Introduction générale. Violence d’Etat. Violence capitaliste.  Résistance de rupture. l’Europe, la politique réinventées.

Marie-Claire CALOZ-TSCHOPP [1]

« Kafka ressemble à ce garçon qui partit un jour pour apprendre la peur. Il arrive au palais de Potemkine, mais finalement dans les trous de la cave, il tombe sur Joséphine, cette souris chantante, dont il décrit ainsi la mélodie : « Il y a en elle quelque chose de notre pauvre et courte enfance, quelque chose du bonheur perdu qu’on ne retrouvera jamais, et quelque chose aussi de notre vie présente, de nos activités du jour, de leur petite gaillardise inexplicable, réelle et cependant qui résiste à tous les maux ».

Benjamin Walter,  Œuvres II, Franz Kafka, Folio-essais, Paris, 2000, p. 421.

Résumé du projet

Dans ce travail de mémoire et d’archives sur des praxis de résistance, il est question de violence capitaliste et d’Etat et de resistance de rupture. Les nouvelles formes de violence, sont aussi présentes dans les politiques de migration, d’exil. Elles pèsent sur les conditions matérielles de vie et de survie des humains, leurs rapports entre eux et avec la nature.

Nous découvrons deux créations social-historiques de la résistance en cours : une autre Europe et la Politique réinventées aux frontières de la démocratie. L’hospitalité y joue un rôle  central au XXIe siècle, dans la mesure où elle devient politique par la résistance de rupture, en étant insérée dans l’histoire et les défis planétaires d’aujourd’hui.

Des questions

Que signifient les violations sécuritaires des droits fondamentaux et l’imposition d’un système de marché ultra-libéral, la négation, la banalisation de la mort, de la torture et des disparitions, avec l’usage de nouvelles technologies de surveillance de masse ?
Le démantèlement systématique des institutions et des droits fondamentaux, du droit du travail, du service public etc. sont des crimes de quel ordre ? Que signifient les politiques d’amistie de responsables de crimes dans les politiques migratoires, tout en pénalisant des innocents? Quelles traces dans les dossiers administratifs d’avoir été sans-papiers? Quelles traces dans la mémoire d’Etat ? Les migrants « illégaux » (sans-papiers) que l’on « amnistie » à petites doses ont-ils donc été des criminels ? Le crime paradoxal de l’exercice du « droit de fuite » déjà connu des esclaves, de solidarité, les oppositions aux « lois de contrainte » pour les expulsions administratives par Frontex sont-ils des crimes ?

La résistance un crime ?

Un des enjeux est de prendre acte que la résistance de rupture est l’émergence d’une Autre Europe anticapitaliste.
Elle est le fait de minoritaires,  de prolétaires d’aujourd’hui souvent invisibles. L’inventaire philosophique mémoriel de faits de résistance sur les terrains des politiques de la migration, de l’asile, du droit d’asile, du service public, du monde du travail en Suisse, dans l’UE et ailleurs, permet de repérer les luttes, des échecs, de petites victoires.

La résistance dont la désobéissance civique/civile, le droit de fuite, ne sont pas des crimes, mais le renversement du crime par l’exercice du « droit d’avoir des droits » (Arendt), qui se traduit dans la généralisation planétaire de l’hospitalité politique. Cinq propositions sont formulées dans la partie finale du projet (partie V).

Un travail critique sur les outils de brutalité, cruauté, violence, destruction inventés entre le XVIIIe et le XXe siècle, et la réactivation de la longue la tradition de l’hospitalité qui, à la modernité, a subi l’infléchissement dans l’hospitalité d’Etat, est nécessaire. Un des enjeux pratiques de la résistance immédiate sous toutes ses formes est la décriminalisation du « droit de fuite » des migrants, exilés, solidaires de l’Autre Europe et le dégagement de l’hospitalité politique.

Les dispositifs sécuritaires de l’UE et des Etats  montrent que la violation de l’Habeas corpus Act (1679), les crimes de guerre et contre l’humanité (1945) doivent être non seulement réactivés sur le terrain des politiques migratoires, mais examinés et reformulés dans les droits fondamentaux.

Il n’y a pas d’hospitalité politique de l’ordre du plus général sans résistance de rupture. Il n’y a pas de droit de fuite et d’hospitalité politique sans luttes contre les compromissions de l’apartheid et les autres mensonges politique de Schengen-Dublin-Frontex.

Le projet Praxis-Mémoire-Archives, regroupe plus de 1000 documents, contributions. Il a été entrepris, à la mesure de ses moyens, compétences, à partir d’expériences situées entre entre 1968 et 2020, pour explorer le lien hospitalité politique et résistance de rupture.

Plan

  • Introduction
  • 1. Que contient l’ensemble du projet ?
  • 2. Pour qui, et de qui un tel héritage ?
  • 3. Pourquoi un travail de mémoire et d’archives ?
  • 4. Rappel sur des traits philosophiques de la migration.
  • 5. Penser est aussi vital que respirer, boire et manger.
  • 6. La migration, le capitalisme de surveillance dans une période de Covid.
  • 7. Police ou Politique ? Le tournant Schengen (1980) et l’impasse.
  • 8. Trois mensonges politiques  ambigus. Mise en place accélérée d’une Europe sécuritaire et du libre marché.
  • 9. Que montre Hannah Arendt depuis la philosophie sur le mensonge politique ?
  • 10. L’hospitalité politique disparaît sans la résistance de rupture
  • Conclusion

Introduction

Partons de l’histoire d’une souris chantante Josephine de Kafka dans les trous de la cave. Il est des gaillardises inexplicables et cependant réelles. Pourtant invisibles ou alors dépréciées. Ces gaillardises, je les appelle des praxis de résistance, d’émancipation, de citoyenneté, de civilité, de construction des savoirs, d’un nouveau droit à part entière dans un monde complexe et imprévisible, où des choix sont possibles.

Partons peut-être aussi de l’histoire d’Ulysse face au cyclope à demi aveugle qui lui demande : « Qui es-tu ? ». Ulysse répond : « Je ne suis personne ». Il nous apprend les finesses de la ruse, des multiples formes d’exercice du « droit de fuite » (dont par exemple, quand des exilés en fuite brûlent leur propres empreintes digitales, par exemple). Ulysse était un exilé d’une guerre,  d’anéantissement de Troie. Il a mis 10 ans à rentrer chez lui en passant par l’enfer (hadès) et des périples incroyables. Après une guerre d’anéantissement, le retour n’a pas été une évidence. Comment raconter une telle guerre, à laquelle il avait tenté d’échapper sans y parvenir ?

Violence convertible ou inconvertible : la dialectique entre l’hospitalité politique et la résistance de rupture.

Violence convertible, violence inconvertible ou alors, dans quelles conditions et avec quelles limites, civiliser la révolution, la politique, l’Etat par une  stratégie articulant la violence et la « civilité », ce que nous invite à faire Balibar ? Quelle est la place du lien entre l’hospitalité destuante/constituante de la politique et la résistance de rupture à ce propos ? Les questions, on va le voir, ne sont pas seulement paradoxales, mais forgées de difficultés, d’ambiguïtés. La résistance de rupture, le desexil de l’exil, le « droit d’avoir des droits », le « droit de fuite », la « citoyenneté-civilité » sont autant de voies difficiles face aux conditions de possibilité et au risque de la démesure de la violence[1] capitaliste, dans l’action d’insurrection, révolutionnaire, dans la violence d’Etat[2]. On peut postuler que les modes de résistance de rupture, comme on va le lire, sont des stratégies d’émancipation, d’insurrection, de révolution. L’enjeu est de « fuir », échapper à la force de destruction et de dégager les nouvelles formes de la puissance d’agir[3] émancipatrice, insurrectionnelle, de rupture anti-capitalistes.

Ces énoncés, ces formes d’action politique impliquent de s’interroger sur le rapport à la violence, non seulement de domination mais aussi dans l’action insurrectionnelle et révolutionnaire. Il y a forcément un lien circulaire entre violence, philosophie et politique. Il est constitutif et  ébranle à la fois la politique et la philosophie. A quoi bon agir politiquement ? A quoi bon penser ce que l’on vit ? Où que l’on soit, impossible de sortir du cercle de la violence qui a pris des dimensions démesurées, alors que faire ? Se terrer dans l’ombre, mais est-il possible de ne pas agir ? Plutôt apprendre la peur de la souris Josephine et sortir du trou à ses risques et périls. L’aporie de « l’extrême violence » [4] constitutive de la politique mérite de ne pas être déniée mais explorée et transformée en politique du tragique. Le risque intrinsèquement liée l’action politique et la pratique philosophique marquées par l’histoire de « l’extrême violence »  est non seulement un fait de réalité. C’est la question « constitutive de la politique ». C’est la question de « civiliser la révolution » dont dépendent, en contrepartie, les possibilités réelles de « civiliser la politique »[5] et de « civiliser l’Etat » lui-même comme l’écrit encore Balibar, dans son essai Violence et Civilité (p. 254). Je pourrais ajouter, de définir des critères pour « civiliser la pratique philosophique », des savoirs et des politiques de la recherche.

A partir de là, on ne peut plus se satisfaire de la fameuse formule : la fin justifie les moyens de certains révolutionnaires. Socialisme ou/et Barbarie ? Devant la double question contenue dans la formule de Rosa Luxemburg et le risque de violence abyssale inhérente à la politique, il est possible de dégager une voie en postulant un lien intrinsèque entre Hospitalité politique et Résistance de rupture pour déplacer dénis, évidences, apories et renouveler des perspectives de réflexion et d’action. Une politique du tragique implique de considérer l’impensé de l’hospitalité politique dans son rapport avec la résistance de rupture, (la résistance en soi ne suffit pas, ce qui conduit à devoir réélaborer les théories de la désobéissance civile) dans un cadre de violence complexe, imprévisible, paradoxale qui mérite d’être exploré sous un nouveau jour dans la mesure où il n’est pas forcément la panassée de la paix de l’Etat républicain à laquelle rêvait Kant. Il en appelle à évaluer l’apport du philosophe qui désirait et craignait la révolution (française) en faisant un pas de plus : apprendre à écrire la nouvelle tragédie[6] de l’action politique et philosophique devenue « globale » sur la planète « finie ». Elle en appelle à une résistance de rupture en constituant radicalement l’hospitalité politique comme étant constitutive de la politique au sens le plus général.

En adoptant ces présupposés évoqués très brièvement ici et développés dans les textes de la base de données, il devient possible de penser un bout d’histoire et même de reconsidérer la longue tradition de l’hospitalité. De s’engager dans un travail de mémoire et d’archives. Faire un pari tragique[7] , pour que la souris sorte du trou obscur. Pour ce faire, présentons un projet de transmission d’héritage, de mémoire, d’archives. Formulons des constats, découvertes, acquis dans ce temps d’avant et d’après Covid, – épiphénomène de tendances profondes de nos sociétés sans issue. Le projet se terminera par un double postulat exploratoire intrinqué sur les liens entre L’Habeas corpus et l’Hospitalité politique, sur les liens entre l’Hospitalité politique et la Résistance de rupture qui se traduit par la présentation de 5 propositions pour aujourd’hui, et des réflexions d’ouverture présentées aux lectrices et aux lecteurs.

Le mouvement incessant des luttes pour la liberté politique, lisible dans les inventions d’une multitude de souris anonymes sont criminalisés, basculent dans l’oubli, sont avilies et/ou alors parviennent à émerger dans la mémoire collective. Elles renforcent les expériences de vie, résistance, luttes, recherches. Comment est-ce possible que se cumulent les doubles, triples, quadruples peines des expulsés ? Pourquoi ne croyons–nous pas toutes les histoires qu’on nous raconte pour distiller la haine et encourager la passivité et le consentement ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à être déterministes, pessimistes, obéissants dans une position minoritaire ? Pourquoi ne parvenons-nous pas à épuiser notre curiosité de savoir sur le monde tel qu’il est, sur des questions sans solution, toujours ouvertes, la migration par exemple ? Est-il possible de développer, une philosophie en acte qui soit pratiquée par toutes et tous dans la vie quotidienne, tout en résistant au capitalisme d’anéantissement ?

En 2020, avant et après le Covid, l’air du temps invite-t-il à transmettre un manifeste, ai-je envie de demander à Vaneigem[8], qui en propose un parmi une multitude ? Pour ma part, j’ai préféré mettre en forme un puzzle expérimental de praxis, fait d’histoires de ces 50 dernières années en Suisse, en Europe et dans le monde, autour du desexil de l’exil, de l’hospitalité politique des rapports de classe, de sexe, de race[9]… de race, de sexe, de classe… (et autres permutations, selon les hiérarchies dans des luttes diverses), en retournant un instant sur cinquante ans de vie. Savoir que la vie fait vivre, qu’elle met en mouvement (Aristote).

Cours, cours, camarade, le vieux monde est derrière toi… Avancer sans savoir, sans se retourner, quand on va en enfer, pour retrouver Euridice. Si on se retourne, nous a appris l’histoire d’Orphée, on reste pris dans les filets du royaume des morts. Certes. Mais la curiosité est trop grande. L’étonnement, le désir d’insurrection trop prégnants. On se retourne à nos risques et périls sur des gouffres de violence aux frontières en traversant des épreuves imprévisibles, des  défis inattendus. Le souffle de la mer nous accompagne.

Ce qui a compté finalement dans cette aventure, c’est de voir, penser, rendre visible une résistance de rupture qui a été, est une création, une construction sur la longue durée, incessante de l’Autre Europe forcément anti-apartheid et anticapitaliste. Elle est le fait de minoritaires, mais ce n’est pas grave comme dit mon petit-fils, Basile. Au contraire. Un tel rapport confirme la dialectique entre hospitalité politique et résistance de rupture.

1. Que contient l’ensemble du projet ?

« Cuesta mucho quebras fronteras » (rompre les frontières, ça coûte beaucoup d’efforts).

Janine Pujet, médecin, psychanalyste, Buenos Aires (19.12.1926-5.11.2020).

Ce numéro spécial de la revue en ligne Repenser l’exil, se trouve sur un nouveau site créé spécifiquement. Il fait suite à 8 numéros de ces dix dernières années durant le programme du Collège International de Philosophie (CIPh) et aux autres publications de rencontres, de recherche qui ont fait l’objet de l’organisation du site exil-ciph.com pour la période 2010-2019. Les informations sont aussi sur accessibles sur le nouveau site.  Le nouveau site desexil.com présente une étape de synthèse entre 2019 et 2021, dont j’assume la responsabilité avec des appuis et des aides précieuses.

Le choix dorénavant de la nouvelle revue en ligne avec un ISSN en cours de fabrication, en diverses langues, permet une diffusion transversale, transnationale avec un accès libre, non marchand (gratuité). Des parties de données de l’étape actuel sont en examen pour des publications papier.

Précisons pour éviter toute équivoque que nous ne nous  sommes pas installés dans la logique d’un livre qui se dévore en suivant une logique et chronologique du début à la fin que reflèterait une table des matières respectant une telle mise en forme. Nous avons travaillé dans la logique d’internet en créant un site. C’est une logique de puzzles, soumise au click. Le sommaire d’ensemble donne le fil rouge d’un puzzle. Il est possible de parcourir le labyrinthe par plusieurs portes d’entrée (auteurs, mots-clés, concepts, thèmes, etc.).

Le titre général du projet praxis-mémoire-archives,  REINVENTER L’HOSPITALITE POLITIQUE. Nous avons construit une Autre Europe indique d’emblée le rapport situé dans l’histoire (lien avec l’Habeas corpus) entre l’hospitalité et la résistance et son enjeu majeur : saisir le sens des politiques du « faire disparaître » hier et aujourd’hui. On va voir, que l’invention nous amène à radicaliser notre curiosité sur le monde. Le but est de réinventer l’hospitalité politique en accordant une attention spéciale à la résistance et à la violence d’Etat et à la violence capitaliste, et à des inventions des liens, car c’est dans ce cadre que se construit l’Autre Europe.  Le terrain est celui de la migration, du service public, du travail, etc..

Le projet praxis, mémoire, archives  se divise en cinq grandes parties :

  1. une introduction générale et un mode d’emploi du site ; 
  2. des rencontres, empreintes, héritages entre 1968-2020;
  3. la constitution de la base de données (1000 matériaux) ; 
  4. la présentation de textes, d’actions sur des praxis, expérimentations.
  5. le postulat du lien entre Habeas corpus et  Hospitalité politique généralisable, 5 propositions et des réflexions finales.

En résumé, le parcours de la mémoire, les faits recueillis pour la base de données ne sont pas tombés du ciel. Ils n’obéissent pas à la logique dominante de production, exploitation, consommation. En déplaçant le regard du pouvoir à la violence (Balibar), nous nous sommes intéressés à des praxis, conflictuelles aux frontières de l’Europe, entre un grand marché, articulé à l’institutionnalisation d’une force sécuritaire militarisée (Frontex) la violence d’Etat (Dublin, etc.) et des praxis minoritaires de résistance de rupture, essentiellement (vu les limites du projet) retrouvées sur les terrains des politiques de migration, du droit d’asile, du travail, de la formation-recherche, de service public.

Soulignons que plusieurs personnes qui ont fourni des données ont subi des pressions, persécutions, mobbings et même des condamnations. Elles ont revécu la violence d’Etat en fouillant dans les archives. Elles ont pris des risques. Le travail de mémoire permet que des faits soient plus amplement connus. Il m’a confrontée dans le travail à des souffrances, impuissances, ressurgence de la violence revécues en retrouvant des faits après-coup, en effectuant le travail d’écriture.

Comme on va le voir, nous avons pu ainsi dégager une sorte de dialectique entre trois mensonges politiques ambigus dans le débat européen (dans l’apartheid et Schengen-Dublin, Frontex), et le lien entre hospitalité politique et résistance, l’importance, le poids, la création  d’une autre Europe. Nous présentons aussi des  thèmes majeurs de réflexion et de recherche, qui débouchent sur la Déclaration publique et cinq propositions et des interrogations ouvertes. Dans la base de données, les textes d’élaboration réflexive, des thèmes parcourent l’ensemble des textes et un choix d’essais et de travaux entre 1982 et 2020.

 Présentons brievement les cinq parties du projet, précédées par une Déclaration publique 2021.

La partie I : Le présent texte d’introduction générale  est suivi d’un texte pratique. Comment lire les matériaux?

La partie II : Un panorama présente une trentaine de rencontres, empreintes, héritages (1968-2020), en tentant de mettre en œuvre une logique du Je et Nous. C’est un panorama de praxis diverses à la fois  individuelles et collectives dans des expériences menées entre la Colombie, la Suisse, le Chili, la Turquie, la France, l’Italie, etc.. Le panorama commence par le rappel de luttes ouvrières, de grèves dans l’histoire coloniale d’une multinationale en Valais (Suisse). La beauxite provenait du Congo arrivant à l’usine multinationale d’aluminium de Chippis. Là travaillaient et se mettaient parfois en grève des ouvriers-vignerons. Elle continue par l’évocation de luttes indiennes en Colombie, la lecture de Marx en Amérique latine, le coup d’Etat au Chili en 1973, le retour en Europe cinq ans après. Elle précède les engagements et les travaux des années suivantes.

Le travail dont j’ai assumé la responsabilité de la rédaction mais qui a fait l’objet de relectures, se conclue par une question : des praxis de desexil de l’exil, de résistance de rupture anti-apartheid et anticapitaliste sont-elles plus visibles ? Des espaces d’Universités libres et autonomes sont-ils possibles ?

 Partie III :  La base de données est la partie la plus conséquence, avec environ 1.000 documents.

Le projet destiné aux jeunes générations de documents, constitué de livres, articles, recherches, matériaux, documents etc.. est un leg, un partage de plus de 1000 pièces dans une base de données pour étude, examen critique. Rassembler un héritage qui a découlé d’expériences de citoyenneté, avec des moyens limités, a exigé un très gros travail de recherche de nombreuses personnes, de déblocage de la mémoire, et de mise en forme par la graphiste indépendante Stéphanie Tschopp qui a fourni un très gros travail. La collaboration avec divers éditeurs a permis que soient mis en ligne gratuitement des livres très peu connus. C’est un long processus en plusieurs langues.

Dans ces 1000 pièces, on retrouve de multiples documents, dont des pièces de l’histoire suisse, de Schengen, de Frontex qui permettent de mesurer dans une histoire du XXe siècle,  le contexte de la violence d’Etat et de violence du capitalisme et des luttes.

Un exemple retrouvé dans l’histoire des années 1990, permet de mesurer la qualité de la résistance de rupture. Qui connaît encore Marguerit Spichtig ? En cherchant sa photo sur internet, nous avons pu constater qu’une lutte remarquable était presque tombée dans l’oubli. Elle est pourtant une figure de la puissance de la résistance courageuse.  Margrit Spichtig, en Suisse, a été traînée en 1991, devant un tribunal pour avoir caché des Kurdes. Après leur expulsions forcée, elle a déclaré : « En sortant du tribunal, j’ai enlevé mes chaussures et j’ai marché à pied nu sur  l’herbe du parc. J’ai pensé en moi-même : cette terre m’appartient autant qu’à ceux qui m’ont condamnée »[10]. Margrit habitait dans le magnifique site du Flüeli-Ranft (Sachseln, Obwald) de Nicolas de Flüe, un autre héros de l’histoire suisse. Elle était institutrice. Son mari sculpteur avait créé une sculpture pour les réfugiés kurdes indésirables et les haineux avaient jeté sa sculpture pendant la nuit… Les kurdes protégés par la résistance ont été expulsés par la force. Margrit est une empreinte qui résiste à l’usure des années. C’est une figure de la mémoire de résistance de rupture.

Marguerit Spichtig

Partie IV : la réflexion sur des praxis et des expérimentations a été menée en trois temps :

  • prendre le risque de parler, d’écrire (plus de 50 auteurs et textes) ;
  • une élaboration politique et philosophique avec 12 textes de Marie-Claire Caloz-Tschopp ;
  • le recueil dans la base de données, des matériaux sur trois trois expériences marquantes d’espaces d’Unversité libres et autonomes : colloque à l’université de Lausanne sur la colère, 2010, une expérience du CIPh (2015-2016), le colloque à l’université de Genève Desexil, l’émancipation en actes.

Partie V : Le postulat de l’hospitalité politique généralisable précède, le postulat exploratoire du lien Habeas corpus et Hospitalité politique – qui est la proposition centrale du travail – traduite dans la présentation de 5 propositions et des interrogations ouvertes en arrivant à la fin de l’aventure.

2. Pour qui, et de qui un tel héritage ?

Pour qui, pourquoi avons-nous tenu à rappeler, à sauvegarder un héritage, un espace de libre-pensée, de réflexion aux frontières avec un souci d’autonomie en prenant le risque de le transmettre et à formuler une Déclaration publique avec une proposition politique et philosophique centrale de 2021, pour aller au-delà de Kant ? C’est peut-être parce qu’avant la redécouverte de l’hospitalité politique dans sa radicalité en travaillant sur des mensonges politiques ambigus, nous avons pu aussi bénéficier d’héritages précieux transmis – en ce qui me concerne – par Karl Marx, Hannah Arendt, Cornelius Castoriadis, Colette Guillaumin, Sayad, et toutes ces courageuses et courageux qui nous ont précédé (voir panorama)…. Il y a aussi le besoin de partager l’expérience de la liberté politique de se mouvoir  exercée dans les luttes, le travail de construction du savoir et des contraintes multiples rencontrées aux frontières des institutions et des rapports de pouvoir. Il y a le besoin inassouvi dans le projet de situer ces 50 années dans une histoire de plus longue durée des luttes en Suisse, en Europe, dans le monde (amérindiens, paysans, femmes, casseurs de machines, ouvriers, grèves, etc.).

Nous avons fait notre part. Nous n’avons rien à apprendre à celles et ceux qui développent des nouvelles statégies, de nouveaux outils d’action, de réflexion. On peut le constater dans les développements des actes de désobéissance civile dans d’autres mouvements (climats, féminisme, luttes contre les multinationales, etc.).Tout ne se passe pas dans les manifestations publiques. Les choses avancent, le travail de transformation souterrain se fait loin de l’espace public. Les corps parlent. Nous apprenons beaucoup des nouvelles luttes, stratégies, des nouveaux travaux. Soulignons d’emblée qu’un riche héritage existe pour être recréé autrement si l’intérêt d’un travail de mémoire existe.

A des titres divers, nous avons fait l’expérience que sur la planète, dans des temporalités, espaces fluctuants,  il y a à la fois une continuité et des fractures dans l’histoire (n’en déplaise à Hegel). Le pire comme le mieux ne sont jamais assurés. Les conditions matérielles, des corps, de l’activité de penser, dans une courte vie de travail (1968 à 2020), souvent dans des conditions de femme au travail permet de voir que la situation s’aggrave. Nous avons pu constater des décalages entre les faits, l’histoire, la conscience sociale et les écueils, la difficulté de garder une curiosité d’enfant, une fraicheur d’indignation, dans la durée. Il a fallu la désinvolture de la liberté pour tenir des positions de résistance au sens de Françoise Proust[11]. Une multitude d’actes de désobéissance civique positive, en apprenant à ruser, à fuir la violence destructrice, à comprendre ce qui avait lieu. Exhiber les mécanismes de censure, et d’auto-censure, des mensonges politiques, des ambiguïtés sans se décourager.  C’était le challenge.

Les matériaux de la base de données peuvent se lire de multiples manières et dans de multiples labyrinthes. Dans la partie Panorama et les textes de réflexion accompagnant la base de données, en tant qu’auteur ayant traversé 50 ans de vie, j’ai tenté de présenter ma propre lecture durant le processus et après-coup, élaborée, débattue avec d’autres dans des actions diverses. J’ai constaté avec étonnement, comment la mémoire, la conscience sociale se (dé)construisent en travaillant sur ses propres résistances, mécanismes d’auto-censure, ambiguïtés,  par couches successives qui s’ajoutent les unes aux autres (ce qui m’a d’ailleurs fait chercher des matériaux oubliés revenus en mémoire, en relisant des sources et en parlant avec beaucoup de monde, au fur et à mesure de l’avancement des travaux).

Lors du travail de mémoire d’une cinquantaine d’années, depuis aujourd’hui, des questions m’ont poursuivie, à propos d’ambiguïtés, d’aveuglements, de fatigues. Etrange ballet de contradictions. Jusqu’où a-t’il été possible de démonter la pensée instituée pour laisser place à l’imaginaire, à une pensée instituante ? Comment se réapproprier la parole, l’écriture, (se) décentrer, décoloniser, desimpérialiser, desinstitutionnaliser  le travail philosophique qui appartient à tout humain?  Comment, dans la lecture des faits, des documents évoqués, retrouvés,  avoir le courage de traverser le lit des certitudes[12] (mots de Janine Puget) pour les regarder autrement qu’à l’époque? Voir ce qui avait été enfoui dans l’oubli et qu’il fallait retrouver. Qu’est-ce qui était si difficile à voir  dans cette période de complexité imprévisible, de durcissement politique, à un moment de grandes transformations, de covid et de nouvelles technologies. Qu’est-ce qui  fait « digérer » des échecs sans les oublier ou alors nous rend aveugle sur des batailles gagnées durement, sans jamais avoir gagné la guerre ? Et pourquoi ? Constant étonnant que nous reprenons dans la réflexion sur la refondation de l’exil en desexil et de l’hospitalité politique. Il y a des points communs entre le capitalisme industriel, impérial, financier, migratoire, de pillage et le capitalisme de surveillance devenus plus évidents aujourd’hui. Il y a des points communs entre les mécanismes de domination en cours dans ces domaines, en partie à cause des nouvelles technologies du capitalisme de surveillance, mais bien audelà.  Comment saisir les limites, intuitions, analyses, pour aller plus loin, ouvrir de nouveaux champs d’interrogations, la pensée étant toujours en mouvement, en révision constante, dans un cadre d’incertitude et d’appels à un nouveau paradigme. Accorder une importance prioritaire à ce qui résiste à être vu, penser, un point de méthode partagé par Colette Guillaumin a été très important dans la recherche.

3. Pourquoi un travail de mémoire et d’archives ?

« C’est ce dont on se souvient et la manière dont on s’en souvient qui déterminent le regard sur l’avenir ».

Edward Saïd, Réflexions sur l’exil et autres essais, Arles, Actes Sud, 2008, cité et commenté par Yves Gonzalez-Quijano.

Le travail de mémoire et d’archives, en accordant une attention spéciale aux praxis, permet que des acquis, des résultats ne basculent pas dans l’oubli. Il permet de constater des ambiguïtés, des contradictions, et aussi le poids de la résistance à savoir. C’est l’occasion pour tout esprit curieux de découvrir l’importance des luttes courageuses d’hospitalité politique aux frontières (ce terme n’est pas géographique)[13]  de l’UE et de la Suisse et le poids de mensonges politiques ambigus. La transformation de la violence sur les terrains parcourus nous a conduit à orienter le travail de mémoire sur des pratiques de violence, de résistance, en réfléchissant aux transformations de la violence, ce qui nous amenés à faire des échanges entre la Suisse, Le Chili, l’Argentine, l’Amérique latine et la Turquie[14]. En d’autres termes, à ces frontières se sont mis en place, des pratiques, dispositifs, outils de violence et de contrôle d’une ampleur insoupçonnable[15] et des praxis de résistance multiples, l’émergence de l’Autre Europe.­

En bref, ces années empreintes de rêves ont vu s’installer, ce que j’ai appelé dans les années 1980, sur le terrain de la migration, le « total-libéralisme » pour articuler l’histoire des XIX-XXe siècle à l’actualité, – d’autres parlent plus récemment d’illibéralisme, des tensions entre néo-libéralisme et libertariens, ou encore de néofascisme, de néototalitarisme, etc. -, repérer le poids du sécuritaire renforcé par des inventions technologiques qui imprègnent les institutions d’Etat et les modes de vie.

Les terrains de la migration, du travail, de vie, le travail dans les services publics, des fluctuations des droits sont des lieux privilégiés d’observation de ces phénomènes qui ont transformé les institutions, les corps, le psychisme, l’imagination et la pensée à la base de la puissance d’agir[16]. On a vu s’institutionnaliser la violence allant aux extrêmes et s’installer des praxis « d’autonomie » et de « création politique » (au sens de Castoriadis) par la résistance de rupture et des actes de désobéissance civique.

Résistance de rupture anti-apartheid et anticapitaliste, la formule a émergé en prenant au sérieux la banalisation de l’apartheid, et des mensonges politiques ambigus tentant de légitimer un capitalisme sans limites. Au moment où j’écris, nous habitants de la planète Terre sommes aux prises avec des problèmes dans les rapports entre les humains et des humains avec la nature, le pillage, l’urgence climatique, le Covid, les destructions, etc.. En bref, les contradictions du capitalisme, l’ampleur d’une violence banalisée, dévoilent une « dé-civilisation »[17], dont la migration est un des lieux d’apparition mais de loin pas le seul lieu.

Les limites de la planète prennent la première place dans les débats, mises en avant par les jeunes de la planète, la limite des approches politiciennes et sécuritaires dont la migration reste un cheval de bataille électoral. Ils ont été largement repris par les médias. La migration reste un débat avec les urgences humanitaires aux frontières médiatisé au risque de réduire la complexité de la migration et de ses causes. Certains textes présentés dans la base de données font l’analyse du glissement des droits fondamentaux vers l’humanitaire et la transformation d’institutions comme l’ONU, l’OMS, l’OMC, l’OMPI, l’OTAN, etc. et le système  d’Etats[18] continuent à en faire état. Aujourd’hui, l’articulation Schengen-Dublin-Frontex et l’explosion des moyens de Frontex dessine l’accélération du phénomène.

Dans la base de données, on peut prendre acte d’un des efforts de la réflexion à la fois épistémologique, méthodologique et politique durant les années fastes de l’UDC en Suisse (30% de votants), pour une approche critique  du thème des migrants (20% de la population), puis les réfugiés (3% de la population) qui attisent les haines, tout en banalisant le démantèlement des droits à la santé, au logement, à la formation, des contrats collectifs de travail, des services publics. Comme on peut le lire dans la base de données, l’ultra-libéralisme de Hayek a des racines au Mont Pellerin au bord du lac Léman au sortir de la deuxième guerre mondiale, (voir base de données). On en  retrouve des traces dans les années 1980 dans un Livre blanc de multinationales préconisant le courage de démanteler l’Etat social, les droits, etc.. et le coup d’Etat de Pinochet au Chili transformé en « laboratoire » en passant par Chicago. La manipulation des haines ne parvient pas à fédérer les indignations, les colères des expulsés de la globalisation. La migration est-elle un lieu de cristalisation des peurs de ce que j’appelle les « nouveaux prolétaires »[19], ou encore les « exilé.e.s » de la globalisation capitaliste, les travailleurs sans droits, les déclassés, chômeurs, etc.. Il faut tenter de comprendre pourquoi et ne pas céder aux sirènes de la haine.  

4. Rappel sur des traits philosophiques de la migration

La  migration n’est pas un fait sans précédent dans le monde. Comme l’hospitalité, la domination, la guerre, elle est aussi vieille que l’humanité. La présence d’exilé.e.s aux frontières des pays riches, la condition d’exil qui n’est pas seulement la condition des réfugiés, mais la condition d’exil qui se généralise, phénomène que montre non seulement la migration mais surtout le capitalisme, le pillage, les limites climatiques, le COVID, les nouveaux motifs de fuite, la violence auto-destructrice et les arsenaux de surveillance qui débordent la pensée, l’action. Ils montrent le fossé entre la science, le toboggan technologique et la philosophie. Ils transforment la vie quotidenne, le travail dans le service public (constat de son émergence au début dans une recherche sur le service public et les outils de fonctionnaires prenant des décisions dans le droit d’asile)[20], les sciences sociales et humaines, la limite de théories, méthodes, pratiques, concepts de la tradition et la difficulté d’élaborer une pensée politique et philosophique[21] de l’incertitude, de la complexité et du lien, de l’entraide, de la solidarité s’inscrivant dans un échange, auto-protection, une solidarité réciproques.Ces faits ne sont pas l’apanage de la migration, mais concernent la condition humaine dans son ensemble et l’avenir de la planète.

La migration échappe à l’impératif de progrès, de prédiction, à l’utopie de la certitude positiviste que l’on voit à l’œuvre dans l’illusion de la surveillance sécuritaire. Un point retient l’attention. Les institutions étatiques et hors du système d’Etat produisent des modèles d’Etat, de « gouvernance » autoritaires qui glissent vers la force aveugle des polices, des militaires. La force vole la place de l’imagination, de la puissance d’agir. Ces forces inventent des procédures, dispositifs, outils (statistiques, empreintes digitales, algorythmes, drones, camps, etc.) de régulation, d’enfermement, de surveillance qui sont sans cesse dépassées par les faits, des événements. Ce que montrent la prolifération de statistiques partiales, les multiples systèmes technologiques de contrôle qui n’apportent pas de savoir autre que quantitatif et orienté sur la force. Elles sont inefficaces si ce n’est en terme d’auto-destruction. On peut penser qu’avec la liberté politique, la migration, partage une qualité d’infinitude, d’imprévisibilité, d’ambiguïté, qui bouscule. Comme Sysiphe relu par Camus, elle est sans solution. Elle exige le débat ouvert, des mesures d’imagination et de contention démocratique, de conversion de la violence et une culture d’autonomie pour élaborer la peur et la haine dans des politiques d’anti-violence (Balibar). Malgré les systèmes policiers, militaires, le mouvement migratoire reste une interrogation ouverte, en constante élaboration exigeant des choix politiques faits dans l’incertitude et la complexité.

La  migration et la liberté politique partagent une similitude. Elles évoquent en effet, l’ambiguïté de la liberté,  le paradoxe de la finitude et infinitude de la condition humaine, de la vie et de l’ivresse des rêves et du désir infini de liberté politique qui échappe aux certitudes et aux enfermements. Le droit de fuite des exilés, qui tentent d’échapper à la violence, en se brûlant les doigts pour échapper aux contrôles des empreintes digitales, nous informe sur les contradictions entre les dispositifs de surveillance sans contrôle et la puissance du désir de liberté politique. 

La migration évoque aussi l’angoisse de la tragédie de la mort à la fois individuelle et de masse. La mort est un saut dans le vide dont on ne revient pas. Tragédie de la mort humaine que raconte magnifiquement Achille en enfer à Ulysse[22]. « Solutions finales », génocides, politique du « faire disparaître » qui tentent de rayer de la carte des anormaux, des peuples, des minorités. Aujourd’hui, après le XXe siècle, le concept de génocide évoqué pour des peuples de la colonisation, les Juifs, les Tsiganes, les Arméniens, les peuples indigènes, les homosexuels, etc. évoque aussi, par  exemple, des stérilisations forcées par la Chine des femmes du peuple Ouïghour, les féminicides aux frontières entre le Mexique et les Etats-Unis. Les Grecs et bien d’autres cultures ont écrit la tragédie de la mortalité individuelle qui échappe au savoir, à la raison et se raconte dans des mythes. Elaborer philosophiquement et politiquement les morts de masse exige non seulement un changement d’échelle, mais un saut qualitatif de la réflexion politique et philosophique. C’est la tentative que nous avons faite, comme on va le voir, en nous arrêtant sur l’histoire, le statut, la place, le sens des politiques du « faire disparaître »[23] observables aussi aujourd’hui dans le domaine de la migration.

Des faits après les massacres coloniaux, les premières et deuxième guerres mondiales réveillent l’horreur de la mort de masse industrielle mise en œuvre au XXe siècle (tranchées, bombardements, solution « finale ») et post-industrielle aujourd’hui[24]. Les politiques du « faire disparaître » de masse, voulues sans traces si ce n’est, au XXe siècle des cendres des fours crématoires éparpillés sur les chemins de Pologne, comme l’explique un rapport sur Auschwitz[25]. Ils marquent l’histoire d’une fracture suivant d’autres fractures de destruction,  une continuité/discontinuité abyssale et tragique où l’histoire plonge dans le néant. On en trouve des traces au XXIe siècle… et aussi dans les politiques migratoires. Comment penser, décrire les nouvelles politiques intentionnelles du faire disparaître, de la mortalité de masse dans le cadre de la globalisation capitaliste qui mêle domination capitaliste d’Etat impérial, de marché et les politiques du « faire disparaître ? Comment penser une « dé-civilisation » dans le faire disparaître, dont les politiques de torture et de disparition modernes et contemporaines portent des traces indélébiles et sont observables dans des faits, des choix anti-politiques. Nous avons été amenés à devoir reprendre, approfondir cette question si difficile (voir base de données), tout en établissant, à partir de nos expériences de la violence dans les politiques migratoires, du droit d’asile, des « dictatures » s’inspirant de politiques coloniales, de conquêtes impériales, des liens, des expériences entre l’Europe et  l’Amérique latine, ce qui a nourrit des réflexions, comme on va le voir.

5. Une philosophie en acte. Penser est aussi vital que respirer, boire et manger

L’activité de penser est aussi vitale que l’air, le pain et l’eau. « Penser ce que nous faisons », formule d’Arendt, rappelle que la praxis philosophique concerne tout le monde, qu’elle fait partie de la Human condition. A cette étape de construction du projet entre 2019 et 2021, avec la distance d’une histoire de courte durée (50 ans), nous sommes allés de surprises en surprises. La base de données montre une liste sérieuse de questions évoquées. Au moins trois phénomènes – des mensonges politiques ambigus (voir plus bas)  ont surpris par leur ampleur, leur banalisation, leurs conséquences. Avec d’autres, on a pu les percevoir, dans la recherche, les actions engagées, mais ils m’ont encore plus profondément dérangée en travaillant sur la violence, sur la liberté politique de se mouvoir, dans le travail de réflexion et de mémoire. Au-delà du constat de difficultés, d’aveuglements, avec les années, ils ont encore déplacé les démarches de connaissance et d’action. La relecture de Karl Marx, d’Hannah Arendt, de Rosa Luxemburg, de Jose Bleger[26] et de bien d’autres auteurs m’a conduite à reconsidérer les notions de liberté politique[27] et de mensonge politique[28] pour pouvoir expliquer à la fois des tâtonnements, aveuglements, impuissances,  moments de colère, de désespérance face à la violence qu’il ne fallait pas simplement dénier et retourner aux responsables de ces politiques sous peine d’être prisonniers de la violence. Voir à ce propos notamment l’entretien de Roni Brauman à l’occasion des 50 ans de Médecins sans Frontières (MSF) dans le journal Le Temps du 19 juin 2021 où il parle de son inquiétude : « … face à l’extension de la violence à laquelle on ne semble pas savoir répondre autrement que par la violence ». Rosa Luxemburg parlait au début du XXe siècle de « effet boomerang » de l’impérialisme guerrier. Une des apories philosophiques et politique centrale des réflexions durant toutes ces années comme on peut le voir dans les textes.

Nous avons été révoltés devant la banalisation de la violence, nous en avons souffert, nous avons constaté des transformations préoccupantes, inventé des modes de résistance pour échapper à l’emprise de la violence destructrice. On va voir que, par l’analyse critique, nous avons tenté de comprendre des atteintes du cadre politique et de l’usage multiple de l’ambiguïté, concept utile décoder à la fois la créativité et des phénomènes aveuglants dans le psychisme humain et les sociétés en regardant des faits tout en lisant l’œuvre d’un psychanalyste argentin, José Bleger[29] et en relisant Rosa Luxemburg et son analyse de l’effet boomerang de l’impérialisme. 

Soulignons l’importance du schème de la philosophe et théoricienne politique Hannah Arendt, Les humains supeflus, le droit d’avoir des droits, la citoyenneté dégagé lors de la thèse en philosophie (2000)[30] entreprise pour comprendre le tournant des années 1980 en Europe, en Suisse dans les politiques de « libre-circulation », les réfugiés qui prenaient la place des travailleurs immigrés, l’antisémitisme, le racisme, le sexisme, les vieilles et nouvelles guerres. Ce travail, approfondi en explorant le « spectre des camps » (2004)[31] dans une thème d’habilitation (2008)[32] a permis comprendre et de lutter contre le négationnisme dans l’histoire, le déterminisme qui inhibe des formes de conformisme, d’essentialisation, de naturalisation y compris dans le travail intellectuel, la place de l’histoire, les liens obligés entre Habeas corpus, hospitalité politique et résistance et la place du pari tragique de l’anti-capitalisme face aux transformations et aux limites du capitalisme dans une planète finie. Pas d’hospitalité politique sans résistance de rupture.

Une philosophie de la praxis a permis de voir ensemble des transformations à l’œuvre sur des terrains, théories, rhétoriques, discours. L’observation, l’analyse serrée de la migration, du droit d’asile, des services publics, du monde du travail, de la formation et de la recherche, de la vie quotidienne, ont montré, avec le recul, que nos sociétés n’ont pas abandonné l’héritage de l’histoire des « découvertes » (Conquistas), colonisations, d’impérialismes sur la planète dominée par l’occident qui marquent nos vies du sceau de l’apartheid, de la guerre « totale » depuis Napoléon explique Clausewitz, où la guerre est devenue imprévisible et illimitée.

Ce qui m’a importé a été de rendre visible des politiques irresponsables qui dynamitent les cadres de sécurité, apprennent à pratiquer des «formes de vie» (Wittgenstein), de résistance, de refus d’obéir, de désir de liberté, d’autonomie qui sont à chaque fois inédites. Elles ont un caractère commun: elles tentent de s’arracher à l’apartheid, aux mensonges, à toutes sortes de dépropriations, non seulement du temps, de l’espace public, du corps, de la pensée, de nos subjectivités les plus intimes. Dans la résistance, on peut alors repérer le noyau de la liberté politique, la dialectique entre une philosophie de la mort et une philosophie de la vie,  basée sur le «commencer à chaque fois quelque chose de neuf», comme dit Hannah Arendt quand elle décrit ce qu’est «l’action humaine » quand elle est commencement basé sur la naissance.

Pour nous engouffrer durant de longs mois dans ce projet de mémoire et d’archives collectives, nous avons été guidés par de nombreuses personnes (voir partie Panorama du projet), et tout particulièrement par Colette Guillaumin, une sociologue féministe antiraciste qui disait lors de la création du Groupe de Genève4, en 1993: «Penser un fait, c’est déjà changer un fait». Saisir l’insaisissable – un bout du «souffle de la vie» dont parle Raoul Vaneigem, ce vieux compagnon situationniste – est l’enjeu de la curiosité.

Combien il est difficile de saisir les étincelles de vie et d’explorer des parts d’ombre. La chasse et le «droit de fuite» d’exilé-e-s montrent dans certains textes que la ruse et l’humour (Odermatt)  sont des armes. Une «philosophie de la praxis», a dit Gramsci, le philosophe sarde des prisons mussoliniennes qui rêvait d’une révolution avec les conseils ouvriers de Turin dans un affrontement de vie et de mort au stalinisme. Nous l’avons appris avec le philosophe André Tosel[33], spécialiste de Gramsci actif dans le projet, l’organisation d’un Séminaire sur Gramsci et Luxemburg (voir base de données).

Nous apprenons à pratiquer à tâtons, le déplacement, la décolonisation et la desimpérialisation de la praxis philosophique. Nous avons interrogé des praxis minoritaires, y compris les nôtres, sur les terrains de la migration, de l’asile, du service public, du travail et dégagé leur puissance et leurs limites. Nous avons explicité après coup les chocs de deux Europe antagonistes: la consolidation de l’Europe sécuritaire-guerrière et l’émergence d’une Autre Europe dans un seul monde, à travers des praxis éparses, invisibles, ou alors criminalisées instaurées par des délits d’hospitalité, de solidarité (migrant-e-s, exilé-e-s, solidaires, lanceurs d’alerte, ONG5). Nous avons pris connaissance de ce qui a été gagné, des difficultés rencontrées, d’impensés à explorer. Autant d’énigmes devant nous.

6. La migration, le capitalisme de surveillance dans une période de Covid

Le Covid rend plus manifeste les impasses du capitalisme avant et après le Covid. Pour le capitalisme, la migration et le Covid sont des terrains du profit sans limites (fabrication, distribution des vaccins, rapport entre multinationales et Etats, UE post-Brexit, etc.), ce que nous montrent non seulement le chaos, la privatisation des politiques de la santé mais aussi l’absence de politique européenne, internationale sur la migration (échec des Pactes migratoires, démantèlement du droit d’asile, criminalisation de l’asile, politiques sécuritaires de surveillance militarisées, etc..). Le Livre blanc de politiques économiques de multinationales inspiré par Hayek (voir base de données) à la sortie de la guerre ont été un des signes d’une tentative d’hégémonie de l’ultra-libéralisme et son retour dans les années 1970 (Chili de Pinochet) et en 1980 en Suisse et dans l’UE. Plus tard, bien que non pris en compte dans les années 1968-2019, des travaux de synthèse de Shoshana Zuboff[34] entre capitalisme actuel et capitalisme de surveillance grâce aux nouvelles technologies est devenu une évidence au moment de finaliser le travail. C’est une ligne de recherche que nous avons repérées mais que nous n’avons pu développer.L’attention que la sociologue porte sur le lien entre capitalisme et surveillance qu’elle propose, avec d’autres chercheurs, est devenu un endroit de recherches sur les politiques générales, du service public et aussi migratoires, l’hospitalité politique. La base de données, permet d’observer combien la tendance d’intégration de la surveillance avec de nouveaux dispositifs, outils des nouvelles technologies a été rapide. Le texte de Daniel Vignar sur Edward Snowden (base de données) est remarquable à ce propos. Je me souviens de l’achat du  premier ordinateur qui fait partie des musées technologiques.

L’incidence de l’introduction de l’informatique dans les outils des fonctionnaires de police pour accélérer les prises de décision a été une découverte très partielle étonnante à l’époque. L’introduction des « bausteine » (morceaux de textes précomposés) observables dans les décisions d’asile (mêmes textes dans la notification des refus du droit d’asile), grâce à l’accès à un outil utilisé par les fonctionnaires de décision d’asile, transformaient-ils la pensée des fonctionnaires et déformaient-ils leur usage des droits ?  L’approche philosophique et une expertise juridique du professeur Walter Kälin pour le Parlement suisse ont partagé le même questionnement sur la liberté de pensée et l’Etat de droit face à des textes précomposés introduits dans les décisions d’asile négatives.  Par ailleurs, dans une autre recherche sur le service public j’ai pu constater la place prise par l’ordinateur a transformé le travail des professionnels en profondeur du service public, en remplaçant les colloques qui étaient des lieux de parole, de partage de questions du travail (voir recherche sur la migration, le service public dans la base de données).

Aujourd’hui, la place de la technologie de « gestion » et de surveillance a explosé dans tous les secteurs de la vie en société, dans le travail, le service public (impôts, santé, formation, etc.), dans les politiques migratoires et des populations est à la fois un apport et un questionnement. Frontex a vu ses budgets exploser, son intégration d’outils technologiques, d’intelligence artificielle, ses liens avec l’armée s’étoffer en quelques années en complexifiant l’exigence de contre-pouvoirs sur la surveillance sécuritaire[35] et sur le glissement entre police et armée. La lecture de Foucault sur les dispositifs lors de l’émergence du phénomène a été un apport important sans épuiser les interrogations.

La période des 50 dernières, les attaques des conditions de la pensée libre, de la conscience sociale ont accompagné la destruction des droits, des cadres institutionnels, des lois censées contenir les injustices. Il a fallu mesurer les limites de l’Etat de droit (particulier en matière de politique des étrangers), vivre des chocs, des moments de stupéfaction, devant la manipulation des émotions, la banalisation de l’usage de la violence sur des enfants, des femmes, des hommes. Résistance. Dans une société rendue plus complexe par la globalisation, il a fallu comprendre la place de nouveaux outils, des ambiguïtés, l’incompréhensible, les codes du consentement imposés, apprendre à distinguer entre céder et consentir (voir l’article de Nicole Mathieu), constater la présence de la colère, le désir d’insurrection (colloque de l’Université de Lausanne en 2010 dans la base de données). 

En quoi la migration serait-elle un terrain privilégié d’observation critique des grandes transformations en cours ? Contrairement aux postulats du capitalisme de surveillance quant à la vérité, la migration permet de voir qu’il n’y a pas de vérité absolue. Les discours de certitude absolue (discours sur le contrôle) renforcent les mensonges politiques et les logiques de profit, de violence sans limites. Il y a des richesses de l’expérience humaine que ne suffisent pas à montrer les statistiques d’Etat, ni les outils technologiques de surveillance.

En clair, saisir toute la richesse, complexité des liens entre migration, hospitalité politique au sens le plus général et la liberté politique de se mouvoir (Caloz-Tschopp, essai de 2019) en appelle à la redécouverte de la puissance de l’imagination, d’une pensée libre, complexe, de l’autonomie, prenant acte du « vertige démocratique (au sens de Castoriadis)[36] avec les défis d’intégrer l’infinitude, la complexité, le non savoir, l’imprévisibilité.

7. Police ou Politique ? Le tournant Schengen (1980) et l’impasse

Dans les années 1980, Nicholas Busch[37], fondateur de Fortress Europ, se demandait : Police ou Politique ? Il a fallu comprendre, en observant le « laboratoire » Schengen[38], ce qui s’est avéré être un tournant (1980) de la politique vers la police et une impasse. L’espace Schengen s’est approprié l’espace de construction de l’Europe politique et des droits. Dans l’émergence de Schengen, devant un échec de l’Europe politique, où se trouvaient les pièges et les enjeux?

Le tournant des années 1980 et ce qui l’a précédé a pu être observé à partir d’une approche critique d’éléments de l’histoire du XXe siècle, du droit[39] sur le terrain des politiques de migration, du droit d’asile et dans divers secteurs des politiques sociales (chômeurs, service public, politique de la recherche). La question migratoire étant par excellence une question d’Etat de police intérieure et de politique extérieure, comme l’explique bien Sayad, elle conduit à interroger la notion de frontière[40], à observer les tracés, les routes migratoires et aussi les frontières intérieures de l’apartheid. Elle  amène à déconstruire la violence d’Etat et les tensions entre le droit et la justice dans ce « laboratoire », qui est un cas d’école.

Le tournant a préfiguré la métamorphose du « laboratoire » Schengen dans un système d’Europe des polices militarisée (Frontex) qui s’intègre dans le capitalisme de surveillance globalisé (S. Zuboff). La « libre-circulation », la « mobilité » sont apparues au grand jour comme des discours d’un système de chasse (Chamayou), de « brutalisme » (Mbembe), de « violence allant aux extrêmes » (Balibar). L’instauration dans l’espace Schengen et ailleurs de ce que A. Tosel a appelé « le capitalisme absolu », « le capitalisme de surveillance » (Zuboff), prend une ampleur imprévisible tout en s’étendant à la planète.

Le tournant de Schengen[41] à conduit à l’impasse de la sûreté sécuritaire militarisée avec sa légende dorée de la « libre circulation des biens, des capitaux, des services, des personnes» dans un marché que se disputent les Etats-Unis et la Chine. A cette étape, il n’y a plus de plan Marshall pour sauver l’Europe sociale. L’Etat en France n’a plus l’argent américain pour financer les besoins des Gilets jaunes. L’Asie intéresse plus les américains que l’Europe. Il devient difficile d’acheter un vêtement en Europe qui ne soit pas fabriqué en Chine, ou alors dans des pays du « tiers monde » par des chaînes comme Zara. La légende qui faisait rêver de « libre-circulation », de  « mobilité » sans entraves (découvrir le monde et « fuir » pour échapper à la « chasse » du grand marché, de la guerre), a enterré le désir de liberté politique de se mouvoir.

Qu’est-ce qui a rendu possible le glissement (provisoire ?) sans réelle opposition vers une Europe sécuritaire de l’EU et des pays qui la compose? L’évaluation du débat politique sur l’Europe, dans toute sa complexité, dépasse le cadre du projet. Ce qui n’empêche pas de garder en ligne de mire la question. Prenons acte que l’apartheid constitutif des politiques migratoires, du droit d’asile au début (1930) et dans les années 1980, le « laboratoire » Schengen, l’hégémonie du marché, le démantèlement du droit du travail, des droits individuels remplacé par l’humanitaire de masse se sont enchaînés.

Qu’est-ce qui a fait consentir largement à des pratiques normalisées de violence sécuritaire, d’enfermement (camps, prisons), des étrangers aux frontières et aussi, à des degrés variables, de la population européenne, mondiale dans des quartiers, des bidonvilles[42], les lieux de travail, de manifestations  soumis aux caméras, aux algorithmes, aux drones, etc.? Quels liens entre l’Europe de Schengen devenue l’Europe de Frontex et l’extension de la surveillance et par ailleurs les luttes de résistance? Comme l’explique bien le texte de Daniel Vignar (base de données) sur l’histoire d’Edward Snowden, il existe un lien entre le capitalisme de surveillance et les réseaux communautaires[43]. Frontex est une pièce maîtresse du puzzle observable sur le terrain de la migration.

En résumé, le choix de la notion de mensonge politique s’est imposé pour saisir des lieux d’observation, des raisons sur passage de Schengen à Frontex, l’absence réelle d’un débat sur l’Europe politique, l’imposition d’un consentement à des politiques d’apartheid, à un démantèlement des droits (libertés politiques, droits sociaux), à des politiques des expulsions forcées (Dublin) et à l’installation d’une police de sûreté sécuritaire militarisée (Frontex).

On peut postuler que Schengen (et Dublin en cristallisant la haine sur les expulsés d’Europe), est un des éléments[44] d’une stratégie qui a oblitéré un vrai débat politique sur une Europe alternative au marché et à la sûreté militarisée renforcée par les nouvelles technologies. On peut penser que le processus a distrait, affaiblit les mouvements et ralenti des stratégies de convergence des luttes. 

Le parcours des textes sur le « laboratoire » Schengen, sur l’apartheid, sur d’autres mensonges politiques, et l’expansion de Frontex nous ont amené après réflexion et en prenant en compte des données anciennes et nouvelles, comme on peut le voir dans les propositions du texte final, à intégrer – comme proposition no. 1 – la proposition du GISTI et de Migreurop, à savoir l’abolition de Frontex, au début des autres propositions. On pourra voir comment les arguments avancés rejoignent les réflexions d’ordre général.

8. Trois mensonges politiques  ambigus

Pour saisir d’entrée de jeu et concrètement la portée de l’évolution du « laboratoire » Schengen, de l’Europe des polices vers une Europe des polices militarisée en 40 années, et l’usage du mensonge politique, on peut partir d’un fait: le financement de Frontex était de 6,16 millions d’euros en 2005. Il est de 333,3 millions d’euros en 2020. On peut lire à ce propos notamment l’article d’Alain Morice et l’édition d’un ses livres précédents sur la genèse du mouvement ouvrier aboutissant aux sans papiers avec Swanie Potot[45], membre du réseau Migreurop, CNRS-Université Paris-Diderot, et les informations apportées par Aldo Brina du Centre Social Protestant de Genève sur Frontex)[46] dans la base de données.

Si nous avons privilégié le « laboratoire » Schengen, c’est qu’il est un des lieux de contradictions entre la souveraineté territoriale des Etats et l’établissement d’une frontière externe de l’Europe avec les conflits (ex. la Turquie). Etre européen, c’est encore avoir le passeport et le droit de vote d’un Etat. Le certificat[47] des vaccinés du Covid sera-t-il le premier passeport européen ?  Les politiques migratoires aux frontières sont le lieu stratégique des processus d’inclusion et d’expulsion d’« étrangers » désignés. Elles sont le lieu des stratégies  d’élargissement ou au contraire du refus de citoyenneté à des individus ou groupes se trouvant sur le territoire européen ou demandant d’y accéder. En ce sens, la question migratoire est une question stratégique du projet européen pris entre marché, sûreté et résistance.

Ce qui a été appelé le « laboratoire » Schengen dans les années 1980 dans un colloque à l’Université de Lausanne (voir Actes dans la base de données), n’est ni une institution monolithique, ni hégémonique. Il est traversé de contradictions, de conflits multiples. L’imbrication entre liberté du marché et sûreté policière militarisée, les réfugiés pris comme monnaie d’échange (Turquie, Maroc), la criminalisation des résistants constitue l’ossature de mensonges politiques. Avec en arrière-fond le renforcement d’un complexe militaro-industriel intégrant les dernières technologies qui ne concerne pas que la migration. Quels sont les liens entre Frontex et l’OTAN est une question stratégique.

Au premier abord, les discours de Schengen pouvaient êtreséduisants dans les années 1970 de découverte du monde et des révolutions. Nous avons participé à la fameuse séance de Tampere avec un certain embarras, alors que d’autres étaient enthousiastes. Les discours de liberté de « circuler » en Europe, rejoignaient le rêve de s’émanciper du carcan « national », ne plus être confinés dans des frontières étroites et des logiques de polices nationales. Les expériences des Assises européennes sur le droit d’asile et du groupe de Genève ont été des expériences de dépassement du « national » en mettant l’accent sur les « causes » de la migration et sur une mobilisation à dimension européenne. Au même moment, nous faisions l’expérience de l’institutionalisation de la violence d’Etat des Etats et de l’UE pratiquée sur des exilés, nous obligeant à explorer des piliers souterrains souterrains de Schengen et sur un autre plan globalisé, ceux notamment de l’OIM (organisation mondiale des migrations) qui affaiblissait le HCR (haut commissariat pour les réfugiés de l’ONU).

Dans les limites qu’impose le projet, c’est l’occasion de soumettre le « laboratoire » Schengen et les luttes de résistance à un droit d’inventaire aujourd’hui, à un moment (1980) où a eu lieu un tournant ambigu qui a conduit à une impasse. La distance entre les discours et la réalité, le réel matériel et l’imaginaire, le bon sens et la pratique absurde des expulsions de Dublin sont parlants. La mort des exilés, les disparitions d’expulsés, la fatigue des militants, l’usage cynique du dispositif Dublin malgré son échec, les atermoiements autour du Pacte migratoire montrent l’échec de l’Europe politique.

Les questions que suscitent les mensonges politiques sont si énormes, qu’il est nécessaire au moment de boucler le projet de les situer dans les savoirs dominants, les pratiques étatiques et extra-étatiques en cernant leurs implications, sur les travaux, les luttes, l’imagination collective, les savoirs, la mémoire. Ce sont des outils de pouvoir qui en appellent au consentement à des politiques inacceptables. Les cerner, les dégager, les décrire permet de voir ce qu’ils révèlent sur le savoir du réel, des ambiguïtés, des conflits sous-jacents autour de l’Europe qu’il est urgent par ailleurs de sortir de l’ombre, pour dégager une Europe minoritaire invisible, positive. Soulignons qu’ils ont permis de dégager des thèmes de réflexion philosophiques fondamentaux avec leurs conséquences pour la citoyenneté/civilité dans l’espace européen et à ses frontières sur la planète.

Le premier mensonge politique ambigu, l’apartheid, a été invisibilisé dans les politiques migratoires (travailleurs immigrés) et le traitement d’autres secteurs de populations (chômeurs, santé publique, travail, assistés, etc.) en s’étendant à l’ensemble des populations précarisées. Le concept d’apartheid a été en partie banalisé dans des discours politiciens. Il a atteint la possibilité de percevoir la gravité de l’apartheid de ce qu’il montrait au moins depuis le tournant du 20e siècle, comme nous l’avons appris avec Laurent Monnier. Pourquoi l’apartheid, sa formulation en terme d’Ueberfremdung (surpopulation étrangère) en Suisseest une paroi de verre banalisant des liens d’injustice abyssales dans nos sociétés? « L’apartheid a été notre passé, est notre présent, sera notre avenir », écrit Laurent Monnier dans un texte qui est un testament politique. Pessimisme ou réalisme pragmatique devant l’utilitarisme économico-politique cynique dans l’ombre des impérialismes coloniaux et d’une économie capitaliste instaurée en Suisse sur la base structurelle de 20% de travailleurs immigrés (voir textes de Pierre Fiala, Marianne Ebel et de Sébastien Guex dans la base de données) et du secret bancaire mis finalement en cause par les banques américaines lors de l’Affaire Kopp.

Le deuxième mensonge politique ambigu est celui d’un espace unique de « libre circulation » à la base des Accords de Schengen etc.. Ce point a été amplement analysé dans une grosse partie des documents de la base de données. Police ou Politique ? question de Nicholas Busch. Il a été renforcé, avec une rapidité déconcertante, par les nouveaux moyens technologiques de contrôle, amplement développés par Frontex. Quels sont les liens entre les GAFAM…. et Frontex ? Quelles avancées technologiques de la police et des militaires transformant  l’Etat, les droits, les outils de travail des professionnels chargés de l’analyse des dossiers du droit d’asile, du droit des migrations, du droit du travail, etc. depuis la trouvaille des « bausteine » ?

Le troisième mensonge politique ambigu s’inscrit dans un contexte plus global, la transformation de  la violence avec la tendance à des formes de violence pouvant monter aux extrêmes : la banalisation, l’étendue, la globalisation des politiques de torture et du « faire disparaître », comme nous l’ont appris des psychanalistes latino-américains dont les textes se trouvent dans la base de donnée (Janine Puget, Maren et Marcelo Vignar, Silvia Amati Sas). Pourquoi le concept de « dictature » (la dictature Pinochet) au Chili, en Argentine, en Colombie était impuissant à décrire, à comprendre les dispositifs, outils de répression des militaires et le niveau de violence constatés et expérimentés dans les répressions (textes de Teresa Veloso, Chili, Andrès et Maria Perez, Colombie, Marcelo Vignar, Uruguay, etc.) ? Pourquoi est-il si difficile de reconnaître les génocides (débat en Turquie à propos du génocide arménien, au Brésil à propos des populations autochtones), les féminicides à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis, les politiques du « faire disparaître » s’étendant à la planète? Faire disparaître les corps, par centaines de milliers, de millions, vu depuis la longue tradition philosophique, culturelle, politique,  est une question philosophique fondamentale. Le sursaut de civilisation à ce propos date de l’instauration de L’Habeas Corpus en 1679 (montrez le corps !) en Angleterre. Les Mères et les Grand-mères de la Plaza de Mayo en Argentine ont ressorti la revendication de l’oubli. Les politiques du « faire disparaître » sont la tentative d’instaurer un vide, une  non politique, une non philosophie radicale. C’est le retournement de l’hospitalité politique en désert d’un nouveau nihilisme d’anéantissement.

Les politiques du « faire disparaître » sont une continuité des conquêtes, de pratiques coloniales, impériales, du XXe siècle comme le rappellent des travaux de la base de données à la recherche de traces dans la mémoire. De profonds mécanismes de résistance (au sens de Freud) empêchent la prise de conscience. Avons-nous saisi la gravité, les incidences pour la politique, la philosophie, l’ensemble des expériences de citoyenneté, des savoirs et les exigences qui en découlent  pour le XXIe siècle ? Avec ce qui se passe aux frontières, dans les camps, les prisons, l’échec des pactes migratoires, on est arrivé au point de devoir réinscrire dans les constitutions, les droits pénaux le respect de l’Habeas corpus, et de reconsidérer un nouveau genre de « crime contre l’humanité » après les crimes nazis.

Ces trois mensonges politiques ont une caractéristique notoire : leur ambiguïté qui visent le consentement, tout en permettant le démantèlement de la liberté politique et des droits. L’effet pervers du mensonge politique ambigu de Schengen, a été d’induire un aveuglement basé sur la confusion entre la liberté politique, et la « liberté de circulation », la « mobilité » pour le « marché unique », sur la transformation de la violence politique, qui, on peut le penser, a freiné la création citoyenne de l’Europe. Le mensonge ambigu de l’apartheid a pu faire croire que La Suisse était une « exception » (Sonderfall) en Europe, protégée par des privilèges, des rapports d’inégalité, dexploitation, de pillage « naturalisés » et la collaboration économique hors cadre et policière sans contrôle par des contre-pouvoirs. L’humanitaire a pu faire croire que des discours victimaires, les traitements de masse, pouvaient remplacer les droits rattachés à chaque individu, alors que l’humanitaire et le droit international humanitaire (DIH) est un dispositif lié à la guerre (voir texte de F. Rigaux dans la base de données)[48]. Le mensonge de la « mobilité » a caché le capitalisme à la recherche d’un nouveau marché unifié.

Du côté des populations européennes réticentes à une constitution européenne, les arguments se référaient au nationalisme, au refus d’une Europe technocratique, bureaucratique et aussi à une Europe des polices. Ils intervenaient dans un contexte d’apartheid, et d’effacement des droits par l’humanitaire (le passage des droits individuels au traitement de masse, les discours des droits impliquant des sujets, de la solidarité, de l’égalité remplacés par celui de l’aide à des « victimes »), avec le reflux des sujets de droits, de la citoyenneté, de la question sociale, l’approfondissement abyssal des inégalités, le démantèlement des services publics, des droits acquis dans des luttes difficiles.

Le NON hétérogène à la constitution européenne a été en fait le refus mêlé, ambigu entre des élans nationalistes et la peur du fantôme de l’Europe capitaliste et sécuritaire dans un continent marqué par les révolutions « républicaines », les contradictions dans l’histoire du mouvement ouvrier, une longue histoire des mouvements d’émancipation avec des nouvelles ambiguïtés de membres de la classe moyenne cherchant du travail dans des ONG humanitaires.

Dans les politiques migratoires et du droit d’asile, une Europe alternative, bien que minoritaire, s’est construite par des actions de résistance où une grande diversité hétérogène de citoyens, de groupes qui ont pris part à des actions courageuses de résistance, de création politique dans des conditions très difficiles, en étant criminalisées, alors qu’elles étaient des preuves du poids de la liberté politique, l’égalité, l’hospitalité, la solidarité.

Les femmes ont joué, non seulement un rôle de protection, le care abandonné par l’Etat, mais un rôle politique très actif en inscrivant la puissance d’agir dans la durée et en inventant de nouveaux modes de résistance de rupture. Grâce à ces actions, les exilé.e.s en recherche de protection, de survie pouvaient sortir de leur rôle de suspects et de victimes en devenant des « sujets politiques » avec des droits dans une Autre Europe, une citoyenneté transnationale ouverte.

9. Que montre Hannah Arendt sur le mensonge politique ?

S’il existait des mensonges qui disent la vérité (Cocteau), de quelle vérité s’agirait-il, dès lors que la vérité et la politique sont en rapport ? « Nous ne devons pas qualifier les mensonges de vérité », a déclaré Angela Merkel qui a « accueilli » en Allemagne les réfugiés syriens pour des raisons complexes (démographiques, économiques, droits fondamentaux, etc.). Complexité. Elle se tait sur les mensonges politiques du libéralisme tout en affirmant prendre en main la question du climat en 2020[49] et la refondation de l’Europe par un partage de la dette et une politique de la santé considérée comme un marché et pas comme un bien commun.

Dans un long article fouillé, Arendt décrit le mensonge politique d’une puissance impériale dans la guerre du Vietnam qui, montre-t-elle, a affaibli les Etats Unis (duperie, autosuggestion, fabrication d’images éloignées des faits, influences d’idéologie de guerre froide, négation de réalités, usage d’outils théoriques – théorie des jeux, des dominos -, approche par calculs  ne décrivant pas la réalité et non par jugement, manipulation d’opinion, enlisement, etc…). 

Dans son travail sur le mensonge politique dans les années 1960, elle se déplace pour considérer le mensonge politique qui conduit à la violence, comme mode de pouvoir de la force visant la légitimité et le consentement à des politiques de gouvernement, fortement contestées[50]. Elle a approfondi sa réflexion, dans deux autres articles, « Vérité et politique »[51], et dans La Crise de la culture[52].

Elle a souligné un aspect du mensonge politique très intéressant pour saisir son ambiguïté, dont il faudrait faire une analyse approfondie et détaillée. Ici, nous nous limitons à présenter la contradiction essentielle située dans le pouvoir et l’agir humain. Elle montre en quoi le mensonge politique est une arme de pouvoir avec une caractéristique notoire observable, il est ambigu, car l’action, la liberté politique est aussi ambiguë. L’émancipation, l’autonomie suppose une prise de conscience et un travail critique sur l’ambiguïté.

En quoi consiste alors le mensonge politique dès lors qu’on met en rapport vérité et mensonge, réalité et propagande ? Son efficacité tient à un facteur que la rhétorique, dans une de ses formes de manipulation, de propagande connaît bien : le vraisemblable pour cacher la vérité du réel. « Le mensonge est souvent plus plausible, plus tentant (…) que la réalité, car le mensonge possède un grand avantage de savoir d’avance ce que le public souhaite entendre ou s’attend à entendre. Sa version a été préparée à l’intention du public, en s’attachant toute particulièrement à la crédibilité, tandis que la réalité a cette habitude déconcertante de nous mettre en présence de l’inattendu auquel nous n’étions nullement préparés » (p. 11 et suiv.). Arendt fait un pas de plus, fondamental pour la résistance, le desexil de l’exil, l’hospitalité politique.

En clair, l’usage du mensonge politique se base sur le connu, le vraisemblable, tandis que la recherche de la vérité, de la justice, cherche toujours à explorer la part d’inconnu, de nouveauté qui est liée à une caractéristique de l’action humaine qui est à chaque fois un nouveau commencement[53]. Un des traits marquants de l’action humaine est qu’elle entreprend toujours du nouveau », ce qui ne signifie pas qu’elle peut alors partir de rien, créer à partir du néant. On ne peut faire place à une action nouvelle qu’à partir du déplacement ou de la destruction de ce qui préexistait et de l’état que nous possédons, la faculté de nous écarter par la pensée de notre environnement et d’imaginer que les choses pourraient être différentes de ce qu’elles sont en réalité. Dans la partie finale, je reviendrai sur la question de la « nouveauté ».

Autrement dit, Arendt souligne que la capacité de mentir et la puissance d’agir sont intimement liées. Mentir et Agir sont deux formes de pouvoir. C’est là où se joue l’ambiguité. Le pouvoir d’action, par la résistance démocratique, l’autonomie, est l’exercice risqué de la puissance de « commencer quelque chose de neuf » et de le penser. Le pouvoir de domination, par le mensonge, en cherchant le consentement, en manipulant la peur, s’appuie sur le confort du  connu, du vraisemblable, empêche de voir la possibilité de transformer réel, de prendre acte de la puissance de l’invention du nouveau. La liberté politique se situe dans ce lieu d’ambiguïté du mentir et de l’agir.

« Nous sommes libres de changer le monde et d’y introduire de la nouveauté » (p. 9). Sans la possibilité de dire oui ou non, il n’y aurait aucune possibilité d’agir, et « l’action est évidemment la substance même dont est faite la politique » (p. 10). L’ambiguïté réside dans l’agir, dont le mensonge politique et l’action sont des modes opposés concernant le pouvoir politique.Le mensonge politique n’est pas un simple incident de circonstances, il est consubstantiel de la politique de domination, qui est un rapport de manipulation cherchant le consentement. L’action humaine est l’exercice difficile de la liberté politique et de la pensée, du jugement de la nouveauté par rapport à l’existant, comme on le constate ailleurs dans son oeuvre. En d’autres termes, Arendt nous invite à prendre acte que l’ambiguïté est le mode du mensonge politique… et de l’action humaine et donc à la fois de l’ordre de la domination et de la liberté politique. Tout pouvoir agit pour renforcer, rendre légitime sa force du côté de la domination… et sa puissance du côté de la résistance.

Le psychanalyste argentin Jose Bleger apporte des éléments complémentaires en observant l’ambiguïté dans l’inconscient individuel et social, comme on le verra plus loin[54]. On comprend le lien étroit entre liberté politique, ambiguïté et consentement ou plus précisément le conflit ambigu entre obéissance-désobéissance dans la résistance. Résister, désobéir à la force suppose non seulement de dénoncer un mensonge politique, mais de prendre conscience de son ambiguïté lié au pouvoir entre force et puissance et son ancrage dans l’inconscient individuel et social. Ce point est très important à la fois pour saisir le poids du mensonge politique du pouvoir d’Etat (Schengen, apartheid) et l’ambiguïté constitutive de la puissance d’agir. Le des-exil de l’exil est alors non seulement une démarche critique mais une prise de distance du mensonge politique en travaillant l’ambiguïté du pouvoir et de sa propre ambiguïté pour dégager la liberté politique de se mouvoir de la « libre circulation », de la « mobilité ». Des-exil et Des-obéissance sont intimement liées, comme on le verra dans la dernière partie. C’est là que se situe ce que j’appelle la résistance de rupture.

Le mensonge politique si ambigu soit-il, ne parvient pas, « avec le concours des ordinateurs, à recouvrir la texture entière du réel » (p. 11). Il existe des limites fournies par le réel, la « nécessité vitale » au-delà desquels, le mensonge politique ambigu, et le mensonge politique s’appuyant sur la peur, la menace, la force, ne marche plus. Dans les sociétés totalitaires précise Arendt, la force remplace l’ambiguïté pour accentuer la domination « totale ».

Le travail d’Arendt, en considérant ensemble le poids de l’action, du langage, de la pensée autonome et la « négation délibérée de la réalité – la capacité de mentir – et la possibilité de modifier les faits – sont intimement liées ; elles procèdent, écrit-elle, l’une et l’autre de la même source : l’imagination» (p. 9). Castoriadis s’est centrée sur le recouvrement du pouvoir d’imagination dans la tradition philosophique et la création humaine (base de données). Aujourd’hui, tout en distinguant bien les époques, le raisonnement d’Arendt et celui de Castoriadis permettent de saisir ce qui constitue les deux modes de pouvoir – force et puissance – dans  « laboratoire » Schengen, les mouvements. L’ambiguïté constitutive du mensonge politique concerne à la fois la force et la puissance, l’Etat et la Résistance. La réflexion nous aide à développer une analyse, une méthode active, critique, transversale.  Les mensonges politiques ambigus de la guerre du Vietnam (documents du Pentagone) ont été un événement marquant grâce aux mouvements politiques contre la guerre du Vietnam qui ont lutté contre la guerre. Aujourd’hui, la résistance baigne dans les mensonges politiques ambigus. La désobéissance civique observable dans les politiques migratoires, du droit d’asile, des femmes, du climat, etc., est criminalisée, elle est pourtant un événement[55] marquant de la création politique d’une Autre Europe.

10. Assurer l’hospitalité politique par la résistance de rupture

A quoi tient le désir d’hospitalité dans une vie ? Il y a de multiples facteurs. Il y a certainement la curiosité de l’enfance pour l’inconnu. Il y a peut-être, un lien avec la nature, le passage de beaucoup de gens dans une maison ouverte avec huit enfants, m’a-t’elle habituée à voir du monde et à ne pas être effrayée et même à découvrir des mondes ? Risquons une anecdote parmi d’autres. Une fois que je rentrais chez moi, fatiguée, j’ai voulu dormir…. Et j’ai trouvé quelqu’un dans mon lit. Ma mère m’a expliqué qu’elle avait pris dans sa voiture un jeune américain qui faisait du stop qui ne savait pas où aller dormir. Tu peux t’installer dans un autre lit, m’a-t’elle dit, ce que j’ai trouvé normal, en retrouvant au petit-déjeûner le voyageur de la veille qui mettait du beurre dans son café et pas sur ses tartines…

L’hospitalité prise dans les rapports de pouvoir complexes, ignorée[56], ne se limite pas à une question morale, humanitaire. Ni même à un principe. C’est un rapport politique entre humains au sens de plus général, impliquant l’échange libre, égalitaire de la liberté politique, de la protection, etc.. L’hospitalité n’est rien sans la justice, sans la liberté politique de se mouvoir[57], sans l’égalité. Au XXIe siècle, L’hospitalité est appropriée par le système d’Etat dominant sur la planète entièrement découverte, conquise, pillée par les humains. On découvre que dans la tradition, y compris d’Etat (Kant), elle a la même césure, séparation entre sujets et non sujets que l’apartheid (l’hôte, l’étranger, eux-nous). L’hospitalité revisitée au sens fondamental du mot politique est une énigme positive. Le défi du XXIe siècle est de faire un pas de plus que Kant pour situer les rapports entre hospitalité et politique.

Une telle démarche est donc d’autant plus pertinente quand l’avortement, le salaire minimum, le droit des migrants, du travail, des femmes sont attaqués, les réformes de Bologne, du Service public imposées. La lutte pour le climat, est un terrain d’affrontements qui prend de l’ampleur. Malgré les intimidations, un peuple a presque gagné une initiative pour des multinationales responsables en Suisse. Nous vivons dans un pays forcé d’abandonner le secret bancaire, le statut de saisonnier. Un pays, où l’Etat, comme la plupart des Etats du côté de la force, n’a pas signé la Convention des travailleurs migrants et de leur famille, le Pacte européen des Réfugiés, le Pacte migratoire international.

Dans les politiques migratoires, du travail, de la recherche, du service public, de l’environnement (réfugiés climatiques), il y a un vide politique dangereux que l’hospitalité politique civique est appelée à généraliser une entre-protection pour protéger non seulement les réfugiés, mais l’ensemble des humains et la nature. En d’autres termes, l’hospitalité politique mérite d’être explorée sur d’autres terrains. Elargie. Elle est un des éléments-clés pour une Autre Europe dans le monde. Renforcer la société civile, fédérer les liens dans des luttes d’hospitalité politique en Europe et dans les « suds » participent à la  nouvelle civilisation du XXIe siècle.

Une multiplicité de questions habitent les constructions des savoirs et de la citoyenneté.  Ce qui est peut-être central, au moment de la synthèse, en repensant des notions de la tradition et de philosophie politique depuis Hobbes, c’est de refonder, d’élargir de déplacer les notions d’exil, par le desexil de l’exil et d’hospitalité politique en tant que référence générale de nouvelle « civilisation » de l’ensemble des humains à prendre en compte dans un nouveau paradigme, comme on va le voir[58]. La traduction de cette découverte est faite dans les cinq propositions présentées qui sont très concrètes comme on peut le voir dans le texte final.

En guise de conclusion 

Un long chemin, les multiples travaux dont la base de données n’épuise ni les références, ni les questionnements, ni les textes tout au long d’un périple, dont certains oubliés, perdus. Finalement, deux essais récents, L’évidence de l’asile (2016), La liberté politique de se mouvoir (2019), ont enclenché le désir, d’un projet sur des praxis, de mémoire et d’archives. Parfois des héritages se perdent. Parfois un travail de mémoire se fond dans les glaces de l’oubli. Parfois des politiques de domination, de violence sont dévoilées, des praxis de résistance découvre l’hospitalité politique généralisable. En engageant cette aventure, mon espoir, notre espoir et que l’invention d’un outil, – une base de données -, une découverte de l’hospitalité politique, grâce à la résistance de rupture, des réflexions philosophiques et politiques après-coup, dans un contexte et avec des moyens limités, la traduction de constats, d’analyses par la formulation de cinq propositions ont permis, permettent de dégager la construction de l’Autre Europe anticapitaliste. Un tel cheminement peut contribuer à la compréhension et à un apprentissage : la puissance du pouvoir d’agir et de penser se gagne.

Genève, ler avril 2021.


[1] Le concept de violence est complexe et son exploration par le mot Gewalt par Walter Benjamin est un apport important pour la réflexion philosophique et politique. Il a été relu notamment par Hannah Arendt quand elle pense le lien entre guerre et révolution au XXe siècle. (voir notamment texte Caloz-Tschopp, M.C., « Hannah Arendt, le fil rompu entre violence et révolution au XXe siècle, Colloque d’histoire contemporaine, Université de Lausanne », in  Stéfanie Prezioso, David Chevrolet (éds), L’heure des brasiers. Violence et révolution au 20e siècle, Lausanne, Ed. d’En Bas, 2011, pp. 77-99).  Il a enrichi les débats qui se poursuivent. Etienne Balibar (voir son livre, Violence et Civilité, Galilée, 2010) a travaillé le concept de Gewalt, pour réfléchir à la violence révolutionnaire et sa conversion par le biais de la « civilité », dans l’interrogation sur la « civilisation de la révolution » et sur « civiliser l’Etat ». Nous avons travaillé son livre dans le Séminaire d’Istanbul (voir base de données). 

[2] Cette notion ambiguë, soumise à de nombreux débats a une histoire longue et complexe. La notion d’Etat sociologique, organisationnel, juridique est apparu historiquement et elle est devenue dominante. La notion d’Etat côtoie alors, par ex. celui de classe.  « Sur le plan juridique, « l’État peut être considéré comme l’ensemble des pouvoirs d’autorité et de contraintes collectives que la nation possède sur les citoyens et les individus en vue de faire prévaloir ce qu’on appelle l’intérêt général, et avec une nuance éthique le bien public ou le bien commun » (source Wikipédia). Il se définit par des rapports individus-Etat (Marx). Hannah Arendt en parlant de l’Etat-nation qui s’est approprié l’Etat énonce à la fois dans les rapports de pouvoir, un système et un concept, sans théoriser la distance entre une structure historique et un concept théorique.

Il n’est pas dans mon propos d’entrer dans les débats théoriques ici. Il est possible d’envisager l’Etat comme cadre, (holding) théorique de l’ensemble des rapports de pouvoir, enjeu du pouvoir dans l’histoire des sociétés. Penser sans Etat, serait penser sans l’Etat « moderne » (Clastres, Lordon) approprié par la bourgeoisie (Marx), les oligarchies, des tyrans, ou penser le rapport à la fois aux rapports de pouvoir et au « cadre » en le problématisant par rapport au pouvoir, à la violence. L’usage de la violence d’Etat prend en considération ici à la fois l’invention historique concrète et la question théorique du cadre. 

[3] Cette distinction entre la force et la puissance d’agir est empruntée aux œuvres de Hannah Arendt et de Simone Weil.

[4] A propos « d’extrême violence », voir Balibar Etienne, « Après coup sur les limites de l’anthropologie politique », Violence et civilité, Paris, éd. Galilée, 2021 (2003), p. 383-417.

[5] En sachant qu’il y a toujours un espace non réductible non seulement entre la justice et le droit, mais entre le droit et la politique.

[6] Brièvement, depuis la « modernité » capitaliste impérialiste, nous sommes face à une double tragédie, la tragédie inéluctable de la mortalité individuelle qui a fait l’objet de textes innombrables dans diverses cultures, mais de la mortalité de masse, intégrant la destruction de l’humanité et de la nature de la planète.

[7] J’emprunte le terme à Etienne Balibar, dont il est fait état dans plusieurs textes.

[8] Vaneigem R., La liberté enfin s’éveille au souffle de la vie, Paris, éd. Cherche midi, 2020

[9] L’alignement des ces 3 notions sous cette forme avec des déplacements, de permutations des 3 notions donne la possibilité de refaire la très longue histoire riche, complexe, entre le 18e et le 21e siècle, des luttes de race, de sexe, de classe dans le capitalisme, en prenant en compte les rapports sexe/genre, l’intersectionnalité, concepts amenés par des féministes (voir par exemple, Angela Davis, Femmes, race, genre, et classe, Paris, éd. des Femmes, 1981 et aussi d’autres références dans la base de données.  Pour ma part, je désire mettre l’accent sur ce que j’appelé dans mes travaux « les conditions matérielles d’existence » des exilé.e.s dans les rapports capitalistes constitués par les 3 caractéristiques à tenir ensemble en n’oubliant pas leurs aspects matériels et symboliques. Donner la priorité à l’une ou a l’autre dans l’énoncé, transformer des énoncés, en retenir certains permet d’observer des logiques, des ambiguïtés, des enjeux dans des débats sur les imbrications, articulations, conflits dans les rapports de pouvoir de domination, des luttes, des stratégies dans les mouvements révolutionnaires, les « mouvements sociaux », etc.. en déplacement.  Parmi une abondante littérature, à propos des féministes matérialistes, voir les travaux de Nicole Mathieu à ce propos depuis une perspective féministe (cf. base de données). Voir aussi Falket Jules, Imbrication, femmes, races et classe dans les mouvements sociaux, Paris, éd. le Croquant, 2020.

[10] Margrit Spichtig, entretien pour le film d’Axel Clévenot, Terre d’asile.

[11] Proust Françoise, De la résistance, Paris, éd. du Cerf, 1997.

[12] Voir son livre  en espagnol, traduit en 2020 en français sous le titre, Faire avec l’incertitude, Paris, éd. Chronique sociale, 2020. (voir la base de données).

[13] Voir l’article d’Etienne Balibar à ce propos dans la base de données.

[14] Le petit livre d’un historien colombien a été un outil précieux. Sanchez Gonzalo G., Guerras, Memoiria&Historia, Medellin, ed. La Carreta historica, 2006.

[15] Au moment de Schengen est apparu un camp en Allemagne de 5000 places pour les requérants d’asile. Le Secrétaire général du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) de l’ONU l’a annoncé dans la revue du HCR, Réfugiés et a sous la pression de l’Allemagne dû retirer le numéro. Nous n’avons pas réussi à mettre la main sur ce numéro spécial sur les camps du HCR.

[16] Voir à ce propos, parmi une abondante littérature, Zuboff Shoshana, L’âge du capitalisme de surveillance, traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Bee Formetelli et Anne-Sylvie Homasser, éd. française, Paris, Zulma Essais, 2020. ISBM 9 782843049262

[17] J’emprunte le concept à un chercheur kurde. Voir Bazarslan Hamit, Cris, Violence, Dé-civilisation, Paris, CNRS éditions, 2019. Il a introduit le colloque de Genève en 2019.

[18] Voir les travaux juridiques de Nicky Busch, François Rigaux, Christophe Tafelmacher, Carine Povlakic, Monique Chemillier-Gendreau, etc. et le livre de M.C. Caloz-Tschopp sur l’évidence de l’asile (2016), dans la base de données.

[19] Voir à propos de ces termes, Caloz-Tschopp Marie-Claire, La liberté politique de se mouvoir. Desexil et création : philosophie de la fuite, Paris, éd. Kimé, 2019, pp. 17 à 143 et 307-357 (dans la base de données).

[20] Aujourd’hui, voir notamment pour l’action publique, voir Arsène S, Mabi C. (coord.), L’action publique aux prises de la gouvernementalité numérique, no spécial de Réseaux, éd. La Découverte, 2021.

[21] J’utilise le mot philosophie et aussi politique comme étant des biens communs, appartenant à tous et en ce sens radicalement démocratiques. Ils ne sont pas à l’abri de dépropriations anti-démocratiques dans les rapports humains.

[22] Voir, Homère, Odyssée, Bibliothèque de la Pléiade, 1955, pp. 707-712.

[23] J’utilise plutôt la forme active que la substance (disparition), pour ne céder au déterminisme qu’induit la violence allant aux extrêmes et pas éluder la question de l’intentionnalité, de la responsabilité, concepts qui se sont déplacés, complexifiés. C’est le cas aussi de la notion de « crime contre l’humanité », méritant un recul critique dans son usage.

[24] On pense au génocide du Ruanda avec l’élimination de presque un million de personnes avec des machete et radio Collines qui complexifie l’analyse des génocides.

[25] Voir, APRESSIAN V., « Les enfants du chemin noir », in EHRENBOURG Ilya, GROSSMAN Vassili (dir.), Le livre noir, Paris, éd. Solin&Actes sud, 1995., p. 904-912. ISBN 978-2-330-13006-0

[26] Les documents, informations, textes, livres, etc. renvoient à des  noms propres ; les travaux, publications,  références citées se trouvent dans la base de données.

[27] Voir en particulier, Caloz-Tschopp Marie-Claire, « La liberté politique de se mouvoir : un châssis, des énigmes », in La liberté politique de se mouvoir… Paris, éd. Kimé, 2019,  pp. 181-241.

[28] Voir la partie réflexive d’introduction sur Schengen-Dublin-Frontex dans la base de données.

[29] Les documents, informations, textes, livres, etc. renvoient à des  noms propres ; les travaux, publications,  références citées se trouvent dans la base de données.

[30] Caloz-Tschopp Marie-Claire, Les sans-Etat dans la philosophie de Hannah Arendt. Les humains superflus, le droit d’avoir des droits et la citoyenneté, Lausanne, éd. Payot, 2000.

[31] Caloz-Tschopp Marie-Claire, Les étrangers aux frontières de l’Europe et le spectre des camps, Paris, éd. L’Harmattan, 2004.

[32] Caloz-Tschopp Marie-Claire, Résister en politique, résister en philosophie, Paris, éd. L’Harmattan, 2008.

[33]  Ducange J.-N., Jaquet Ch., Plouviez M. (coord.), La raison au service de la pratique. Hommage à André Tosel, Paris, éd. Kimé, 2019.

[34] Zuboff Shoshana, L’âge du capitalisme de surveillance, Paris, éd. Zulma, 2019.

[35] La réédition des œuvres de Huxley et Orwell ont décrit des logiques de surveillance. Une relecture critique de Huxley montre que ses travaux basés sur la biologie de son époque n’épuise de loin pas les récentes découvertes biologiques sur le génome par exemple et leurs effets pour l’ensemble des populations de la planète.

[36] Voir la partie Panorama, de la base de données pour des articles, documents sur Castoriadis. Voir en particulier, Caloz-Tschopp Marie-Claire, « Jamais l’âme ne pense sans fantasmes » et « Vertige démocratique », in La liberté politique de se mouvoir… Paris, éd. Kimé, 2019,  pp. 429-461 et 497-523.

[37] Voir dans la base de données, son texte et surtout les documents sur la Forteresse Europe qu’il a constitué et qui sont des traces précieuses de ce qui se passait dans l’Europe des polices  dans les années qui ont suivi la fondation de l’espace Schengen..

[38]Pour éviter toute équivoque, précisons que l’Europe ne se limite pas aux institutions de Schengen-Dublin-Frontex. Les débats sont nombreux, depuis sa fondation. La souveraineté étatique (des « peuples » dans les discours) interne vis-à-vis de Bruxelles en est un qui ressurgit périodiquement… à propos de l’accueil des migrants et du respect de valeurs de référence. Le débat actuel sur l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme (article 7 du Traité d’Amsterdam), à propos de l’acceptation, à l’unanimité des pays-membres, du budget et la répartition des 750 milliards illustre les refus, les malaises, les thèmes conflictuels.

[39] Notons notamment un outil d’approche critique du droit, Maille Michel, Une introduction critique au droit, Paris, éd. François Maspero, 1982,  ISBN 2-7071-1344-1. Notons aussi les apports de plusieurs juristes et chercheurs en droit dans la base de données.

[40] Voir le texte d’Etienne Balibar à ce propos dans la base de données.

[41] Un récent débat parlementaire en Suisse a montré l’embarras devant Schengen pour diverses raisons et l’absence d’une « stratégie » sur la question. Voir Benteli Marianne et Busch Heiner, « Bilan d’une débâcle », Bull. de Solidarité sans frontières, no. 1, mars 2021, p. 6.

[42] Voir à ce propos notamment, Rigouste Mathieu, Un seul héros le peuple, éd. premiers matins de novembre, 2020.

[43] Vignar Ulriksen Vignar, Panoptique global contre les réseaux communautaires (voir partie IV de la base de données).

[44] On pense à la Grèce, à la Turquie. Aujourd’hui le débat se déplace autour des politiques de la santé (Covid).

[45] Morice Alain, Potot Swanie (éd.), De l’ouvrier immigré aux travailleurs sans papiers. Les étrangers dans la modernisation du salariat, Paris, éd. Karthala, 2010. ISBN 978-2-8111-0309-5

[46] Brina Aldo, Chronique de l’asile, Genève, éd. Labor et Fides, 2020.

[47] Dans les discours, on peut constater avec amusement l’usage du mot passeport qui côtoie celui de certificat.

[48] Ce texte critique sur l’humanitaire a été refusé de publication dans le Programme en action humanitaire de l’Université de Genève et publié grâce à la solidarité de chercheurs à l’Université de Strasbourg, ce qui a permis sa diffusion, y compris en Suisse (voir base de données).

[49] Merkel Angela, chancelière de la République fédérale d’Allemagne, « Discours aux étudiants de Harvard » en forme de testament politique. Traduite en français et édité par Le Temps, 12 juin 2020. Notons, en passant qu’Angela Merkel a imposé l’abandon du nucléaire en 2011, tout en concédant l’exploitation du charbon, accueilli  plus d’un  million de réfugiés en 2015,puis promu le mariage pour tous, instauré le salaire mininum en 2021. 

[50] Arendt Hannah, ouvrage Crises of the Republic, publié en 1969, puis traduit en français sous le titre, Du mensonge à la violence, Paris, éd. Calmann-Lévy 1972, ISBN 2-266-02882-0 p. 7-51, à propos des documents du Pentagone concernant la guerre du Vietnam.

[51] L’essai d’Arendt commence ainsi : « L’objet de ces réflexions est un lieu commun. Il n’a jamais fait de doute pour personne que la vérité est la politique sont en assez mauvais termes, et nul, autant que je sache, n’a jamais compté la bonne foi au nombre des vertus politique. Les mensonges ont toujours été considérés comme des outils nécessaires et légitimes, non seulement du métier de politicien ou démagogue, mais aussi dans celui d’homme d’Etat. Pourquoi en est-il ainsi ? Et qu’est-ce que cela signifie quant à la nature et à la dignité du domaine politique d’une part, quant à la nature et à la dignité de la vérité et de la bonne fois d’autre part ? Est-il de l’essence même de la vérité d’être impuissante et de l’essence du pouvoir d’être trompeur ? … », Arendt Hannah, « Vérité et politique », La crise de la culture, p. 289-290. 

[52] Paris, éd. Gallimard, 1972, p. 289-337.

[53] Dans d’autres textes Arendt explore cette caractéristique du pouvoir d’agir qu’elle base sur la naissance. Elle est une philosophe de la naissance et non de la mort. Voir encore par exemple, Arendt Hannah, Qu’est-ce que la politique ? Paris, Seuil, éd. français 1995 (existe en poche).

[54] La base de données contient les actes des travaux sur son œuvre.

[55] Un autre concept-clé d’Arendt. Voir Amiel Anne,  Arendt Hannah, Politique et événement, Paris, PUF, 1996.

[56] Ch. Blocher ne parle jamais d’hospitalité, pourquoi ?

[57] A ne pas confondre avec la « mobilité » et la « libre-circulation ». Voir Caloz-Tschopp M.C., La liberté politique de se mouvoir. Essai, Paris, éd. Kimé, 2019.

[58] Voir la partie introductive du projet, Hospitalité politique. Désobéissance civique. Mémoire. La création d’une Autre Europe. Voir base de données.