colère) Mars (guerre)[6], deux autres habitants de la côte dorée du lac de Zurich est intéressant pour saisir, par la littérature, les côtés sombres d’une telle bourgeoisie. Tous deux ont payé leur révolte de leur vie. La Suisse ne se limite pas à de tels faits bien connus, décrits par l’historien critique Niklaus Maïenberg, qui a connu une fin tragique. Soulignons par ailleurs, que dans ce contexte, ont été inventés, redécouvertes, de nouvelles formes d’action politique dans les pratiques de résistance qui sont le nouveau visage de l’Europe positive, comme on va le voir (Refuges « privées » contre la violence d’Etat (cas du Dr. Zuber à Berne), Marches, refuges, accueil de réfugiés, etc).
La partie de Schengen s’ouvre sur une citation de 1996 d’une éminente spécialiste des politiques de migration et de sécurité, permet l’abord des enjeux et défis des tensions entre sûreté et sécurité – et même protection, entre protection – dans le « laboratoire » Schengen, avec l’apartheid et son envers, « la liberté politique de se mouvoir » (Caloz-Tschopp, 2019).
Dans cette partie, permettant de constater les métamorphoses sécuritaires (1980) accompagnant le capitalisme et l’échec de l’Europe politique sont présentés successivement, un choix de documents officiels sur les « laboratoires » de la Suisse et de Schengen, les tensions paradoxes autour des nouvelles frontières sécuritaires, des éléments, des faits concernant les institutions, structures, dispositifs, outils, budget, polices, et le problème de l’effacement du droit, des droits fondamentaux par « l’action humanitaire ». Des faits apparemment sans lien avec Schengen sur des activités économiques illustrent l’arrière-fond des de la permanence et des transformations des rapports économiques.
[1] Précisons que notre travail sur l’Europe de Schengen (actions, recherches) n’est pas une approche générale des institutions de l’UE, mais se situe dans la prise en compte l’analyse des terrains des politiques de migration et surtout du droit d’asile essentiellement centrées sur Schengen, considéré comme un « laboratoire ». Ainsi la question des « 3 piliers » (pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire), ne sont pas pris en compte, ni non plus les articulations entre ces politiques et les autres domaines, objets de l’Europe (santé, éducation, libertés politiques, etc.).
[2] Le concept « d’Etat-nation » n’est pas applicable dans sa « pureté nationale » à l’Etat suisse dans la mesure où c’est un Etat fédéral (confédération, cantons, communes) comportant la diversité des langues, religions, minorités, en constant débat dès sa fondation progressive par intégrations de communes et de cantons. Son régime politique est la démocratie parlementaire semi-directe (référendum et droit d’initiative).
[3] L’Europe se classe derrière la Chine (1.384 millions) et l’Inde (1.318 millions) mais devant les Etats-Unis (325 millions). La population mondiale compte 7,7 milliards actuellement. Une nouvelle étude de l’ONU prédit 8,8 milliards en 2100, deux milliards de moins qu’estimé par l’ONU dans un précédent rapport.
[4] Au moment où j’écris, un projet de loi fédérale sur les mesures policières de lutte contre le terrorisme est en débat au Parlement fédéral. Après le Conseil des Etats, le Conseil national a voté par 127 voix contre 54 et 13 abstentions de renforcer le droit pénal et la coopération internationale contre la menace terroriste. Voir, notamment Jendly Manon, prof. associée à l’Ecole des sciences criminelles de Lausanne et Ahmed Ajil, doctorant-chercheur dans cette Ecole, « La lutte contre le terrorisme » défie notre propre humanité », Le Courrier, 16 juin 2020.
[5] Schwarzenbach Isabelle, Où est la terre des promesses ? Genève, éd. Zoé et de ses autres livres (allemand, français).
[6] Zorn Fritz, Mars, 1976 (plusieurs éditions): « Je suis jeune et riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul. Je descends d’une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich, qu’on appelle aussi la Rive dorée. J’ai eu une éducation bourgeoise et j’ai été sage toute ma vie. Ma famille est passablement dégénérée, c’est pourquoi j’ai sans doute une lourde hérédité et je suis abîmé par mon milieu. Naturellement j’ai aussi le cancer, ce qui va de soi si l’on en juge d’après ce que je viens de dire. Cela dit, la question du cancer se présente d’une double manière : d’une part c’est une maladie du corps, dont il est bien probable que je mourrai prochainement, mais peut-être aussi puis-je la vaincre et survivre ; d’autre part, c’est une maladie de l’âme, dont je ne puis dire qu’une chose : c’est une chance qu’elle se soit enfin déclarée. Je veux dire par là qu’avec ce que j’ai reçu de ma famille au cours de ma peu réjouissante existence, la chose la plus intelligente que j’aie jamais faite, c’est d’attraper le cancer ».

Choix de documents officiels de l’UE sur le « laboratoire » Schengen
Convention d’application de l’accord de Schengen, version du 19.6.1990.
MANIFESTE, La Commission de sauvegarde du droit d’asile face aux accords de Schengen et autres (Groupe de TREVI, Projet de Directive de la Communauté européenne), avril 1989, 4 pages. En attente
Conseil de l’Union européenne, no. 16054/04, JAI 559, Bruxelles, le 13 décembre 2004.
Conseil européen, Déclaration UE-Turquie, 18 mars 2016.
ANDERS Günter, La haine fournie par des outils de mort à distance, (extrait).

Il libro si occupa di un tema attuale: il sistema globale di gestione e controllo delle migrazioni internazionali. In una fase storica nella quale le migrazioni sono tornate a occupare uno spazio centrale nelle agende governative e nei media, è più che mai necessario penetrare nelle dinamiche dei poteri che decidono della vita degli immigrati. Poteri che privilegiano procedure mutuate dal privato, caratterizzate dal primato degli organi esecutivi, da forme para-normative e dalla logica del just in time. Con gli strumenti della ricerca sociale e attraverso uno slalom tra documenti ufficiali e riservati, riunioni pubbliche e a porte chiuse, norme morbide e norme rigide, la vastità del mondo e l’angustia di un ufficio ministeriale, il libro entra nelle trame dell’underworld del comando globale.
Documents d’analyse
OGILVIE Bertrand, Violence et représentation. La production de l’homme jetable, 2004.
Institutions, structures, dispositifs, outils, budgets, police
Ces domaines institutionnels, structures, etc. soulèvent de multiples questions complexes. Les matériaux présentés ne sont que Des exemples du travail pouvant illustrer des éléments matériels, tendances, modes de faire du tissage des pouvoirs qui se conjuguent dans et autour de Schengen-Dublin. Je n’ai pas intégré ici des travaux sur ce que la sémiologie appelle des « discours », des paroles, des textes des rapports de pouvoir. Un article sur « le dialecte » d’Alain Morice, illustre une des multiples facettes de lignes de force, de dynamiques en cours.
CALOZ-TSCHOPP M.C., « L’Europe de Schengen-TREVI-etc. Les nouveaux Européens et les « Etrangers ». A propos d’une logique de pensée et d’action du nouveau mur », in Revue suisse de sociologie, no. 1, 1991, Zurich, en attente
LEUTHARDT Beat, Le SIS et les libertés fondamentales, pp. 98-112, CETIM: 1993.
MORICE Alain, « Le dialecte migratoire : meurtrières dichotomies », Tumultes no. 51, 2018.
2. Schengen-Dublin-Frontex: Une stratégie militarisée, privatisée des polices nationales et de l’UE
Assistons-nous à l’émergence d’un nouveau complexe policier-militaro-technologique stratégique de surveillance en lien avec d’autres complexes ailleurs sur la planète ? Pour saisir la portée de l’évolution de l’Europe des polices vers une Europe des polices militarisée et privatisée en 40 années, quelques chiffres parlent plus que de longues analyses. Pour compléter le tableau des statistiques données au début de l’introduction, ajoutons, parmi les nombreuses nouvelles mesures que dans le nouveau pacte sur les migrations, des centres de pré-tri, de blocage sont actuellement planifiés aux frontières de l’UE[12]. Signalons aussi la croissance de la privatisation des polices militaires et des compagnies de sécurité dans la prise en charge des migrants, cela en lien avec les débats sur le Pacte migratoire.
À cette étape de globalisation, plutôt que de parler de complexe militaro-industriel hérité d’analyses de la guerre du Vietnam, parlons plutôt de complexe militaro-technologique de contrôle où s’insèrent les politiques de migration, du droit d’asile et dans d’autres domaines. Assistons-nous à la fin du droit d’asile ? Après et avec l’utilitarisme migratoire, assistons-nous à la migration « triée-contrôlée » par le business de la sécurité. Tous surveillés ? Et après ?
Loi sur l’asile (LAsi), projet de modification.
Liste des destinataires consultés.
BRINA Aldo, « Forteresse épaisseur triple », Le Courrier, 1er avril 2020.
« Tous surveillés: 7 milliards de suspects », à voir en ligne ici.
UN Working Group has published a report on the use of mercenaries as a means of violating human rights and impending the exercise of the right of peoples to self-determination. The report « The role of private military and security companies in immigration and border management and the impact on the protection of the rights of all migrants » highlights the growing number of private security companies, not only in destination countries but in transit countries as well. The security market is developing and the growing role of such companies in advocacy and lobbying processes has been noticed. The fact that their activities are not regulated by legal frameworks puts them in a gray zone and opens the opportunities for their abuse. In the report, the Working group points out having requested a visit to some countries and receiving a positive answer from the Government of Bosnia and Herzegovina – the visit is planned for 2020/2021.
Source : Migreurop 04.09.2020
The deadline for submitting comments on the EU’s New Pact on Migration and Asylum ended this week, but the time to advocate for changes to these policies is only beginning. According to EC announcements, the proposal and the reform will be passed along by the end of this year. In a podcast on the reform of the Common European Asylum System, the members of the Welcome Initiative – Center for Peace Studies and the Croatian Legal Center – discuss what the EU can do to unite in solidarity with refugees instead of uniting in closing borders to them.
Source Migreurop, 04.09.2020
RIGOUSTE Mathieu, La domination policière. Une violence industrielle, Paris, La fabrique éd, 2012.
NON aux détentions arbitraires, site Internet, 2021
Des dispositifs, outils, concepts: Références philosophiques (Foucault, Deleuze). Exemples de mise en œuvre « pratique ».
Ci-dessous sont présentés cinq exemples repérés dans le travail de terrain. La liste n’est pas exhaustive mais permet de cerner des tendances de transformations en cours.
FOUCAULT Michel, Histoire de la sexualité. 1. La volonté de savoir, Paris, éd. Tel-Gallimard, 1976.
REVEL Judith, « Ne pas faire vivre et laisser mourir » (Foucault), Esprit, juillet-août 2018. En attente
3. Cinq cas emblématiques
Le cas du dispositif Dublin : expulsion et dé-responsabilité
« Il n’existera donc jamais d’immunité contre la barbarie dès lors que celle-ci se déguise en état de droit ».
Aldo Brina, chargé d’information sur l’asile, Centre Social Protestant, Genève, 18.9.2020.
Le dispositif de la Convention de Dublin n’est qu’un des nombreux dispositifs de Schengen. Pensons aux visas, par exemple. Ils sont un exemple d’outils des politiques d’expulsion et de déresponsabilisation des Etats de l’UE. On peut parler de philosophie de la « patate chaude » pour décrire les actions et non actions gouvernementales.
Le dispositif de la Convention de Dublin (acceptation de la demande d’asile dans le pays de première arrivée, sinon expulsion vers le pays de premier asile) est un des nombreux dispositifs de Schengen. C’est un exemple d’outils des politiques d’expulsion et de déresponsabilisation des Etats de l’UE à deux niveaux (dans la répartition de la prise en charge de la protection et sans accord de réadmissions non tant bureaucratiques que réelles, et donc, avec une la fin de la protection d’un Etat sans relais, politique passive de fait de disparition)[1]. En résumé, ils ont servi et servent encore à pratiquer entre les Etats européens, ce que l’on peut appeler l’accompagnement de la philosophie d’apartheid de tri par une philosophie de la « patate chaude », c’est-à-dire de déresponsabilisation des Etats européens, tout en accélérant les expulsions, en renvoyant les requérants d’asile dans les pays dits de « premier asile », sans que les déboutés expulsés soient assurés de protection et de sécurité. En clair, la logique d’expulsion contient la possibilité d’une mise en œuvre de politique de disparition (voir no. 11) qui ne dit pas son nom.
Il est facile de comprendre, pourquoi les exilés se brûlent les doigts pour ne pas être enregistrés avec leurs empreintes digitales dans les pays où ils arrivent. La Suisse est au centre de l’UE, sans accès direct à la mer, sans faire partie de l’Europe, mais elle intégrée dans l’application des Accords de Schengen et Dublin, jouit cependant de l’usage de ce dispositif pour justifier les expulsions de son territoire, vu que les requérants ne peuvent matériellement accéder à sa frontière terrestre, sauf illégalement (par avion, mais dispositifs d’expulsion sont efficaces à ce niveau). La voie la plus fréquente est l’expulsion forcée en Italie et dans certains pays de l’est. Les requérants à la recherche d’une protection qui tentent d’arriver meurent en mer, s’ils ne peuvent être secourus (Carola Rackete) ou aboutissent dans les sous-sols de la gare de Milan et dans la clandestinité en Italie et ailleurs le long des barbelés des frontières de l’est, dans des camps en Europe ou même en Suisse, sans protection sans assurance de délégation de responsabilité, réduits à la survie, à la disparition.
Au moment où nous clôturons le projet, nous apprenons prenons connaissance d’un changement de stratégie de la politique d’asile dans l’UE : « Cinq ans après le début de la crise migratoire, l’Union européenne veut changer de stratégie. La Commission européenne veut “abolir” le règlement de Dublin qui fracture les Etats-membres et qui confie la responsabilité du traitement des demandes d’asile au pays de première entrée des migrants dans l’UE, a annoncé ce mercredi 16 septembre la cheffe de l’exécutif européen Ursula von der Leyen dans son discours sur l’Etat de l’Union. La Commission doit présenter le 23 septembre sa proposition de réforme de la politique migratoire européenne, très attendue et plusieurs fois repoussée, alors que le débat sur le manque de solidarité entre pays Européens a été relancé par l’incendie du camp de Moria sur l’île grecque de Lesbos. “Au coeur (de la réforme) il y a un engagement pour un système plus européen”, a déclaré Ursula von der Leyen devant le Parlement européen. “Je peux annoncer que nous allons abolir le règlement de Dublin et le remplacer par un nouveau système européen de gouvernance de la migration”, a-t-elle poursuivi ». Nouvelle structure, nouveaux mécanismes en abandonnant Dublin quelques années après Angela Merkel pour l’Allemagne. Une décision tardive qui apparaît comme une reconnaissance d’un dispositif absurde… tout en annonçant une nouvelle stratégie. Loin d’être un dispositif de partage des responsabilités de la protection des réfugiés entre pays européens, il est apparu comme un instrument dans une panoplie de mesures de dissuasion de demander l’asile et le blocage des frontières externes à l’Europe renforcé par des hotspots-prisons, la délégation de responsabilité des réfugiés aux géôles lybiennes, turques, grecque, etc.. Il a été inapplicable et à jeté des milliers de personnes dans l’ultra-précarité, voire même la mort, alors même que les autorités des pays de l’EU, dont la Suisse par l’intermédiaire d’une conseillère fédérale socialiste le défendaient comme un dispositif humanitaire
[1] Les ONG ont vigoureusement réagi sur ce fait. Les expulsions vers les pays d’origine ont eu comme conséquence la torture, la mort au retour dans certains cas, ce qui a été dénoncé à plusieurs reprises. Les expulsions vers le pays de premier accueil (Dublin), vers l’Italie, et d’autres pays, les expulsés disparaissent physiquement.

BRINA Aldo, Chroniques de l’asile, Genève, éd. Labor et Fides, 2020.
Solidarité sans Frontières, n° 2, juin 2004.
L’appel contre l’application aveugle du règlement Dublin, signé par plus de 33’000 personnes et 200 organisations, a été remis au Conseil fédéral lundi 20 novembre 2017. Depuis, nous avons rencontré les autorités fédérales en charge de l’asile et les exécutifs de plusieurs cantons. Certains renvois Dublin ont pu être évités. Des informations sur nos prochaines actions suivront.
Appel de Dublin, le site.
De KERCHOVE Gilles, sur les acteurs institutionnels de l’UE (vidéo).
Quand l’informatique transforme les décisions du droit d’asile des Etat et de l’UE
Exemple. Genève, Code-Plasta pour classer les chômeurs : « aptitude au placement » (p. 668).
Le modèle des trois cercles (Suisse) et des cinq cercles (UE), les empreintes digitales, les bausteine, etc.
Un « modèle » de réorganisation technique, bureaucratique, policier, une nouvelle philosophie d’apartheid inventé par la police suisse.
Au premier abord, le malaise logique formulée sous la forme d’un paradoxe fait le titre d’un article d’expert : « Constitution et politique d’immigration la quadrature des trois cercles »[1], où le dit « modèle » est examiné du point de vue juridique, à partir de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, le Pacte international relatif aux droits civils et politique, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le principe d’égalité, de légalité. Le rapport, à la demande des syndicats interpelés, au moment de sa mise en pratique, par les travailleurs saisonniers d’ex-Yougoslavie s’arrête sur le cas de ces étrangers. Dans l’analyse juridique extensive, notons un point : « Force est de constater que le modèle des trois cercles ne peut se fonder sur aucune disposition, même implicite, qui ait force de loi » (p. 52). En clair, un « modèle », un outil de la politique d’immigration qui « n’a pas de base légale » (p. 53), remplace le droit. La police remplace le juriste.
Depuis la philosophie, le discours du Conseil fédéral (rapport de 1991) sur ce dispositif nous est apparu source d’étonnement, car, par le biais d’un « modèle », d’un dispositif, on assiste à l’invention, à la mise en pratique d’une philosophie de l’apartheid divisant le monde en cercles du droit d’immigrer, en hiérarchisant l’accès au droit d’immigration et en excluant la plupart des migrants de l’espace d’immigration de la Suisse et aussi de l’espace européen. La politique d’apartheid n’est pas une logique de paradoxe (on peut comprendre le juriste qui souligne le paradoxe ayant lieu de bloquer tout à coup un retour des saisonniers à la base de la politique d’immigration), mais une logique de « séparation », une logique de classe, de race (les rapports de sexe ne sont pas considérés) ce que montre le rapport du Conseil fédéral de 1991. On peut lire dans les textes, influencés par le débat européen, une vision de « civilisation » d’apartheid. Le modèle dit des trois cercles, production des Services de police fédérale (DFJP), a été annoncé dans un rapport du Conseil fédéral suisse, avec des réactions limitées, contradictoires du Parlement, sans débat public. Il présente une philosophie pratique de la politique sur la base d’une technique d’un « modèle » spatial des rapports que la Suisse était appelée à développer en Europe et avec la planète, au moment d’un débat ouvert et vif sur l’Europe et aussi de la guerre en Ex-Yougoslavie.
La présentation comme « modèle », d’un dispositif pour la réorganisation stratégique de l’ensemble (budgets, institutions, triage des migrants, expulsion, formation, etc.) des politiques de migration, du droit d’asile et de politique étrangères pour l’ensemble des services d’Etat, a été décrit comme la « quadrature du cercle » (Auer). En fait, la métaphore du chercheur en droit ne parvient pas à illustrer une philosophie de la politique d’apartheid d’un nouveau racisme d’Etat[2] formulée depuis la pratique policière et « sans base légale », en terme de différence de « civilisation ». Notons que parmi des arguments de divers ordres, des arguments écologiques sur les limites de la planète sont avancés.
En résumé, des textes montrent que le discours était technocratique (« modèle »), avec en partie des arguments opposant population et nature. Un tel virage n’a fait l’objet d’aucun débat avant sa sortie officielle et sa mise en application, ni même dans les partis, les syndicats, institutions sociales. Ce qui l’a rendu visible, c’est lorsque le blocage des travailleurs saisonniers venant régulièrement en Suisse, en provenance de l’ex-Yougoslavie en guerre a été mis en œuvre, vu qu’ils n’ont plus pu revenir travailler en Suisse en tant que saisonniers (ce qui est un critère d’exclusion au droit à la migration dans le modèle des cercles). Des travailleurs migrants ont alors interpelé les syndicats. Les 3 et 5 cercles ont occupé nombreux de nos travaux et actions.
[1] Auer Andreas, Avis de droit du 31 juillet 1996.
[2] Soulignons quelques années plus tard, l’introduction et l’application le 1.1.1995, dans le code pénal suisse de l’article 261bis interdisant l’incitation publique à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse. En 2020, des mouvements demande l’extension de la notion de racisme à l’homophobie et au sexisme. En 1995, la Commission fédérale contre le racisme a aussi été créée. Actuellement l’UDC demande sa dissolution.

WEIL-LEVY A., Grünberg K., Isler, J. (1999) : Suisse, un essai sur le racisme d’Etat (1900-1942), Lausanne, CORA. En attente
CHAMAYOU Grégoire, Les chasses à l’homme,éd. La Fabrique, 2010. (La chasse aux esclaves fugitifs, aux Peaux-Rouges, aux peaux noires ; chasse aux pauvres, aux exilés, aux apatrides, aux Juifs, aux sans-papiers : l’histoire des chasses à l’homme est une grille de lecture de la longue histoire de la violence des dominants).
Fuite et autonomie
MEZZADRA Sandro, La perspective de l’autonome. Capitalisme, migrations et luttes sociales (2003).
La loi de contrainte. Emprisonner sans faute pour expulser (1994).
Une des mesures qui a fait débat dans de larges milieux en Suisse à cause non respect des règles de droit de l’Etat de droit, du droit pénal en particulier, a été l’adoption des « mesures de contrainte », à savoir l’emprisonnement d’étrangers pour motifs administratifs (refuser d’être expulsé) et non pénaux par le pouvoir d’Etat. Elle a eu lieu alors que se développe le quadrillage en Suisse et dans toute l’Europe par des camps, des prisons, avec de nouveaux outils de chasse (drone, portables, outils informatiques, etc.). Elle a pris des proportions inédites depuis les années 1980.
La mesure qui selon le Conseil fédéral a pour but « d’assurer l’exécution du renvoi des étrangers qui ne détiennent pas d’autorisation de séjour ou d’établissement » (FF 1994 1 301-302) a fait entendre des voix discordantes d’experts et a suscité un débat en Suisse, sans réussir à mettre en cause le consensus sur le fait d’emprisonner des étrangers n’ayant pas commis de délits pénaux, pour les expulser. « Mesures de contrainte ou loi martiale ? »[1] se demande un avocat du Barreau de Genève. Elle concerne, selon l’ordre constitutionnel suisse, explique Andreas Auer, l’interdiction des discriminations et la protection des libertés. Selon un des experts, dans un long article, « l’Assemblée fédérale (parlement) en votant les lois sur les mesures de contraintes n’a pas correctement rempli le rôle – assurément difficile – de gardienne de la Constitution qui est le sien »[2].
[1] Garbade Jean-Pierre, « Mesures de contrainte ou loi martiale ? » in Rapport sur les infractions imputées à la Suisse en matière d’asile pour la période 1979-1994 », déposé et édité par Christophe TAFELMACHER, sur mandat de la Coordination Asile Suisse dans le cadre de l’accusation à la séance sur le droit d’asile du Tribunal Permanent des Peuples (Berlin – décembre 1994).
[2] Citons la conclusion de l’article : « Les mesures de contrainte en matière de droit des étrangers ne résistent pas aux contraintes des mesures constitutionnelles et conventionnelles en matière d’égalité et de droits de l’homme. L’Assemblée fédérale, poussée par un contexte politique fébrile et pressée par une procédure législative que le Conseil fédéral a cru nécessaire d’accélérer, semble avoir cédé à la tentation de se croire au-dessus de la Constitution et des Conventions internationales. Elle a voté une loi qui doit être considérée comme profondément discriminatoire et donc contraire à l’art. 4 Cst. et 26 du Pacte II. Elle a institué de nouvelles formes de détention qui ne respectent pas les conditions posées par la CEDH. A l’époque de la libre circulation des personnes, elle est revenue aux temps où l’État se mettait à prescrire à celles-ci où aller et où ne pas aller. Elle a fermé les deux yeux sur les possibles et, à vrai dire, probables violations des libertés qu’impliquera l’application de cette loi. Ce faisant, elle a failli à sa tâche de gardienne de la Constitution ».
Organisation suisse d’aide aux réfugiés, Les mesures de contrainte en droit des étrangers, 2001.
Premiers constats en rapport avec l’application des mesures de contrainte. (1995)
Commission Eglise et société de la FEPS, Mesures de contrainte: une application en évolution (1995).
La généralisation des camps-prisons en Europe et aux frontières de l’Europe
Tout au long des années, nous avons pu assister à la mise en place des camps de contrôle, de rétention, d’enfermement en Europe, en Australie, en Amérique du nord et latine, en Asie, etc.. Fait globalisé en ce début du XXIe siècle. Un premier exemple connu et décrit dans les années 1980 est celui d’un camp de 5.000 personnes en Allemagne. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’Europe, développe une politique généralisée de camps-prisons à l’intérieur et aux frontières.
Dans l’actualité récente (début juillet 2020), après la grève de la faim d’enfants dans les îles grecques, relevons, un fait parmi d’autres. la grève de la faim de mineurs isolés, populations très vulnérables avec peu de contacts, dans le centre de détention fermé avant renvoi de Prokeka dans l’île de Kos en Grèce, à la suite d’une privatisation du droit à l’éducation, qui était une des manières d’échapper à l’isolement. La liste des faits s’allonge (voir à ce propos les travaux de Migreurop).
Les images des camps de concentration et d’extermination du XXe siècle, les camps de réfugiés, les camps palestiniens, les camps de vagues successives de travailleurs immigrés, de la guerre d’Algérie, etc. sont effacés de la mémoire collective par les camps l’externalisation des politique du droit d’asile en Europe (Sangatte, la jungle de Calais en France), depuis l’Europe sur ses frontières au Maroc, en Grèce, en Turquie pour les Syriens, dans les Balkans, etc.. aux frontières entre les Etats-Unis et le Mexique, etc.
Et que dire des rohingas les camps des réfugiés palestiniens (1948), tibétains en Inde (1959), (Kupalong, le camp de réfugiés le plus vaste du monde avec 630.000 personnes) (2018), Kakuma et Dadaab, camps au Kenya, Bidi Bidi en Ouganda. Etc. ? Et que dire des camps des « réfugiés climatiques » ?
Depuis ce qui se passe actuellement en Europe et ailleurs, il est difficile d’imaginer la si rapide mise en place d’une structure entrelacée de camps-prisons visant à bloquer l’arrivée sur le sol de l’UE, y compris avec des tractations scandaleuses avec la Turquie où les réfugiés sont de pures monnaies d’échange dans les jeux géopolitiques en cours. Ce qui se passe dans la méditerranée, sur les routes des balcans, entre Calais et l’Anglette.
Nous avons pu assister à la mise en place des camps de contrôle, de rétention, d’enfermement en Europe, en Australie, en Amérique du nord et latine, en Asie, etc.. comme autant d’icebergs dont la partie visible était infime sur le fait lui-même. Fait globalisé en ce début du XXIe siècle. Un premier exemple connu et décrit dans les années 1980 est celui d’un camp de 5.000 personnes en Allemagne. Dans un premier temps, sur l’instigation du Secrétaire général du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) de l’époque, Jean-Pierre Hocke, il a fait l’objet d’un numéro de la revue Réfugiés du HCR de l’ONU, qui a été retiré de la diffusion à la suite de la pression des autorités allemandes. Nous avons pu assister à ce fait de très près, sans pouvoir à ce stade retrouver les traces d’un tel fait et de cette source. Ce fait de censure a été un déclic qui m’a conduite à écrire un essai philosophique au moment où la question devenait sensible en Suisse et en Europe. Un article de Claire Rodier et Isabelle Saint-Saëns dénonçait dans la recherche Mondialisation, Migrations, Droits de l’homme – (texte dans la base de données), les camps est significatif de l’évolution.
La terminologie elle-même suscite des embarras qui interrogent. En Suisse la manière de nommer les camps bloque la mémoire du XXe siècle et euphémise leur existence, place, fonctionnement, but. On parle de « refuges », de « centres » communaux, cantonaux et depuis leur instauration centralisée sous l’autorité de la police fédérale (DFJP), de « centres fédéraux » instaurés pour accélérer la procédure d’asile et les renvois forcés effectués par les cantons dont certains ont résisté à remplir une telle tâche.
La question des camps et aussi des prisons d’étrangers qui a pris une ampleur inimaginable depuis le moment où nous en observions une nouvelle étape d’émergence pour les exilés qui suivaient, dans l’après-guerre les baraquements, les camps de travailleurs immigrants (années 1930) des travailleurs saisonniers, dispose d’une vaste bibliographie militante, de chercheurs en sciences sociales en Suisse, en Europe et ailleurs.
Au-delà des cartes qui visualisent non seulement le contrôle, la ségrégation mais une géopolitique stratégique des camps, des catégories administratives pour classer ces lieux, des travaux descriptifs nombreux des conditions infrahumaines, tentons de saisir, de mettre en exergue le sens politique et philosophique de l’enfermement dans les camps-prisons des exilés en recherche d’avenir et de protection… et en priorité de liberté politique de se mouvoir. Enfoui sous les mensonge politique de Schengen. de l’apartheid, de l’effacement des droit par l’humanitaire en Europe, ce sens est bien caché.
Le fil rouge indispensable de la recherche est la « fuite » des migrants et une attention particulière à toutes les formes d’insurrections, de refus, de mutilation, de brûlures des empreintes digitales, de grèves (Calais, Turquie, Belgique, Suisse, Allemagne, Pays bas, Luxemburg, Nigéria, au Soudan, en Australie, etc.) de la faim, de suicide, etc. et organisées par les exilés en fuite et enfermés, les solidaires et dénonçant les conditions de leur détention voire leur enfermement en vue du renvoi forcé ailleurs.
Ce qui qui apparaît en suivant en tenant le fil rouge des résistances, des actions de solidarité d’une main ferme est une atteinte frontale de l’hospitalité constituante et de la liberté politique de se mouvoir[1]. La diffusion des résistances sous des formes souvent tragiques des exilés dans des camps fait apparaître une géopolitique globalisée des camps sur la planète, dont les camps ne sont qu’un des multiples dispositifs. Dans les années 1980, nous ne pouvions imaginer l’étendue d’un tel phénomène d’enfermement-expulsion-disparition.
Dans l’actualité récente (début juillet 2020), relevons, un exemple parmi d’autres. la grève de la faim de mineurs isolés, populations très vulnérables avec peu de contacts, dans le centre de détention fermé avant renvoi de Prokeka dans l’île de Kos en Grèce, à la suite d’une privatisation du droit à l’éducation, qui était une des manières d’échapper à l’isolement.
Les images des camps de concentration et d’extermination du XXe siècle, les camps de vagues successives de travailleurs immigrés, de la guerre d’Algérie, etc. sont effacés de la mémoire par les camps l’externalisation des politique du droit d’asile en Europe (Sangatte, la jungle de Calais en France), depuis l’Europe sur ses frontières (Maroc, etc.), en Grèce, en Turquie pour les Syriens, dans les Balkans.
Et que dire des Rohingas, des camps des réfugiés palestiniens (1948), tibétains en Inde (1959), (Kupalong, le camp de réfugiés le plus vaste du monde avec 630.000 personnes) (2018), Kakuma et Dadaab, camps au Kenya, Bidi Bidi en Ouganda. Etc. ?

[1] Avec la pandémie, l’hébergement dans les centres collectifs a été une contradiction ouverte du mot d’ordre du Conseil fédéral de « maintenir les distances ». Voir le numéro 178 (jui-juillet 2020 de Vivre Ensemble, bulletin de défense du droit d’asile, Genève et documentation@asile.ch. L’Action Place Gratuite de la « société civile » de milliers de chiliens après le coup d’Etat de 1973 a été le démenti (voir ci-dessous) de l’accueil de 153 chiliens par le Conseil fédéral. Aujourd’hui, le réseau évacuer evacuer-maintenant.ch qui a demandé par pétition (50.458 signatures de personnes et 132 organisations) au Conseil fédéral l’accueil de 5000 personnes des camps de Grèce, alors que le Conseil fédéral suisse, à l’image des autres pays européens a accepté une vingtaine de mineurs alors qu’il existe des places d’accueil en nombre dans la société civile.





Réseau TERRA
4. Le «laboratoire» suisse politique migratoire, du droit d’asile (1960 et 1980)
La Suisse a une place particulière sur la carte de l’Europe. Elle est au centre du continent européen occidental, sans participer de plein pied à l’UE, en privilégiant dans sa politique, les « rapports binationaux », stratégie qui révèle ses limites dans les négociations en 2020 sur les migrations, ce que révèle le débat et la votation sur « une initiative modérée ». (Voir notamment, Union Démocratique du Centre, www.udc-ge.ch, Edition spéciale, non daté, diffusé en septembre 2020 ; Le Journal. Le monde du travail et l’initiative de résiliation, Union syndicale suisse, septembre 2020 ; Manifeste contre l’initiative xénophobe de l’UDC, télédéchargeable sur : unia.ch).
Dans les faits, la Suisse fait cependant partie de Schengen et de Dublin. En ce sens, elle a été, elle est un « laboratoire » intéressant pour inventer et transmettre à l’UE, aux polices internationales, des dispositifs et des outils sécuritaires. Cette habitude dynamique a eu des antécédents durant la deuxième guerre mondiale entre la police suisse et les nazis (passort J pour désigner les Juifs). Deux autres exemples de la place et du rôle particulier de la Suisse. Le thème du rôle des banques suisses, dans la gestion des matières premières (Genève grand centre de gestion du pétrôle au niveau mondial Et… les deux tiers de l’or mondial passe par la Suisse en ayant été blanchis ; le Conseil fédéral des finances (CDF) dénonce les sanctions insignifiantes et la transformation de l’or brut en or raffiné pas inclus dans la révision de la loi sur le blanchiement en discussion), par son ampleur et ses enjeux n’a pu être présenté ici, mais il est en arrière-fond de la scène.
Si le rapport « Bergier » (nom du président d’une Commission indépendante d’experts suisses) ouvre cette partie du projet c’est qu’il a concerné, et continue à concerner la mémoire conflictuelle sur le rôle de la Suisse officielle face aux réfugiés durant la deuxième guerre mondiale, qu’il permet de saisir certains mécanismes de la Suisse et qu’il continue à faire débat. D’autres informations historiques sur la Suisse sont apportées : la grève générale en 1918 en Suisse et dans la ville ouvrière de la Chaux-de-Fonds ; une étude de science politique sur le pouvoir suisse ; une recherche sur les réfugiés et les immigrants en Suisse en 1987 du prof. d’histoire du mouvement ouvrier Marc Vuilleumier, édité par Pro Helvetia en trois langues (français, allemand, italien) ; une recherche sur la chasse aux travailleurs immigrés italiens de la politologue Valéry Bory ; une recherche sur la militarisation et la violence faite aux femmes du Groupe pour une Suisse sans Armée (CSSA). Il aurait fallut s’arrêter aussi, notamment, au refus d’une initiative populaire sur police fédérale de sécurité (1978) et à l’initiative populaire « pour une Suisse sans armée » (1988), juste avant la chute du mur de Berlin, acceptée par 35,6% des votants avec une participation record à la votation. Le travail reste ouvert.
Un choix succinct a été effectué sur des faits de l’histoire suisse du XXe siècle. Des choix d’extraits de documents officiels suisses d’immigration et du droit d’asile en particulier du statut des travailleurs saisonniers, des « admis provisoires », puis en parlant de terre d’asile (film d’Axel Clévenot), de la distinction entre asile et droit d’asile, pour dégager la mise en question de l’hospitalité.
La manière d’envisager les rapports de pouvoir, entre Asile (valeur de société) et Droit d’asile (droit de l’Etat) est révèle un fossé. Le cas de la Suisse mérite des précisions. Les réfugiés (3% des étrangers) ont pris le relais des travailleurs immigrants (20%) dans les débats politiques depuis les années 1980. L’asile, rattaché à l’hospitalité a été « construit » politiquement par les actions d’accueil et d’hospitalité de la société « civile » qui n’est inscrit ni dans les considérants, ni dans les constitutions cantonales et la constitution fédérale. Le droit d’asile, droit de l’Etat a été mis en forme dans une loi en 1979 plus libérale à l’époque (reconnaissance de la pression psychique insupportable) que la Convention sur les réfugiés de l’ONU. Depuis lors, le terrain des « réfugiés » est devenu la scène suisse et européenne de la « crise» migratoire, avec une succession de changements de lois et l’adoption de mesures, de dispositifs, d’outils de plus en plus autoritaires. Sans cesse changeants. La Suisse à l’exemple de la plupart des pays riches n’a pas signé le Pacte migratoire de l’ONU discuté au Maroc.
Des liens entre histoire et actualité ont retenu notre attention. En prenant connaissance du Livre blanc édité par de responsables de multinationales basées en Suisse, appelant au « courage » de la population suisse en 1995 de consentir à l’ultra-libéralisme, nous avons pu constater que ses catégories renvoyaient aux travaux plus anciens de F.A. Hayek[1], et d’autres, dont les recherches ont nourri la mise en place d’un redoutable « laboratoire d’essai », au Chili, préconisé par les théoriens du capitalisme ultra-libéral. Comment un groupe, un ouvrage rédigé au bord d’un lac paisible en Suisse, en sortant de la deuxième guerre mondiale en arrive, depuis l’Europe, puis en passant par les Etats-Unis à orienter la politique au nom de la « sécurité nationale » du Chili et de dictatures d’Amérique latine, avec des polices militarisées formées à la contre-insurrection dans des centres de détention, torture et disparition mis en place par les Etats-Unis (ex. Panama, Guatemala) des opérations continentales contre les opposants (ex. opération Condor) ? Dans ce laboratoire ont eu lieu des « inventions » historiques de contre-révolution drastiques.
Depuis le déroulement des réunions au Mont Pellerin après la deuxième guerre mondiale dans un lieu idyllique, au bord du lac Léman en Suisse[2], avec des effets jusqu’au Chili dans les années 1970, l’ordre mondial a changé[3]. Les travaux critiques se sont multipliés depuis divers angles d’attaque sur la généalogie du libéralisme économique sans entraves aboutissant à un « ultra-libéralisme autoritaire »[4]. Celui-ci a été préconisé, avant Schengen en induisant le consentement au nom d’une critique de la servitude au socialisme et du culte abject à l’Etat (mots de Hayek) après le Plan Marshall avec la plongée des sociétés dans la consommation et le « plein emploi », les « droits sociaux » de l’Etat social. Et leur démantèlement depuis quelques années. Dans un petit livre devenu un bestseller à l’époque, Hayek en appelait au courage, au sortir de la deuxième guerre mondiale (le thème sera repris mot pour mot en Suisse dans le Livre blanc)[5], il dénonce la servitude pour induire le consentement.
En portant une attention spéciale à des mots qui circulent comme celui – d’apartheid -, pourquoi, comment un concept d’Afrique du sud a aidé à penser le racisme d’Etat en Europe (Fanon, Monnier). Il a fallu tenter de comprendre plus précisément ce que Laurent Monnier disait en parlant de l’apartheid, en relisant Franz Fanon, en étudiant le système d’apartheid en Afrique du sud tout en analysant les politiques d’immigration et du droit d’asile. Pourquoi importer un concept de colonisation institutionnalisé en Afrique du sud pour parler de la Suisse ? Son travail a contribué à décentrer, décoloniser, désimpérialiser la politique et la philosophie.
Il a fallu se déplacer dans l’histoire coloniale (Fanon) pour observer en Afrique du sud, les logiques implacables de « développement séparé », en ne méconnaissant pas leurs traces historiques au XIXe-XXe siècle et observer une véritable philosophie de société en Suisse, mais s’étendant avec la globalisation a été le chemin suivi par le politologue Laurent Monnier pour mettre un mot, un concept sur ce qu’il observait dans les politiques de migration et du droit d’asile, qui, pour lui soulignons-le concerne les rapports de classe et de race[6] mais n’aborde pas les rapports sociaux de sexe.
Dans l’histoire suisse au tournant du XXe siècle, dans les années 1930, 1960, il faut souligner la présence structurelle de la main-d’œuvre étrangère nécessaire au modèle économique de la Suisse, le passage d’un « nationalisme » légitimé par « L’ueberfremdung » (surpopulation étrangère) qui concernait autant l’Etat, que les parties et les syndicats suisses (voir la thèse d’Ebel, Fiala ci-dessous), consentant à un apartheid généralisé qui s’est modernisé avec de nouveaux dispositifs et outils dans le cadre du débat européen des rapports globalisés (voir base de données).
Depuis lors, le mot apartheid a connu un usage politicien et une « banalisation ». Evitons le slogan politicien. Approfondissons la philosophie de la politique que recouvre le terme d’apartheid tel que le politologue Monnier l’a présenté dans ses cours et sa leçons d’adieux (voir base de données). Retenons plutôt autant le mot que la démarche, la méthode de description déplacée des rapports de pouvoir dans la politique migratoire
[1] Voir notamment, Hayek F.A., Droit, législation et liberté. 1. Règles et ordre, Paris, PUF, 1980 ; Droit législation et liberté. 3. L’ordre politique d’un peuple libre, Paris, PUF, 1983.
[2] Voir notamment à ce propos, Hayek Friedrich, La Route de la servitude (The Road to Selfdom), éd. anglaise d’origine, N.Y., Bruce Caldwell, 1947.
[3] Un livre, parmi d’autre est intéressant : Kissinger Henry, Orden mundial, Barcelona, Debate, 2016.
[4] Voir l’étude de Grégoire Chamayou, La société ingouvernable, Paris, La Fabrique, 2018.
[5] De Pury David et al., Ayons le courage d’un nouveau départ, ou Le livre blanc, Berne, 1995 (« très critiqué mais largement appliqué », AGEFI). En 2018 un nouveau Livre blanc défendant des thèses ultra-libérales est ressorti par les soins d’Avenir Suisse.
[6] Voir dans la leçon d’adieu de Laurent Monnier, reprise ci-dessous, dans la description de l’apartheid, une partie qui a été reprise par Monnier d’une recherche développée par le chercheur Pierre Fiala, avec des arguments que l’on de race renvoyant à une « biopolitique ».
Choix succinct de faits de l’histoire suisse du XXe siècle
L’outil de la grève
Aéhmo Collectif, Cahier no. 28, 2012.

Le rapport Bergier sur la position de la Suisse durant la 2e guerre mondiale
PERRENOUD Marc, Kritiken und Nachhaltigkeit des Bergier-Berichtes, 2020.
Choix d’extraits de documents officiels suisses d’immigration, du droit d’asile (1960-1990)
CONSEIL FÉDÉRAL, Rapport sur la politique à l’égard des étrangers et des réfugiés (3 cercles), 1991.
Le « modèle des cercles », extrait d’un texte officiel (1991)
Politique d’immigration:
statut et conditions des travailleurs saisonniers, des « admis provisoires »
En matière de politique d’immigration, le statut de saisonnier a été instauré par circulaire administrative interne du DFJP en Suisse (1964) puis supprimé (1992) grâce à des luttes pour les droits des travailleurs saisonniers dans l’agriculture, le tourisme, la construction, etc.. Ces luttes ont-elles signifié la fin du travail saisonnier ? Il renaît de ses cendres (2014) avec le retour des migrations temporaires (pas de statistiques précises[14]) et la réorganisation globalisée du marché du travail. Les migrations de travail précaires qui conjuguent le provisoire, la circularité, la mobilité du travail élargie et globalisée, avec des « contrats de courte durée » ou sans contrat (travailleurs clandestins) sont en augmentation. Un tel statut actualisé fait partie du démontage des règles du salariat et du droit du travail. Le statut « d’admis provisoire » en matière de droit d’asile, protection illusoire, fragile, fait aussi partie de la procédure du droit d’asile « provisoire ». Ces statuts accompagnent aujourd’hui sous de nouvelles formes incertaines de rapports de travail, un marché du travail sans règles combinant une immigration officielle (population étrangère en Suisse, autour d’un million de personnes, autour d’un 20% de la population résidente), le statut de saisonniers, le travail au noir, les clandestins. Les routes, les tunnels, les maisons, les écoles ont été construites en Suisse par des travailleurs italiens, espagnols qui repartaient chez eux. Aujourd’hui, les kosovars, slovaques, polonais, marocains, africains, etc. ont pris le relais.
CONSEIL FÉDÉRAL, Rapport sur la politique à l’égard des étrangers et des réfugiés (3 cercles), 1991.
MARIANI Daniele, Saisonnier, un statut qui renaît de ses cendres, SWI swissinfo.ch, 21.1.2014.
UNIA, Plus jamais le statut de saisonnier ! Brochure, Berne, 2014.
STEINAUER Jean, Le saisonnier inexistant, Genève, éd. Que faire, 1980.
STEINAUER Jean, Asile au pays des merveilles, Centre social protestant, Genève, 1986.
SAUVIN Philippe, Travailleurs et travailleuses à la peine, 2020.

Terre d’asile, asile, droit d’asile. L’hospitalité officielle en question
Un film remarquable d’Axel Clévenot[15] a ouvert l’horizon de l’histoire de l’asile en Europe. La distinction entre asile et droit d’asile a sa source dans l’embarras qui traverse l’ensemble de la politique : le principe d’hospitalité à la base des politiques de la paix précise bien Kant, qui dans le système d’Etat-nations est devenu une aporie méritant de se transformer par les luttes en énigme politique générale aboutissant à un principe constitutionnel par pays et au niveau de l’UE.
LOI SUR L’ASILE (LAsi) du 26 juin 1998 (Etat le ler avril 2020), no. 142.31.
Histoire, idéologie et laboratoires.
Après Hayek (1947), un « livre blanc »
pour la Suisse qui parlait de courage (1995)
F.A. HAYEK, La route de la servitude (abrégé), 2019.
DOLIVO Jean-Michel, « Le Marché, sa Dictature et son Livre blanc », Le Livre noir du libéralisme, Lausanne, éd. de L’Aire, 1996, p. 29-59. En attente
ZIZYADIS Josef, PEDRAZZA Aristides, « Leur Utopie et la Nôtre, Terme à Terme », 1996, p. 111-133. En attente
GARESSUS Emmanuel, « Le livre blanc dix ans plus tard, Le Temps, 18.3.2005.
TALLENT Adrien, « La société ingouvernable de Grégoire Chamayou », Esprit, 2019.
La xénophobie de L’Überfremdung (« surpopulation étrangère »), Fiala, Ebel
Benoit HABERT, In Mots, no. 8, 1984 p. 213-216.
Quel apartheid ?
Au moment où les pactes sur les réfugiés et les migrants européen et mondiaux sont débattus, on peut observer, l’absence de l’hospitalité dans les droits et la continuité des politiques d’apartheid avec des aménagements visibles dans les concepts et les outils d’application des politiques de migration et du droit d’asile. L’apartheid a changé de forme entre les années 1960 et aujourd’hui : d’auto-protecteur de la Suisse il est devenu un apartheid expulsif actif. L’apartheid qui « noyaute » les imaginaires, les pratiques de violence d’Etat en empêchant tout déplacement structurel dans la manière d’aborder ces politiques, le marchandage des réfugiés, le gaspillage des fonds européen, la montée de la militarisation et d’états d’exception (Frontex), la chasse des exilés sur les routes d’exil forcé, la création de camps-prisons violant de manière scandaleuse les droits de l’homme, les déplacements de la politique étrangère et économique du DFJP au DFAE et du DERFER autre Département de l’Etat, n’est-il d’aujourd’hui ? L’esprit de l’apartheid est la maladie de la volonté politique, et de l’utilitarisme migratoire (tri). L’usage d’un concept inventé en Afrique du sud par Monnier et Fanon, garde toute son actualité. Il permet de penser le racisme d’Etat en Suisse et en Europe.
FANON Franz, A propos de l’apartheid, « le monde colonial est un monde compartimenté ».
DERRIDA Jacques, Apartheid, assassinat, communisme (citation).
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Derrière le droit, le spectre de la Justice, 2004.
IVEKOVIC Rada, « Partition as a form of transition », in S. Bianchini, S. Chaturvedi, R. Iveković, R. Samaddar, Partitions. Reshaping States and Minds, London, Routledge Frank Cass Routledge, 2005 : Reprint Delhi, Routledge India, 2007, Chapitre 2, pp. 13-47.
5. Tendances et inimitiés dans les deux «laboratoires»
Démocratie sécuritaire. Droit d’être là, les limites de la fidélité à l’Etat
Articles de l’avocat Christophe Tafelmacher
Les articles ci-dessous proviennent d’un avocat et de son collègue travaillant en Suisse dans un collectif d’avocats indépendant, entre 1993 et 2019. Ils proviennent de leur pratique et sont intéressants, car ils permettent de suivre l’évolution de la « transformation de l’Etat et du droit ».
TAFELMACHER Christophe, Du bannissement au 19e siècle dans le droit suisse, 2011.
TAFELMACHER Christophe, Affrontements entre réfugiés, citoyens et administration, 1993.
Banalisation de la tragédie.
16 articles de Karine Povlakic, juriste du Service d’Aide Juridique aux Exilé-e-s (Saje), Lausanne (2010-2020).
Ces 16 articles publiés en divers endroits, ont été envoyés avec l’autorisation de l’auteur, pour insertion au projet Praxis-Mémoires-Archives font état d’une praxis juridique de défense des droits, d’un très long travail en Suisse, avec une connaissance approfondie des mécanismes européenes (notamment Dublin) avec des requérant.e.s. L’auteur mêle l’observation, la description, l’analyse de la violence d’Etat sur le terrain et sa théorisation à partir de sa longue expérience. C’est un matériaux d’une valeur inestimable pour la recherche et la formation. Nous respectons l’ordre de présentation et la numérotation par les soins de l’auteur.
POVLAKIC Karine, L’aide d’urgence s’enlise, 2010.
POVLAKIC Karine, Qu’est-ce que l’Etat de droit ? L’exemple de la procédure d’asile en Suisse, 2010.
POVLAKIC Karine, Légalité et arbitraire. Le renvoi des « cas Dublin », 2010.
Les mesures d’aide d’urgence, dont les autorités affirment qu’elles consistent en l’exercice du droit fondamental au minimum vital, entament en réalité la dignité des requérant.e.s d’asile déboutés auxquelles elles sont appliquées, notamment en contraignant ces dernier.e.s à une dépendance de survie à l’égard des autorités qui les hébergent dans des centres d’urgence ou dans des abris antiatomiques où leur sont distribués des repas. Il s’agit de soutenir, dans cet article, que la dignité d’un être humain ne saurait être réduite à la satisfaction de ses besoins physiologiques. Elle doit inclure la dimension psychosociale de l’individu, son besoin d’autonomie personnelle et d’intégration sociale.
Les accords de Dublin, qui permettent le renvoi des requérants d’asile vers le premier Etat européen par lequel ils ont transité, prévoient une clause de souveraineté qui stipule que les Etats membres peuvent renoncer à un tel renvoi, de même que l’article 34 de la loi sur l’asile prévoit la renonciation au renvoi pour des motifs humanitaires. Ces dispositions ont la particularité de conforter l’autorité dans l’exercice de ses prérogatives. Elles ne prévoient pas d’exception concrète au renvoi des personnes concernées de sorte qu’il s’agit d’un droit instrumentalisé, c’est-à-dire utilisé par l’autorité aux fins de conforter son pouvoir et d’exercer la discrimination de population indésirables, c’est-à-dire encore, un droit détourné de sa fonction propre qui serait de protéger la dignité et la liberté des personnes contre l’exercice arbitraire du pouvoir.
Cet article traite de l’accueil des réfugiés originaires de Somalie et d’Erythrée, qui ont transité par l’Italie avant de déposer une demande d’asile en Suisse. La première partie évoque les conflits et la répression qui sévissent dans ces deux pays et la route de fuite que doivent parcourir les réfugiés, au péril de leur vie et de celles de leurs proches. Arrivés épuisés, meurtris et souvent traumatisés en Italie, ils devront faire l’expérience de la rue. La plupart d’entre eux n’auront pas accès à l’aide sociale et n’auront d’autre choix que de dormir sur des cartons dans les gares ou les parcs. Certains viennent finalement chercher refuge en Suisse mais ils sont rapidement pris dans les procédures de renvoi en Italie, sur la base des accords de Dublin ou des accords bilatéraux de réadmission. Nous verrons dans la deuxième partie comment les autorités ont développé un traitement administratif des demandes de ces réfugiés de manière à ce que les motifs d’asile ne puissent pas s’exprimer, ni les motifs de fuite secondaires d’Italie en Suisse. La pratique repose sur des schémas de procédure qui banalise considérablement le traitement des demandes au point qu’il se ramène pratiquement à un problème de gestion des dossiers, de délais de procédure ou d’exécution des renvois.
Sur le caractère d’exception de la loi sur l’asile et ses conséquences pour le défense des droits des requérant.e.s d’asile.
POVLAKIC Karine, La démocratie de Jacques Rancière, 2013.
Dans sa publication « La haine de la démocratie », Jacques Rancière conteste qu’un régime politique dans lequel les électeurs sont représentés par des députés soit démocratique. Explications.
POVLAKIC Karine, Intervention à Solidarité sans frontières, 29 octobre 2013.
Discussion sur les mesures d’exceptions incluse dans la révision de la loi sur l’asile et les perspectives de défense juridique et politique des requérant.e.s d’asile dans le futur contexte des grands centres fédéraux.
L’article traite de la révision de la loi sur l’asile alors en cours, des objectifs des autorités, essentiellement d’accélérer et de faciliter l’exécution des renvois de Suisse par la création de grands centres fédéraux, où seront concentrés les requérant.e.s d’asile et isolé.e.s de la société civile. L’accomplissement d’une procédure rapide devrait empêcher les intéressé.e.s de trouver des appuis ou des soutiens dans la société. D’autres modifications de la loi sur l’asile risquent de fragiliser encore une procédure de recours déjà peu aidante. Et ainsi, l’autorité administrative devrait acquérir une position largement dominante dans le domaine de l’asile et exclure la participation de la société civile à l’accueil des étranger.e.s.
POVLAKIC Karine, Dignité et pouvoir, 2014.
Ce texte est un essai sur la notion de dignité humaine en droit, en rapport avec l’exercice du pouvoir. Le point de départ est l’idée exposée par Giorgio Agamben, selon laquelle l’individu banni de l’ordre juridique est homo sacer, c’est-à-dire que sa vie est exposée à la mort, à l’intérieur de l’ordre juridique, sans que son meurtre soit un crime, ni répréhensible d’une autre manière. Ce phénomène est celui de la discrimination. L’essai est divisé en deux parties. La première traite de la notion de dignité humaine de la personne intégrée à la société, et des différents concepts du politique, dans la « zone d’intégration », où chacun est membre à part entière de la société, et a accès aux bénéfices collectifs et à la paix sociale. Le seconde partie traite de ces mêmes concepts dans la « zone de discrimination » de l’ordre juridique, et montre comment, lorsque notre rapport à l’autorité change, lorsque l’on passe de sujet à objet du pouvoir, ces concepts prennent un autre sens. Ainsi, les notions de démocratie, de dignité, d’égalité ou encore d’ordre public, ont chacun deux définitions, qu’il s’agit de distinguer suivant que l’on se trouve dans la zone d’inclusion ou d’exclusion. Les explications théoriques, dans les deux parties de l’essai, sont étayées d’exemples tirés de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
POVLAKIC Povlakic, Entretien pour Page de gauche, décembre 2019.
Dans cet entretien, il est question notamment des pratiques restrictives en matière d’asile à l’égard des érythréens, ou des difficultés de maintenir une défense juridique indépendante dans les procédures d’asile accélérées, concentrées dans les grands centres fédéraux d’asile.
Notre propos est d’exposer, à partir d’une situation pratique, certains mécanismes de discrimination qui s’appuient sur la loi et le fonctionnement régulier des institutions. Nous prendrons un exemple en rapport avec les évolutions actuelles du droit d’asile, qui tendent vers une concentration toujours plus importante des procédures d’asile et de renvoi dans de grands centres fédéraux.
L’article reprend les travaux préparatoires de la Convention relative au statut des réfugiés, en situant les discussions de l’époque dans le contexte de l’après-seconde guerre mondiale. Il s’agit ensuite d’en tirer quelques réflexions sur la notion de réfugié et sur le sens, en démocratie, de l’institution de l’asile. Dans une deuxième partie, nous verrons comment le droit sur l’asile s’est éloigné de ce sens premier de l’asile dans le but de servir d’autres intérêts politiques, notamment au contrôle des migrations.
Il s’agit dans cet article de discuter des difficultés de régularisation par l’octroi d’une autorisation de séjour des titulaires d’une admission provisoire. L’admission provisoire est un statut précaire qui rend difficile l’accès au marché de l’emploi des intéressés, dont beaucoup ont été mis au bénéfice de ce statut en raison de leur vulnérabilité sociale ou médicale. Or, l’autorité exige une autonomie financière après un parcours fulgurant rappelant un idéal libéral d’auto-entrepreneur, que les femmes ou les hommes victimes de violences, handicapées ou malades n’ont pas pu accomplir. Il s’agit de montrer quelles autres formes d’intégration l’autorité refuse de prendre en considération, en donnant l’exemple de quatre situations particulières.
La transformation d’un permis F en permis B est-elle réservée aux jeunes en bonne santé sans charge de famille ? Cet article montre, à partir d’une situation concrète, combien les critères d’intégration retenus par les autorités cantonales sont appliqués de façon restrictive et indifférenciée. Cela entraîne une rigidité absurde rendant l’accès à un statut plus stable, et donc à certains droits et prestations, quasi inatteignables.
Entre police, politique, démantèlement des droits et marché de l’humanitaire
Des réflexions sur les ambiguïtés du marché de l’humanitaire dans la guerre ont été un axe important des travaux entre l’Université de Genéve, de Strasbourg, des professionnels, des militants. Elargissement sur les rapports entre l’action sociale et l’action humanitaire, U. de Strasbourg, U. de Genève (1999-2004). Du droit à l’humanitaire[16]. L’oubli de l’évidence de l’asile. L’illégalité régulière.
RIGAUX François, Introduction au concept d’action humanitaire[17].
FICHET Brigitte, Dépasser les frontières?
Criminalisation et Solidarité au séjour et à l’entrée en Suisse d’exilés (non entrée en matière et clandestinité-prison-expulsions)
Depuis quelques années, en plus de la criminalisation des migrants, réfugiés, la criminalisation des actions de solidarité est en cours dans l’UE et la Suisse. La solidarité est inimaginable, inenvisageable dans un système d’apartheid (séparation, hiérarchisation, exploitation du travail, pillage des biens, destruction des ressources) globalisé. L’accusation du « délit de solidarité » par la désobéissance civique est paradoxale si on se réfère aux droits fondamentaux et à des valeurs inscrites dans des constitutions des Etats[18]. En 2020, les accusations prennent des formes plus ouvertement politiques : 33 membres de 4 ONG sont accusés par la Grèce à Moria, « d’aide au trafic d’êtres humains » et d’espionnage »[19].
La notion d’hospitalité absente des constitutions étatiques (textes et préambules)[20], est pourtant un des points névralgiques permettant de mesurer le poids que permet de juger une lecture conjointe[21] et en contexte de Carl Schmitt[22] et de Emmanutel Kant, plus particulièrement des catégories amis-ennemis (Carl Schmitt), « d’espace vital », la violence d’Etat liée à de nouvelles formes de guerre, de ruptures, de haine. Prendre toute la mesure de l’hospitalité civique c’est élargir, la sécurité, la citoyenneté, l’autonomie et la démocratie constituante dans le processus d’Universalisation, pouvant assurer les conditions matérielles d’existence à tous les niveaux de la vie en société.
Les actions de solidarité en Suisse et dans plusieurs pays européens et d’autres accusations sont une des formes de l’hospitalité politique et philosophique rattachée à la construction ouverte, complexe de la paix, en tant que contention de la violence et politique d’échanges, d’entre-protection réciproques divers, multiples (liberté, égalité, justice, savoirs, biens, travail, etc.). L’hospitalité civique constituante de société est appelée à élargir les notions de sécurité, de citoyenneté envisagées et dans des cadres politiques pour dépasser la souveraineté des Etats peut aussi se comprendre en terme de liberté politique de se mouvoir[23], impliquant la réciprocité (qui migre ?).
Dans un court texte, comme on peut le lire dans divers contributions présentées, Kant considérait l’hospitalité dans le contexte guerre-paix-échanges marchands en lien à un régime politique (république), à l’Etat, au droit international. Dans le contexte du XXIe siècle de refondation du rapport humains-nature (globalisation, échanges multiples, complexes, survie de la planète, etc.), elle apparaît de plus en plus comme le pilier d’échanges, d’entre-protection le plus général de la politique et de la philosophie pour une civilisation alternative au capitalisme destructeur, exterministe.
MUSADAK Mohamed, « En finir avec le délit de solidarité », Le Courrier 21.2.2019.
BOEHLEN Nadia, Un néologisme absurde, AMNESTY n° 97, Juin 2019.
Le délit de solidarité inscrit dans la loi (art 116 LSEE pour la Suisse). Le délit d’hospitalité absent des lois.
«L’aide à l’entrée ou au séjour irréguliers selon le droit français», www.gisti.org.
LANZ Anni, « Question de point de vue », Bull. SOSF, Berne, mars 2020, p.1.
«SUISSE: Appel aux communes pour l’accueil des réfugié.es des îles grecques!»
(Pétition pour un engagement des communes en faveur de l’acceuil des réfugiés des camps des îles grecques, août 2020.)
MARKIDI Eirini, Hébergeurs de migrant·es acquitté·es par la Cour d’appel de Belgique.
Rappeler l’évidence du droit d’asile
6. Que révèlent les débats sur le Pacte migratoire (Marakech 2018)?
Le Pacte de Marakech (2018) qui n’a pas eu le succès espéré (voir la liste des pays qui ont annoncé qu’ils signeraient le Pacte, puis se sont rétractés et ceux qui ont refusé d’emblée de le signer). La démarche du Pacte proposait avec prudence et diplomatie et forcé par les urgences aux frontières, un nouveau paradigme pour les politiques migratoires internationales, avec des « standards légaux ». Les débats sont nombreux. D’un côté les défenseurs du droit et des droits de l’homme de l’ONU en avançant à la fois le concept de « mobilité », une stratégie pour penser ensemble les politiques de migration et du droit d’asile (en intégrant leur spécificité), intégrés à l’ONU, des jeux institutionnels dans les rapports de force profitables au droit, dans les débat entre institutions internationales (ONU, OIM, BIT), et internes de l’UE (Conseil, Commission, Parlement européen), etc.. De l’autre, le marché de la main-d’œuvre et un utilitarisme migratoire globalisé de pillage de la force de travail (cerveaux, service, femmes, précarisation). Le recule manque pour une analyse et une évaluation approfondie. Ce qui nous intéresse ici et de mettre un instant en regard dans le processus, les discours, les actes, les institutions, les interrogations de mouvements de défense des droits, depuis la fondation de Schengen sans loi sur la migration, la place du contrôle, les contradictions entre la nécessité que les Etats « gouvernent » les politiques migratoires par un droit reconnu et les forces obscures d’un marché globalisé chaotique.
Pacte de Marrakeck, What exactly does the Pact contain ?
L’interview d’Ylva Johansson au Financial Times (EU to step up pressure over migrant returns) donne un avant-goût effrayant du pacte migratoire en gestation
Les pays qui refusent d’accepter les retours forcées de leur ressortissants, ou supposés ressortissants, vont être ‘punis’ de leur refus, par une restriction de visas Schengen pour leur citoyens, tandis qu’un bonus d’investissement sera promis aux pays qui facilitent les expulsions vers eux. Voilà comment l’UE compte empêcher la création des nouvelles ‘Moria’! (commentaire de Vicky Skombi, le 19.9.2020, source Migreurop).
New Pact on Migration and Asylum: Questions and Answers. 23 September 2020, ec.europa.eu
III. Une autre Europe, résistance de rupture
« Ce qu’il faut bien savoir, c’est qu’une condition de totale privation des droits avait été créée bien avant que le droit à la vie ne soit contesté».
Hannah Arendt, L’impérialisme, 1972, p. 280, Paris, Point-essais.
En transformant l’aporie du mensonge politique ambigu en énigme, il devient possible d’imaginer, de penser un monde commun du « droit d’avoir des droits » (Arendt), de la « liberté politique de se mouvoir », y compris par la fuite, intégrant chaque humain et l’ensemble du vivant. Le défi que pose à la fois l’apartheid et Schengen implique un basculement non vers une perte de « civilisation » (mot plus courant en Allemagne que dans d’autres langues), mais vers une nouvelle « civilisation », une dialectique « d’universalisalisation », un apprentissage infini du « vertige démocratique dont parle Castoriadis. Nous avons des pistes à explorer, à pratiquer. Le XXIe siècle est le siècle de la dialectique entre auto-destruction et nouvelles inventions démocratiques du vivre ensemble pour rendre une planète habitable et respirable.
Quel a été le parcours d’une prise de conscience politique qui a passé de la curiosité, de la générosité, de la colère, de la fatigue à la désobéissance civique et destituante/constituante pour construire une autre Europe ? Apportons ici quelques éléments permettant la lecture de documents de la base de données.
Nous avons pu voir, constater que malgré les mensonges politiques ambigus de l’apartheid, sur l’Europe, sur le déni de la capacité destructrice de la violence pouvant aller aux extrêmes qui n’a certes pas le visage des guerres, mais qu’on peut repérer dans les politiques de Schengen-Dublin-Frontex, la résistance de minoritaires a fait émerger une Europe alternative autonome et démocratique avec difficulté et endurance. Elle réussit à mettre en cause l’Europe du marché et des polices, la traite, la surexplotation des travailleurs immigrés, le brutalisme vis-à-vis des réfugiés parqués dans des camps, emprisonnés, expulsés, assassinés.
Le travail de mémoire du projet a permis de mettre la main sur certains documents de statuts divers concernant la résistance dans des activités citoyennes concernant prioritairement l’asile et le droit d’asile. De vraies découvertes. Au premier abord, l’inventaire peut paraître disparate mais au contraire, il a permis de dégager des faits, il manifeste le besoin de connaître, de comprendre, les formes riches, multiples de la résistance, de « micro-pouvoirs » (Sustam) à toutes sortes de niveaux, par toutes sortes d’acteurs[1]. Ce sont des traces éparses sans prétention d’exhaustivité de la dialectique obéissance-désobéissance cachée, souterraine et ouverte de la liberté politique.
Nous indiquons ces références comme étant des outils de base, pour plusieurs raisons. A propos du Guide des procédures et critères du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR), j’ai assisté personnellement à la crise morale d’un juriste fonctionnaire du HCR qui a pris le risque de le rédiger (aujourd’hui serait-il un lanceur d’alerte ?), en mesurant les attaques sournoises du HCR et de la Convention sur les Réfugiés (1979) de l’ONU et la montée en puissance de l’Organisation internationale des Migration, OIM (structures, budget, etc.). Quant au texte sur le « droit d’avoir des droits » d’Arendt que j’ai pu mettre en exergue avec en miroir, la Human superfluity et la citoyenneté dans ma thèse de doctorat[2] en lisant de près les travaux d’Arendt sur l’impérialisme, a pris une place spéciale dans les mobilisations des insurrections sociales et les débats durant une grande période. On verra plus bas, comment la lecture d’Arendt peut susciter aussi des mécompréhensions et des embarras. Quant au rappel du rapport entre les droits fondamentaux et leur protection, un professeur de droit constitutionnel, connu pour ses travaux sur les droits des migrants, exilés en Suisse, a indiqué qu’un tournant était à l’œuvre – les expulsions forcées – avec la référence à un outil juridique précieux, le « principe de non refoulement » inventé par un jeune juriste (W. Kaelin) à Amnesty International à l’époque, puis professeur à l’Université de Berne, au moment où s’institutionnalisaient les expulsions et les accords de réadmission. Ce principe exprimé négativement (non refoulement) intraduisible (ce qui le rend d’autant plus intéressant) a connu un succès planétaire avec les politiques d’expulsions, les camps, tout en étant souvent dénié.
La question des réfugiés, requérants d’asile est certes cruciale, mais l’absence d’une politique migratoire européenne et mondiale est très grave. Bien qu’il faille séparer pour l’analyse les réfugiés et les migrants, il est important de prendre en considération la migration comme un vaste ensemble, dont les catégories juridiques de l’Etat ne permettent pas de saisir les rapports de pouvoir de la migration[3]. A l’époque elle est apparue, par les travaux sur la traite au BIT et ailleurs, à propos des travailleurs saisonniers, des sans-papiers et aussi des diasporas. A Genève, comme nous l’avons écrit, le Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) a été affaibli. L’Organisation Internationale mondiale (OIM) aux mains des américains opposés à l’ONU, le marché de l’humanitaire ont pris la place du marché de l’asile et aussi des débats sur les politiques migratoires. La tendance est-elle en train de s’inverser avec le Pacte international sur la migration (2018), qui pour l’instant est un échec dans des négociations interminables face à l’urgence migratoire ? Protéger les migrations ou contrôler les migrants demande Antoine Peccoud (OIT) ?
Les migrations dites « irrégulières » remplissent les discours institutionnels alors qu’il y a une absence notoire de toute politique de migration européenne et mondiale. Le 3% de réfugiés masquent la situation d’environ 20% d’étrangers en Suisse. Au début, des travaux critiques sur les droits de l’homme ont été effectués de plusieurs côtés. Dans la Recherche Mondialisation, Migration, Droits de l’Homme de l’Université de Genève nous avons alors établi une collaboration avec le BIT. Plus tard, un travail sur les diasporas a été effectué à l’Ecole Polytechnique de Lausanne (EPFL). Ces exemples limités sont des indications d’un souci de déplacer la focalisation sur l’urgence humanitaire médiatisée en analysant les tendances struturelles plus profondes des politiques migratoires. Nous avons pris en référence les droits fondamentaux dans nos travaux et en arrivons aujourd’hui à nous interroger radicalement sur ses limites et un nouveau rapport à établir au droit (voir propositions).
Sans aucune prétention d’exhaustivité, ni de chronologie stricte nous apportons quelques documents qui montrent à la fois l’ampleur de la question migratoire et les résistances au démantèlement du droit et la difficultés à lier les deux domaines tout en reconnaissant leur spécificité (asile, migration), voire leur élargissement au marché du travail dans son ensemble ; les luttes pour les travailleurs sans-papiers, des travailleurs dans l’agriculture, dont des traces existent dans la base de données. La question de la désobéissance civile à propos de la situation des réfugiés et sans-papiers traverse toute la période entre 1968 et 2020 en se transformant. La désobéissance civile avait déjà été condamnée par l’Etat pour des objecteurs de conscience (armée)[4].
[1] La question aussi été analysée dans la recherche sur les dilemmes des travailleurs du Service public.
[2] Voir dans la base de données, Caloz-Tschopp Marie-Claire, Les sans-Etat dans la philosophie d’Hannah Arendt. Les humains superflus, le droit d’avoir des droits et la citoyenneté, Lausanne, éd. Payot, 2000.
[3] Des chiffres permettent de saisir le phénomène de la migration. Le nombre des citoyens européens vivant dans un Etat membre dont ils ne sont pas originaires a pratiquement doublé en dix ans (en 2018, 17, 6 millions, dont 12,9 millions en âge de travailler et 1,5 millions se rendaient tous les jours dans un Etat voisin pour travailler. 1,9 millions sont des travailleurs détachés pour 3 millions de détachements effectzls par de très nombreuses entreprises. Les questions sont multiples en terme de droits. Conventions collectives de travail : salaires bruts, diminution des possibilités de concurrence sur les coûts salariaux, assurances sociales payées par les pays d’origine. Dispositions précises sur le logement et les frais de repas en plus du salaire. Source : Evénement syndical no. 37, septembre 2020.
[4] Dans son texte sur la désobéissance civile, Hannah Arendt distingue l’objection de conscience (individuelle) et la désobéissance civile. Voir, Arendt H., La désobéissance civile », in Du mensonge à la violence, Paris, Calmann-Lévy, 1969, pp. 53-105. Notons qu’en Suisse, les pénalités pour motifs politiques étaient plus lourdement condamnées que les motifs religieux de l’objection de conscience.
1. Des actes de résistance, de solidarité, de curiosité : la puissance d’agir.
Europe Forteresse et défense du « droit d’avoir des droits » (Arendt), des droits, des droits de l’homme de l’ONU
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Flüchtlingspolitik am Ende ? Zurich, éd. Gegenverlag, 1982.
AUER Andreas, « Les droits fondamentaux et leur protection », Pouvoirs, no. 43, 1987, p. 87-102.
Devoir de fidélité, dissidence, désobéissance civile/civique
BORY BEAUD Valérie, Désobéissance civile en matière d’asile et de répression d’Etat.
Défendre l’asile, le droit d’asile les droits de l’homme… et les sans-papiers, les travailleurs migrants
KÄLIN Walter, Das Prinzip des Non-Refoulement, Bern and Frankfurt am Main: Peter Lang, 1982.
Mouvement pour une Suisse ouverte, démocratique et solidaire (MODS)
BOIS Philippe, « Réflexion sur les droits de l’homme », Equinoxe, no. 4, automne 1990, p.11-19.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, « Droits de l’homme, Société, Etat-nation. A propos d’un problème philosophique soulevé par Hannah Arendt, Equinoxe, no. 4, automne 1990, p. 69-85.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Asile, droit d’asile, histoire et démocratie, colloque HEI 2000.
HCR-ONU : Rappeler la procédure pour tenter de sauver le droit international des réfugiés.
ONU-BIT : sauver la convention internationale des travailleurs migrants et préconiser de nouvelles études sur la migration (2010).
Nouvelle étude du BIT sur une approche de main-d’oeuvre fondée sur les droits (2010).
BIT, Syndicalisme, politique des étrangers, traite des personnes (2003). En attente
DOLIVO Jean-Michel, Jetables, flexibles, précaires, un monde du travail sans droit ? (2010).
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Exil, apartheid de sexe, guerre vus depuis la condition des femmes migrantes clandestines (2011).
SAUVIN Philippe, l’Autre syndicat, Genève, Travailleuses et travailleurs agricoles en Suisse.
Des marches, des refuges en mouvement: création d’assemblées, d’espaces publics en mouvement d’hospitalité politique citoyenne aux frontières
Solidarité sans Frontières, Texte d’appel et d’engagement, Solidarité avec Lisa Bosia Mirra. (2017)

Communiqué de Presse Toutes Aux Frontières ! 5 juin 2021, Nice.
Derrière les murs. Récits de migrantes au temps du Covid-19, Neuchâtel, 2020.
Manifeste pour la grève féministe et des femmes*, 14 juin 2019.

Collectif Droit de rester, Un refuge contre l’arbitraire est urgent, 2010.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Calvin, Genève, ville d’accueil. Coexister ou vivre ensemble ?
2. Des rassemblements européens transnationaux (années 1990)
Des formes d’assemblées, de rassemblements européens transnationaux, avec l’ouverture à d’autres continents ont développés des liens à la fois dans la recherche et l’action. Ils ont visé à dépasser le « national », à articuler le « local » au transnational et à développer des travaux transexpériences et transdisciplinaires entre chercheurs, professionnels, militants, pour saisir la dynamique européenne des Etats et des actions en cours. Notons tout spécialement l’importance de la remise des archives de Fortress Europ ? de Nicholas Busch, décédé prématurément, qui ont pu ainsi être intégrées au projet.
N. B. Cette partie contient des pièces inédites qui ont pu être rassemblées grâce à des travaux de recherche et de préparation importantes.
Assises Européennes sur le Droit d’Asile, Lausanne, Bruxelles, Rome, Genève. (1986-1992)
Première assise sur le droit d’asile, Lausanne
Ligue Suisse des droits de l’homme, Documents d’information concernant les Assises européennes sur le droit d’asile. Les 15-16-17 février 1985 à Lausanne, (brochure), 15 novembre 1984, 7 p. En attente
STEINAUER Jean, dessins de Barrigue, Asile au pays des merveilles, Centre social protestant, 1986.
UNE FEMME KURDE, « témoignage », Collectif, La forteresse européenne et les réfugiés, Lausanne, co-éd. d’en Bas, Ligue Suisse des droits de l’homme, 1985, pp. 15-17.
Deuxième assise sur le droit d’asile, Bruxelles
2èmes ASSISES, Bruxelles, 3-4-5 avril 1987, Programme, 5 pages.
COMMISSION EUROPENNES DES IMMIGRES, Objectif immigrés, Bruxelles, brochure, 1988, 64 pages.
Troisième assise sur le droit d’asile, Genève
BODS!MODS!MADS!, Charta 86 – Eine Begründung in Stichworten.
FORTRESS EUROP ? (1991-1999) (responsable N. Busch, Suède)
CIRCULAR LETTERS no. 1, sept. 91- à no. 59, dezember 1999 (hormis nos 18 et 27).
Groupe de Genève, violence et droit d’asile en Europe (1993)
Déclaration du 25 septembre 1993, du Groupe de Genève, Violence et Droit d’Asile en Europe (GGE).
Lettre FORTRESS EUROP no. 24, mai 1994.
Tribunal européen des peuples sur le droit d’asile, Berlin (1994)
Le modèle du Tribunal des peuples été inventé par un philosophe anglais, Bertrand Russell, lors de la guerre du Vietnam. Il a été développé dans de nombreux lieux du monde, en prenant une grande importance lors des luttes de décolonisation et pour défendre le droit des peuples, à propos de nombreux sujet, dont celui du droit d’asile. Voici l’exemple d’un des tribunaux sur l’asile et le droit d’asile, qui a eu lieu à Berlin en 1993, dont, l’avocat Christophe Tafelmacher a retrouvé les archives.
Platform « Fortress Europe? » – Circular letter
Transeuropéennes, Guerre d’ex-Yougoslavie, Marche des femmes pour la paix (1991-2001)
INTERNATIONAL MONSANTO TRIBUNAL, Journées noires pour Bayer-Monsanto & Cie. Newsletter en ligne.
3. Traces récentes de luttes en Suisse (1974 – 1990)
Action Place Gratuite pour les chiliens (1974), (1986-2019)
Rappelons ici trois exemples emblématiques de luttes récentes mais qui n’épuisent de loin pas l’inventaire des luttes En Suisse, dès 1973. Nous nous limitons à trois exemples emblématique d’un travail courageux, infatigable en appelant à une reconnaissance car participant au renforcement de l’appartenance transnationale : Action Place Gratuite pour les chiliens (APG), après 1973 ; un référendum contre les camps à la Chaux-de-Fonds (1987), ville ouvrière ; une lutte antiraciste et condamnation de la Suisse pour racisme d’Etat par l’ONU.
WYSS Daniel, La barque n’est pas pleine, 2014.
Documentaire à visionner en entier ici.
Action Place Gratuite pour les Chiliens (APG), La barque n’est pas pleine. De l’élan humanitaire à la désobéissance civile. 1974. En attente
Texte Action-Place Gratuite. En attente
Zurich: Freiplatz Aktion & comité du 1er mai 2021
Démocratie directe. Une expérience de résistance à la Chaux-de-Fonds (1987-1990). Danielle Othenin-Girard.
Votation populaire du 5 avril 1987, Explications du Conseil fédéral.
P.F. « Contre la frénésie de renvois de réfugiés », L’Impartial, Lundi 30 mars 1987.
Résultat des votations fédérales, L’Impartial, 6 avril 1987.
Comité pour la défense du droit d’asile, « Pétition au Grand Conseil neuchâtelois », 1988.
P.Ve. « Une solution humaine. Une pétition déposée à Neuchâtel », L-Impartial, 22 mars 1988.
Comité pour la défense du droit d’asile, Communiqué, 1er février 1989.
Lettre du Conseiller d’État A. Brandt, 29 mars 1989.
Comité pour la défense du droit d’asile, Lettre au Conseiller Fédéral Arnold Koller, 3 avril 1989.
La procédure 88 à l’épreuve des faits.
Lettre à M. Von Wyss, 19 juin 1989.
OTHENIN-GIRARD Danielle, « La valse des requérants », Vivre Ensemble n°25, février 1990.
Comité de défense du droit d’asile, Lettre à M. Von Wyss, et sa réponse, 1991.
Une lutte antiraciste (1998). Condamnation de la Suisse pour racisme d’Etat (CSP, CCSI, Grünberg)
Centre Social Protestant (CSP), Le CSP et les formes de discrimination, 21.3.1991.
Code pénal suisse, art. 261 bis, Discrimination raciale, du 18 juin 1993.
4. Des recherches civiques et universitaires entrecroisées
Des textes, matériaux dans la construction des savoirs, des démarches, des méthodes, sont présentés ci-dessous dans 14 recherches civiques et universitaires entrecroisées qui ont pu être menées, grâce à un travail de mobilisation aux frontières et avec la collaboration du mouvement insurrectionnel avec des institutions (universitaires et autres). Ces recherches interdisciplinaires et interexpériences, individuelles et collectives ont eu lieu en Amérique latine, en Suisse, en Belgique, en France, en Inde, etc.. en tissant des liens qui perdurent.
Leur déroulement chronologique, les lieux, institutions participantes montrent le poids du contexte de sûreté/sécuritaire et de violence, l’évolution des questions, objets, démarches et buts des recherches. Nous ne pouvons faire une synthèse analytique de contenu ici. Mais la lecture des introductions et préfaces permet de suivre l’évolution d’un processus dynamique en évolution et aussi de noyaux durs qui résistent à la connaissance.
Amérique latine et dictatures : Violence d’Etat et psychanalyse, exil et torture.
VIÑAR Maren & Marcelo, Exil et Torture, Paris, éd. Denoël, 2009.
VIÑAR Marcelo et Maren, « Les yeux des oiseaux » , Exil et Torture, Paris, éd. Denoël, 2009.
VIÑAR Marcelo, « L’étranger », Exil et Torture, Paris, éd. Denoël, 2009.
MALIBOU Catherine, « La raison d’être de la torture », Le Monde 14.9.2018.
Fortress Europe? Police ou politique (Nicholas Busch, 1991-1999)
Nicholas Busch a été un protagoniste militant et intellectuel, avec qui, avant sa mort brutale, nous avons pu connaître, élaborer des faits, des questions théoriques et stratégiques. Je tiens à remercier tout particulièrement, Thomas Busch son frère qui nous a transmis les archives de Fortress Europ ? qui ont donc pu être publiées ici. C’est un matériaux très précieux, qui a été le fait d’engagements d’individus, de collectifs européens, sans salaires et sans appuis de financements officiels.
BUSCH Nicholas, FORTRESS EUROP ?
LES CIRCULAIR LETTERS ENTRE 1991-1999
Les nouvelles frontières du «laboratoire Schengen», CAS, MODS, CETIM, Université de Lausanne (1993)
Europe and refugees, université de Louvain (1997)
Europe and Refugees: A Challenge? / L’Europe et les réfugiés: un défi?, Brill, Nijhoff, 1997, 292 p.
CMW’s roundtable in celebration of the 5th anniversary of the Convention, Geneva, 18 April 2008.
Colloque à Genève: Lire Hannah Arendt
LANZ Anni, Bâle, SOSF, Une question de point de vue.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire. Contraintes, dilemmes, positions des travailleurs du service public.
À la suite d’un accord entre l’Université de Genève (sous la responsabilité du professeur ordinaire Pierre Dasen) et le Conseil d’Etat de Genève (Guy-Olivier Segond, président), cette recherche a permis le déroulement de 200 entretiens en profondeur avec des professionnels sur les dilemmes, difficultés de professionnels s’occupant de réquérants d’asile et de chômeurs à Genève et des apports interdisciplinaires, avec une partie importante d’expertise économique sous la responsabilité de la professeure Gabrielle Antille de l’Université de Genève. La publication de quatre volumes présentés ci-dessous en a résulté. La recherche est ainsi largement accessible. Anecdote. Rappelons que le président du Conseil d’Etat et les hauts fonctionnaires des Départements concernés ont reçu deux livres au début de la recherche : Le château de Kafka et Hamlet de Shakespeare censés être des outils de réflexion en appelant à une décentration par le biais de la littérature. Le choix méthodologique de base a été de privilégier la prise de parole dans l’aventure. Pour assurer la confidentialité des entretiens, le président du Conseil d’Etat G.O. Segond a signé une lettre remise à chaque personne de trois Départements de l’Etat de Genève qui a accepté de participer volontairement aux entretiens.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, « La parole et l’espace public », pg. 89-117.
BALIBAR Etienne, Une politique de la civilité est-elle possible ? 2004, pp. 105-125.
RIGAUX François, Quelle force au service de quel droit ? 2005, pp. 49-69.
DREIFUSS RUTH, conseillère fédérale suisse, « L’affaire Grüninger », 2005, pp. 69-70.
WOLF Frieder Otto, Quelques remarques sur la notion « d’intérêt public, 2005, pp. 297-306.
Mondialisation, Migrations, Droits de l’Homme (MMDH), Recherche Université de Genève, RUIG, IUHEI, BIT (2004-2007)
Résumé de la recherche Mondialisation, Migration, Droits de l’Homme et Société.
CHETAIL Vincent, Mondialisation, Migration, Droits de l’homme : le droit international en question, 2007, accessible dans le vol.II.
SAMADDAR Ranabir, Calcutta Research Group, Primitive Accumulation in the Early Part of the Twenty First Century and the Need to re-define Post-Colonialism, 2007, accessible dans le vol.I.
BAGCHI Amiya Kumar, Migration and morality : Sovereign finance and dehumanized immigrants.
BARKAT Sidi Mohammed, Philosophe, CNAM, Paris,
« Migration, colonisation, corps d’exception ».
BATOU Jean, prof. d’histoire économique, U. de lausanne, Big Bang des marchés et migrations.
CHETAIL Vincent, Migration, droits de l’homme et souveraineté : le droit international dans tous ses états, 2007, accessible dans le vol.2.
RIGAUX François, La liberté de mouvement dans la doctrine du droit des gens, 2007, vol. 2.
MEZZADRA Sandro, Citizen and Subject. A Postcolonial Constitution for the European Union.
(Re)Lire Hannah Arendt sous l’angle du pouvoir, de la guerre, du travail. Université de Genève, Université ouvrière de Genève (UOG), (2008).
C’est la partie d’une première recherche dans le cadre d’un travail de thèse publiée (voir plus haut). Le choix de l’œuvre d’Hannah Arendt m’a été conseillée par le sociologue A. Sayad. La recherche philosophique a été inspirée dans un contexte de détérioration des droits sur le terrain des politiques de migration et du droit d’asile. La recherche a été centrée sur les sans-Etat, le « droit d’avoir des droits », la « superfluité humaine » et la citoyenneté (axes de la thèse). Ensuite la lecture d’Arendt s’est déplacée sous l’angle du pouvoir, de la guerre, du travail, avec l’expérience des transformations de la globalisation, de la violence constatée sur les exilés Elle a été l’occasion d’un partenariat très actif (grâce à Dominique Blanc de l’Université Ouvrière de Genève, UOG) entre l’Université et de l’UOG de Genève.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Arendt Hannah, le fil rompu entre violence et révolution au XXe siècle.
GAMPEL Yolanda, La guerre totale détruira-t-elle « Le Jardin aux sentiers qui bifurquent ».
Diaspora, migration, développement
Éducation et éducation interculturelle: Exil, Formation, Recherche. Quelques travaux.
Les textes ci-dessous et ces références sont un rassemblement d’une partie des travaux de l’équipe du professeur Pierre Dasen, qui, dans l’époque où j’ai pu y travailler, a été un lieu d’échanges précieux à la Faculté des Sciences de l’éducation de l’Université de Genève, avec qui nous avons été plusieurs à pouvoir travailler ensemble dans une très bonne ambiance. Novine Berthoud-Aghili, docteur en Sciences de l’Education a collaboré activement à la recherche d’archives ; elle a ainsi permis que des textes du groupe de travail autour de Pierre Dasen soient réunis.
Un problème technique au moment de l’organisation des textes retrouvés grâce à l’aide de Pierre Dasen et Novine Berthoud-Aghili, Nilima Changkakoti, José Marin, ne nous permet pas actuellement de retrouver tous les textes cités, ce que nous regrettons. L’indication en attente, indique que des recherches sont en cours pour tenter de retrouver ces textes. Nous nous en excusons.
DASEN Pierre, Approches interculturelles : acquis et controverse (article sans date, vol.I, 2000 ?).
SAMMALI Jacqueline, Être Kurde, un délit ? Paris, éd. l’Harmattan, 1995.
BERTHOUD-AGHILI Novine, Des écoliers en exil : socialisation et dynamique socio-culturelle. Le cas des enfants iraniens scolarisés à Genève. Genève: Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE). (Thèse de doctorat, accessible à l’Université de Genève)
CALOZ-TSCHOPP, Marie-Claire, 2001. Le lit de Procuste de l’intégration. exil-ciph.com [en ligne].
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire et IVEKOVIC Rada, (Dialogue), « Les migrations, l’Europe et la philosophie » Revue Contretemps, no. 20, p. 145-160.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, L’évidence de l’asile, Paris, éd. L’Harmattan.
Colère, Courage et Création politique.
Recherche, Colloque international, Université de Lausanne, Institut d’Etudes Politiques Internationales (IEPI), mouvements sociaux (2010).
Ce colloque a été organisé en étroite relation entre l’Université de Lausanne et les mouvements, les professionnels, au moment où j’ai fini mon travail dans cette Université (2010). Il a été d’une grande richesse, ce dont font état sept volumes des Actes présentés dans leur totalité.
TOSEL André, Préface. « Eclats de colère, éclats du monde ».
BAGCHI Barnita (ed.), The politics of the (im)possible. Utopia and dystopia reconsidered.

En m’inscrivant dans une approche historique, matérialiste, concrète[1], à partir d’une approche critique du « progrès », fallait-il pour autant, basculer dans les critiques conservatrices, réactionnaires du « progrès » ou encore dans ce que j’ai appelé des « métaphysiques de la catastrophe », aussi présentes sur le terrain de la migration, de l’asile, du droit d’asile (aujourd’hui, on dirait catastrophistes) ? Mon usage de la notion de « dys-topie »[2] (2016), puis plus tard de « philosophie de la fuite » centrée sur la « liberté politique de se mouvoir » (2019), ont été l’exploration d’un labyrinthe tragique et, ce que j’appelle provisoirement (voir partie sur les politiques de torture et de disparition) une anthropologisation ontologique philosophique et politique du chaos/cosmos. Par ailleurs, la collaboration avec des féministes matérialistes (Colette Guillaumin surtout et Nicole-Claude Mathieu et Paola Tabet), a permis une prise de distance avec les pensées essentialistes et naturalistes.
[1] Voir à ce propos, notamment, Caloz-Tschopp Marie-Claire, Résister en politique, résister en philosophie, Paris, La Dispute, 2008 (texte de l’habilitation).
[2] Je remercie Valeria Wagner d’avoir trouvé la forme linguistique pour présenter ce concept en soulignant l’accent qui le soustend.
Traces d’un exemple de processus politique constituant local: la révision d’une constitution cantonale: Vaud, Genève (2000-2012)
Ces deux textes des années 2000-2012, sont des illustrations limitées de la diversité du travail et des terrains. Ils ne sont pas exhaustifs sur le sujet. Ils ne visent aucunement à présenter des travaux nombreux qui ont eu lieu avant, pendant et après le processus de révision de constitutions, non d’un Etat central mais de cantons faisant partie d’un Etat fédéral en Suisse. Ce sont deux textes retrouvés dans les archives qui soulignent des paradoxes, ambivalences, « attentes, limites, croyances » (Vaud, voir l’article du professeur Bernard Voutat), et d’autres questions politiques et philosophiques de fond (Genève) sur l’émergence sécuritaire souterraine qui a des racines profondes dans l’histoire d’une société. Dans le débat avec des juristes de la Commission du canton de Vaud, j’ai pu faire l’expérience de l’aporie du droit empêchant l’inscription du principe d’hospitalité comme une énigme ouverte dans le projet de constitution (ni même dans les préambules introduisant les constitutions), texte politique de base d’une société. Je garde un souvenir très vif du débat avec un éminent professeur de droit à ce sujet. Le statut de ces textes est différent. Le premier texte provient du responsable du processus dans le canton de Vaud, le deuxième texte fait état de notes de travail personnelles d’une intervention publique sur le processus du canton de Genève.
AUER Andreas, Réflexions sur la nouvelle Constitution genevoise.
CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, Notes de travail au moment de la Constituante du canton de Genève, 2011

CALOZ-TSCHOPP Marie-Claire, CIPh, Violence, Politique et Citoyenneté, travail de conférence, 2012.
En guise de conclusions ouverte sur la résistance
La diversité, l’hétérogénéité des luttes des mouvements hier et aujourd’hui dans les politiques migratoires et du droit d’asile en Suisse et sur d’autres terrains, selon des modalités diverses (luttes de classe, de sexe, de race, climat, etc.) rappelle en Suisse le conflit historique entre la politique fédérale des réfugiés durant la seconde guerre mondiale (rapport Bergier) et les mouvements de solidarité durant la deuxième guerre mondiale.
Pour documenter cette partie, un important travail de recherche de documents (pour certains inédits ou inaccessibles), a permis que soient présentés une partie seulement de textes, matériaux d’actions, de résistance en Suisse, de rassemblements transnationaux (Assises européennes sur le droit d’asile, Fortress Europ ?, du Groupe de Genève « Violence et droit d’asile en Europe, du Tribunal européen des peuples sur le droit d’asile de Berlin en 1994, de Transeuropéennes et de la marche des femmes pour la paix), des pratiques insurrectionnelles civiques aujourd’hui (marches, refuges, désobéissance civique), et quatorze recherches civiques et universitaires entrecroisées.
Certains ont souligné combien le travail de mémoires et d’archives de luttes importantes, disposent de matériaux éparses qui n’ont pas été intégré comme tâche politique importante pour les mouvements. Ils ont souligné combien un tel travail de mémoire suscitait des résistances à interroger.
Précisons que ce qui a pu se faire n’est pas la mémoire exhaustive d’un mouvement ancré en Suisse, transnational, transcontinental ni de son évaluation. Nous avons pu saisir des traces éparses de résistance qui ont pu être retrouvées grâce à l’engagement actif de certaines personnes, à partir des actions, de la puissance d’actions d’un mouvement insurrectionnel civique créé par des engagements, des actions pratiques de résistance, de désobéissance civique aux frontières, des recherches civiques et universitaires. Elles sont le fait d’une grande diversité d’individus de diverses générations, de collectifs où les femmes ont une place très importante.
Face au tournant sécuritaire ambigu des années 1980-1990, la collaboration, les liens, les réflexions conjointes entre le Groupe de Genève (GGE) « Violence et Droit d’Asile en Europe » et Fortress Europ ? ont été très importantes pour dégager des questions, structures, stratégies, outils, discours, interprétations, etc. de ce qui était en train de se mettre en place au niveau européen depuis les années 1980-1990 (avant septembre 2001), alors qu’il était difficile à la plupart des mouvements sociaux, syndicats de s’affranchir des logiques, histoires, des luttes « nationales » avec la confusion entre peuples et nations. Les Assises européennes sur le droit d’asile (Lausanne, Bruxelles, Rome, Genève) ont été une tentative concrète où la Ligue suisse et international des droits de l’homme a pris une part active, de tentatives de dépassement du « national » dans les mouvements d’asile. Elles ont anticipé la tenue du Tribunal des peuples de Berlin dont les Actes sont repris dans le Projet.
Une histoire du mouvement d’asile riche en expériences diverses
L’histoire du mouvement d’asile en Suisse et en Europe est riche d’expériences diverses pour les années considérées ici (1973-2019). L’observation n’a pas été une analyse, évaluation de mouvements sociaux, mais des tentatives de suivre le fil d’Ariane de pratiques insurrectionnelles civiques, de l’invention d’exemples d’actions qui ont pu être organisées. Une question a été constante : comment dans telle situation, avec telles contraintes matérielles, est-il possible d’agir, de penser, de tenir, de durer ? Entre devoir de fidélité, consentement et désobéissance civique, les frontières ne sont pas facilement délimitables, si l’on s’arrête à explorer, par exemple, le concept d’ambiguïté de José Bleger, en le distinguant de l’ambivalence[1].
Il existe une longue histoire des marches, des refuges depuis les temples grecs, les Eglises protestantes et catholiques en Suisse, les marches antiracistes, féministes dont l’histoire reste à écrire[2]. Dès les années 1980, en Suisse, des refuges ont été créés à Seebach (Zurich), Genève pour les Kurdes, Berne pour les Tamouls, à l’Eglise catholique de St-Amédée à Lausanne (1986), pour une diversités de nationalités, etc…
Aujourd’hui les refuges sont devenus civiques en s’étendant à d’autres secteurs de la société que les Eglises, par exemple à une Université, à des syndicats. De religieux, les refuges d’accueil par un mouvement social très diversifié sont-ils devenus, une question politique, la revendication d’un espace public politique en mouvement entre plusieurs lieux – et notamment des villes – de « désobéissance aux lois » étrangères à « l’Etat de droit ». On peut même dire qu’ils participent à un niveau à la fois local et transnational, au surgissement de mouvements insurrectionnels au sens où Engin Sustam (article dans la dernière partie), en parle à propos du Kurdistan et d’autres formes de luttes transversales micropolitiques. On ne peut en parler en terme de mouvements sociaux au sens des travaux académiques en cours.
Comment les refuges ont-ils passé d’espaces de temples, d’églises à divers lieux de société (Universités, syndicats, etc.) qui se déplacent, se défont, se refondent avec des logiques de rupture avec le capitalisme? Comment interpréter le passage de refuges dans des églises et temples à l’Appel d’Elles, et la Marche mondiale des femmes? Comment partant d’une logique de territoire, ils se détérioralisent, se mettent en mouvement, en se déplaçant, en se recréant? Dans ces actions, les femmes, les luttes féministes ne sont pas confinés au soin (care), discours qui risque de cacher leur apport politique (revendications, types d’action, ex. la Marche mondiale des femmes). Autre question. Comment par ailleurs, cette forme de création politique radicale qui est le plus souvent le fait des femmes (comme par exemple pour les Madres de la Place de mai en Argentine qui s’est mondialisée), a-t-elle fait émerger la question de la place, le poids des femmes dans la résistance, la création politique ? En quoi par ce biais, les discours d’accueil, d’hospitalité, ont-ils été amenés à articuler les rapports de sexe, de race, de classe dans la politique et les théories élaborées?
Un des défis de la recherche publique et citoyenne a été et reste de déplacer, renverser le regard qui banalise la violence d’Etat sécuritaire, de plus en plus militarisée et imprévisible dans ses développements qui, en criminalisant les citoyens (délit de solidarité), rend invisible la qualité des luttes politiques, la pluralité de la vérité, des savoirs, des expériences. En fait, la criminalisation vise à empêcher de prendre acte de l’émergence de l’Autre Europe.
Il est aussi possible de penser que les appels à la démocratie aux frontières multiples, les luttes de résistance, de désobéissance civique ont été et sont non seulement des cris de rage, de colère, d’indignation, des dénonciations, de résistance, mais des deuils collectifs d’un « trésor perdu », d’un échec de création politique, démocratique européenne nécessaire, mais aussi à un autre type d’appel à des créations politiques minoritaires qui demandent à être prises sérieusement en compte dans la création de l’Europe politique avec des valeurs retrouvées et traduites par les luttes (hospitalité, liberté, égalité, solidarité, etc.).
Les actions de désobéissance civique ne peuvent être simplement interprétées comme des demandes de réformes des institutions, des droits comme le stipulent certaines théories de désobéissance civique (Arendt), mais comme la création pratique d’une Europe alternative qui demande à être vue, lue, inscrite dans l’espace public. Un renouvellement théorique de la désobéissance civique et aussi de l’hospitalité s’inscrivant dans la création démocratique et dans les constitutions et les droits est nécessaire.
Dès lors, la question n’est pas seulement d’être vigilants sur les dangers des politiques que l’on peut appeler de sûreté sécuritaires qui travestissent les politiques de sécurité en les rendant ambigues. Il n’est plus possible de s’en tenir à des tactiques, « sortir de Schengen », « refuser Dublin », mais bien d’identifier ce que des discours, des schèmes dominants sur Schengen, les politiques migratoires, du droit d’asile cachent, leur généalogie, leurs paradoxes, ambiguïtés, dans le devenir de « laboratoires » qui ont succédé à d’autres « laboratoires » nourris d’impérialisme, de colonialisme, de « total-libéralisme », de surexploitation et de destructions.
Un des défis de la recherche, qui peut contribuer à transformer des embarras, des apories en énigmes de la politique est de déplacer (ruse), renverser le regard qui banalise la violence d’Etat difficile à vivre sur la durée (fatigue, usure), qui criminalise la solidarité et rend invisible la dialectique complexe des luttes politiques, la pluralité de la vérité et de constater l’émergence de l’Autre Europe qui reste à nommer en tant qu’imaginaire, projet, politique créatif.
Une « stratégie musclée » (Nicolas Busch)
Une partie des faits de résistance divers avaient lieu alors que l’on pouvait constater l’absence d’une politique migratoire de l’UE et la formulation d’une « stratégie musclée » en 1998 (doc. K4, selon Nicholas Busch Fortress Europ ?). Ils ont marqué les actions et les réflexions : mise en cause des libertés constitutionnelles, mise à l’écart des Parlements, des ONG, construction d’une Europe sécuritaire lisible au travers de conflits et collaborations entre polices des divers pays et transnationales sans contrôle des Parlements (dans certains cas avec le crime organisé), manque de transparence, destruction des droits, création d’une panoplie complexe de dispositifs et d’outils de contrôle (ex. empreintes digitales, cercles), de surveillance (Eurodate), de contraintes (camps, prisons, expulsions, harcèlement des mouvements de solidarité), etc..
Un événement mérite d’être rappelé. Lorsque nous avons découvert, lors d’un colloque sur Schengen à l’Université de Lausanne (Actes reprises dans le Projet avec l’autorisation de l’éditeur CETIM, que les mesures policières, des structures policières, des budgets échappaient à la vigilance des Parlements des pays d’Europe et de la Suisse, que faire d’une telle information ?). Que faire quand nous avons découvert que l’ONU, le HCR étaient vidés de leurs mandats, de leurs moyens (notamment budgétaires) alors que se mettaient en place en catimini des structures transnationales de contrôle militarisé des populations à grande échelle (organisation internationale des migrations, OIM) ?
Nous ne voulions pas d’une Europe de capitalisme absolu (Tosel), policière, militaire. Entre police, politique et humanitaire, nous avons pris le risque de formuler une approche politique pour l’Europe basée sur l’élargissement des droits fondamentaux et de la citoyenneté européenne, transnationale. Comment voir lucidement le mensonge politique ambigu de Schengen, renforcé par le mensonge politique de l’apartheid et ses conséquences, échapper à une philosophie de police militarisée, pour élaborer une philosophie politique pour l’Europe, une citoyenneté? Comment ne pas tomber dans le piège de ne parler que du paradoxe de la (non)présence bien présente, mais invisible des étrangers pour cacher les démantèlements et les transformations imposés à tous ? Dans ces lieux, nous avons découvert l’enjeu d’une redécouverte « démocratique » radicale, en nous affrontant à la violence quotidienne exercée par les polices sur des personnes concrètes dont nous tentions de défendre les droits. Au moment de la fondation du Groupe de Genève, « Violence et droit d’asile en Europe » (GGE) Nicholas Busch s’interrogeait : Police ou Politique ? La question est devenue une question stratégique pour les mouvements et dans les recherches.
L’ambiguïté induite par les mensonges politiques ne nous a-t-elle pas fait prendre au départ une piste théorique trop limitée pour tenter de nommer ce que nous avions devant les yeux ? Depuis les sciences politiques, nous avons tout d’abord tenté de qualifier une transformation de « régime » (catégorie héritée de la philosophie politique classique) en terme de « démocratie sécuritaire ». Le concept s’est révélé non seulement bien insuffisant, mais inadéquat pour décrire ce qui se passait. Il a émergé dans les année 1980, où intervenaient les transformations des politiques du travail, le démantèlement des services publics, du droit du travail, du droit de la santé, etc.. et plus silencieusement, par la libéralisation des politiques de la formation et de la recherche universitaire par l’imposition du modèle américain transmis par l’OCDE, comme l’a bien expliqué le professeur de l’EPFL Libero Zuppiroli[3].
Après-coup, on peut constater, accompagnant les développements du capitalisme européen et globalisé, un véritable tournant de sûreté sécuritaire militarisé accompagnant un « capitalisme absolu » (Tosel), qui s’est déroulé, non seulement dans les politiques de migration et du droit d’asile mais qui s’est étendu et s’étend à l’ensemble des secteurs des sociétés de l’UE et de la planète. Nous allons voir aussi qu’avec la « chasse à l’homme »[4] dans l’histoire de longue durée de l’esclavage et de la colonisation, comment des dispositifs, des outils mettent en œuvre les politiques d’expulsion sans destinée précise ou une quelconque autorité ou sans relais, ce qui en clair installe des millions de personne dans un statut de disparu. Les déboutés du droit d’asile et des politiques d’immigration expulsés sont donc inscrits dans l’ordre de la clandestinité, du « jetable »[5] et dans l’ordre des politiques de « disparition », comme on le voir plus loin à propos des transformations de la violence « extrême » en Amérique latine (ce fait ne se limitant pas à l’Amérique latine).
A cette étape, un choix de textes montrent que pour comprendre les dispositifs, les outils de la violence d’Etat, et le consentement imposé (question reprise dans la recherche sur le Service public, et dans les travaux sur l’ambiguïté de José Bleger, voir plus bas), les travaux sur Michel Foucault, de Gilles Deleuze lecteur de Foucault, de Derrida, Nicole-Claude Mathieu, Silvia Amati Sas, ont été très importants.
Un concept – apartheid – inventé pour nommer ce qui se passait en Afrique du sud en continuité avec le nazisme avait déjà été mis en avant par le politologue Laurent Monnier[6] pour illustrer la philosophie générale de ce tournant, enrichir, approfondir l’analyse des politiques migratoires caractérisées par la distinction national-non national (Sayad), l’Ueberfremdung ou « surpopulation étrangère » (loi suisse sur les étrangers de 1931), la xénophobie (Ebel, Fiala), le racisme, le sexisme (Guillaumin).
La notion d’apartheid, traduite par ailleurs dans une lutte contre le racisme d’Etat (Gruenberg, ONU), a permis un décodage pratique de l’Ueberfremdung (surpopulation étrangère) enrichi des travaux sur le racisme à l’époque des luttes anticoloniales et des féministes matérialistes,à la base d’une « double conscience »[7] induisant l’ambiguïté et le consentement et aussi l’évolution des rapports de classe/sexe/race. A l’époque, depuis la recherche sur l’idéologie raciste de Colette Guillaumin (1970, réédition en poche, 2000), qui a été une référence dans nos travaux, les recherches se sont multipliés, diversifiés, avant et après, notamment à partir des guerres anticoloniales (modèle gandhien et modèle insurrectionnel), de la color line de Gilroy[8], des post-colonial studies[9] qui s’essoufflent ( ?) devant la complexité des situations. La notion politique d’apartheid légitime à la fois les « sociétés de contrôle » (Deleuze) et la « gouvernance autoritaire » (Chamayou). Elle tisse par des dispositifs et outils multiples dans l’ensemble des rapports de pouvoir économiques, politiques, culturels, caractérisés, non par l’abus, mais par la violence allant aux extrêmes (Ogilvie, Balibar).
Aujourd’hui, demain
Aujourd’hui, pour lever les mensonges politiques, travailler les ambiguïtés, les consentements, en contrepoint de Schengen-Dublin-Frontex, et d’apartheid, un projet politique, culturel alternatif de l’Europe, du monde reste non seulement à décrire (ce qui a lieu avec la notion d’utilitarisme migratoire dans les travaux d’Alain Morice) mais en faisant un pas de plus pour imaginer, voir, théoriser en analysant, en intégrant les expériences de résistance, de solidarité, les tensions entre la liberté politique, la sûreté et la sûreté sécuritaire impliquant un passage entre la « violence d’Etat » à de nouvelles formes de « terrorisme d’Etat ».
Le tournant de Schengen a certainement affaibli les mouvements d’asile, pris entre un discours sur la liberté de circulation et la violence policière à laquelle il fallait résister en inventant des modes d’action collectifs qui mobilisaient beaucoup d’énergie face au consentement de l’apartheid (ex. permanences juridiques, refuges pour empêcher les expulsions, attaques de l’UDC).
Aujourd’hui, pour pouvoir être contemporains de notre époque historique, la présence du Covid-19 a certes l’avantage de déplacer provisoirement des débats sur les « ennemis » (étrangers, virus), les dangers, d’élargir la vision d’un mouvement et d’imaginer, de construire une autre Europe, un autre Monde avec d’autres. Mais un tel déplacement n’est pas suffisant sans intégrer un travail de mémoire critique.
En synthèse, le choix de l’ensemble des textes, matériaux historiques, actuels et de terrain présentés qui ont pu être réunis et présentés dans la partie II click en deux moments – de Schengen à Frontex et Résistance, Désobéissance civique, Solidarité trans-nationale – regroupe des faits, questions, cas, savoirs, discours, matériaux pouvant caractériser l’échec européen, le tournant de sûreté sécuritaire, l’émergence de nouvelles formes d’engagement, de luttes, de recherches de résistance et de solidarité locales, transcontinentales dans les années 1980 et après.
Nous avons pu vivre une expérience concrète aux frontières multiples, d’ambiguïté, observer à l’oeuvre les tensions, entre ce que l’on peut appeler une Europe de la « liberté-sécurité-justice » (dans les structures, les discours dont ceux de Tampere, les traités de Maastricht (7.2.1992), d’Amsterdam (2.10.1997), les 3 piliers, etc.) et une Europe des polices renforcée par les militaires (Europol, concurrence des polices).
Le tournant sécuritaire où les polices se sont militarisées dans l’UE et en Suisse pour contrôler les migrants et réfugiés, qui se développe auprès d’autres populations et sous des formes nouvelles et les mesures « anti-terroristes » avec septembre 2001[10], a détourné le débat sur la citoyenneté européenne, l’Europe politique des libertés, l’Europe sociale, tout en renforçant. par de nouveaux dispositifs et outils la nouvelle philosophie politique d’apartheid traduite dans l’outil des 3 et des 5 cercles qui a été mise en oeuvre à la fois en tri de la main-d’œuvre, en clandestinité structurelle et en expulsions, dans l’espace planétaire à la fois par la Suisse et l’UE. Dans l’après-coup, les aveuglements, les ambiguités face à l’étendue d’une telle normalisation de surexploitation, de sûreté sécuritaire étonne et inquiète. On peut en mesurer la pénétration d’une telle philosophie de la politique dans de multiples zones de la vie quotidienne presque généralisé (taxis Ueber, Airbnb, l’usage du personnel de ménage, de la santé, les prix des salaires de la main d’œuvre dans les services, l’agriculture, le retour du statut de saisonnier, etc.)
La proposition de l’organisation mondiale des peuples (Monique Chemillier-Gendreau), une nouvelle énigme?
Une telle philosophie d’apartheid expulsive, son application matérielle concrète impliquant de pouvoir décoder le mensonge politique ambigu de Schengen et de l’apartheid, le consentement à des politiques de violence extrême (la mort inclue dans les dispositifs, ce que montre la recherche sur le personnel du service public, voir plus bas), des professionnels, de la population, en a appelé dans les années 1980, en apppelle aujourd’hui, à une résistance « pour devenir plus humains » (Brina 2020), à développer des outils « d’alerte éthique » (Amati Sas, 2020), et plus largement à une philosophie et à une politique de construction européenne alternative, dont on trouve des impulsions, des tentatives, des essais, des traces dans les parties en cascade. Le passage de Schengen à Frontex, les atermoiements autour du dispositif de Dublin, du Pacte migratoire de 2019, les conditions infrahumaines dans les camps aux frontières de l’Europe[11] dans un contexte international, planétaire de grave incertitude que révèle le Covi19, le climat, indiquent l’urgence de projets, d’actions non seulement policiers, militaires, humanitaires mais politiques pour l’Europe. A quand la reprise, sur de nouvelles bases, de la question européenne ?
Il y a un avant et un après du Covid-19. Avec des risques (reprise du capitalisme à tombeaux ouverts ; renforcement du protectionnisme et du souverainisme ; gouvernances de la peur) et des perspectives d’actions. Le capitalisme arrivant à un nouveau point de rupture, ce que le Covid-19 et aussi la mémoire des XIXe-XXe siècle, le colonialisme, l’impérialisme, les guerres, les abyssales inégalités, les limites de la planète, etc., révèle le besoin urgent d’une alternative au capitalisme.
Ces réflexions sur Schengen-Dublin, l’apartheid trouvent un des débouchés pour ses embarras, ses apories, dans la perspective d’action ouverte par Monique Chemillier-Gendreau Pour un Conseil Mondial de la Résistance, en mars 2020, en plein Covid-19 à laquelle nous souscrivons. Sa proposition a été élaborée à partir de constats basés sur ses travaux sur le droit international. Elle contient 10 propositions sur les fondements « d’une société radicalement différente », des « principes indérogeables », l’évaluation de l’échec de l’ONU et des institutions internationales en place et son remplacement par une Organisation Mondiale des Peuples. Une telle proposition contient des énigmes nombreuses et mérite un large débat après un travail de mémoire et d’évaluation, dans un mouvement appelé à s’élargir, à devenir « transversal » avec d’autres (voir dans la partie consacrée à une réflexion sur l’hospitalité, avec les propositions formulées.
[1] Voir texte de M.C. Caloz-Tschopp en portugais au Brésil dans colloque Brepohl à Curitiba dans la base de données
[2] Durant certaines semaines d’une partie du travail sur le projet, les bibliothèques, archives diverses ont été fermées ou ont des fonctionnements limités à cause du corona-virus et pour un temps indéfini. On remarque qu’Internet garde peu de traces de certaines luttes qui ont été très importantes. A Lausanne en 1986, par exemple, lors du Refuge de St-Amédée, 2.500 personnes avaient signé un engagement personnel de désobéissance civique pour accueillir des réfugiés publié dans la presse (journal 24 Heures).
[3] Zuppiroli Libero, La bulle universitaire, Lausanne, éd. d’En Bas, dernière édition de poche 2020.
[4] Chamayou Grégoire, Les chasses à l’homme. Histoire et philosophie du pouvoir cynégétique, Paris, éd. La Fabrique, 2010.
[5] Ogilvie Bertrand, L’homme jetable. Essai sur l’exterminisme et la violence extrême, Paris, éd. Amsterdam, 2012.
[6] Rappelons que loin d’effectuer un travail conceptuel créatif, Laurent Monnier, en tant qu’enseignant universitaire, a abordé l’étude de mesures concrètes, comme par exemple, l’étude critique du « statut de saisonnier », action de formation pour laquelle il a reçu un « blâme » officiel du Conseil d’Etat du canton de Vaud.
[7] L’expression a été formulée par William E.B. Du Bois, in Les Âmes du peuple noir, Paris, La Découverte, 2007 (1903). Son interprétation ici, n’est pas le fait que le noir se perçoit dans les yeux de l’autre mais au sens d’une double conscience induite à l’ensemble d’une population ainsi séparée de la réalité « duale », d’apartheid structurant les rapports de pouvoir entre société d’immigration et migrants. J’ai parlé ailleurs de paroi de verre d’apartheid dans la vie quotidienne.
[8] Gilroy Paul, Against Race. Imagining Political Culture Beyond the Color Line, The Belknap Press of Harvard U. Press, Harvard 2000.
[9] Achille Mbembe écrit : « Le retour de la contre-insurrection va de pair avec le retour des logiques d’extraction dans la sphère économique et des logiques de racialisation dans le champ social » (voir note 35 avec 2 références), in Préface, réédition d’œuvres de Franz Fanon, Paris, La Découverte, 2001, p. 19.
[10] Derrida Jacques, Habermas Jürgen, Le « concept » du 11 septembre. Dialogues à New York (octobre-décembre 2001) avec Giovanna Borradori, Paris, éd. Galilée, 2003.
[11] La Suisse officielle « accueille »… 23 jeunes des camps de Grèce, alors qu’une pétition demande l’accueil de 5.000 personnes. On se souvient en 2016, l’attitude d’A. Merkel qui a accueilli 1.200.000 personnes en fuite (guerre de Syrie) et d’autres chiffres concernant la France, la Suisse (autour de 40.000 personnes, (voir Caloz-Tschopp 2016), chiffre qui a encore diminué dans la mise en œuvre) ; dans le même temps, la France accueillait 40.000 personnes (Caloz-Tschopp, 2016). Par ailleurs, elle accueille une mère sans ses enfants qui restent dans le camp.