TERRE ou TERRITOIRE. Les Mapas Parlantes et la construction de nouvelles territorialités en Colombie

Marie Thérèse FINDJI, docteur en sociologie de l’Université de Paris, professeure d’histoire contemporaine à l’Universidad del Valle en Colombie, membre du Mouvement Solidaire avec les luttes indiennes, co-auteur avec José María Rojas de l’étude “Territoire, économie et société Paez”, directrice de la Fondation Colombia Nuestra.

Le fait d’avoir fait partie depuis les années 1970 d’une expérience visant à recréer et rendre compte à la fois de réalités cachées, dans les montagnes des Andes du sud-ouest de la Colombie, me permet aujourd’hui de réfléchir sur les chemins parcourus et les défis qui traversent actuellement les territoires et les communautés indigènes et leur environnement socio-politique national.  Pour l’occasion, je vais faire référence à la co-création et à l’utilisation d’une série de sept Tableaux Muraux, connus actuellement sous le nom de Mapas Parlantes qui a eu lieu entre les années 1977 et 1985. Ils sont nés d’un dialogue permanent en particulier, mais pas seulement, avec les communautés paeces (aujourd’hui nasa) et guambianas (aujourd’hui misak) du Mouvement Indigène du Cauca.

Les Mapas Parlantes ont créé des espaces matériels de rencontre et de parole où se reproduisent les mémoires collectives. Leur conception et réalisation furent la première production de la Fondation Colombia Nuestra. Cependant, ses fondateursavaient déjà eu depuis 1971 des relations personnelles avec le Mouvement Indigène renaissant. Dans certains cas en raison de liens professionnels et dans d’autres à partir d’expériences de vie[1]. Et c’est parallèlement à cette invention des Mapas Parlantes que le Mouvement de Solidarité avec les Luttes des Indigènes voyait le jour à Medellin et s’étendait dans tout le pays, regroupant différents secteurs de la société colombienne : enseignants, femmes au foyer des nouveaux quartiers urbains, paysans, étudiants et professeurs universitaires, vendeurs ambulants, syndicalistes et intellectuels. Petit à petit, dans un aller et retour, nous avons construit l’idée que nous étions et sommes Solidaires. Revenir trente-cinq années plus tard sur ce qu’a représenté ce mouvement et la création des Mapas Parlantes nous conduit forcement à revisiter la conjoncture politique de l’époque et à nous interroger sur les transformations de la pensée politique des différents secteurs de la société colombienne ; transformations qui ont eu lieu alors ou qui restent à opérer aujourd’hui.

Dans cet article nous revenons sur certaines des stratégies qui furent développées dans des conjonctures spécifiques pour partager des réflexions pouvant contribuer dans le monde présent, à la construction de nouvelles territorialités porteuses de Vie, et en particulier à de nouvelles visions de territoire et/ou de luttes pour la terre.

  1. Réflexions d’hier et d’aujourd’hui sur le Problème de la Terre.

Sous l’égide des États Unis encore surpris par la révolution cubaine[2], toute l’Amérique Latine cherchait à adopter des lois de Réforme Agraire. La Colombie essayait alors à peine de mettre fin à la « Violence” entre les collectivités libérale et conservatrice des années 1950 lorsqu’en 1968, le gouvernement libéral de Carlos Lleras Restrepo a promu depuis le Ministère de l’Agriculture et par décret national, la création de l’Association Nationale des Paysans Usagers – des services de l’État (Asociación Nacional de Usuarios Campesinos, ANUC) son but : organiser les paysans afin qu’ils appuient la loi de Réforme Agraire votée en 1961, à laquelle s’opposaient les grands propriétaires terriens. Afin de moderniser les campagnes, le modèle de réforme agraire prétendait créer des propriétaires. Des propriétaires paysans avec au moins trois hectares, qui aient accès aux services de l’État. Il cherchait également à élargir le marché interne du pays grâce à l’accès aux intrants, aux semences et aux crédits.

Pendant que le ” Problème de la Terre” dominait la scène politique, la société colombienne souffrait les conséquences d’une croissance urbaine accélérée. Les effets des déplacements produits par la « Violence” ont été mis en évidence par le recensement national de 1964 qui enregistra pour la première fois dans l’histoire du pays, une population urbaine supérieure à la rurale. Jusque-là, plutôt que le développement d’activités industrielles, ce qui avait occupé la main d’œuvre d’origine rurale fut les travaux publics, la construction d’infrastructures (routes, énergie), la navigation sur le fleuve Magdalena et les chemins de fer ainsi que la construction de logements urbains. Entre temps, les conseillers politiques n’arrivaient pas à se mettre d’accord quelle était la  proposition préférable :  maintenir la population à la campagne à travers la réforme agraire ou augmenter la population des villes dans l’illusion de l’industrialisation[3].En 1964, les guérillas rurales s’étaient déjà organisées en réaction à l’exclusion de la participation politique de tous ceux qui ne faisaient pas partie des “collectivités” (expression de l’espagnol colombien de l’époque) du Parti Conservateur ou du Parti Liberal et qui cherchaient à promouvoir le développement d’une organisation paysanne “libre”. Les luttes ouvrières de la première moitié du XXème siècle avaient été violemment réprimées. De nombreux jeunes urbains universitaires inquietos[4] et/ou politisés dans les différentes fractions de la gauche se sont lancés à redécouvrir les problèmes nationaux à travers les campagnes ; profitant de la réforme agraire ils cherchaient à conscientiser les paysans.

  • Il y a peu, en 2016, le Problème de la Terre réapparait comme une affaire centrale dans le cadre des négociations du gouvernement national avec les FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) la plus ancienne guérilla contemporaine. Le premier point des accords de paix signés en novembre de cette même année, fait référence au “développement rural intégral” et le point 4 au problème du narco trafic et à la substitution des cultures d’usage illicite. En plus de cinquante ans les campagnes se sont beaucoup transformées mais elles occupent à nouveau la scène publique d’un pays qui lui a tourné le dos et a permis que toutes les guerres se développent sur son territoire (armée nationale, paramilitaires et guérillas).

Nous analyserons ces changements dans le Sud-Ouest de la Colombie où demeuraient d’importantes populations indigènes qui luttaient pour ne pas disparaitre.  L’organisation en immenses “haciendas” (grands domaines) et minifundio (parcelles minuscules) régnait dans cette région. Dans les haciendas, les communautés étaient encore contraintes de vivre et travailler sous le régime du terraje[5]. La figure des Resguardos indiens[6] demeurait avec des communautés affaiblies mais qui conservaient une mémoire de longue durée, une mémoire d’autres formes d’administration du territoire. Et ce fut du cœur de ces communautés de serfs de grands domaines (terrajeras) que surgirent les luttes et une forme organisationnelle inouïe : début 1971 nait un Conseil Régional Indigène du Cauca (CRIC)[7]. Rappelons quelques évènements qui ne sont pas que des anecdotes : suite à la troisième assemblée du CRIC (1973), l’arrivée à Bogotá d’indigènes des Plaines Orientales du pays à la recherche de cette organisation qui ne dépendait ni de l’Église ni de l’État, la participation de ces mêmes indigènes avec bien d’autres à la commission indigène du troisième congrès national de l’ANUC (1974) intéressés à ne dépendre ni de l’Eglise ni de l’État.[8]

De fait, pour la société colombienne de l’époque, la façon d’agir de ces communautés indigènes était très difficile à interpréter. Leur présence provoqua de grands questionnements et débats : Comment comprendre cette organisation indigène ? Serait-elle nécessairement syndicale ou politique ?

Si leur référent territorial était régional[9], son impact allait être national.

Dans la pratique quotidienne, la nouvelle organisation vivait certaines contradictions ; elle s’était donné pour nom conseil, mais avait adopté la structure des organisations syndicales des sociétés industrialisées :  un comité exécutif avec président, secrétaire et trésorier. Les petits Cabildos indigènes (destinés à disparaitre par la loi 89 de 1890) étaient très affaiblis mais ils n’avaient pas cessé d’exister.

Cette observation nous semble importante parce que les lectures plus largement diffusées sur la résurgence du mouvement indigène dans le Sud-Ouest colombien révèlent seulement le point de vue national de la Réforme agraire ou des  organisations politiques de gauche comme moteur de la dynamique sociale sans une mise en valeur  du patrimoine culturel propre de ses protagonistes (Caviedes, 2007; Archila, 2010; Peñaranda, 2012).

Ce ne sera qu’en 1979, quand le gouvernement national envisage une nouvelle façon de contrôler et d’abolir les communautés indigènes à travers son projet de Statut Indigène, qu’un secteur de ces communautés en lutte -moins intégrées ou avec une plus grande initiative organisationnelle[10]– forme le Mouvement des Autorités Indiennes du Sud-Ouest (MAISO) (Findji, 1992). Celui-ci reprendra la lutte pour la reconnaissance de leurs autorités traditionnelles, lutte qui sera basée sur les coutumes propres et le maintien de leurs territoires.

Le débat politique interne qui a lieu actuellement sur la question de la terre se situe donc dans la continuité de ce qui fut mis en évidence en 1974 avec la participation indigène au Troisième Congrès National de l’ANUC (Rudqvist, 1983). Quel rôle a joué le mouvement indien dans le cadre du mouvement paysan des années 1970 ? et aujourd’hui ?  Quelques-unes des questions toujours d’actualité sont : est-il possible de faire de la politique à échelle régionale, ou depuis les régions, dans un pays comme la Colombie, ou dans bien d’autres d’Amérique Latine, d’Afrique ou du Proche Orient, faits de peuples aux traditions diverses ? Ou n’est-il seulement possible de faire de la politique que dans le contexte national parce que l’État est uniquement conçu comme national ?

A cette époque, la consolidation de l’État national centralisé était en cours à travers la création d’institutions de planification nationale (1968) et une variété d’instituts décentralisés avec lesquels l’État intervenait dans plusieurs domaines ; ce avant l’ouverture néolibérale des années 1990[11] . Cependant les maires étaient encore nommés par l’État central. Ce n’est qu’en 1988 qu’auront lieu les premières élections populaires de maires et gouverneurs des départements. Il n’est donc pas surprenant qu’au cours de l’Assemblée Nationale Constituante de 1991 des débats autour de la structure de l’État aient eu lieu. Bien que ceux qui envisageaient un Etat fédéré n’aient pas réussi, le problème fut posé.

En ce moment même, au sein des organisations indiennes, l’on débat pour décider :

si le CRIC doit devenir national pour réaliser une meilleure interlocution avec l’Etat ;

si le Nunak chak[12] du peuple Misak (guambiano) se constituer en structure nationale mono- ethnique en vue des négociations avec le gouvernement national.

Comment promouvoir une reconstruction économique, sociale et culturelle de l’intérieur et dans la mouvance d’une expansion nécessaire de la population au-delà des resguardos actuellement situés en dans quelques municipalités de haute montagne?

Comment persister, continuer à vivre (“pervivir”) en tant que peuples dans le contexte latino-américain ?

Reprendre le fil des processus sociaux qui se sont déroulés et ont permis l’invention des Mapas Parlantes et leur incidence politique peut être utile, nous l’espérons (Findji, 1983,1991,1994, 2010; Bonilla, 1983). Peut-être même pour penser à des outils de dialogue pertinents pour les générations actuelles.

  1. Contexte et conditions de la cocréation des Mapas Parlantes

Entre les années 1970 et 1990, les différents courants des organisations rurales émergeantes s’organisaient dans le cadre d’une politique nationale, avec l’exception régionale des indigènes du Cauca, comme nous l’avons signalé plus haut. Eux disaient : “Nous sommes des paysans et nous sommes des indiens »[13]. Les indigènes du Cauca ne viennent ni de la jungle ni des côtes pacifique ou atlantique, ils sont directement et intensément intégrés au cœur de la société andine, aujourd’hui colombienne, depuis le XVIIIème siècle. Et être paysan signifiait être fier de nourrir les villes en cette période de croissance urbaine où la relation campagne-ville était bien différente de celle d’aujourd’hui.

C’est au quatrième congrès de l’ANUC à Tómala, en 1977 que finalement aura lieu la séparation entre l’organisation indigène et l’organisation paysanne qui s’étaient unis en 1974[14].

Nous ne rentrerons pas ici dans les détails de ce processus mais le fait est qu’aujourd’hui en Colombie être “indigène” ce n’est pas être “paysan” et les discours de l’identité sont persistants, aussi bien dans les espaces de l’académie internationale (Gros 2002, 2012), que dans les scenarios des organisations sociales et de l’État[15].

Il est important de nous pencher sur les difficultés d’interprétation qu’avait le reste de la société colombienne sur le mouvement indigène alors renaissant. Même les plus « progressistes » avaient internalisé l’idéologie avec laquelle s’était construite la conscience nationale : les indiens sont des « sauvages », et c’est pour cela qu’ils ne peuvent pas être intégrés à la République, à moins de 100 ans de son Indépendance (constitution de 1886)  et  loi 89 de 1890 qui les considérait juridiquement comme des mineurs et leur donnait 50 ans pour que disparaisse aussi  ceux des « resguardos réduits à la vie civilisé » (symbole d’un passé périmé, symbole de l’ère coloniale).

Logiquement, à partir d’une vision linéaire du temps, aussi bien l’Église catholique que le Parti Communiste, agissaient pour les intégrer dans la marche du « Progrès ».  Les indigènes en chair et en os, les paeces et guambianos du Cauca, percevaient et ressentaient cette démarche comme : ils veulent nous enlever de la Terre”, nous éliminer, nous exterminer. C’est ce qu’ils exprimeront en 1980 dans le Manifeste Guambiano[16].

Depuis 1978, des groupes de solidarité se formaient dans différentes régions du pays. Le premier, constitué par des femmes, toutes étudiantes d’anthropologie à l’Université de Antioquia à Medellín, a été lié aux luttes de Jambaló qui suivirent l’assassinat par le propriétaire terrien, des deux frères Casso à Guayupe. Ensuite, avec les luttes indiennes en général, d’autres ont surgi au sein de divers secteurs sociaux. Même parmi les solidaires il était difficile de ne pas lire simplement selon le discours dominant sur les paysans ils veulent nous enlever la terre, nous démunir d’un moyen de production Quand les fonctionnaires de l’INCORA[17] venaient légaliser les récupérations des terres, ils s’étonnaient qu’il y ait eu tant de luttes pour récupérer des páramos, lagunes, et versants escarpés de la Cordillère : des terres non aptes à l’agriculture, non cultivables. Bien sûr dans le même temps ont aussi été récupérées des haciendas, toujours situées sur les meilleures terres. Quant à nous, nous continuions à observer comment s’organisaient les récupérations, ce que faisaient des terres récupérées les communautés en lutte ; parcourant à pied, avec eux ces montagnes nous discutions beaucoup, nous écoutions les récits qui surgissaient sur le chemin face à des sites spécifiques, comme supports de la mémoire. C’est en marchant que nous avons peu à peu compris comment les indigènes récupéraient les terres en les travaillant, pour pouvoir ainsi continuer à les travailler et pouvoir de fait continuer à exister, dans un sens plus large, en tant que communauté. Ils défendaient la communauté. Ils voyaient le futur en tant que communauté. C’est pour cela qu’ils percevaient l’action de l’INCORA comme ce qu’elle était : la désintégration de la communauté.

Notre tâche principale fut d’interpréter (mot qu’ils utilisaient en espagnol quand ils voulaient dire : traduire) ce qu’ils disaient. Comprendre ce qu’ils ressentaient et ce qu’ils pensaient. Comment ils prenaient les décisions pour agir en communauté, quelles normes conscientes et inconscientes ils appliquaient d’après leurs usages et coutumes (l’avantage d’être née et d’avoir passé mon enfance en Egypte me rendait familière avec la vie au sein de communautés diverses, qui a cette époque là-bas vivaient ensemble en paix. Le fait d’avoir côtoyé l’histoire et la tradition biblique des 12 tribus d’Israël et de ses voisins, le fait de parler plusieurs langues et d’avoir expérimenté les problèmes liés à la traduction m’ont sans doute aidé à comprendre ce que sentait ces personnes humiliées et persécutées. Persécutées et massacrées comme la génération de mes grands-parents Arméniens). Mais ce qui y contribuait plus encore c’était l’hospitalité avec laquelle nous étions accueillis et qui nous faisait nous sentir comme partie intégrante de la famille, partageant le bon, le mauvais, le moins beau. C’est cette hospitalité qui permet de connaitre, de reconnaitre l’autre. Nous savons profondément qu’il n’y a pas de connaissance sans rencontre : de nombreuses traditions spirituelles nous l’apprennent et le fait d’avoir pu le vivre a contribué à la création des Mapas Parlantes.

Parcourir, marcher, discuter a été le processus le plus naturel pour rentrer en relation avec les communautés en lutte, tout en les renforçant dans leur démarche. La dispersion du peuplement dans la montagne répondait à la stratégie de fuite et de protection et se basait sur la tradition de la jachère[18]. Ils nous emmenaient d’une maison à l’autre pour nous faire rencontrer leurs Ainés (Mayores[19]), ceux qui maintenaient la relation avec la nature ou la mémoire des luttes antérieures, à travers laquelle ils avaient perpétué la mémoire des droits, comme on disait maintenant en espagnol ou en réalité la mémoire de la façon comme les gens “passent” par ce monde, comme ils entrent en relation avec la nature et avec les autres dans des espaces libres et sans limites.

Dans ces parcours, ces conversations autour du feu ou autour d’un plat de nourriture, un monde vaste, riche et divers : “à perte de vue[20], allant jusqu’où arrive la mémoire collective, devenait lisible. Cette mémoire vive que nous collections peu à peu avait aussi la particularité d’apparaitre à chaque récit d’un problème immédiat, concret, actuel : par exemple le vol de 4 sacs de pommes de terre dans une coopérative était renvoyé à Christophe Colomb, oh surprise ! Nous nous retrouvions face à une gestion culturelle du temps différente : pour eux le temps n’était pas linéaire, le passé n’est pas derrière dans aucune des langues américaines que nous connaissions, ni en nasayuwe (langue paez), ni en namrik (langue guambiana), ni en quechua, ni en aymara.

Cette gestion du temps en spirale nous a ouvert l’esprit vers une façon particulière de voir les luttes par certaines communautés indigènes et leurs différences avec la façon de voir des communautés paysannes. Il est possible que ces différences culturelles correspondent à des histoires de peuplement et de relationnel divers avec les formes successives d’Etat. Mais l’interprétation politique indigène avait des référents d’autonomie spécialement appréciés par les Arhuacos, mais aussi parmi les Paeces, des deux côtés de la Cordillère Centrale : à Tierradentro ou à Jambaló.

Bien que le gouvernement national soit déjà à Bogotá, pour les indigènes du Cauca, le « centre » c’était Popayán, la capitale d’où Espagnols et Propriétaires terriens étaient, pour eux, synonyme d’une même domination. Nous avions déjà remarqué dans les enregistrements des discours de la troisième assemblée du CRIC en juillet 1973 à Silvia qu’ils s’identifiaient ainsi : « Nous sommes des américains légitimes », comme l’ont aussi publié les grands journaux nationaux de l’époque.

Il s’agissait d’une identité politique faisant référence à une structure étatique qui, en fait, était toujours en vigueur dans les pratiques et les pensées de la classe politique du Cauca, affaiblie par la réforme administrative du début du XXe siècle, mais qui continuait à maintenir son pouvoir sur la population régionale. Le pouvoir était concentré dans les haciendas, haciendas de terraje, qui constituaient des territoires, domaines contrôlés par le propriétaire terrien, bien au-delà du simple fait d’utiliser la main d’œuvre indigène pour produire. En effet, dans ces territoires, le seul décideur était le propriétaire, ni le maire de la municipalité, ni le curé de la paroisse ne faisaient le poids.

La mémoire des titres de resguardos alors occupés par les haciendas encouragerait les récupérations de terres, mais on allait bientôt découvrir dans le Titre colonial de 1700 octroyé à Juan Tama (Título de los cinco pueblos), que l’institution des Cacicazgos fut le résultat d’une négociation avec les encomenderos et la tête l’Empire espagnol, comme un « accord de paix » suite aux premiers 100 ans de guerres des populations qui avaient peuplé la région (Bonilla, 1982, Findji et Rojas, 1985).

Mapa Parlante 4: “Le Pays Páez” des Cinq cacicazgos alliés par Juan Tama de la Estrella.

Dans le Titre, nous ne lisions pas Juan Tama comme un héros dont la mémoire devait être sauvée pour mobiliser des masses ; le document colonial a été soumis à une analyse de la stratégie politique mise en place dans un contexte de post-conflit de la Conquête, dans les conditions qu’avait dû vivre ce dirigeant de chair et d’os. Cette analyse d’un document manuscrit dans la calligraphie de la langue espagnole de cette époque, que nous seuls pouvions faire, allait nous permettre d’entrer en dialogue avec le référent de Juan Tama vivant dans la mémoire orale des communautés et mal interprété par les missionnaires catholiques et les anthropologues, en termes de mythe dans le sens vulgaire et dévalorisant du terme.

En réalité, cette recherche lettrée nous a aidés à comprendre les comportements pratiques de la démarche politique indigène de la récupération des terres. Nous avons constaté qu’ils étaient opposés au morcellement des terres récupérées préconisé par l’INCORA, ils poursuivaient la réintégration des terres au domaine du resguardo et de son Cabildo. Parce qu’à cette époque, la conviction que les terres étaient communales était bien vivante. Et encore aujourd’hui, il y a beaucoup de gens qui s’identifient comme «comunero» dans les resguardos.

Peu à peu, nous allions réaliser que l’idéologie indigène qui attirait étudiants, syndicats et autres organisations non-indigènes qui étaient venus se solidariser avec les luttes indiennes, s’exprimait en termes de reconnaissance de notre appartenance commune à la Terre : l’air, l’eau et la terre sont pour tout le monde. Nous ne faisons que passer sur cette planète et nous devons laisser aux générations futures ce que nous avons reçu, dans les meilleures conditions. Avec un corollaire : la terre doit avoir une autorité qui maintienne cet ordre, cet équilibre. En fait, les terres récupérées étaient réintégrées aux resguardos, transformant la fonction des Cabildos, bien que leur usage restât au niveau familial, par commun accord trouvé lors des assemblées communautaires. La terre est communale, elle a une autorité. C’est le monde dans lequel nous vivons, dans lequel nous travaillons, dans lequel normalement nous « passons ». Pour maintenir l’équilibre, l’autorité doit être liée à la nature, elle doit être sensible à ses signes[21] , disposer pour cela de plantes silvestres qui poussent dans les zones qui ne peuvent pas être cultivées et près de ruisseaux, lagunes, montagnes : Cet équilibre nécessite aussi de ressources spirituelles et pas seulement des biens matériels « techniquement » produits ou utilisés comme des marchandises. Cette vision qui alimentait les pratiques des différentes communautés indigènes en action collective nous a conduit à les « interpréter » comme luttes pour le territoire par opposition aux luttes paysannes pour la terre.

  1. Les Mapas Parlantes: langages et espaces de reconnaissance mutuelle

Ces parcours physiques et mentaux avec des personnes et des communautés indigènes du Cauca et bien d’autres, auxquels nous avons fait allusion dans les paragraphes précédents, sont antérieurs à la création de cet outil. Ils n’ont pas été faits à partir d’un objectif de projet Mapas parlantes.  Ce fut la rencontre qui fit naitre cette cocréation au moment où elle était nécessaire. Les Mapas Parlantes n’ont jamais été un moyen pour collecter des informations dans un territoire inconnu, bien au contraire.[22] Ils se sont constitués comme un langage qui permettait le dialogue, le dialogue entre ce que vivaient les uns et les autres, indigènes ou non. Un langage commun, un langage de solidarité dans la conviction que la solidarité est à double sens et éclaire l’action des uns et des autres. Lorsque nous les avons créés, nous parlions de tableaux muraux. Ce n’est que plus tard, et je ne sais ni par qui ni quand ils furent baptisés : « Mapas … Parlantes ». On dirait « cartes », quand il a fallu parler aux représentants de l’Etat, lorsque les négociations avec l’INCORA ont été entamées sur les terres récupérées. Les avocats parlaient de délimitations de propriété, ils ne parlaient pas de construction historique du territoire. Lorsque nous parlions de « tableaux muraux» dessinés, nous avions les référence de la tradition ancienne exprimée  sur les pyramides mayas ou les totumos[23] des Andes centrales, sur les façades des cathédrales médiévales occidentales, dans les textes précolombiens mexicains, dans ceux de Guamán Poma de Ayala ou dans l’art de l’Islam. Différentes traditions d’expression de ce que la vie nous a appris ou ce que nous voulons partager. Nous ne cessions d’admirer la facilité avec laquelle dessinaient les illettrés depuis l’expérience de collecter les dessins qui sont apparus dans la première publication du CRIC par exemple, Nuestras luchas de ayer y hoy (1973).

Dans le cas des Mapas Parlantes, les dessins n’étaient pas l’œuvre des indigènes. Le travail des indigènes était leur pensée, leurs savoirs, leurs récits, leurs parcours, leur façon de voir, de sentir et de le partager avec nous à travers ce dialogue. Ce furent les dessinateurs du Groupe de Solidarité de Cali – artistes réunis à l’Atelier el Búho ou à l’Université del Valle, plusieurs d’entre eux formés à l’Institut de Culture Populaire de Cali qui ont réalisé les croquis des « scènes” qui constituent la matière première, les unités de base des Mapas Parlantes. Ces scènes identifiées tout au long des conversations et des marches déjà évoquées et qui nous ont paru significatives des différents aspects de la vie quotidienne de ces communautés. Certains dessins de ces scènes étaient réalisés directement avec un groupe de personnes de la communauté et d’autres, présentés sous forme de croquis puis validés avec eux.

Le dialogue avec les dessinateurs fut important, il donna lieu à des corrections et à une évolution des tracés. Nous ne nous arrêterons pas ici sur le sujet[24]. Pour sa part, la Fondatión Colombia Nuestra a contribué à la conception de l’ensemble de la série et aux exercices de localisation des différentes scènes dans l’espace qui fut faite également en dialogue avec certaines communautés, en particulier les paeces (nasa) de Jambaló, Munchique, la Paila, Caldono, Novirao et Tierradentro.

Revenons sur le sujet de la traduction conceptuelle réalisée, opérée à travers les différentes étapes de nos échanges dans la mise en relation avec les communautés indigènes et les secteurs critiques de la société colombienne. La vie des gens se déroule sur un territoire. Le territoire change au fur et à mesure que les relations des personnes avec la nature et entre elles changent. Le territoire est le monde vaste et libre, comme l’a dessiné le gouverneur du resguardo paez de Jambaló, Luciano Quiguanás, en janvier 1979 lors d’une réunion avec un syndicat ouvrier de Yumbo (près de Cali). Un cercle où nous nous déplacions librement ; quand les Espagnols sont arrivés, ils l’ont divisé, ils nous ont enfermés dans des cases. Lors de la Marche à Bogota des gouverneurs indiens du sud-ouest de 1980 ce dessin allait devenir le bouclier paez à côté du drapeau de guambia.

La traduction de l’idée de territoire impliquait dès le début l’existence de plusieurs tableaux muraux, pour avoir la possibilité de comparer. Passer d’un tableau à l’autre pour répondre à certaines questions que les communautés, et non les individus, se sont posées : comment se fait-il que nous soyons arrivé à la situation actuelle ? Qu’est ce qui a changé ? Qu’est-ce qui s’est maintenu comme « propre à nous » ? En fin de compte, qui sommes-nous ?

La série des 7 Mapas parlantes comprend certains tableaux qui représentent  le même territoire dans différentes strates du temps.

Mapa Parlante 1 : Ainsi était notre terre (avant que n’arrivent les colonisateurs espagnols depuis Quito, vers 1535), version couleur digitalisée postérieurement.

Mapa Parlante 3: Sous la domination étrangère (Colonie consolidée du XVIIIème siècle, l’époque de Juan Tama)

Mapa Parlante 7 : « Alors que la Colombie grandit » (1920-1970 dans le contexte national qui entoure la naissance du mouvement indien dans le Cauca)

Dans l’espace, apparaissent les mêmes référents naturels du territoire -entre le fleuve Magdalena et le Cauca- qui fut administré de différentes manières depuis Popayán, aussi bien à l’époque précolombienne qu’à l’époque des colonisateurs espagnols. L’orientation des tableaux muraux vers l’est, vers le soleil levant était plus qu’une convention : les indigènes sont orientés, ils vivent orientés selon les points cardinaux. Aujourd’hui dans les rituels ressuscités ou réinventés, l’offrande aux 4 vents est maintenue dans toutes les Andes. Et lorsqu’on sortait les tableaux muraux pour travailler à leur lecture et projection en communauté, on voyait toujours comment ils les accrochaient, à ciel ouvert ou sur un mur de façon que le soleil qui y était dessiné soit vers l’endroit où il se lève dans la réalité.

Le graphisme des empreintes des pas sur les chemins de terre a été particulièrement perçu et approprié, ratifiant le sentiment d’un territoire qui n’est pas défini par ses frontières mais par la circulation qu’il favorise, les relations – amicales ou conflictuelles – dans lesquelles évoluent les diverses personnes qui y habitent. Au cours du long processus d’élaboration matérielle des 7 tableaux muraux (1977-1985), cette conception du territoire que nous voyions s’exprimer dans les formes de lutte de certaines communautés indigènes, a commencé à apparaître et à se développer.

MP5 « Lorsque la Colombie est née » c’est uniquement le temps, temps d’une perception plus propre des communautés originaires, qui identifie à sa manière la « Conquête, colonie et République » de nos manuels scolaires à une seule réalité : la pensée et les pratiques coloniales.

Les tableaux pairs correspondent aux actions des communautés dans chacune de ces situations :

 MP2 – « les guerres de libération indigène » (1535-1623) correspondent à une autre territorialité, celle des deux voies que les colonisateurs ont cherché à sécuriser pour relier Quito à Bogotá ;

MP4.- « Le pays Paez au temps de Juan Tama » (1700) résultat de l’action politique avec des encomenderos de Popayán et de l’administration de l’état à Quito avec la concomitante adoption tardive de la figure des resguardos transformée par la reconnaissance des Cacicazgos, une innovation dans la région de Popayan.

MP6.- « La Quintinada », le mouvement social indigène du début du XXème siècle (quand prennent fin les États-Unis de Colombie et se développe la République unitaire centraliste)

Dans les temps des tableaux muraux que nous venons de mentionner, il convient de reconnaître la contextualisation fournie par « ceux de l’extérieur ». La première Mapa Parlante n’est pas celle des origines, elle présente la situation il y a seulement 450 ans ; les Espagnols qui ont imposé la domination sont des exploitants de mines, des commerçants d’or et d’esclaves de l’époque de Juan Tama. Dans La Quintinada, en revanche, peu de scènes font allusion au contexte politique national, la conception privilégie la dynamique du mouvement social, la territorialité qui lui a donné force et faiblesses. Les scènes des principales actions de Quintín Lame (1910-20) ont été situées réellement dans l’espace et le résultat fut une composition en spirale. Un résultat de cette pratique de parcourir et connaitre le territoire. Nous n’avions pas encore le concept de la spirale dans la pensée indigène dévoilé par une recherche anthropologique ultérieure. Ces temps, ces moments ne représentent pas la vision temporelle nasa que nous avons signalé plus haut. Ce ne sont pas les deux temps de la « Conquête » et de la « Violence » ; ce sont des conjonctures politiques sans lesquelles il n’est pas possible d’analyser les actions entreprises par les communautés de l’époque, par les Anciens en chair et en os, dans les autres Mapas parlantes.

Le dernier tableau, intitulé « Alors que la Colombie grandit » (1920-1970), situe le territoire du Cauca avec les mêmes repères mais inséré dans la construction politique nationale et mondiale (avec la fusée spatiale nouvellement lancée par les Russes). Il est montré dans la désolation dans laquelle il s’est retrouvé suite aux nombreuses violences subies. C’est dans ce contexte que surgit le CRIC.  Les luttes et les processus organisationnels des 50 dernières années n’ont pas été dessinés alors, ils étaient à peine en cours.

S’il y avait un intérêt à reprendre cette méthodologie pour produire ces “Mapas Parlantes” manquantes il faudrait approfondir l’interprétation de ce qu’elles ont pu être ; il est nécessaire de réfléchir au fait ou à l’idée qu’elles n’étaient pas simplement une technique de communication avec des illétrés parlant d’autres langues.

En ce sens, il est surprenant de constater une récente réédition de l’Histoire politique des Nasa » avec des illustrations des Mapas Parlantes qui n’intègre pas le dernier tableau (« Alors que la Colombie grandit ») et consacre peu d’espace au premier de la série (Bonilla, 2014 et 2018),  Le langage des dessins organisés dans l’espace territorial entre les fleuves Magdalena et Cauca, qui structurent la géographie contrôlée par l’Etat national mérite d’être entendu et observé à travers ses usages. Examinons de plus près ce qui se passe lorsqu’ils sont utilisés.

Alors que les scènes se réfèrent toujours aux activités quotidiennes et concrètes dans lesquelles les personnes peuvent se reconnaitre, leur organisation dans le tableau mural facilite l’utilisation du  « globe », de la totalité, l’ensemble, comme l’exprimaient les paeces de Jambaló dans leur espagnol de l’époque : el globo. Autrement dit, l’utilisation d’un concept de territoire, pour mieux analyser (d’une manière plus complexe) la situation et permettre ainsi de s’entendre sur des actions collectives pertinentes. Avec un corollaire observé dans les multiples et diverses sessions d’utilisation des Mapas parlantes, à l’époque et maintenant : cette conception n’induit pas un ordre de lecture spécifique. Selon les circonstances et les intérêts des personnes, celles-ci démarrent ou passent d’une scène à une autre dans un ordre différent, mais dans tous les cas elles commencent à parler. Le dessin devient le support matériel de la mémoire orale et permet en même temps à la communauté de reconnaître différents protagonistes sur le territoire (Findji, 2010).

Nos grands-parents, nos aînés existaient, ils se déplaçaient, bougeaient, ils ont créé beaucoup de vie, dans les différents domaines où elle se manifeste : chasse, pêche, cultures, formes de stockage ou de transformation, jeux, médecine, rituels funéraires, constructions, villages et villes. Nous aussi, nous sommes des gens, nous avons le droit d’exister !  Et aujourd’hui, dans le vocabulaire colombien, public et privé, beaucoup de communautés indigènes sont nommées dans leur langue, avec le mot signifiant « gens » : nasa au lieu de paeces, misak au lieu de guambianos, wayu au lieu de guajiros, malgré la détérioration de l’utilisation des langues amérindiennes dans beaucoup de communautés. Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui ? Pas tellement les techniques de culture du maïs et d’autres fruits de cette terre, mais le sens des circulations, la destination du travail et des récoltes. Par exemple, une figure centrale sur le tableau mural « Sous la domination étrangère » est une scène dans laquelle on voit les personnages qui ont collecté les tributs à Tierradendro et l’emmènent à cheval à Popayán. Comme exemple de lecture, beaucoup d’entre eux voyant cette scène ont dit : “ c’est comme ce qui arrive maintenant avec le propriétaire terrien”. Il ne s’agit pas d’enseigner l’histoire coloniale ou contemporaine – bien que les détails soient documentés – il s’agit de faciliter la récupération de la pensée « avec sa propre tête » (pensar con su propia cabeza) dans le va-et-vient temporel et spatial que cela exige. Se souvenir, comparer, rechercher les causes et les effets des actions des différents groupes sociaux qui vivent et transforment le territoire.

 À cette époque, les Colombiens non-indigènes se demandaient aussi : qui sommes-nous ? Comment sommes-nous devenus qui nous sommes ? Dans les groupes de Solidarité avec les luttes indiennes il y avait aussi beaucoup de remises en question. Sortant tout juste de la courte période historique dans laquelle ils avaient été élevés, ils cherchaient à comprendre comment leurs familles s’étaient formées, d’où ils venaient, qu’est-ce que signifiait leur nom de famille. Est-ce que le fait d’être peuple c’était seulement venir d’en bas, avec peu d’alternatives pour surmonter le ressentiment et la violence ? Se reconnaître sur le territoire a été la principale action politique qu’a facilité l’utilisation des Mapas Parlantes, couplée à d’autres initiatives qui ont eu lieu dans les contextes urbains. Nous nous sommes reconnus nous-même, nous découvrions qui nous étions et comment nous étions devenus qui nous sommes.

L’important pour notre réflexion d’aujourd’hui est de souligner que tous ces processus de reconnaissance mutuelle se sont faits directement, face à face, entre des personnes des communautés et des personnes de la société civile, rurale ou urbaine. Ils ont eu lieu dans des manifestations et dans des réunions, lorsqu’ on visitait des usines avec des ouvriers en grève ou non alors qu’ils expliquaient ce qu’était le travail industriel, durant des festivités traditionnelles avec des danses et des chants d’afro-descendants tels que ceux de Puerto Tejada (près de Cali), ou quand les indigènes étaient accueillis dans les maisons et nouveaux quartiers populaires des villes. Tout cela a eu lieu sans intermédiaires : Aucun parti politique national, aucune organisation armée, aucun groupe des multiples gauches fractionnées, aucune église pour le promouvoir.

A travers la construction et les multiples usages des Mapas Parlantes un langage a été créé, permettant la compréhension mutuelle, et l’ouverture à une cause d’intérêt commun : la nécessité de repenser ce jeune pays. C’est ainsi que chacun de ces tableaux a représenté un outil, un langage commun, qui a facilité l’échange, les conversations, les rencontres et les reconnaissances.

IV. Réflexions sur le problème du Territoire, avant et après l’Assemblée Nationale Constituante de 1991 (ANC)

Après avoir développé les dialogues autour de la nature territoriale des luttes indiennes dans les exercices de production et usages des Mapas Parlantes, il est important d’analyser de plus près comment ont eu lieu les changements dans l’institutionnalité des Cabildos dans leurs relations initiales avec l’État. Rappelons que la pensée indigène exige une autorité sur la communauté pour faire partie d’un territoire en maintenant son équilibre

« Dé-barbeler, dé-barbeler » (desalambrar) était l’une des chansons les plus connues à l’époque des récupérations de terres des années 1970, Reprendre possession des terres détenues par les grands propriétaires terriens, c’était la lutte commune des paysans, indigènes ou pas. Du côté de l’Etat, la réforme agraire du gouvernement national avait abouti ou aboutirait finalement à donner des titres aux terres sans maitre (titular baldíos), ces terres nouvellement colonisées, non intégrées au domaine moderne de la propriété privée en tant que garante des droits des citoyens et des services de l’Etat. L’INCORA a légalisé la propriété de paysans déjà en place la plupart du temps. Mais l’idéologie des paysans en tant qu’utilisateurs des services de l’Etat a continué à pénétrer les différents secteurs paysans organisés. Au milieu des luttes idéologiques contemporaines, les communautés indigènes ont maintenu l’idée de leur propre politique –selon laquelle reprendre possession de leurs terres ce n’était pas nécessairement devenir un propriétaire qui vit de l’agriculture ou de l’exploitation minière. Appartenir en tant que communauté à un territoire, c’est  l’avoir habité, l’avoir connu, l’avoir nommé, l’avoir aménagé, avoir développé une culture commune, s’y reconnaître en ce que nous sommes face au monde entier. La série de Mapas parlantes a permis aux gens de situer leurs expériences dans le monde, dans le même territoire géoréférencé par ses collines et ses fleuves, mais qui avait changé et a continué à changer en fonction des relations socio-politiques qui s’y produisent entre eux et avec d’autres.

L’expansion de la frontière agricole avec une colonisation spontanée ou dirigée a précédé la nouvelle vague générée par l’économie mondiale des armes et de la drogue, avec de nouvelles formes de contrôle territorial des groupes armés. Alfredo Molano a reconstruit la vie des déplacés qu’il rencontrait dans les plaines de l’est du pays, toujours obligés à se déplacer à nouveau (entre autres, Molano, 2001); se déplacer entre la campagne et la ville, s’ingénier à trouver diverses activités de débrouille pour survivre au jour le jour, comme journaliers agricoles ou d’économie « informelle ». Aujourd‘hui néanmoins, de nouvelles générations sont nées et se considèrent originaires des nouveaux départements du Caquetá ou du Meta et non plus des territoires nationaux de l’ancien ordre politico-administratif de l’état.

Finalement, si la mise en œuvre des récents accords de paix avec les FARC signés en 2016 parle de « restitution des terres » aux victimes des conflits, elle se concentre plutôt sur la légalisation de la propriété de la plupart des habitants ruraux qui n’ont pas d’écritures publiques dûment enregistrées chez les notaires ou sur un cadastre.

Pendant ce temps, dans le Sud-Ouest, le processus de récupération des terres était mené par les populations autochtones et a conduit à une importante transformation socio-politique. Les petits Cabildos moribonds des années 1970 ont été transformés par les communautés en Cabildos en lutte dans la mesure où ils appuyaient les luttes des communautés terrajeras, avec une diversité d’expériences. Ce que ces Cabildos en lutte ont en commun, c’est qu’ils unifiaient différentes communautés Nasa ou Misak dans chacun de leurs resguardos – des comuneros libres et des terrajeros – en plus de rentrer à nouveau en relations entre eux. C’est ainsi qu’ils en sont venus à organiser une Marche des gouverneurs de resguardos à Bogota en novembre 1980, lorsque le gouvernement national avait pris la décision d’exiger aux Cabildos qu’ils demandent un statut juridique de type association ou syndicat. C’était l’époque des Statuts de sécurité[25] et le gouvernement national avait voulu aussi faire adopter un statut indigène, comme nous l’avons déjà souligné. Des expériences de cette Marche allait émerger le Mouvement des Autorités Indiennes du Sud-Ouest privilégiant l’expansion des relations entre les peuples originaires du Cauca, du Nariño et certains du Haut Putumayo (Findji, 1992).

Deux ans plus tard, lorsqu’un nouveau président de la République est entré en fonction, la principale confrontation était entre l’État et les guérillas qui se multipliaient ou se renforçaient. Le président Belisario Betancourt avait en vue un dialogue pacifique avec celles-ci. Dans les montagnes du Cauca, alors comme avant et après, plusieurs de ces communautés indigènes en lutte avaient des relations avec les guérillas pour défendre leur politique d’autonomie et de contrôle du territoire, réalisant de véritables débats au niveau local ou régional sur le sens et les raisons de leur revendication.

En novembre 1982, le Mouvement des Autorités indiennes du Sud-Ouest a invité le nouveau président à la clôture de sa troisième assemblée, à Silvia dans le Cauca. Le président a d’abord rencontré les gouverneurs indigènes à huis-clos et leur a annoncé qu’il retirait le projet de statut indigène de son prédécesseur. Mais ce dont tous se souviennent encore aujourd’hui, c’est la mise en scène du président de la République avec le gouverneur de Guambía et le gouverneur Paez de Jambaló, sur la même estrade, sur un gigantesque bouclier paez dans l’ancienne arène de l’hacienda récupérée de las Mercedes, à Silvia.

Ce que peu de gens savent, c’est que pour que le président de la République accepte l’invitation du Mouvement des Autorités Indiennes (MAISO), un changement de répercussions ultérieures majeures  dût avoir lieu : la reconnaissance du caractère d’entité de droit public spécial des Cabildos indigènes. Il ne sera visible qu’en 1985, lorsque l’illustre gouverneur du département du Cauca, Diego Castrillón, effectua solennellement la restitution des terres légalisées au Cabildo du resguardo de Guambía, rebaptisées Santiago en mémoire de Santiago Calambás, éxécuté au début du siècle. Cela a conduit à la transformation de la politique de l’INCORA : les unités familiales individuelles n’étaient plus tracées et les entreprises communautaires n’étaient plus promues. L’État réintégrait ces terres à la juridiction spéciale des resguardos, et à leur tête leurs Cabildos. Il ne s’agit pas d’évaluer si cette mesure a résolu le problème de la terre pour les familles guambiana. Bien sûr que non. Ce qu’elle a marqué c’est une transformation des relations politiques entre ces communautés indigènes en lutte et le gouvernement national. Cette politique allait s’appliquer ensuite à toutes les terres de resguardo récupérées. Une transformation que ne se sont pas nécessairement appropriée les communautés d’aujourd’hui lorsqu’elles considèrent ces domaines propriétés du Cabildo comme si les Cabidos en étaient les propriétaires et non pas chefs de communauté.

 Ceci fut un événement, bien que pas très médiatisé ou décrit par l’Académie. Il a servi à mettre sur la scène politique une volonté d’établir une relation d’autorité à autorité avec le gouvernement national afin d’établir une politique de reconstruction économique et sociale des peuples originaires ; reconstruction exigée comme réparation après près de 500 ans de guerre.

En même temps, la présence d’une diversité de communautés et de secteurs solidaires a réaffirmé la reconnaissance mutuelle de la diversité de leur patrimoine de traditions culturelles et de formes organisationnelles. Elle n’était pas un obstacle pour qu’elles se retrouvent dans des accords et alliances unitaires. Le même modèle – horizontal – a été préconisé pour la relation entre les communautés et les organisations : d’autorité à autorité. Cette pensée avait déjà été exprimée dans le manifeste Guambiano et a été démontrée dans l’invitation à d’autres organisations telles que le CRIC qui fit sa première réapparition publique dans le Cauca après la dispersion dûe à la forte répression à laquelle avaient été soumis depuis 1979 certains de ses dirigeants ou collaborateurs liés à la guérilla du M-19.

Le résultat immédiat de cette réunion a été que dès lors les fonctionnaires nationaux n’allaient plus entrer dans les zones indigènes, comme si de rien n’était, comme chez eux et ont adopté le protocole de saluer les Cabildos en premier et les mettre au courant de la raison de leur venue ou de leur programme. L’un d’eux fut très important : le plan national de réhabilitation (PNR) inauguré par ce gouvernement pour les guérilleros amnistiés, mais qui s’est développé et fut ensuite prolongé jusqu’à l’Assemblée Constituante (1991). Pour l’État ce furent 10 ans d’expérience et d’apprentissage pour faire acte de présence dans les régions les plus défavorisées du pays, là où les conflits armés avaient eu le plus d’impact.

Les transformations de ces pratiques de mise en relation entre les programmes nationaux de l’État et la reconfiguration des communautés indigènes (dans notre cas) n’ont pas été suffisamment analysées. Et cela donnerait sûrement des lumières sur les transformations des mouvements sociaux après la Constituante.

Cependant, à l’intérieur, la tâche des nouveaux Cabildos en lutte n’allait pas être facile : unifier les communautés comuneras et terrajeras et autres habitants du resguardo reconstitué autour d’eux. Plusieurs confrontations internes ont eu lieu, notamment autour de la conception de la propriété foncière : propriété communale, concession globale comme cela avait été fait à Jambaló (Findji y Rojas, 1985) dans la continuité transformatrice de l’ancien rôle des Cabildos de resguardo ou en transit vers l’idéologie dominante de la propriété privée, à travers l’achat d’améliorations apportées aux terres (compra de mejoras) ou  la révision des titres de propriété (politique de saneamiento : assainissement des resguardos). Il faudrait analyser plus en détail ces pratiques et ces moments, mais nous voulons simplement faire acte de ce jalon important de la transformation des Cabildos précédant l’Assemblée Nationale Constituante de 1991.

La lutte – sociale et politique à la fois – des communautés indiennes organisées et en lutte de l’époque cherchait la reconnaissance de la République de Colombie, dont elles n’ont jamais cherché à devenir indépendantes.  Fondamentalement, c’est ce qui les différenciait alors des luttes des paysans et des colonos qui, aussi abandonnés par l’État qu’ils soient, étaient constitutionnellement considérés comme des sujets politiques de la République en construction. C’est du moins ce qu’on a vécu à l’époque et ce qui a conduit le Mouvement des Autorités Indiennes du Sud-Ouest à participer à l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) de 1991.

La présence indigène au sein de la Constituante a été une grande surprise au niveau national et inattendu pour les communautés de base du Cauca (bien que la grande majorité des délégués étaient originaires du Cauca). L’opinion publique a donné la plus grande visibilité à Lorenzo Muelas, un paysan-indien, fils d’une famille terrajera, qui avait fait sa vie en dehors du resguardo – tandis que d’autres membres de sa famille continuaient à vivre dans le Grand Chiman, maintenant le contact avec le territoire. Il avait vécu parmi les paysans et paeces avec lesquels ont commencé les luttes du CRIC auxquelles il participa et en raison desquelles il s’est réintégré à son resguardo de Guambía au point que la communauté, en voie de réunification, l’a élu gouverneur (1985). Il a participé au Mouvement des Autorités Indigènes (MAISO), qui l’a envoyé comme son représentant à l’ANC avec un objectif clair :  faire reconnaître les territoires indigènes, les terres communales ayant une autorité (Findji, 1994).

Le premier résultat de l’ANC fut de prendre acte des transformations sociales et politiques du pays depuis la précédente Constitution de 1886 et de redéfinir la Nation comme pluriculturelle, comprenant les peuples indigènes jusque-là exclus. La perception immédiate – largement diffusée par les médias – était celle d’une reconnaissance, de l’abolition du statut juridique de mineurs qui était jusque-là conféré aux indigènes par la république de Colombie en construction. L’analyse de la relation entre les engagements pris à la fin de l’ANC et les luttes sociales antérieures auxquelles nous faisons référence lorsque nous parlons de l’expérience des Mapas Parlantes dépasse les limites de cet article, mais pourrait être un bon point de départ.

Si nous examinons de plus près le libellé des articles de la Constitution, nous pouvons observer les « traductions-trahisons » opérées. Il est déclaré art.7 que l’État de droit « reconnaît et protège la diversité ethnique et culturelle de la Nation colombienne » (c’est moi qui souligne). Le CRIC ou le MAISO n’avaient jamais été des mouvements ethniques et encore moins mono-ethniques.  Ce que l’on savait dans les années 1970, était que « le CRIC est ainsi parce que le Cauca est ainsi ». La lutte indigène n’était pas pour elle-même, elle n’était pas pour les minorités marginales, elle était pour le monde dans lequel elle est inscrite. Tout change lorsque les communautés et les peuples indigènes ou afro-descendants sont classés comme des « ethnies » qui doivent être protégées. Ils ne sont pas des sujets, des protagonistes de leur propre destin, pouvant être en relation d’égal à égal, collectivement ou en tant que citoyens individualisés. Ils sont alors considérés, comme aujourd’hui, comme des personnes vulnérables auxquelles il faut prêter une assistance humanitaire. Parler de communauté ou parler de peuples pour intégrer le Cauca dans le pays poserait alors un danger, mais il est temps de se demander un danger pour qui.

 Parler d’ethnies c’est le meilleur moyen de dissocier les peuples et les personnes de leur territoire, de la culture qu’ils ont construite ou construisent. En fait, cela va à l’encontre de la diversité bio-culturelle que l’on cherche à affirmer ou à défendre. Ramenons à la réflexion actuelle ce qui s’est passé à la fin de la Constituante. Rappelons-nous de l’article 55 transitoire, développé durant le Petit Congrès qui a suivi et dans la Commission d’Aménagement Territorial présidée par le sociologue Orlando Fals Borda qui échoua quelques années après. Le débat portait également sur la reconnaissance des territoires des communautés noires : en tant que patrimoine communautaire ou en tant que propriété collective. L’idéologie dominante a triomphé à nouveau. La loi 70 de 1993 mit en œuvre les territoires des communautés noires comme propriété collective[26] .

Dans les relations développées par le Mouvement des Autorités Indiennes avec les communautés noires du nord du Cauca depuis la première Marche des gouverneurs de 1980, la solidarité se manifestait aussi autour du renforcement de leurs traditions culturelles en tant que vecteur d’une meilleure estime de soi, partageant en fait la condition commune d’exclus et de méprisés. Ils faisaient tous référence à une vision de territoire habité selon leurs propres coutumes, comme celles des communautés fluviales du Pacifique qui avaient ordonné la gestion de leur territoire le long des parties inférieures des rivières, laissant les communautés indigènes en amont.  Ces coutumes et la mémoire collective qu’elles reproduisaient, étaient considérées comme potentiel de développement humain de leur population. C’est dans cet esprit qu’a pu être préparée conjointement la participation à l’Assemble Nationale Constituante.

Revenant au texte de la nouvelle Constitution, nous pouvons constater que les droits indigènes sont traités en deux chapitres très différents : dans celui de la division politico-administrative du pays (article 329 et 330) et dans celui des biens communs qui sont exclus du marché foncier. L’article 63 stipule : « Les biens d’usage public, les parcs naturels, les terres communales des groupes ethniques, les terres de resguardo, le patrimoine archéologique de la Nation et d’autres biens déterminés par la loi sont inaliénables, imprescriptibles et insaisissables. » Ces trois derniers termes techniques étaient ceux contenus dans la loi 89 de 1890 qui donnait 50 ans aux resguardos indiens pour disparaitre et que le mouvement indien du Sud-Ouest a su utiliser en sa faveur, vidant l’institution des Cabildos de son contenu colonial. Au début des années 1990, d’importants travaux ont été réalisés sur la traduction de certains articles de la Constitution en diverses langues indigènes[27]. L’exercice a été réalisé en deux fois : d’abord la traduction du texte constitutionnel en espagnol au namrik (la langue dudélégué à l’ANC Lorenzo Muelas, dans notre cas), puis la traduction du texte en namrik à l’espagnol. Voici la version du sentir-penser guambiano:

« Les choses que les gens ont et ressentent comme propres, les choses qui s’apprécient comme belles et naturelles, les choses qui sont travaillées en communauté par les différents peuples doivent être protégées afin qu’elles ne finissent pas. Les resguardos indigènes, les endroits où les ancêtres ont gardé leurs biens ne devraient pas être supprimés parce qu’on ne peut pas séparer les gens de leur terre et de leurs affaires. Tout cela sera protégé selon la parole écrite. C’est pourquoi ces choses ne peuvent pas être vendues ou achetées, personne ne peut les enlever même pas en cas de dette, elles sont permanentes, elles ne peuvent pas finir”.

Belle traduction ou pensée politique différente de l’idéologie dominante mise en œuvre par l’État National ? Parler de territoire, c’est parler du patrimoine commun, matériel et immatériel. Les rivières et les collines du territoire des Mapas Parlantes dans lesquelles on pouvait voir diverses personnes se déplaçant, faisaient référence à un monde ouvert et large. L’étiquette de groupe ethnique qui continue de séparer les afros-descendants des « paysans » sans même nommer les autres habitants du Territoire ne nous permet pas de rendre compte des échanges qui font un territoire. La traduction guambiana parlait de différents peuples, comme ils l’avaient dit dans l’intitulé du Manifeste Guambiano de 1980 : « ceci est ce qui est à nous et pour vous aussi » et tel qu’on le voit toujours aujourd’hui sur les murs du collège Mama Manuela à Guambía.

L’officialisation de l’inscription territoire indigène dans la nouvelle Constitution en tant qu’entitéterritoriale dans le chapitre de la division politico-administrative de l’État, au milieu des municipalités, des départements ou des provinces, n’est toujours pas devenue réalité aujourd’hui. Mais le sujet a connu d’autres développements.

Dans le Cauca, la nouveauté de la période post-constituante ne vient pas tant du texte constitutionnel que des transformations de certaines dynamiques sociales. Tout d’abord dans les Cordillères la population indigène a doublé en 25 ans : après la récupération des terres, les enfants ne meurent plus et beaucoup de jeunes doivent descendre des páramos et des versants escarpés des montagnes non aptes à l’agriculture vers des terres plus propices au métier d’agriculteur, s’ils continuent à penser comme des paysans. Il y a aussi ceux qui migrent vers les villes, où au début des années 2000, se sont reconstitués des communautés et se sont fait reconnaître comme des Cabildos urbains. Ils n’ont évidemment pas l’agriculture comme moyen de subsistance de la vie familiale, ni des terres communales de propriété collective, mais maintiennent des relations avec leurs resguardos d’origine, dans le Macizo Colombien du sud du Cauca.

Dans l’ensemble des communautés du Cauca, on peut observer une augmentation de la diversification d’activités. Les premiers lycéens sont devenus des enseignants de l’école primaire et maintenant certains dans les collèges et les universités. D’autres sont devenus des techniciens des programmes et projets des Cabildos; d’autres ont occupé des postes administratifs dans les Cabildos, les associations de Cabildos ou dans les municipalités et même les préfectures de département ou dans des instituts nationaux décentralisés. Le nombre d’étudiants universitaires augmente et une nouvelle génération de professionnels cherche à se mettre au service de leurs communautés et à participer à des processus de recherche sur ce qui leur est « propre ». Dans les Mapas Parlantes de toutes les époques, on pouvait voir cette diversité d’activités, auxquelles faisait référence le Manifeste Guambiano, depuis 1980 : « récupérer la terre, mais pas pour faire des petites parcelles inutiles, mais pour développer l’agriculture avec l’aide du Cabildo, sans oublier qu’avant nous étions dans n’importe quel métier et que nous pouvons l’être à nouveau ». 

Après l’ANC, l’administration de l’État central a généralisé la figure des resguardos et des Cabildos. Ils ont étélégalisés, constitués ou agrandis en tant que territoires indigènes dans le décret 1953/2014. Ces nouveaux resguardos se sont multipliés dans tout le pays à travers des terres achetées par l’État, des terres délimitées et réduites à des biens collectifs, le tout à la merci des interprétations des avocats – fonctionnaires formés au Droit positif et non au Droit des peuples. En réalité, cette façon de légaliser les nouveaux resguardos dé-territorialise les communautés en utilisant le terme territoire comme propriété collective que le Cabildo gère sur la base des ressources monétaires que l’État lui transfère et qui doivent être exécutées ou dépensées conformément aux dispositions de la loi, c’est-à-dire coupées des relations historiques avec la terre et avec les forces sociales de leurs régions et de leur propre environnement.

De cette façon, les Territoires indigènes ne sont pas formés à l’initiative des communautés elles-mêmes, bien qu’on puisse observer la création de nouveaux groupes de peuplement indigènes générées par la multiplication de leurs membres contraints de chercher de nouvelles terres. Ce phénomène rappelle l’histoire du peuplement de l’humanité mais il est dans ce cas fait avec l’instauration préalable d’un Cabildo. Nous ne parlons plus de terres communales, de terres soutenant une tradition, à moins que les déplacés ne soient culturellement très forts. Nous assistons à un processus de renforcement de l’idéologie de la propriété comme base du droit public et politique dans les campagnes ou dans la nouvelle ruralité. 

Au milieu de ces nouvelles confrontations idéologiques, perçues ou non, les dirigeants qui s’étaient réunis pour récupérer des terres, récupérer des Cabildos ou des droits et participer à l’ANC se sont consacré à administrer des resguardos reconstitués et élargis. Aucun Cabildo moderne n’avait géré une extension de terre aussi grande et aussi complexe que les resguardos des années 1990-2000 dans le Cauca. Les dirigeants se sont alors tournés vers le travail chacun dans le sien.

Entrer dans la logique de l’administration publique dans un pays comme la Colombie a d’abord forcé les dirigeants indigènes à apprendre les normes et les procédures de l’ordre national de l’État central en vigueur. Sans les connaître, il est difficile de les transformer. En fait, pendant la période de la récupération des terres il y a eu des moments d’autonomie et de décisions prises et mises en œuvre directement. Gérer selon le modèle politique de l’État en vigueur, ne répond pas exactement à l’idée des générations en lutte dans les temps des récupérations des terres. Mais les changements ne se font pas sur le papier.  Aujourd’hui, les diverses expériences des jeunes responsables de l’administration publique dans les Cabildos, légalement reconnus comme des « entités de droit public spécial », sont importantes. Initialement concentrés à mettre de l’ordre dans la maison, à petite/grande échelle, ils ont réalisé leur pouvoir et leurs limites. Pour cette raison, on voit affleurer déjà des recherches de nouvelles approches de systèmes économiques différents, solidaires, au-delà du resguardo, au-delà d’une municipalité, avec des communautés paysanne ou afro voisines ou en lien avec les villes. Au-delà de dépendre exclusivement des subventions de l’État. C’est pourquoi revient au premier plan la question de la dimension du Territoire, de sa durabilité, de sa capacité à générer des échanges, de sa nature ou de son sens pour la vie.

De plus, ces exercices concrets de gestion ont structuré diverses architectures d’organisation de gouvernance propre, avec des succès et des erreurs desquels on peut apprendre. Il ne s’agit pas seulement d’être des opérateurs de projet, il s’agit de prendre des décisions institutionnelles, de définir des lignes directrices d’action et de gestion autonomes et efficaces, c’est-à-dire traduites de manière cohérente dans les pratiques de leur mise en œuvre.

Malgré les difficultés, vus de l’extérieur le pouvoir des communautés indigènes, leurs organisations et leurs autorités surprennent et impressionnent le reste de la population. Il suscite l’admiration et la peur en même temps. A l’échelle de la vie quotidienne, la ségrégation et la méconnaissance mutuelle persistent exprimant souvent le sentiment que les indigènes sont privilégiés ou la croyance qu’ils constituent une menace pour les paysans.

Tous réagissent en disant défendre le territoire, cherchant à poser des limites plutôt que des frontières de responsabilité partagée. Il peut s’agir d’une adéquation aux protocoles et aux instruments de la politique nationale qui ont établi des fonds fonciers différents pour les uns et pour les autres, sans oublier la dernière catégorie logistique de victimes des conflits armés. Nous sommes toujours dans la logique des usagers des services de l’État. Dans ce contexte, une initiative institutionnelle des Cabildos du Cauca mérite d’être mentionnée : l’institution de la Garde indigène, un service chargé d’exercer le contrôle territorial, fourni principalement par des jeunes qui y apprennent à reconnaître et à parcourir le territoire – au-delà d’un resguardo – et sont intégrés dans la communauté avec un statut reconnu. Pour l’instant, l’institution des Gardes indigènes a été reproduite dans les Gardes cimarronas (tradition des esclaves noirs qui se libéraient) et les Gardes paysannes, et des collaborations entre elles ont déjà eu lieu. Beaucoup sont surpris que la Garde indigène tire sa force du bâton symbolique de l’autorité, de ce Droit Majeur qui nait de la Terre et de la Communauté et non de la violence, même si elle a été monopolisée par l’État. Cependant, cette notion de territoire fragmenté, à défendre, comporte le risque de se réfugier dans les ghettos et de reproduire la culture coloniale de la ségrégation, rendant par-là plus vulnérables les différentes communautés.  Un nouveau sentier est en train de s’ouvrir sur lequel pourraient à nouveau se retrouver les indigènes, les communautés noires devenus ethnies et les paysans qui ne le sont pas, avec beaucoup d’autres pour tisser un nouveau Territoire de Vie ; pour reconstruire un Territoire de montagne tropicale viable. Un Territoire où l’on puisse vivre et pas seulement survivre. De nouveaux Mapas Parlantes pourraient rassembler les mémoires de coopération qui constituent leur patrimoine.et pas seulement celles des rencontres frustrées ou des accords manqués.

Mémoires des derniers 50 ans qui ont vu se transformer les dynamiques sociales, surgir de nouveaux acteurs et se poser de nouveaux défis. Nous pouvons témoigner des avancées réalisées, apprendre des processus et pas seulement des idées reçues, nous re-connaître dans ce monde « re-naissant ». Il reste cependant à construire de nouvelles pratiques et de nouveaux discours, d’autres formes de gestion des terres et des réseaux sociaux afin de reconnaître la nécessité de nouveaux territoires organiques communs. Le défi n’est pas là seulement pour les indiens « minoritaires », il nous touche tous et en Colombie particulièrement dans le Sud Ouest, cet Ancien Grand Cauca plus peuplé aujourd’hui qu’autrefois, où vivent les héritiers des colons extractivistes commerçant à l’exportation des XIXe et XXe siècles, mais aussi des colons venus pour rester, qu’ils soient appelés aujourd’hui « paysans », afro-descendants, ou indigènes, « déplacés » par ces guerres qui n’en finissent pas ou coincés dans les bidonvilles. Si les conflits ne manquent pas, de nombreux éléments prometteurs constituent des germes de mondes nouveaux.


Remerciements

Je remercie Gineth Andrea Alvarez, Solidaire, Docteur en Histoire, ancienne collaboratrice de la fondation COLOMBIA NUESTRA pour l’organisation et la mise en valeur des Archives de l‘ “Observatoire des relations du Mouvement Indien, la société civile, les groupes de solidarité et l’Etat” (2006-2008) et sa collaboration à la révision du texte original en espagnol, ainsi qu’â Osana Bonilla-Findji pour la traduction en français.


Bibliographie

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[1] Le premier directeur de la Fondation était celui que les Arhuacos de la Serra Nevada de Santa Marta avaient cherché à rencontrer en raison de la publication de “Serfs de Dieu et maîtres des indiens” (1968) et qu’ils appelaient “el caucano” (“celui du Cauca”). Le Solidaire Víctor Daniel Bonilla, originaire du Cauca, avait partagé des jeux d’enfance avec des enfants de familles de serfs (« terrajeras ») du Cauca et durant sa vie adulte continuait à parcourir les communautés du Cauca après avoir vécu plusieurs années à Bogotá ou en France.
[2] Dans les mémoires proches flottait le “Discours du Comandant Ernesto Che Guevara”, durant la cinquième session plénière du Conseil Economique et Social Interaméricain, à Punta del Este, Uruguay le 8 août 1961.
[3] Comme le suggérait le Rapport Lauchin Currie sur le développement colombien (Currie, 1961)
[4] Secteurs d’activistes appelés alors inquiets du fait qu’ils avaient une position critique sur la situation du pays mais ne voulaient pas s’inscrire dans les formations politiques de l’époque, fussent-elles de gauche.
Pour la petite Histoire, le bulletin publié entre 1964 et 1965 para divers secteurs chrétiens, catholiques ou protestants post conciliaires, avec le P. Camilo Torres, s’appela INQUIETUDES.
[5] Celui-ci impliquait une relation de caractère servile puisque les familles indigènes devaient payer en travail gratuit le droit à vivre sur le territoire de l’Hacienda.
[6] Les resguardos dans le cas concret du Cauca furent instaurés seulement à la fin du XVIIe siècle- début du XVIIIe, après 100 ans de guerres de résistance à la colonisation, quand dans bien d’autres régions de l’Empire espagnol, ils n’existaient plus. Ce furent les terres communales attribuées à un site habité par une communauté indigène (los pueblos de indios). Très nombreux dans le sud-ouest, l’ancien Etat Souverain du Cauca, de la fin du XIXe siècle, les communautés de resguardos furent cataloguées pat la République comme « réduites à la vie civilisée », avec 50 ans pour disparaitre (loi 89 de 1890). 
[7] Cette organisation est active jusqu’à présent et reste un pilier important de l’organisation indigène du Cauca et dans le pays.
[8]  Rappelons que les indigènes des trois quarts de la surface du territoire national en construction avaient été confiés aux Missions Catholiques para le Concordat de 1887 qui les chargeait de les faire passer de l’état sauvage à l’état civilisé.
[9] Á l’époque pour les indigènes il s’agissait toujours du Grand Cauca, cet État souverain des États Unis de Colombie du XIXème siècle -continuation du pouvoir colonial- dont le siège était à Popayán et qui avait était réduit au statut de département seulement 50 ans plus tôt
[10] En octobre 1980, le secteur du CRIC qui avait dû se réfugier après la violente répression subie par certains de ses collaborateurs liés au Mouvement Guérillero 19 Avril (M-19), est réapparu publiquement dans la municipalité de Coyaima, au sud du Département du Tolima,  lors de la Rencontre indigène de Lomas de Ilarco, Dans cette Rencontre l’opposition au projet gouvernemental s’est également manifestée mais son action fut orientée à nouveau vers la construction d’une organisation nationale – qui deviendra officielle en 1982  lors du primer Congres de l’ ONIC tenu à Bosa. près de Bogotá.
[11] MISAS, G. (2002). La ruptura de los 90’s, del gradualismo al colapso. Bogotá, Universidad Nacional de Colombia.
[12] La référence au Nunak’chak – la Casa Grande, la Maison Commune – s’exprima de maintes façons durant le processus de professionnalisation d’instituteurs bilingues que nous avons réalisé entre 1988 et 1992et où les Guambianos purent partager et renforcer leur vision de territoire avec les Paeces durant les sessions qui utilisaient les Mapas Parrlantes. Mais en 2014, dans le cadre de l’application de l’arrêt 004/2009de la Cour Constitutionnelle, les Autorités Guambianas présenteront au Gouvernement NationaL leur Plan de Sauvegarde en tant que Nunak’chak, comme Confédération des Autorités Indigènes Misak des départements du Cauca, Valle, Cundinamarca, Meta, Putumayo, Huila et Caquetá (Voir document Autoridades Misak, 2014).
[13] Voir: Cartilla No 1 del CRIC, “Nuestras luchas de ayer y de hoy”, 1973
[14] Voir “Hacia la unidad indígena”, publication de la Comisión Indígena de la ANUC, re-créée durant le III Congreso Nacional de la ANUC, Bogotá, agosto 1974
[15] Trés probablement, la récente Déclaration des Nations Unies (2019) sur les droits des paysans et des autres travailleurs dans les zones rurales, ne tient pas compte de ce genre de distinctions dans des pays qui se définissent divers ethniquement ou culturellement. Actuellement en Colombie – dont le Gouvernement n’a pas signé le texte – les secteurs « paysans » s’en servent pour appuyer leur revendication parallèle ou en compétition avec celle des « indigènes ».
[16] Voir: Manifiesto Guambiano, Ibe Namuiguen et Ñimmereay Guchá, Cabildo de Guambía, 1980
[17] L’Institut Colombien de la Réforme Agraire, créé en 1961 et adscrit au Ministère d’Agriculture. Il sera remplacé en 2003 par l’INCODER (Institut Colombien de Développement Rural), remplacé à son tour en 2015 par l’Agence Nationale des Terres (ANT) et l’Agence de de Développement Rural (ADR) encore en vigueur.
[18] Les techniques immémoriales de l’agriculture au milieu de la foret, culture sur brulis. Voir MAZOYER M. et ROUDART L. (2002) Histoire des Agricultures du monde, du néolithique à la crise contemporaine, Ed. Seuil, Paris, collection Points Histoire.
[19] Les Anciens, porteurs de la Tradition dans les communautés indigènes, très respectés (leur âge n’étant pas le seul critère pour ce statut)
[20] Comme disent les Titres coloniaux, titres octroyés para l’Audience de Quito sur des “terres inconnues”; ce pour quoi elles renvoient plutôt à des frontières qu’à des limites de propriétés.
[21] Le the wala, le « médecin traditionnel » ressent dans diverses parties de son corps les signes qu’il interprète lors des séances avec ceux qui le consultent
[22] A différence de la méthodologie de la cartographie sociale qui est beaucoup utilisée actuellement pour faire participer les populations à la recherche, pour obtenir de l’information.
[23] Fruit d’un arbre américain, sur l’écorce duquel se gravent traditionnellement des dessins dans les Andes du Pérou. 
[24]Pour connaitre des détails sur les transformations opérées dans les dessins et les tableaux muraux, voir VASCO,L.G. (2012)“Luchas indígenas en el Cauca y Mapas Parlantes”, ponencia presentada al Foro Internacional organizado por la FLACSO en la Universidad Nacional del Rosario, provincia de Sta Fe, Argentina sobre “el mapeo participativo y los derechos territoriales de los pueblos indígenas”
[25] 1978-82: Mesure d’état d siège et possibilité de pratique de graves violations aux Droits de l’Homme, tortures entre autres, composante de la Doctrine de Sécurité nationale des États Unis d‘Amérique.
[26] Communication personnelle du solidaire Álvaro César Velasco Alvarez, avocat et juriste, ayant participé au processus de rédaction de cette Loi.
[27] Le CCLA (Centre Colombien d’Etudes des Langues Aborigènes) de l’Université de los Andes à Bogotá a organisé la traduction à sept langues indigènes de 40 articles de la Constitution de 1991. Pour la région du Sud-Ouest voir NUPIRAU NU WAMWAN TREK KONTRAI ISUA PORIK, apartes de la constitution politique de la Colombie 1991 en guambiano, EC NE’HWE’S’, Constitution politique de la Colombie en nasayuwe (paez), en ingano et kamentsa; ainsi que dans la langue amazonienne Kubeo et los Ikan (arhuacos) de la Sierra Nevada de Santa Marta. Voir LANDABURU J. (1997).