Desexil de l’exil
Une université libre et autonome? Praxis antinihilistes pour le 21e siècle.
Marie-Claire Caloz-Tschopp
« … étudier comment une suite incroyable et croissante de départs avait pu déstabiliser ma vie depuis depuis le tout début. Pour moi, rien n’a marqué mon existence de manière plus douloureuse et, paradoxalement, ne m’a autant enthousiasmé que les nombreux changements de pays, de villes, de domiciles, de langues, d’environnements qui m’ont gardé en mouvement tout au long de ces années. J’écrivais il y a treize ans, dans mon livre After the last sky, que je ne surcharge toujours de bagages lorsque je pars en voyage et que même pour un déplacement en ville il me faut remplir mon attaché-case d’objet d’une taille et d’un nombre disproportionnés par rapport à la durée réelle de la sortie. En analysant cela, j’en ai conclu que j’avais la peur secrète mais inextinguible de ne jamais revenir. J’ai découvert depuis que, malgré cette peur, je me fabrique des occasions de départs, que je la provoque donc volontairement. Ces deux sentiments ambivalents semblent absolument nécessaires à mon rythme de vie et se sont terriblement intensifiés depuis ma maladie. Je me dis : si tu ne fais pas ce voyage, si tu ne prouves pas ta mobilité et que tu te laisses gagner par la peur d’être perdu, si tu ne bouleverses pas le rythme habituel de ta vie domestique maintenant, tu ne seras certainement pas capable de le faire plus tard. Il m’arrive aussi de ressentir l’anxieuse mélancolie des voyages (ce que Flaubert appelait la mélancolie des paquebots, et en allemand Bahnhoffstimming) et d’envier ceux qui restent, que je vois à mon retour, le visage lisse, sans trace de bouleversement ou de fatigue occasionnée par ces déplacements apparemment forcés, heureux avec leur famille, bien au chaud dans leur costume et leur imperméable, bien visibles de tous. Quelque chose dans l’invisibilité de celui qui s’en va, dans le fait que les autres lui manquent ou qu’il va leur manquer, et aussi dans l’expression intense et systématique qu’il a de s’exiler loin de toute chose connue et rassurante, fait naître en vous le besoin de partir en vertu d’une logique suprême créée de toute pièce par vous-même, et vous plonge dans une forme d’extase. Quoi qu’il arrive pourtant, la grande peur reste qu’en partant, vous êtes abandonné, même si c’est vous qui partez ».
Said Edward W., A contre-voie. Mémoires, Paris, éd. Le serpent à plumes, 2002, pp. 320-321
Plan
- Introduction
- Le colloque sur la colère (Université de Lausanne, 2010)
- Le Collège International de Philosophie (CIPh), Une Université libre? Paris, 2015-2016
2.1 Fondation du Collège International de philosophie (CIPh), il y a 30 ans
2.2 Traces d’un débat interne au Collège (2015-2016)
2.3 2015-2016 - Le Colloque, Desexil. L’émancipation, Université de Genève et Programme Desexil de l’exil du CIPh, 31 mai-3 juin 2017.
« L’exil est quelque chose de fascinant à penser, mais de terrible à vivre »
Edward Saïd
« Il aime le mouvement de partir. Il se fout de l’endroit à atteindre, ce qu’il aime c’est partir, c’est déclarer qu’il part. Il dit qu’il va écrire, un jour, l’éloge de la fuite. Cet éloge lui paraît d’autant plus justifié qu’il a appris, hier, que le verbe partir, en espagnol, signifiait aussi partager »
Lydie Salvayre
Introduction
L’exil condense les innombrables expériences de la domination destructrice et de la liberté politique de se mouvoir. Voix, paroles, poèmes, chants, écritures d’exil. Récits, mythes innombrables font partie du patrimoine de l’humanité. Domination. Violence. Exil, silence imposé. Banissement. Obéissance. Autonomie. Quitter. Rester. Fuir. Ruse. Retour. Diaspora. Création[5].
Dialectiques multiples de la liberté de se mouvoir dans l’exil et le desexil. Briser l’exil, tisser les continuités brisées du temps[6], par les multiples chemins du desexil
Négativité de l’exil. Exilés, ce peuple de l’ombre et des abîmes de la destruction. Exil physique, politique, culturel. Nostalgie, ombre et lumière des disparus[7]. Exil intérieur, extérieur. Expulsion, dépouillement, dépossession. « Vivre c’est quitter »[8]. « Vivre c’est non seulement le droit de partir, mais c’est aussi le droit de rester, c’est-à-dire le droit de vivre là où l’on a grandi dans de bonnes et dignes conditions » a déclaré un exilé africain, E. Mbolela[9], qui précisait quant à la liberté de se mouvoir : « le coltan du Congo peut voyager librement, ainsi que l’or du Mali, le cacao de la Côte d’Ivoire ou le pétrole du Nigeria – mais les gens par contre sont privés de la liberté de voyager[10]. Exil combattant aussi, le mot est de J. Cortázar, écrivain argentin[11]. Les exilés refusent d’être assignés à un « monde de victimes » écrit un autre exilé latino-américain[12], (avec un effet pervers colatéral : la transformation de la solidarité en néo-paternalisme). Ils apprennent alors forger leurs armes, inventer des stratégies pour « détruire l’exil dans l’exil »[13]. Pour s’interroger sur la dépolitisation qui a rendu possible, la domination, la violence dans leurs sociétés qui a produit l’exil et aussi dans les pays « d’accueil » une vision déterministe de l’exil qui a figé avec le danger que des luttes de desexil soient dans l’ombre.
Qu’est-ce que l’exil, la question renvoie à l’interrogation du sociologue A. Sayad : qu’est-ce qu’un immigré ? [14], Ses recherches sur le rapport d’immigration inégal, ambigu, paradoxal de la violence… le provisoire, l’exploitation, la double-absence, le deuil, les générations, etc.. D’autres recherches vont dans le sens de dégager en quoi le migrant est un exilé avec ses multi-appartenances[15] en proposant des fondements pour un « droit d’exil ». Une telle approche déplace les approches de l’ONU du Pacte des migrants, et du Pacte de Réfugiés, sur l’exil. Ce que nous abordons nous aussi en parlant du « droit de fuite du peuple des exilés prolétaires », par d’autres chemins sans pour autant abandonner les droits des travailleurs migrants et le droit d’asile, avec une inscription de l’hospitalité dans les institutions, les constitutions. Dans la démarche du desexil de l’exil, il est possible qu’émerge un embarras, des points aveugles après le mouvement de dépropriation/appropriation de la liberté politique de se mouvoir et qu’il devienne alors possible d’identifier les apories et de les transformer en énigmes ouvertes.
Exil. Il est insupportable d’être chassé. Il est difficile de rester ou alors de partir. De vivre. De survivre. Il est douloureux de briser l’exil dans son corps, sa tête, en refusant de devoir justifier sans cesse sa présence là où l’on a pas forcément pu choisir de vivre, en goûtant la liberté de se mouvoir ce qui implique la déterritorialisation et l’appropriation de toute sa puissance d’être en (re)devenir en récupérant la souveraineté intime, social, politique, en se gardant de la force brutale où, sur la planète, que l’on soit amené à survivre, à vivre.
Desexil. Le desexil de l’exil, conduit à dégager un embarras, à s’arracher à la domination, et depuis d’autres lieux, d’autres temps, articuler la revendication du droit retour au pays dans la création dans de nouvelles temporalités, espaces de subjectivation et de peuples en diasporas, tout en inventant des espaces transpolitiques ouverts. Partir, Retourner. Retourner, Partir… Sortir d’une logique binaire départ-retour à la fois imaginaire et matérielle. Explorer dans les fuites et les ruses de survie, des lignes de fuite, des horizons nouveaux, des créations possibles. Le desexil implique un travail de mémoire local, transnational, transpolitique pour connaître, lutter contre « l’enfer des disparus »[16].
Les exilés ne sont ni des objets inertes, ni des faibles, ni des victimes, ni des cas sociaux, ni des masses humanitaires, ni des jetables, ni des réfugiés, ni des profiteurs, ni des voleurs de femme, de poules ou de chevaux, ni des terroristes. Les exilés sont des humains vivants. Ils ne sont pas pour autant des héros extraordinaires. Primo Levi, rappelle que toute situation, même la plus extrême, a besoin d’un « contre-chant » pour ne pas éluder les « zones grises », même dans les situations extrêmes (dans son cas avoir été à Auschwitz)[17]. Condamnés à l’exil, les exilés cherchent par tous les moyens subjectifs, politiques, culturels à briser la condamnation, l’expulsion par l’exil forcé tout en vivant dans une situation provisoire d’apatride.
C’est un labyrinthe plein d’énigmes où se mêlent rage, colère, souffrance, tristesse, desespérance, joies, apprentissages, découvertes.
« L’exil est quelque chose de fascinant à penser mais terrible à vivre », écrit un exilé palestinien, mort en exil[18]. Il n’a pu exercer son droit au retour vers une patrie occupée, éclatée.
Les exilés sont des expulsés, des insurgés qui brisent le poids, les souffrances, les traumatismes, les silences de l’exil par le desexil en imaginant un devenir hors du mode dominant de la territorialisation et de la souveraineté d’Etat et d’Etat-nation, pensable hors de la pensée d’Etat. Les sans-Etat d’hier et d’aujourd’hui inventent de nouvelles formes de création, de nouveaux rythmes, catégories, espaces, stratégies d’action politiques et philosophiques. Les poètes, les artistes jouent un rôle tout particulier pour trouver les images, les sons, les couleurs, les goûts, les mots.
Les multiples actions des exilés visent à survivre par la puissance insurrectionnelle d’appropriation de la liberté politique de se mouvoir sur l’ensemble de la planète Terre. Elles sont souvent obscures, invisibles, prisonnières de politiques[19], de guerres[20], de catégories des logiques humanitaires, victimaires, policières, utilitaristes ou encore présentées comme inconnaissables, aporétiques avec les outils et les catégories dont nous disposons. Elles sont imposées. En appellent à être déplacées.
Dans certaines théories politiques, les exilés sont ainsi souvent présentés comme des humains soumis, isolés, condamnés à la « vie nue » (Agamben). Comme des dangers à craindre (approche policière), des « victimes » (plutôt que des criminels ou alors les deux) ou alors des « masses humanitaires » (plutôt que des individus bénéficiaires de droits) alimentant l’immense marché de l’humanitaire et des forces policières, des marchands de dispositifs, d’armes de contrôle dans les pays européens, en Suisse[21] et dans les camps. Ce marché, qui invite à l’amnésie de l’apartheid renforcée par l’état d’exception, est presque aussi étendu que celui des armes.
Les exilés ne sont presque jamais présentés comme des êtres humains égaux, libres, autonomes. Lorsqu’ils exercent leur liberté politique de se mouvoir, ils font peur. Les craintes des exilés, de la plèbe envahissante, inssaisissable, séparée de nos vies quotidiennes disent quelque chose sur une perte politique que nous vivons dans un apartheid généralisé où nous vivons aussi et que nous refusons de voir.
De telles dénominations, classifications sont problématiques pour plusieurs raisons, dont la plus importante est d’inscrire ces catégories dans une métaphysique déterministe où l’exilé est réduit à n’exister qu’en étant réduit à une essence catastrophique, à une chose inerte, à des chiffres (statistiques), à des masses dangereuses face à un pouvoir absolu. L’expérience montre que les exilés, marqués dans leur corps, leur souffle vital disposant de la potentialité de se desexiler, comme tout être humain, ne vivent pas une condition de « vie nue ». Ils ne sont pas des statistiques mais des singularités. Ils sont actifs dans des rapports sociaux matériels inégaux de violence. Ils résistent dans les situations les plus extrêmes (camps, emprisonnement, torture, déportation, disparition).
Ils ne sont pas non plus des victimes à qui on applique le concept psycho-médical de « traumatisme » et les méthodes humanitaires de « résilience », où ils sont considérés comme des malades, ou alors des masses[22] (abris anti-atomiques, prisons, camps). L’humanitaire prend alors le pas sur les droits individuels qui sont pourtant à la base de la Charte des droits de l’homme et des droits internes des pays. La masse est une addition quantitive d’individus anonymes. Elle est composée d’individus singuliers qui en sont la qualité. C’est la négation par la violence d’Etat de la qualité d’humain rattachée à chaque individu qui a un nom même sans passeport. Notons le paradoxe de ces manières de nommer une situation, des rapports, à partir de concepts métaphysiques, médicaux, étatiques, bureaucratiques, policiers, de marché, alors que les exilés sont attaqués dans leur vie, leur santé, démunis de tout droit, de toute appartenance politique. Non persone, écrit un philosophe italien[23], l’expression est très différente de « vie nue ».
La vulnérabilité, la fragilité, la puissance des exilés sont ancrées dans le désir, le risque qu’ils prennent en luttant pour leur liberté politique de se mouvoir. Ce principe des principes, cette matrice, actualisés dans les luttes de desexil est une puissance souvent cachée, silencieuse, souterraine, invisible. Ou alors asujetties dans des histoires administratives officielles. Enchevêtrées dans la censure et les conflits des mémoires.
Le bruit assourdissant des systèmes de communication, des mensonges politiques, des fake news, recouvrent la précieuse information. Il nous faut tendre l’oreille pour pouvoir entendre la petite musique de l’aspiration à la liberté politique de se mouvoir, de l’arrachement à l’exil, de la fuite, la ruse, dans des gestes de refus, de résistance, de désobéissance, d’insurrection, de création par des voies imprévisibles.
L’insurrection intime et collective en créant des espaces publics provisoires de subjectivation et de citoyenneté fragiles montrent la création des exilés à l’oeuvre. Le ressort de la puissance insurrectionnelle a le feu de tout commencement dans un monde dévasté et ouvert. Le cran, le courage, la fuite, la ruse, l’humour sont la puissance de la fragilité.
Comment aborder l’exil? Que pouvons-nous apprendre par l’usage d’un mot : desexil ? Comment penser le mouvement du desexil de l’exil pour pouvoir saisir toute sa puissance intime, insurrectionnelle, instituante, constituante en ne déniant pas ses embarras, ambiguïtés, zones grises, apories? Je me propose d’en suivre le fil rouge du desexil de l’exil en évoquant des difficultés mise en lien avec la question d’Arendt Qu’est-ce que la politique ? Le but est de dégager une énigne de la liberté politique de se mouvoir dans la dialectique entre pouvoir de domination de l’exil et pouvoir d’agir d’émancipation insurrectionnelle du desexil.
Desterrada. Naître quelque part. Mourir ailleurs.
Desterrada. C’est le cri de désespoir poussé par une femme exilée qui pleurait le lien brisé à sa terre d’origine.La phrase d’une autre exilée, « naître quelque part. Mourir ailleurs » dit la violence de l’arrachement de l’exil. Se trouver hors de chez soi, nulle part. Sans même une terre où être enterré à côté des siens[24]. Etre « loin de chez moi mais jusqu’où ? » se demande encore une femme exilée turque[25] en mettant l’accent sur l’arrachement à un chez soi avec la possibilité limitée de retrouver un autre lieu provisoire.
L’expulsion commence tôt dans la vie de tout être humain. Est-ce pour cette raison que l’exil est très souvent vécu comme un destin (fatum) ? Etre en sécurité dans le ventre de sa mère, en être expulsé à la naissance sans pouvoir y retourner pour s’y réfugier, s’y retrouver en sécurité, est la première forme physique d’exil du corps de sa mère ressentie dans son propre corps par l’exilé, écrit le poète exilé Afghan Rahimi. Après sa naissance (parfois avant !), c’est l’exil « intérieur » des frontières dessinées par l’histoire quand celui-ci n’implique aucun déplacement géographique, territorial, avec une distance intérieure d’autoprotection ; c’est l’exil de l’infans tout à son corpsencore sans langage pour se représenter ce qui l’entoure, émergeant par étapes à la pensée symbolique, jouant avec la pensée, le langage en devenant ainsi « sujet »[26] et en découvrant la pensée, la puissance des mots.
Puis être arraché par la force politique à sa terre (destierro), à ses outils, à son corps, à sa langue[27] aux siens, à ses droits (« l’exil, c’est la nudité du droit », Victor Hugo), à la justice, par l’appropriation du pouvoir politique de liberté de se mouvoir, la négation de l’appartenance politique, les guerres de destruction impliquant la dispersion de populations entières[28], la « mémoire déboussolée » à cause de la disparition de son pays (ex-Yougoslavie)[29] par le saccage, le pillage, par les changements climatiques, etc.. autant de modalités des dispositifs de force de l’exil que les récits d’exilés parviennent à évoquer mais pas à raconter.
L’exil imposé par des mesures politiques de relégation, de bannissement[30], des déplacements de populations, les destructions de villages, des guerres « d’anéantissement », les politiques de disparition, etc. est un danger tragique de perte du rapport à soi, aux autres, à la politique et au monde. Il est si terrible qu’il s’interprète souvent en terme d’angoisse d’effondrement que décrit Winnicott[31] et de sauvegarde de soi, de viol, de dépropriation, de perte irrémédiable, de destin tragique, de malédiction, de mort. C’est la face à la fois obscure et sombre de l’exil, nous dit un psychanalyste.
L’exil est une tragédie pour l’exilé quand, par l’imposition de la force brutale, elle fige le corps, l’imagination, la pensée. L’exil est alors inneffable, chargé de dislocations, d’effondrements, de sentiments de basculement dans l’abîme et le chaos. Il devient aussi opportunité s’il est possible de fuir, de ruser avec la violence. La situation de vol de la liberté, de l’autonomie en appelle à une prise en main de son existence dans ses moindres détails (on pense à Victor Hugo, inventant sa maison d’exil à Guernesey, s’inventant bâtisseur autodidacte), on pense à ces exilés inventant leurs meubles, leurs habits, des habitations communes, etc. pour lutter contre la colonisation intérieure et matérielle de l’exil), au cri, à la parole, à l’écriture, au témoignage, au travail de mémoire impliquant l’altérité à soi et aux autres. Ce qui est loin d’être une tâche aisée et une évidence.
Le pain de l’exil est amer[32]. Il se vit entre courage et douleur[33]. L’essentiel est de « sauver sa peau », de faire le deuil de la perte d’attaches. L’exil contribue à la radicale dépropriation du droit à la liberté de se mouvoir, à agir en toute autonomie avec son corps, sa pensée. Sous couvert de souci des victimes en provenance de la charité et du marché de l’humanitaire[34], l’approche pathogène est le déni du rapport politique d’exil, de banissement « pire que la mort », de violence, d’exploitation, de surexploitation et d’expulsion de la politique et du monde.
A partir de là, on comprend d’emblée que la distinction entre exil volontaire ou imposé (migration choisie ou imposée, choisissons-nous de devenir immigré, travailleur déplacé, exilé ?) est soumis au débat, vu la complexité des situations et des dynamiques, les marges de manœuvre dans les rapports de pouvoir en jeu. On peut aussi aborder l’exil sous d’autres angles : l’angle des générations, de l’intergénérationnel, du transgénérationnel, l’exil dans la langue (navigation entre plusieurs langues), l’art, les bouleversements collectifs et privés[35]. « L’exil ne finira pas », écrit un exilé syrien en arrivant à Paris[36]. Quand a-t-il commencé ? L’exil est une perte majeure, la « perte du monde » (cosmos), écrit une philosophe[37]. Au moment où il se vit comme une rupture, l’exil abolit le temps et l’espace qu’il faudra reconstruire autrement, ailleurs, avec d’autres inconnus.
La très abondante phénoménologie de l’exil nous apprend comment la force d’exploitation, de domination, d’expulsion, qualifient le plus souvent l’exil dans la brutalité, l’extrême violence d’arrachement, d’expulsion, de déportation, de mort civile.
L’éthymologie nous donne des indications quant à l’opportunité d’une recherche de requalification de l’exil en prenant en compte l’agir des exilés : « Du latin ex(s)ilium venant de ex(s)ul (« séjournant à l’étranger, banni ») ou de ex(s)ilere (« sauter dehors ») qui indique l’action de l’exilé et non seulement le pouvoir de domination; première apparition en France en 1080, en Allemagne à la fin du XVIII e siècle. » (Wikipedia).
L’exil est un miroir grossissant des rapports d’expulsion dans la globalisation capitaliste. L’exil est finalement, tout au long de l’histoire, un rapport de banissement, d’expulsion, de destruction par la force de quelqu’un, de quelque part avec des formes, degrés divers de violences imposées. C’est aussi une place, une possibilité à l’agir de résistance et de création de l’exilé.
L’exil, dans la tradition historique de la solidarité, c’est l’expérience amère, dure et aussi heureuse des vieux exilés politiques de l’Europe du XVIIIe et XXe siècle et des soutiens de solidarité qu’ils ont expérimenté[38]. Ces écrits sont importants car ils nous informent sur les transformations du pouvoir de répression, en nous permettant de nous poser la question : qu’est-ce qu’une dictature, une tyrannie, une oligarchie, l’invention totalitaire du XXe siècle et ses traces aujourd’hui ?
Exil…. Si, sans nier la souffrance, l’angoisse, l’on ne se contente pas de prendre acte de l’expulsion d’un chez soi, de son pays, d’une mort civile, comment dès lors qualifier philosophiquement et politiquement le rapport d’exil vu dans l’histoire de la globalisation capitaliste?
Briser la face cachée de l’exil.
Dès le lancement du Programme du CIPh, Exil, Création philosophie et politique en 2010, l’objectif a été formulé : Explorer la face caché de l’exil[39], derrière la multiplicité des discours dominants sur l’exil.
Serions-nous tous devenus ces « citoyens d’un monde global » que décrit un physicien, fin observateur critique des lieux-symptômes des changements technologiques et sociaux dans un petit texte percutant[40]?
L’exil qui se globalise, la nouvelle forme d’universalisation où la domination, en plus de banaliser la violence exterministe est une succession de gestes arrogants jusque dans les petits détails[41] de la survie quotidienne. Le fait que le concept de « dignité » soit au centre des débats sur l’anniversaire des soixante-dix ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 en est un des signes[42], mais pas le seul. Ce que l’on pourrait appeler, avec le souci de ne pas perdre l’égalité, à savoir alors, « l’égadignité » ou mieux, « l’égalité-liberté-dignité » remplacerait-elle « l’égaliberté » où avait lieu le débat entre deux générations de débats sur les droits de l’homme (libéralisme, mouvement ouvrier) et quel en serait le sens, sinon de mettre l’accent sur les reculs planétaires des droits et leurs dangers plutôt que sur les acquis ?
L’exil a d’innombrables visages, il fait partie de la condition de vie des millions de personnes, y compris dans les formes inédites d’expulsions de l’hypercapitalisme d’aujourd’hui[43]. Une telle évolution n’est pourtant pas une évidence, malgré de poids de la violence, de la souffrance et la légèreté des joies, des rencontres, des découvertes. Que cache donc la condition d’exilé aujourd’hui pour qui interroge toute approche de ce mot?
Un constat apparaît peu à peu central. Le banissement « politique » s’est radicalisé, amplifié, complexifié, élargi. Il s’est transformé en de multiples formes d’expulsions qui traversent, transforment les rapports de classe, de sexe, de race. La condition transversale commune des exilés apparaît, dès lors qu’on la regarde depuis l’appartenance politique en adoptant les critères d’Arendt : l’expulsion de la politique et des droits, avec le danger « d’acosmie ».
Soulignons d’emblée que le concept d’exil au sens étroit ou élargi est absent dans divers dictionnaires ou vocabulaires philosophiques consultés. Tout au plus, – je m’en explique dans un article de la recherche[44]-, on peut en trouver des traces empreintes de perte, de tristesse dans le terme de « nostalgie », un mot en note. L’exil ne serait donc ni un concept, ni une catégorie philosophique et ne mériterait pas de devenir un objet de recherche à part entière pour que les philosophes participent à y déceler des déterminants et des transformations du capitalisme globalisé. La philosophie est un champ de bataille plein de généraux, d’officiers avec peu de soldats prolétaires, sauf quand la prolétarisation atteint directement le champ philosophique et qu’elle est amenée à se déprovincialiser. Le symptôme d’absence peut alors interroger le champ et les outils de la philosophie. Exil et nostalgie du passé, faut-il se résoudre à figer l’histoire, la mémoire, la vie, les luttes du présent, la création philosophique en s’arrêtant à la nostalgie stérilisante?
Cet accent déterministe marque l’urgence d’une philosophie de la politique de l’exil qui rompe avec les visions déterministes, mélancoliques, victimaires, humanitaires, sécuritaires de l’exil qui sont des formes de dépolitisation drastiques et/ou douces[45]. On peut aussi mettre en parallèle la disparition des droits et le développement du « droit d’ingérence » et du droit international humanitaire (DIH)[46], qui rappelons-le est le droit de la guerre[47]. Soulignons que le développement d’un tel droit lié à la guerre est mis en cause à son tour aujourd’hui dans, par exemple, la « crise » du CICR[48] qui a le mandat de développer le DIH. Une indication parmi d’autres de la métamorphose en cours.
Repenser les conditions d’exil : exploration
Prendre l’exil et le desexil non comme des définitions figées dans l’histoire, les langues, les récits, les images, ou alors comme des définitions absentes. L’exil n’est pas un fourre-tout, mais des processus de lutte politiques des desexilés pour se mouvoir lisibles dans les faits matériels ; le langage, l’art permettent d’identifier à la fois l’histoire, la mémoire, et leur signification politique aujourd’hui.
Il est difficile de « repenser l’exil », sans susciter des résistances. Nous ne nous sommes pas contentés d’en rester aux définitions classiques de l’exil, aux catégories juridiques et administratives (réfugiés, migrants, apatrides, etc.). Nous nous sommes engagés dans une démarche critique d’interrogation, de déplacement qui a suscité diverses réactions et interrogations bienvenues méritant d’être analysées, évaluées[49].
Une femme brésilienne participante du Mouvement mondial des femmes[50], a bien traduit la perspective de recherche sur l’exil abordé dans le Programme que nous menons et ses enjeux lors du colloque de Genève en 2017. Elle a fait un des exposés introductifs en soulignant l’objet à la base du programme, « le paradigme de l’exil est le capitalisme néo-libéral » en énonçant quatre défis communs du mouvement social: la nature, l’appropriation des revenus et des droits des travailleurs ; le contrôle du corps des femmes, la militarisation et la criminalisation de la violence.La liste des défis n’est pas exhaustive, mais les grandes questions sont énoncées. Le desexil consiste à dévoiler ces défis et à affirmer des alternatives, écrit-elle. Son exposé a le mérite de la clarté. Le fil rouge qu’elle a saisi dans la démarche du Programme a été bien saisi. Décrivons le parcours en montrant des problèmes qui ont émaillé les réflexion et les débats.
Aborder ainsi l’exil, en postulant qu’il serait en train de devenir la condition universelle des humains au XXIe siècle n’est cependant pas une évidence partagée. Commencer par une brève approche éthymologique permet de saisir le poids de l’histoire, de la tradition et de circonscrire le risque de discours sur l’exil qui ressemblent parfois à des discours de dépolitisation victimaires, bureaucratiques, sécuritaires participant ainsi à la banalisation des rapports de domination et de violence.
Mis en contexte historique et situé dans un rapport de pouvoir de domination, l’exil concerne un rapport antagoniste entre dominants et dominés, un rapport d’exploitation entre capital et travail, un rapport d’expulsion politique entre capital et exil : le banissement par un système économico-politique de domination et de terreur[51] par la mise en œuvre des dispositifs de répression, de torture, d’exil, la fuite des individus mis en exil forcé, (sauter dehors)… échapper ainsi au rapport d’appropriation.
Précisons d’emblée que le choix de l’usage du mot exil lié à la politique (citoyenneté) et à la philosophie est à la fois analytique et stratégique. Il y a le refuge, l’exil, les migrations liés au travail, à la survie. Ce sont des modes de rapports différents qui se rejoignent par l’expulsion, l’exploitation, la surexploitation. Dans la situation coloniale et post-coloniale, d’impérialisme, le rapport migratoire était un aller-retour contrôlé par la violence d’Etat et le marché du travail. Depuis les années 1970-1980, l’injonction dominante faite aux migrants est : chacun à sa place, plus personne ne bouge sauf exceptions[52]. En clair, l’apartheid sécuritaire, l’état d’exception avec les transformations du marché du travail, des droits sociaux et les nouvelles formes de guerres. Alors que l’insécurité, augmente, les conditions matérielles de vie baissent. Dans la ronde des permis provisoires, à part des exceptions en fonction d’intérêts ciblés (brain drain)[53] plus de permis de travail régi par le droit. Brain drain, travaux hors-droit et clandestinité. Emprisonnement. Expulsions. Pas de droit de visite, pas d’hospitalité se traduisant dans le droit d’asile, pas de droit de résidence, pas d’accès à l’ensemble des droits fondamentaux (libertés publiques, droits sociaux) et au droit au travail, à la formation, à la santé, etc.. La situation des travailleurs migrants dans le Golf sont l’illustration la plus poussée d’une absence de politique migratoire globalisée partout dans le monde.
Les millions d’exilés sont pris dans des régimes de surexploitation, d’exception, de désordre sécuritaire. La violence d’Etat consiste à priver les exilés du droit à la liberté politique de se mouvoir au sens où ce principe a été inventé historiquement, qu’il est un héritage de luttes. Dans les luttes actuelles, les exilés usent de leur droit à la liberté politique de se mouvoir, d’agir dans des conditions de plus en plus extrêmes, en exerçant leur liberté par le « droit de fuite » et la ruse pour fuir la violence, la survie, la surexploitation dans un marché du travail « formel » et « informel », l’expulsion, et même la dénégation du principe dit « de non refoulement »[54] qui fait pourtant partie des droits fondamentaux.
Fuite dans des conditions incroyables, inénarables… les traversées du désert en mourant de soif. La prison, l’esclavage en Lybie. Les échelles des exilés le long des murs entre l’Afrique et l’Europe sont basculées dans le vide, les bateau coulés, les frontières fermées, l’augmentation, la banalisation des mauvais traitements, du viol, des prisons[55], les prisons de masse privatisées où les exilés croupissent en subissant la torture, et même en ce qui concerne l’Australie, l’enfermement sur une île isolée – l’île Naru dans des camps d’enfants, de femmes, d’hommes, sans possibilité de fuite. Pour certains exilés qui sont capturés, les camps, les prisons les attendent avant une « réinstallation » forcée négociée entre Etats. Droit de (l’Etat) et pas droit de l’exilé a (du sujet-citoyen). Leur expulsion forcée après l’enfermement est programmée par vol spécial, par bateau spécial si nécessaire[56]. En résumé, les terminologies de l’errance et de la migrance, sont des terminologies controversées pour plusieurs motifs. D’une part, ils contiennent un certain présentisme qui fait fi de l’histoire des conquêtes, de la colonisation, de l’impérialisme et aussi du rapport ou force de l’expulseur et puissance de l’expulsé sont très inégales (avec les mots de l’errance, de la migrance, peut-on lire l’exploitation et les luttes des exilés ?). Par ailleurs, devrait-on parler de littérature des migrants, de littérature de la migrance, d’un état de migrance, plutôt que d’un rapport de domination et d’un Qui, d’un individu, d’une personne singulière concrète, d’un exilé [57] ?
Ces brèves considérations matérielles et de langage, le passage de l’exploitation, de l’enfermement à l’expulsion, de la dialectique de la force et de la puissance nous conduisent à reconsidérer et élargir la notion d’exil. Violence d’Etat et ses substituts (maffias, passeurs, marchands de barbelés, de caméras de surveillance, d’armes de contrôle).
En parlant d’exil, les catégories d’Etat, d’Etat-nation, de territoire, de souveraineté, d’étranger, de non national, d’apatride, de réfugié[58], de requérant d’asile, d’admis provisoires, de réfugiés économiques[59], etc. abondent dans le langage, les pratiques de la violence d’Etat, qui, toutes indiquent une grande diversité de rapports d’infra-pouvoir auquel est soumis l’exilé, qu’il s’agit de discerner et de qualifier sans se laisser prendre au piège de s’enfermer dans ce langage, ces catégories administratives.
Côté puissance d’agir des exilés, l’exil imposé peut se renverser en rapport de desexil de l’exil, de libération, d’émancipation, d’autonomie, d’insubordinaton, d’insurrection par la fuite et la ruse. Le mot desexil a un sens d’émancipation insurrectionnelle. En luttant dans toutes sortes de formes contre l’exil imposé, les exilés deviennent, en se réappropriant, en retournant l’exil en desexil, le pouvoir de domination en pouvoir de libération, d’émancipation, d’insurrection. L’exil devient un lieu d’exercice de la liberté politique de se mouvoir, de découvertes positives[60] tout au long d’une histoire de très longue durée dans divers endroits du monde.
En résumé d’un rapide parcours non exhaustif, la condition matérielle et immanente de l’exil aujourd’hui est un rapport non seulement « d’exclusion » mais d’expulsion de soi, d’appartenance politique et au monde. Arendt montre qu’il contient le risque de « superfluité humaine », d’élimination, d’extermination, d’acosmie[61]. Comme on l’a vu, en étant renversé, par la mise en œuvre du « droit d’avoir des droits », en étant enrichi par l’héritage de principes acquis, il contient la potentialité de l’émancipation insurrectionnele du desexil.Cela implique des étapes critiques repérables dans les luttes. On peut en considérer quelques unes ici.
Le desexil de l’exil : un déplacement « stratégique »
On comprend qu’il ne fallait donc pas en rester à l’exil pour saisir son sens. Le mot même en appelle à son contraire : le des-exil. Exil… desexil. Desexil de l’exil. Le desexil est un mot, qui par son préfixe – des – désigne le fait de se sortir, de fuir, d’échapper à la condition imposé par la force de domination à l’exilé, dont la forme de liberté politique de se mouvoir, d’échapper, la plus courante est la fuite.
Commençons par explorer le mot exil et son renversement en desexil par la puissance de l’action dans leur richesse historique et planétaire en les envisageant comme des rapports de pouvoir d’inégalité abyssaux entre force de domination et puissance d’émancipation insurrectionnelle à la base de la liberté politique de se mouvoir. Soulignons d’emblée combien, le système d’Etats, l’Etat et l’Etat-nation pèse sur les discours, les pratiques, les dispositifs, les outils, la nomenclature des catégories juridiques, sociales pour décrire l’exil en réduisant l’exil le plus souvent à des statuts administratifs et bureaucratiques, policiers ou alors, en ce qui concerne l’Etat social à des conditions d’existence des travailleurs de l’ordre de l’infra-vie, de la survie infra-humaine des exilés.
Dans le programme le mot des-exil a été inventé dans un jeu de langage en décomposant le mot exil et son préfixe des, – desexil – pour tenter d’y dégager la dialectique entre domination et lutte. Le poids de l’exil en a appelé à tenter de travailler sur des formes diverses de déterminisme, de nécessités pesant sur l’exil. Sans avoir lu Benedetti, ni pensé au droit au retour des Palestiniens et d’autres peuples, nous avons en effet réinventé à partir de l’observation du poids de l’exil, en nous demandant après coup – devant ce mot nouveau pour nous émergeant de la réflexion – ce que nous avions fait, alors que nous cherchions à nous débattre avec le langage nostalgique, victimaire, humanitaire, sécuritaire sur l’exil. Nous cherchions à construire une critique de l’exil avec le souci stratégique de ne plus faire l’erreur de nous enfermer sur le terrain de haine froide, expulsif, des étrangers (dont le fait de les transformer en victimes, cas du marché de l’humanitaire est une des formes de haine froide) qui voilaient le regard sur la violation des droits fondamentaux et sur les logiques sécuritaires en développement en Europe derrière des dispositifs comme celui de Dublin (expulsions des requérants d’asile vers les pays d’arrivée en Europe, soit l’Italie, l’Espagne, la Grèce)[62], pour imaginer une stratégie alternative d’insurrection transpolitique.
Le défi était de faire émerger dans la réflexion sur l’exil, non seulement ses aspects de violences tragiques en termes victimaires, humanitaires, sécuritaires, le droit au retour comme l’envers du banissement, mais aussi dans l’élargissement de l’exil et du mouvement dialectique de résistance à l’exil et sa créativité positive (de formes, d’espaces, de formes d’auto-organisation, les villes, les diasporas, etc.), y lire les transformations du pouvoir de domination et aussi les nouvelles formes d’émancipation insurrectionnelle des exilés prolétaires. L’appropriation, la création d’un mot en se déplaçant de l’exil au des-exil, acte « stratégique » a ouvert un sens aux luttes, sans épuiser le sens de l’acte.
Il devient alors possible de ne pas en rester à l’expulsion, à la destruction, dégager l’action des exilés, leurs luttes qui prennent toutes sortes de formes d’universalisation ouverte : le desexil de l’exil. Elles sont des énigmes posées au pays d’origine, de transit, de passage, de tolérance et même de résidence temporaire, provisoire, avec ses coûts et ses profits, sous la forme d’une double absence dirait Sayad[63]. La chasse[64], la capture[65], le droit de fuite,[66] la ruse, la création sont autant de formes de liberté politique de se mouvoir en agissant, pour survivre et échapper à la violence et à la mort.
Desexil, premier abord : « réintégrer la cohabitation sociétale », (Viñar)
Les discours sur la nostalgie, la saudade[67] sont sur les étales au risque de cacher les luttes. « La nostalgie est bonne, mais l’espoir c’est encore mieux », a déclaré un célèbre exilé, Eduardo Galeano[68]. L’exil, c’est la privation, la solitude, la dureté et la transformation de la subjectivation pour « réintégrer la cohabitation sociétale ».
Vu depuis les processus de (des)subjectivation, le desexil est décrit par un psychanalyste exilé latino-américain, en terme de long parcours de lutte du sujet non standardisé, non homogène, qui ne peut être réduit à l’application de techniques de spécialistes, à des concepts (décrits dans le manuel psychologique du DSM4 ou est décrit le concept de résilience)avec des étapes de transformations et de sublimation, pour se réapproprier l’appartenance à soi, à la politique avec ses loyautés, au monde:
« J’appelle Desexil le chemin, habituellement long et labyrinthique, que parcours la victime ou le survivant qui a intériorisé sa condition de sous-homme, pour essayer de réintégrer la cohabitation sociétale. Le chemin qu’il doit parcourir pour reconquérir sa place d’humain, reconstruire son corps, sa capacité à se penser, être quelqu’un pour quelqu’un, en reconfigurant ses loyautés et son appartenance, pour se sentir à nouveau un semblable »[69].
Une telle définition nous informe sur la référence psychanalytique dans des approches sur l’exil depuis la violence d’Etat, de ses substituts. Nous prenons acte qu’elle vise une critique de certaines approches médicales, techniques, conceptuelles de la répression, de la torture qui tentent de décrire les symptômes (post-traumatic stress, résilience, etc.), de soigner les victimes dans un cadre médical, mais ne parviennent pas à insérer le patient dans des rapports d’appartenance politique en mouvement, en élaborant le sens de la répression, de la torture, de la terreur politique en rapport à ce qui est de l’ordre du plus général, de l’attaque générale dans une société, de la liberté politique de se mouvoir, pour l’ensemble des individus, des peuples, des sociétés soumises aux dictatures et aux régimes, systèmes de domination « totale » du XXe siècle[70]. La définition a l’avantage de situer, après la fuite, le lieu de la démarche d’arrachement à l’exil, sa situation d’infra-droit, d’absence de droit, de récupération de son statut de citoyen-sujet à part entière en la situant dans ce qui est de l’ordre du plus général : l’appartenance politique. Dans ce cadre, on comprend la référence de la littérature des camps d’extermination amenée par Marcelo Viñar, avec le livre de Robert Antelme[71] indiquant le critère de vérité-limite) en posant l’ultime socle de la qualité d’homme (il peut me tuer mais il ne peut pas tuer un homme), il rejoint les descriptions de la puissance de subjectivation dans les pratiques politiques du desexil. En voyant Robert Antelme, soumis aux marches de la mort, épuisé, à terre, dominé par le SS armé, imposant un rapport de domination « totale » sur sa vie et sa mort. En lisant sa remarque au SS depuis ce que nous dit Arendt sur la liberté politique en mouvement, nous pouvons ajouter que la qualité d’homme implique, pour être pouvoir devenir une qualité « pleine et entière », la liberté politique de se mouvoir.
Ce qui frappe, par ailleurs, en lisant le psychanalyste exilé[72], c’est qu’il élargit la définition stricte de la torture[73] en intégrant le rapport de domination de la « violence extrême » d’Etat expérimentée dans l’usage de la torture comme outil politique de cruauté pour figer les populations dans la peur. Je renvoie à ses deux livres. En d’autres termes, quand il tente de décrire la torture, il pense en termes de contexte, d’histoire, de processus général de recherche de privation de liberté politique de se mouvoir, de rapport politique, démarche que nous explorons aussi en travaillant sur les concepts d’exil et de desexil. Dans les dictatures les rues étaient vides, personne ne parlait, dit un exilé. Cette indication intuitive permet de clarifier une démarche de pensée commune entre psychanalyse, politique et philosophie.
Desexil, deuxième abord : revendiquer le droit au retour
Le mot desexil apparaît en lien aux opposants politiques dans les tyrannies, aux apatrides et plus tard dans le continent latino-américain, au Moyen-Orient (droit au retour des Palestiniens), en Afganistan, etc. depuis le lieu de l’exil forcé des opposants politiques, en lien avec la revendication du droit au retour, en tant que retour[74] dans son lieu d’enfance, sa patrie, sa terre. Le droit au retour, vu depuis un regard sur l’espace extraterritorialisé (réapproprié) est en fait, la revendication politique de la liberté politique de se mouvoir pour retrouver sa patrie, sa terre. Notons que le retour vers les pays d’origine n’a pas été seulement un droit revendiqué mais il a été imposé par les Etats d’immigration, dans les politiques du retour forcé des immigrés dans les années 1980 (primes au retour)[75]. Aujourd’hui il est à l’œuvre dans les politiques d’expulsion forcées globalisées.
Le mot desexilio a été inventé par un poète uruguayen exilé, Mario Benedetti[76] au moment des dictatures latino-américaines qui l’ont forcé à l’exil, depuis où il écrivait aussi Viento de exilio, No te rindes (ne te rends pas). Il a été thématisé dans le célèbre tango nostalgique de Carlos Gardel, Volver. Le poète a mis le mot desexlio en rapport avec la revendication politique du retour des exilés latino-américains, condamnés à l’exil imposé par les dictatures après le long bannissement du pays. Par ce mot, il a aussi combattu les discours de nostalgie. Il a fait l’expérience d’un deuxième exil lors de son retour effectif en Uruguay[77].
L’exemple des exilés d’Amérique latine est à marquer d’une pierre blanche dans les années 1960-1990 dans ce continent. Pour des militants politiques latino-américains de l’époque des dictatures dans le Cône sud, en considérant leur histoire de décolonisation et de successions de dictatures et ailleurs aussi s’appuyant sur la tradition de l’exil politique, le choix entre la condamnation à mort, la prison à vie et l’exil pour sauver sa vie, a impliqué de ne pas accepter de subir l’exil passivement imposé par les dictatures, de s’arracher à l’exil où que l’on se trouve, en revendiquant le « droit au retour » qui est une des formes qui émerge dans l’usage du mot desexil, desexilio. L’exil politique, au sens classique de la privation politique par le banissement dans les dictatures, fait partie de la trajectoires de la majorité des exilés latino-américains. Elle interroge non pas seulement les opposants politiques explicitement sanctionnés, mais l’ensemble de la population devenue exilée prolétaire, mise au ban de la politique soumise au marché, à la consommation (illusoire ?) aveugle, au crédit et aux conditions de surexploitation dans un marché de travail.
L’exil, transformé par des exilés latino-américains dans des résistances, des luttes, est ainsi devenu le desexilio l’acte de s’arracher à l’exil imposé par les dictatures et exiger le droit au retour depuis les frontières.
Un tel parcours de desexil décrit au niveau du psychisme individuel mis en contexte social, politique, dès lors qu’il est traduit en droit et en appartenance politique et philosophique a impliqué, notamment pour les exilés latino-américains depuis l’exil imposé, la revendication politique évidente du droit au retour dans leur terre, leur pays, leur communauté politique d’où ils ont été condamnés, bannis, chassés pour de longues années[78]. Par cette revendication, ils ont ainsi rejoint la revendication politique du droit au retour formulée dans d’autres parties du monde par des peuples chassés de leur territoire (Palestine).
Un tel droit est aussi évident que la reconnaissance du statut d’être humain, le droit à la vie, à l’hospitalité, à l’asile, à la paix, à la jouissance des droits fondamentaux. Le droit au retour est d’ailleurs inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme de 1948 (article 13, al. 2)[79]. Il est donc inscrit dans l’histoire du droit international, de philosophies comme celle de Kant, d’Arendt, par exemple.
Sans pouvoir m’arrêter à la complexité du droit au retour dans plusieurs endroits de la planète, signalons que cette revendication à l’égal à d’autres débats politiques sur les expulsés, le droit du travail, (par ex. le droit à la libre circulation, à la mobilité, le principe de non refoulement, etc.), est une question complexe qui recouvre des réalités très diverses dans le monde. Il concerne de nombreux individus, groupes, peuples, pays[80].
Dans une telle revendication de l’exilé et sa négation par la violence d’Etat qui l’impose, le dominant, le mouvement exil-retour, semble clôturer l’imaginaire du pouvoir de domination et aussi de l’insurrection, de l’émancipation, (le champ d’étude aussi) dans un mouvement s’inscrivant dans les catégories étatiques de l’Etat-nation qui par ailleurs évoque le schème cyclique aristotélicien d’une philosophie de l’histoire que l’on retrouve aussi dans les politiques migratoires entre présence provisoire tolérée et expulsions vers le pays d’origine[81].
Le rêve du retour devenant un objet de débat politique n’est pas la réalité du retour complexe ce qui implique la prise en compte dans toutes ses dimensions au-delà du mouvement aller-retour la liberté politique de se mouvoir au sens le plus général.
Le desexil, troisième abord : les luttes de desexil sans retour (Rahimi).
Vertige de l’exil sans retour[2]
Atiq Rahimi, poète afghan
C’est la nuit, une nuit froide. Sourde.
Tout ce que j’entendais n’était que le bruit
feutré de mes pas glacés dans la neige
Je fuyais la guerre, rêvant d’un ailleurs,
d’une vie meilleure.
Silencieux, anxieux, je m’approchais d’une
frontière dans l’espoir que la terreur et la
souffrance perdraient mes traces.
Une fois à la frontière, le passeur me dit
de jeter un dernier regard sur ma terre
natale. Je m’arrêtai et regardai en arrière :
tout ce que je vis n’était qu’une étendue
de neige avec les empreintes de mes pas.
Et de l’autre côté de la frontière, un désert
semblable à une feuille de papier vierge.
Sans trace aucune. Je me suis dit que l’exil
serait ça, une page blanche qu’il faudrait
remplir.
Une étrange sensation s’empara de moi.
Insondable. Je n’osais plus avancer ni
reculer.
Mais il fallait partir !
A peine ai-je franchi la frontières que le
vide m’aspira. C’est le vertige de l’exil,
murmurais-je au tréfonds de moi-même.
Je n’avais plus ni ma terre sous le pied,
ni ma famille dans les bras,
ni mon identité dans la besace.
Rien.
Depuis ce que nous apprennent les expériences d’aller et retour après un retour au pays, le vertige du départ, les impossibles retours une fois qu’on a quitté sa terre et qu’on a fait l’expérience d’un nouvel exil au retour dans le pays, les rapports entre générations sur divers continents, le vécu d’une, deux trois générations dans les camps, les diasporas[82], la situation du Kurdistan, de la Palestine, etc. ? On en arrive à devoir concrétiser et approfondir les rapports entre l’exil, la liberté politique de se mouvoir en tant que privation et réappropriation de la liberté politique de se mouvoir dans les luttes sans retour dans la patrie au sens strict mais en intégrant la réalité des mouvements de population, des diasporas qui permet de repenser l’exil depuis une critique des catégories étatiques et nationales. Un abord du desexil déterritorialisé et désouverainisé, dans les espaces névralgiques du desexil, la prise en compte des liens, les mouvements nouveaux entre endroits du monde s’impose. Les travaux sur les diasporas sont un important champ de recherche. Le portable a changé les perceptions de l’exil. L’exemple des portables des femmes clandestines de Philippine au Moyen-Orient et ailleurs qui appellent leurs enfants restés au pays tout en s’occupant des enfants des classes moyennes des pays riches appelle au réalisme[83].
On en arrive à reconsidérer le « tort », le litige dont parle Rancière, le « droit d’avoir des droits » d’Arendt dans sa radicalité, la notion « d’égaliberté » de Balibar tout en la déterritorialisant. Les expulsés du « droit d’avoir des droits » des sans-Etat d’Arendt, les « sans-part » de La mésentente de Rancière, les aspirants à « l’égaliberté » sont les exilés d’aujourd’hui. Mais en quel sens ? En un sens, le desexil implique de multiples formes de vivre en étant « sans-Etat », de la perte d’Etat souverain territorialisé et la recherche de nouveaux cadres politiques impliquant des transformations profondes de la subjectivation et de la liberté politique de se mouvoir et aussi l’invention de nouveaux espaces, formes politiques d’autoorganisation et de gouvernement. Les discours médicaux, policiers, humanitaires cachent le fait que l’exil est politique et la radicalité des transformations dans les tentatives de privation matérielle de la liberté de se mouvoir et son renversement en inventions multiples.
Ce n’est pas seulement de sa terre, de son pays, de la planète Terre que les pouvoirs cherchent à bannir l’exilé, mais de toute sa vie en mouvement, des liens transpolitiques qu’il a tissés, d’un rapport à un univers en mouvement. Penser la tragédie de l’exil généralisé jusqu’au bout, dépasse le cadre des catégories de l’anthropologie politique soumise aux catégories de l’économie et au système d’Etat et d’Etat-nations. Penser le desexil de l’exil repose la question d’une réappropriation de l’ontologie politique en mouvement pour pouvoir penser, non l’essence, mais les liens en mouvement, les relations, les rapports de l’infime des cellules de l’infiniment petit, de la terre, de la nature, entre les humains, les relations à de multiples niveaux dont l’exilé est privé et qu’il tente de se réapproprier par une multitude d’expériences de subjectivation et de « micro-politiques » nouvelles. L’exil est comme un arbre fendu par le milieu. Le desexil à de multiples frontières est le renversement de l’apartheid figé en mouvements de réappropriations multiples de temporalités, d’espaces où s’exerce la liberté politique de se mouvoir.
En terme générique être exilé, on l’a vu, c’est être condamné, banni, relégué, expulsé hors de sa patrie ; le mot apatride le dit bien. En termes kantien et aussi dans les discours d’émancipation, être exilé, c’est être privé du statut de « citoyensujet »[84] de la politique. Le défi est de (re)devenir citoyen sujet en inventant la liberté politique de se mouvoir dans les conditions difficiles de l’exil avec l’exigence de l’hospitalité rappelée par la solidarité. En termes politiques, à la suite d’Arendt, être exilé, c’est être privé, par la force de domination « totale », du « droit d’avoir des droits », de la liberté politique de se mouvoir, en d’autres termes, de la puissance d’agir et de penser qui est la base de la possibilité de la politique et de la philosophie. L’accent est mis sur l’expulsion philosophique et politique.
L’exilé vit toutes sortes d’épreuves, de conditions indivuelles, collectives liées à des situations, des temporalités, dans des espaces très différents. Les expulsions économiques[85], politiques[86] se globalisent dans les transformations d’une situation économique, politique, culturelle qui se décrit dans les transformations radicales des conditions de vie et de destruction de la nature. Je ne mets pas l’accent sur la pauvreté, la précarisation, l’outil du banissement, les victimes[87], bien que ces mots peuvent recouvrir des réalités matérielles concrètes. En accordant une place prépondérante à l’expulsion, l’exploitation, à la surexploitation, dans un cadre de violence « extrême » d’où résultent des expulsions, des situations de violence extrême, on en arrive à caractériser l’exil avec le souci de le situer dans les rapports de classe, de sexe, de race et humain-nature qui, eux aussi, sont en profonde transformations, en mouvement. L’expression choisie de « peuple multiple de dexilés prolétaires » est un schème possible de travail pour une telle exploration exigeant d’importants déplacements imaginaires, théoriques et politiques.
Desexil, quatrième abord : les catégories politiques et philosophiques dominantes ébranlées.
Exil, desexil, on aura compris que ces mots ne se limitent pas au banissement mais contiennent la longue histoire des rapports de violence dans les conquêtes, la colonisation, l’impérialisme, les « dictatures » de l’ultra-libéralisme, les destructions de l’hypercapitalisme. Les catégories politiques et philosophiques sont ébranlées. Comment le voir et reconsidérer la violence?
Le schème du desexil de l’exil n’est ni humanitaire, ni juridique, ni sécuritaire. Il n’est pas composé de concepts abstraits, figés par la violence d’Etat et des multinationales du désastre. Il désigne, ce qui est de l’ordre du plus général – politiquement et philosophiquement – dans les conditions matérielles d’existence immanentes, matérielles capitalistes ancrées dans l’histoire et l’espace et dans des rapports de pouvoir qualifiés par la violence expulsive-éliminatrice-anihilatrice-de disparition globalisée, et ils sont infléchis, déplaclés par les luttes en mouvement fragmentées dans les conditions vécues par des millions de dexilés prolétaires mais bien réelles. Ils sont chargées d’une longue historicité pour des millions d’humains sur la planète Terre. Ils ne se résument pas à l’exclusion sociale, à des rapports dits « de place » dans certaines analyses sociologiques, à la domination d’une classe sur une autre. Les rapports de classe se transforment et se déplacent aussi dans le mouvement en s’articulant et se complexifiant, en portant en eux de nouvelles énigmes
L’expérience intime et collective de la violence expulsive-éliminatrice-anihilatrice-de disparition globalisée, a étéengagée, dans sa phase « moderne », a pris une ampleur insoupçonnée au au tournant impérialiste du XIXe-XXe siècle[88]. Elle a une très longue genèse historique. Elle est caractérisée par la brutalisation, ses effets de sidération paralysante et la complexité à cette étape de la globalisation guerrière, où les populations et les territoires sont la proie de formations prédatrices, extractrices et super-agressives, avec une addition de différents agents, réseaux, institutions, machines, systèmes juridiques, instruments financiers[89]. La « guerre du climat », la « guerre de l’eau », le pillage des matières premières en serait une autre scène. Processus de pillage des ressources humaines, de la nature, des génocides qui ont commencé à être un instrument d’élimination systématique et radical en Namibie (génocide). Arendt montre bien que les camps, le génocide ont été inventé durant le colonialisme, que l’expulsion politique a conduit ensuite par étapes lors du nazisme, à l’extermination de masse et à une expulsion du monde (acosmie). Les politiques de disparition aujourd’hui sont aujourd’hui le nœud gordien à trancher pour permettre une transpolitique démocratique à l’échelle de la planète. Economie, Politique et Philosophie se rejoignent dans les énigmes de l’ébranlement de leurs bases.
L’exil est douleur, souffrance, joie, découverte à chaque fois qu’elle a lieu. L’enjeu de création des luttes dans un nouveau contexte est de dégager ce qui, dans les millions de vies multiples, hétérogènes, prend les formes de l’exil et du desexil. Le desexil de l’exil est un déplacement, un repositionnement, un mouvement, une lutte pratique et théorique qui débute en réfléchissant sur les transformations de l’exil. En quel sens la dialectique de la dépossession et la réappropriation, tout en concernant la liberté politique de se mouvoir, en arrive à mettre en cause les catégories d’Etat, d’Etat-nation, de sujets, de territoire, de souveraineté et même d’autonomie et de démocratie ? L’impossibilité du retour, les millions de personnes déplacées, le poids des diasporas face aux Etats-nations fragilisés, face aux métropoles, aux nouveaux espaces, aux nouveaux cadres de la vie civique des mouvements sociaux hétérogènes, multiples, en conflit, changent la donne. La figure des disparus hantent le desexil de l’exil.
Desexil, cinquième abord : micropolitique après la destruction (Turquie)
Un exemple de recherche récente sur la situation de la Turquie permet de faire un pas de plus, de se déplacer, de faire la transition entre exil et desexil depuis les nouvelles situations de la liberté de se mouvoir en intégrant des nouveaux processus en cours dans des espaces névralgiques qui sont une remise en cause des cadres temporels, spatiaux et des catégories politiques et philosophiques. Un chercheur kurde exilé[90] s’intéresse aussi à la création de la subjectivation dans un contexte d’exil et de violence en Turquie, comme l’a fait un autre exilé à l’autre bout du monde, Marcelo Viñar[91]. Ce qui frappe à la lecture de ces travaux, c’est le déplacement vers une philosophie politique qu’il appelle « micropolitique » dans des espaces névralgiques en mouvance, en cherchant à se libérer des catégories classiques de la philosophie politique (Etat, territoire, nation, souveraineté), de la philosophie cartésienne et aussi de la psychanalyse pour repenser une subjectivation « post-traumatique » dans une situation de guerre où tout retour ne semble plus être à l’ordre du jour pour des populations déplacées de force, désormais en diaspora dans les bidonvilles des métropoles. Ce chercheur aborde l’exil et le desexil en tant que création artistique d’espaces de socialisation post-traumatiques après les exils forcés, la répression sauvage, des destructions de villages, de guerre, des déplacements forcés de population, le sabotage de la paix, qui sont producteurs de sens et de résistance. Il décrit l’émergence d’une micropolitique dans les processus de subjectivation créatrice après les traumatismes de la guerre, les morts, les destructions, dans des micro-situations de vie, de singularité et leur insertion dans la vie. Il se situe dans la société kurde traumatisée par la guerre et l’exil en observant dans la création artistique en mouvement l’émergence de nouveaux espaces de subjectivation kurde, qui s’éloignent de la « patrie », des références et des perspectives d’Etat-nation, de nationalisme, de victimisation, de récits « Bê Welat » (sans patrie), de « sujet » et de « conscience » au sens des philosophies classiques du sujet, pour prendre en charge l’exil actif dans la création de nouveaux espaces de subjectivation déterritorialisés et indépendants du système territorialisé et souverain d’Etat-nation. Dans un Kurdistan turc largement vidé de sa population (3 millions de déplacés entre 1985 et aujourd’hui) par la guerre qui a rasé villes et villages, la répression, une « postmigration » du Kurdistan se développe dans des espaces de résistance, de production (Diyarbakir) dans les métropoles diasporiques (Istanbul, ailleurs en Europe et dans le monde).
En s’appuyant sur Deleuze (concepts de déterritorialisation, rhizome, révolution moléculaire, lignes de fuite) et sur Foucault (biopolitique), le chercheur développe une politique « mineure » de la culture subalterne qui se fragmente, fonctionne sans stratégie cohérente de liaison-déliaison par prolifération et dissémination. C’est « un art mineur au service de la micro-résistance contre tout exercice de pouvoir au Moyen-Orient » (344) où le mouvement est inversé, le centre se périphérise et fait place à de multiples espaces en mouvement alors qu’émerge une nouvelle subalternité kurde. Un « peuple multiple » (populations chassées, réprimées, diasporas, etc.) est en devenir par le développement d’une nouvelle subjectivation post-traumatique et poste-étatique nationale et souverainiste et post-sujet inspirée par les critiques de la subalternité.
Cette recherche, en provenance d’un contexte d’exil, de guerre, intéresse les approches d’exil, de desexil, de la liberté politique de se mouvoir, de diaspora et même de temps, d’espaces névralgiques politiques en création continue, de catégories, en articulant espace de subjectivation et micropolitique ou « politique mineure ».
La démarche renouvelle le regard sur le devenir des exilés kurdes et intéresse la recherche bien au-delà de la situation tragique du Kurdistan. Elle permet de considérer la situation, en se libérant d’une pensée d’Etat et d’Etat-nation, de sujets, de bien d’autres situations de violence, de déplacements forcés, de diasporas et d’exil et de desexil invisibles dès lors qu’on les aborde depuis les catégories dominantes héritées de la tradition de la pensée d’Etat et d’Etat-nation figée sur un territoire. On pense au peuple palestinien. On pense aux peuples autochtones. On pense aux exemples des zones de guerre et de conflit, de dictatures, comme la Colombie, la Palestine, la Syrie, l’Iran, l’Irak, le Tibet, Le Bengladesh, des pays africains dominés par la guerre, les cas de faled States dans plusieurs endroit du monde, etc.
Bien au-delà du retour, encore empreint des catégories d’une terre, d’une patrie insérée dans un système d’Etat et d’Etat-nation, le passage de l’exil au desexil XXIe siècle prend des formes multiples d’insurrections énigmatiques en mouvement et pas forcément visibles. Pour résoudre ces énigmes, nous sommes mis au défi de les penser en intégrant l’exil et le desexil dans l’histoire et comme autant de formes positives d’appropriation de la liberté politique de se mouvoir avec un regard critique sur les formes d’Etat, d’Etat-nation, de territorialisation et de souverainisme, de sujet. En renversant notre regard. En nous déplaçant pour pouvoir imaginer en quoi l’exil et le desexil s’inscrivent dans un processus en mouvement dans un contexte plus large, vaste, hétérogène, complexe aujourd’hui.
Pour identifier les nouvelles énigmes posée à notre approche de l’exil et du desexil, rappelons depuis ce point d’arrivée provisoire, les deux hypothèses exploratoire au début du Programme : (1) « Dans le capitalisme contemporains, serions-nous tous des exilés?» ; et celle sur le desexil : (2) « Dans un contexte de globalisation complexe, d’incertitude, de violence « extrême », qui est en exil aujourd’hui, pourquoi et comment? S’arracher de l’exil par le desexil (résistance, luttes) du plus intime au plus collectif, comment ça se passe? »[92].
En quoi la double interrogation formulée au départ de la recherche en appelle finalement, après un parcours sur l’exil et le desexil, à une desétatisation du modèle Westphalien après Hobbes et les philosophes de l’Etat et du contrat, à une déterritorialisation et à de nouvelles formes de souverainisme détachées du modèle autoritaire de Hobbes et d’Etat(-nation) westphalien – on pense aux camps, aux prisons, aux villes, aux bidonvilles des métropoles, aux diasporas, aux lieux-frontières, etc. -, des modèles de « nation », de « peuples », de « citoyen sujet », à la base des politiques d’exil et des mouvements sociaux de desexil très diversifiés qui sont des lieux d’invention de nouveaux cadres, formes d’organisation de la liberté politique de se mouvoir, de processus de subjectivation, dans les nouvelles formes d’exil et de desexil « mineures », « micro-politiques », transpolitiques, hétérogènes, multiples, conflictuelles.Les réalités complexes, en profonde transformation des cadres politiques, de l’exil et du desexil ont brisé des illusions, déplacé des rêves et des interrogations. Elles conduisent à explorer une énigme vieille de plusieurs siècles sur la pensée d’Etat propriétaire de la force et des territoires qui fonde la légitimité de la guerre entre Etats. A qui a été déléguée la liberté politique de se mouvoir pourtant nécessaire à repenser à des formes (eidos) d’autoorganisation politique
En conclusion de cette partie, formulons deux énigmes politiques et philosophiques que l’approche du desexil de l’exil parvient à dégager pour continuer la réflexion.
Une des énigmes se trouve au creux des silences d’exilés et traverse le desexil en tant que mouvement pour briser la forme-Etat dominante, un carcan de l’exil, pris dans une pensée, un système fragilisé d’Etats hobbésiens et westphaliens, d’Etats-nation, dont la souveraineté est basée sur la force, le contrôle d’un territoire, de peuples, de populations fixées, alors que de nouvelles formes de desexil expérimentent à de multiples frontières des luttes créatrices (diasporas, villes, places, prisons, espaces aux frontières, universités libres, réseaux d’art transnationaux, etc.). Ces luttes s’affrontent à des forces de domination qui s’approprient la forme politique en la réduisant à la forme Etat vertical et Etat-nation dominant pour exercer en toute légitimité les catégories, les dispositifs, les outils de la « violence d’Etat » sécuritaire tout en attaquant le cadre de l’Etat et de l’Etat-nation.
Le moindre des paradoxes est bien que les multinationales (économiques, armes, drogues, etc.) ont besoin de l’Etat tout en le démantelant. Est-il possible de penser, créer des formes politiques d’autoorganisation indispensables à l’action en intégrant le mouvement, en abandonnant une pensée d’Etat figée, en (re)pensant l’Etat en train de se recréer dans le desexil? Pouvons-nous penser sans Etat et (re)penser l’etat ? Pouvons-nous penser le lien au territoire en ne le réduisant pas à la propriété, ni au territoire quadrillé par les Etats ? C’était une des questions de Kant, quand il réfléchissait à l’hospitalité.
Une autre énigme du desexil de l’exil, la plus redoutable peut-être dans la mesure où elle rejoint la condition humaine et la survie de la planète, est liée aux nouvelles formes d’expulsion-anihilation-destruction-extermination-disparitions, de guerres et leurs dispositifs, leurs outils.
L’exil, au sens le plus général, est un rapport politique de violence, de brutalité, de cruauté, de banissement de l’exilé, vers un supposé destin (fatum) de non appartenance à la politique et de banissement sans retour. De mort civique. L’exil en tant que rapport de domination a une longue tradition[93] de modes de violence, de brutalisation[94]qui, dans un hubris déchaîné, renforcé par une industrialisation de guerre « totale » exterminatrice, a conduit à des délitements illimitées de la violence (pensons aux disparitions, aux génocides-féminicides-écocides, à ce qui se passe en Australie, en Syrie, avec les Rohingas, aux camps palestiniens, à l’île-prison en Australie, par exemple), avec des « effets boomerang »[95]. Ces situations donnent le vertige et ébranlent la confiance que l’on peut avoir dans le genre humain et dans systèmes de « protection » des Etats dits « de droit ».
Les politiques modernes des disparus transforment radicalement l’horizon des luttes de desexil de l’exil. Dans quelle mesure cette énigme que les humains partagent avec les limites de la planète invite à changer radicalement de paradigmepour aborder l’exil et le desexil en déplaçant l’approche politique classique en terme de pouvoir, vers une approche en terme de violence et de « violence extrême » ?
[1] Saïd W., Reflexions on Exile, repris dans Reflexions on Exile and Other Essays, Cambridge, Harward University Press, 2002, pp. 173-186.
[2] Salvayre Lydie, BW, Paris, Points-poche, 2009, p. 7.
[3] Voir à ce propos, Winnicott D., « La crainte de l’effondrement (Breakdown) », Nouvelle revue de psychanalyse, Paris, Gallimard, 1975 ; Jeu et réalité, Paris, Gallimard, Folio-essais, 1975.
[4] Dufoix Stéphane, La dispersion. Une histoire des usages du mot diaspora, Paris, éd. Amsterdam, 2011.
[5] Ce que je peux en dire est marqué par l’histoire des exilés du 20e siècle (guerre d’Espagne, fascisme, nazisme, guerre « mondiale », exil latino-américain, d’Algérie, de Turquie qui a été plus proche de mon expérience personnelle dont on voit les traces dans les philosophes et travailleurs intellectuels qui m’ont accompagnée. Qui n’est pas exilé, y compris dans la tradition philosophique et des sciences sociales ? Cette question devient un critère épistémologie pour pouvoir s’interroger sur l’histoire et le présent. Je suis tributaire de ces sources qui, vu la globalisation de l’exil et du desexil demandent un travail d’universalisation.
[6] Moreno Julio, Tiempo y trauma : continuidades rotas, Buenos Aires, Lugar editorial, 2010.
[7] Voir à ce propos le magnifique film de Patricia Guzman, Nostalgia de la luz (nostalgie de la lumière), Trigon-film, 2010.
[8] « Va-t’en, dit Dieu à Abraham. Va-t’en de la maison de ton père et tiens pour étrangers les gens de ta famille. Va-t’en de ta patrie vers le pays que je te montrerai. Sépare-toi de cette Egypte de malheur qui fait de toi un humilié. Mais sépare-toi surtout de ton Egypte intérieure, celle de tes routines et de tes préjugés, celle des tes catéchies et de tes servitudes mentales….Car vivre c’est quitter, pas d’autre issue pour l’homme… Car vivre c’est quitter père et mère et tout ce qui nous lie jusqu’à nous étrangler. Vivre c’est se quitter, c’est savoir être soi et échapper à soi, c’est savoir être soi et un autre que soi, on n’est un homme qu’à cette double condition, c’est le philosophile qui le dit, ma chérie », Salvayre Lydie, BW, Paris, Points-poche, 2009, p. 38.
[9] Mbolela Emmanuel, Réfugié, Vienne, Libertaria, 2017.
[10] Behr Alexander, « Migrations/Maroc. Entre répression et autonomisation », Archipel, janvier 2019, p. 6-7.
[11] Cortázar, Julio, El exilio combatiente”. Discours inaugural de la Primera Conferencia Internacional sobre el Exilio y la Solidaridad Latinoamericanas en los años 70, Caracas-Mérida, 21-29 octobre 1979. Voir à ce propos le site http://vivianamarcelairiart.blogspot.com/2013/04/julio-cortazar-el-exilio-combatiente.html
[12] Gatti Gabriel, Un mundo de víctimas. Barcelona, Anthropos Editorial, 2017.
[13] Cortázar Julio Argentina: país de alambradas culturales. Barcelona, ed. Muchnik, 1984.
[14] Sayad Abdelmalek, « Qu’est-ce qu’un immigré ? » L’immigration ou les Paradoxes de l’altérité, Bruxelles, éd. de Boeck, 2014 (2006).
[15] Nouss Alexis, La condition de l’exilé, Paris, éd. Maison des Sciences de l’homme, 2015.
[16] Jensen Silvina, « Exil et desexil dans la pensée de Julio Cortázar. De l’exil, valeur négative, au desexil, lutte contre l’enfer des disparus », Caloz-Tschopp M.Cl., Wagner V., (dir.), Vers le desexil. Démarches, questions, savoirs. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019. Je remercie Silvina Jensen qui a apporté des informations historiques importantes sur le rôle de J. Cortázar, qui ont pu ainsi être consultées et circuler.
[17] Levi Primo, Rapport sur Auschwitz, Paris, Kimé, 2005. La notion de « zone grise » a été reprise dans une recherche en science politique pour décrire et évaluer les « espaces de dérégulation sociale » partout sur la planète qui « réveillent les tambours de la guerre » et désignent la crise du système d’Etat-nations wesphalien. C’est une analyse transversale de cas (banlieues, villages gris en France, zones contrôlées par la criminalité organisée au Mexique, en Italie du sud, les guerrillas en Colombie, le proto-Etat du Haut Karabagh, la Somalie, Gaza, les mers de Chine). Voir, Minassian G., Zones grises. Quand les Etats perdent le contrôle, Paris, Biblis, CNRS-éd., 2011.
[18] Voir aussi, Said Edward S., Réflexions sur l’exil et autres essais, Paris, Actes Sud, 2008.
[19] Herrmann Irène, L’humanitaire en question, Paris, Cerf, 2018 (recherche sur le CICR)
[20] Brauman Rony, Guerres humanitaires ? Mensonges et intoxications, Paris, Textuel, 2018. L’auteur en débat aborde plusieurs thèmes que l’on retrouve dans d’autres politiques : civiliser la guerre, pervertissements de la responsabilité de protéger, opérations en lien conflictuel avec le droit, guerre de « post-vérité », c’est-à-dire pour de mauvaises raisons invoquées, rappel de l’origine du droit de la guerre qui est le droit international humanitaire (DIH) dont le CICR a le mandat de la part de l’ONU que l’on voit invoqué dans d’autres politiques, de la migration, du travail par exemple.
[21] Le magazine Bilan du 5 mai 2003, a estimé que l’asile rapporte 1 milliard à l’économie privée suisse par le biais d’aides étatiques (commerce, immobilier, 4.500 emplois tous secteurs confondus à l’époque, impôts à la source). Ces faits apportent un éclairage nouveau sur la politique d’asile qui est économique, avec des retours financiers et pas seulement « humanitaire ».
[22] Rappelons-nous les « travailleurs-masse » du fordisme.
[23] Dal Lago Alessandro, Non persone, Milan, Feltrinelli, 2004.
[24] Voir l’épisode impressionnant de la création d’un cimetière virtuel sur Internet par des exilés irakiens pour pouvoir trouver un lieu de regroupement des « dispersés » dans la diaspora d’exil , (Kachachi, I. Dispersés, trad. de François Zabbal, Paris, Gallimard, 2016.
[25] Selek Pinar, Loin de chez moi mais jusqu’où ?, Donnemarie-Dontilly, Éditions iXe, coll. « La petite IXe », 2012.
[26] « El sujeto de la consciencia, sujeto unitario, consciente de si, de sus actos, determinaciones y conflictos (y continuo en el tiempo) es una adquisicion tardia del desarrollo e insume buena parte de la primera infancia » (Vignar, 2018, 39).
[27] Souleimane Omar Youssef, Le petit terroriste, éd. Flammarion, Paris, 2018.
[28] Kachachi Inaam, Dispersés, Paris, Gallimard, 2016.
[29] Fejic Goran, Mémoires déboussolés, Paris, éd. L’Harmattan, 2018.
[30] Tafelmacher Christophe, « Du bannissement en droit suisse : archaïsme ou modernité ? », Revue (Re)penser l’exil, no. 1, 2011, site : exil-ciph.com
[31] Winnicott D.W., La crainte de l’effondrement et autres situations cliniques, (breakdown), Paris, éd. Gallimard, 2001.
[32] Rigaux François, « Le pain amer de l’exil », Revue (Re)penser l’exil, no. 1, 2001. Site : exil-ciph.com
[33] Poglia Monica, Wyss Christine, Ebel Marianne, Girod Isabelle, « Entre douleur et courage, l’exil des mères seules de Bosnie », Revue (Re)penser l’exil, no. 1, 2001. Site : exil-ciph.com
[34] A ce propos, voir les remarques critiques de l’humanitaire par Jacques Rancière, La Mésentente, Paris, Galilée, 1995, p. 172 et suivantes.
[35] C’est la perspective adoptée par le Musée international de la Croix-Rouge et du Croissant-rouge à Genève dans une exposition et des activités en 2018 ; www.m-r-l.ch
[36] Souleimane Omar Youssef, « l’exil ne finira pas », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Vivre l’exil. Exploration de pratiques du desexil. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019.
[37] Possenti Ilaria, « L’exil comme « perte du monde », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Exil/Desexil, Histoire et globalisation. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019.
[38] Vermeren Hugo, « Parcours d’un réfugié politique italien au XIXe, siècle, parcours et pratiques d’un historien dans une étude de cas », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Vivre L’exil. Explorer le desexil. Le désexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019 .
[39] Caloz-Tschopp Marie-Claire, CIPh, Genève-Paris, Explorer la face cachée de l’exil », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Exil/Desexil, Histoire et globalisation. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019.
[40] Libero Zuppiroli Libero, physicien, Bonvillars, (Suisse), « Exilés parmi les robots des cités utopiques du monde global », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Exil/Desexil, histoire et globalisation. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, éd. L’Harmattan, 2019.
[41] Par exemple, au Grand-Conseil de Genève, voter pour ne plus rembourser les couche-culottes des bébés dont les parents sont précarisés. Ce détail m’a été fourni par une députée qui se battait d’arrache-pied pour ne pas diminuer les droits sociaux. Voir son texte, Haller Jocelyne, « Exil, Desexil, Arrogance. Pour aller vers le desexil », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Exil/Desexil. Vivre et explorer les pratiques de desexil. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019.
[42] Voir par exemple, Brisset Claire, « Un long cheminement vers la dignité », Le Monde diplomatique, décembre 2018.
[43] Fabrèque Julien, ex-salarié, Genève, « Ce que nous devenons dans le travail ». Une expérience de recherche et d’expulsion dans la multinationale Merck Serono à Genève ». Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Exil/Desexil. Vivre et explorer les pratiques de desexil. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019. .
[44] Caloz-Tschopp Marie-Claire, « Imaginer, penser le desexil dans la violence de l’exil », Caloz-Tschopp M.C. Wagner V. (dir.) Exil/Desexil, histoire et globalisation. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019.
[45] A ce propos, la fin de l’Aquarius annoncée le 6.12.2018 est peut-être un naufage, mais pour être assumé par tous, il mérite d’être soumis à une critique radicale du cynisme, d’intérêts d’Etats sécuritaires et militaires détéritorialisés, de haines, de surexploitation de migrants et aussi de l’ambiguïté derrière les actions « humanitaires » qui ont eu lieu sur la mer méditerrannée.
[46] Voir notamment, Brauman Rony, Penser dans l’urgence. Parcours critique de l’humanitaire, Paris, Seuil, 2006 ; Humanitaire, diplomatie, droits de l’homme, Paris, éd. du Cygne, 2010 ; Buirette Pascal, Le droit international humanitaire, Paris, La Découverte, 2019.
[47] Voir à ce propos, Caloz-Tschopp M.Cl. L’évidence de l’asile, Paris, L’Harmattan, 2016.
[48] Voir notamment, Ourdan Rémy, « Crise éthique à la Croix Rouge Internationale », Le Monde, 30.11. 2018.
[49] Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Vers le desexil. Démarches, questions, savoirs. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, l’Harmattan, 2019 (vol. III). Plusieurs articles abordent ces questions d’un point de vue interdisciplinaire et depuis divers endroits de la planète.
[50] Alessandra Oshiro Ceregatti, Les défis communs du mouvement social dans le monde », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Exil/Desexil, Histoire et globalisation. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019.
[51] Vignar Marcelo, « Terreur politique et Exil-desexil. Ses marques subjectives, réflexions d’un psychanalyste », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Exil/Desexil, Histoire et globalisation. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019.
[52] Il suffit de parler aux policiers d’aéroports pour avoir une idée plus concrète des exceptions et des tris. J’ai eu l’occasion de le faire dans le cadre d’une recherche.
[53] Une recherche de Wanner Ph., Steiner I., annonce : « En vingt ans, l’immigration hautement qualifiée a plus que doublé en Suisse », Le journal de l’Université de Genève, no. 154, déc. 2018.
[54] Ce principe a été inventé par un chercheur en droit public de l’Université de Berne, Walter Kaelin, et a été inscrit dans la Convention de l’ONU sur les réfugiés et ses protocoles additionnels.
[55] Voir notamment, le site Prison insider, newletter@prison-insider.com, 2018-2019.
[56] Dans les années 1980, j’avais été amenée à calculer le prix réel d’une expulsion forcée par avion spécial de Suisse à la République démocratique du Congo, d’une famille zaïroise : 250.000 fr.s.
[57] Voir les travaux d’A. Sayad et notamment, la revue Diogène no. 246-247, 2014.
[58] Le concept de réfugié n’est pas assimilable aux concepts d’asile et de droit d’asile (Voir Caloz-Tschopp, 2016). De plus, à propos dans la grande diversité des rapports de pouvoir, d’exploitation, on pense aux passeurs et aussi à la privatisation du marché des 20 millions de réfugiés. « L’économie de marché est au cœur de la détresse humaine » (supermarchés, magasins d’équipements ménagers, structures d’habitation, gestion des camps de Zaatari en Jordanie, de Lesbos en Grèce, de Elbeyli en Turquie, de Dadaab dans le désert du Kenia et aussi dans la gestion des camps en France, en Suisse, en Allemagne, y compris le juteux marché du contrôle des réfugiés par système biométrique, etc..). Voir notamment, le film Réfugiés : un marché sous influence de Nicolas Autheman et Delphine Prunaut, 2017.
[59] En Suisse, par ex., il existe au moins 32 types de statuts pour classer les étrangers. A cette liste, il faudrait ajouter les catégories dans le domaine du travail, du chômage, des prisons, etc.
[60] Dans la littérature postdictature certains auteurs soulignent l’élargissement de la notion d’exil et la créativité possible dans et par l’exil (Wagner, Ivekovic) en ouvrant de nouveaux possibles dans le chemin des interprétations de l’exil.
[61] Ce mot provient de l’œuvre d’Hannah Arendt qui décrit comment le système totalitaire induit non seulement la perte de toute appartenance politique, mais la perte du rapport au monde (cosmos)
[62] Six organisations de la « société civile » dont Amnesty International ont « tiré la sonnette d’alarme » sur le renvoi des « personnes vulnérables » qui devraient tre ﷽﷽﷽﷽﷽﷽addspd aspsdasdiaspdi « onsi de Dublin (renvoi des requérants d’Uasdsas das dasdpas dasd disdafisaddspd aspsdasdiaspdi être prises en charge par la Suisse, Communiqué de presse 10.12.2018. De plus derrière le dispositif de « Dublin » créé il y a 10 ans à la base des expulsions vers les pays de première arrivée vers l’Union européenne se développent de nouveaux dispositifs et outils sécuritaires ne visant pas que les migrants mais l’ensemble des populations. (ex. Eurodac).
[63] Sayad Abdelmalek, Les coûts et les profits de l’immigration », extrait de son livre, La Double Absence, Paris, Seuil, 1999, pp. 118-124.
[64] Chamayou Grégoire, Les chasses à l’homme, Paris, éd. La fabrique, 2010.
[65] Bernardot Marc, Captures, Bellecombe-en-Bauges, éd. Croquant, 2012.
[66] Mezzadra S., El derecho de fuga, Buenos Aires, I.S.B.N.: 84-932555-7-7.
[67] Changkakoti Nilima,« La nostalgie revisitée par la saudade, espace d’émergence de l’insurrection du desexil »,Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Vers le desexil. Démarches. Questions. Savoirs. Le desexil en jeu. Une expérience d’université libre », Paris, L’Harmattan, 2019.
[68] Cité par Cortazar Julio, Classes de literatura, Berkeley, 1980, Buenos Aires, 2015, p. 299.
[69] Viñar Marcelo, « Terreur politique et exil-desexil », Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Exil/Desexil, Histoire et Globalisation. Le desexil en jeu. Une expérience d’Université libre, Paris, L’Harmattan, 2019.
[70] « Puisque la terreur avance à pas feutrés, en excluant définitivement toute représentation d’un autre état possible, toute idée d’opposition, elle est dans un certain sens plus fatable qu’une privation de liberté déclarée et reconnaissable comme telle ».
Anders Günther, L’Obsolescence de l’homme, Paris, Evrea/Encyclopédie des nuisances, 2002, p. 227.
[71] Antelme Robert, L’espèce humaine, Paris, Gallimard, 1978. Voir aussi, Stewart Sidney, Mémoire de l’inhumain. Du trauma à la créativité, Paris, éd. Campagne première, 2002 (expérience d’un jeune combattant de la guerre du Pacifique, prisonnier dans des camps japonais). Il a écrit aussi : « Nous sommes restés des hommes », intégré en partie dans ce livre.
[72] Viñar Marcelo, Experiencias psicoanaliticas en la actualidad sociocultural. Como no cambia un mundo que cambia, Buenos Aires, éd. Noveduc, 2018 (chapitre IV).
[73] Voir aussi, Vignar M&M, Exil et torture, Paris, Denoël, 1989. Des Chapitres de ce livre sont réédités dans la dernière Revue en ligne (Re)penser l’exil disponible en 2019 sur le site : exil-ciph.com
[74] Un exemple emblématique du retour pour l’univers latino-américain. Un tango de Carlos Gardel (1935), repris dans deux films, Tangos. El exilio de Gardel, de Fernando E. Solanas, en Argentine, Volver, d’Almadovar (2006) en Espagne évoquent le thème du retour.
« Yo adivino el parpadeo de las luces que a lo lejos van marcando mi retorno... Son las mismas que alumbraron con sus pálidos reflejos hondas horas de dolor.. Y aunque no quise el regreso, siempre se vuelve al primer amor.. La vieja calle donde el eco dijo tuya es su vida, tuyo es su querer, bajo el burlón mirar de las estrellas que con indiferencia hoy me ven volver... Volver... con la frente marchita, las nieves del tiempo blanquearon mi sien... Sentir... que es un soplo la vida, que veinte años no es nada, que febril la mirada, errante en las sombras, te busca y te nombra. Vivir... con el alma aferrada a un dulce recuerdo que lloro otra vez... Tengo miedo del encuentro con el pasado que vuelve a enfrentarse con mi vida... Tengo miedo de las noches que pobladas de recuerdos encadenan mi soñar... Pero el viajero que huye tarde o temprano detiene su andar... Y aunque el olvido, que todo destruye, haya matado mi vieja ilusión, guardo escondida una esperanza humilde que es toda la fortuna de mi corazón » Texte de la chanson de Carlos Gardel.
[75] alors que le sociologue algérien A. Sayad (2014) a montré combien les mouvements des é-in-migrants étaient bien plus complexes et ne pouvaient être décrits par une telle philosophie de l’histoire mécanique de simple aller-retour.
[76] On peut citer entre autre, Benedetti Mario, El desexilio y otras conjeturas, Buenos Aires, ed. Nueva imagen, 1985 ; Viento de exilio, Buenos Aires, Pagina 12, 2012 ; Primavera con una esquina rota, Barcelona, Debolsillo, 2015 ; Qui ne nous peut juger, Paris, Autrement, 2016.
[77][77] Je remercie Valeria Wagner pour cette précision bienvenue.
[78] En 1986, en participant à une rencontre d’exilés chiliens à Rio Gallegos (frontière Argentine-Chili) exigeant le droit au retour par la suppression de la fameuse liste d’interdiction d’entrée et d’exercice de la citoyenneté de Chiliens exilés, à la frontière argentine, j’avais été marquée par l’évidence et la puissance de la revendication du droit au retour d’exilés chiliens rencontrant des travailleurs des chemins de fer solidaires qui avaient fait de longues heures avec leur locomotive pour rencontrer dans la nuit des camarades exilés et par le refus de la dictature à reconsidérer la levée de la mesure d’exil à des exilés, considérés comme des ennemis bannis à vie, à défaut d’avoir pu être liquidés par la répression.
[79] « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ».
[80] Ainsi par exemple, le droit au retour sur des territoires confisqués par l’Etat d’Israël a été avancé par les réfugiés palestiniens. Elle est reprise aujourd’hui par le gouvernement américain qui fait partie d’un changement stratégique majeur face à l’Etat d’Israël et au peuple palestinien (coupure de financement). L’UNRAWA, agence de l’ONU, compte selon ses critères 5,3 millions de palestiniens vivant en Jordanie, Liban, Syrie, Cisjordanie, Gaza. Le gouvernement américain et la présidence israélienne veut réduire à 500.000 palestiniens pouvant prétendre au droit au retour.
[81] Les fameuses politiques du retour forcé quand les pays européens, tout en niant être des pays d’immigration, on mis en place des incitations au retour pour les travailleurs migrant.e.s.
[82] Caloz-Tschopp Marie-Claire, « Scientific Diasporas, Migration, Development. A Perspective from Philosophy and Politica Theory », in Tejada Gabriela, Bolay Jean-Claude (eds), Scientific Diasporas as Development Partners, Berne, Peter Lang, 2010, p. 3-21. Version française : http://cooperation.epfl.ch/ScientificDiaspoarasNetwork.
[83] Voir à ce propos les travaux sur le « care » et sa place dans le système globalisé.
[84] Balibar Etienne, Citoyen sujet et autres essais d’anthropologie philosophique, Paris, PUF, 2011.
[85] Sassen Saskia, Expulsions. Brutalité et complexité dans l’économie globale, Paris, Gallimard, 2016.
[86] Soysüren Ibrahim, L’expulsion des étrangers en France, en Suisse, en Turquie, Neuchâtel, éd. Alphil, 2018.
[87] Un exilé chilien, distingue en 2013, les victimes et les sujets de l’exil. Voir Santana Ariel, « Victimes de l’exil ou sujets de l’exil », revue en ligne, (Re)penser l’exil no. 3, 2013. Voir site : exil-ciph.com
[88] Voir notamment, Arendt Hannah, « Rosa Luxemburg 1871-1919 », Vies politiques, Paris Tel-gallimard, 1974, pp. 42-69.
[89] Sassen Saskia, Expulsions, Paris, Gallimard, 2014.
[90] Sustam Engin, Art et subalternité kurde. L’émergence d’un espace de production subjective et créative entre violence et résistance en Turquie, Paris, l’Harmattan, 2016.
[91] Viñar Marcelo, Experiencias psicoanaliticas en la actualidad sociocultural. Como no cambia un mundo que cambia, Buenos Aires, éd. Noveduc, 2018.
[92] Cf. la “Communication-Invitation” du 15 avril 2017 concernant le Colloque “Desexil, l’émancipation en acte” (Genève, 31 mai-3 juin 2017), http://exil-ciph.com/wp-content/uploads/2015/09/COM_INVITge_F15417.pdf.
[93] Sans remonter au-delà de la « modernité capitaliste » avec la domination européenne déjà globalisée, on peut se rappeler les premières marques des guerres d’anéantissement du XXe siècle au XIXe siècle avec la guerre de la Triple-Alliance (1865-1870) au Paraguay, la guerre de sécession, la guerre des Boers, celle de Namibie où ont été inventés les camps et pratiqué un des deux génocides avant la guerre de 1914-1918.
[94] Les historiens des XIX-XXe siècle, nous apprennent l’importance du passage décivilisationnel de domination de l’adversaire pour l’éloigner du pouvoir, à l’instauration d’un pouvoir de mort de masse, avec la primauté du militaire sur le politique, qui en changeant de nature, en devenant un pouvoir « d’extermination de masse », avec pour l’Europe, après le ravage des guerre napoléoniennes, qui de limitée, devient sans mesure, sans limite comme le décrit Clausewitz, puis le tournant de la guerre de 1914-1918 qui a été une guerre « totale » (Horne 2010) précédée par deux génocides (Namibie et Arméniens en Turquie). La guerre « totale » devient alors la référence d’une industrie de la guerre à large échelle, avec ses « ingénieurs de guerre » remplaçant les officiers, les massacres, les bombardements planifiés, la non distinction entre soldats et population civile. Ce qui est lisible notamment dans la transformation du langage des combattants, des dirigeants, de la presse, etc. (ex. matériel humain, dégénérés, races et sous-races, etc.). « Le XXe siècle est une machine à liquider permanente », écrit un écrivain qui a survécu à Auschwitz (Kertész I., Un autre, chronique d’une métamorphose, Arles, éd. Actes Sud), 1999, p. 88.
[95] La description par Luxemburg de la brutalisation impériale dans les colonies qui a « transpiré » sur les pays colonisateurs et transformé les institutions, les dispositifs, les régimes politiques, les lois, en Europe même, puis, en s’opposant avec quelques uns, à la guerre de 1914-1918 (ce qui l’a amené en prison pour la durée de la guerre), en parlant de « obéissance de cadavres » exigée aux soldats, a élargi les références à l’impérialisme et à la colonisation tout en situant l’Europe dans des rapports de pouvoir impériaux dans le monde (Caloz-Tschopp, L’effet boomerang de l’impérialisme, partie 12 dans l’essai)
1. Le colloque sur la colère (Université de Lausanne, 2010)
2. Le Collège International de Philosophie (CIPh), Une Université libre? Paris, 2015-2016
Les textes présentés ci-dessous ont trait au Collège International de Philosophie, sa fondation et un épisode en 2015-2016. Des traces de sa fondation sont présentés, dont le fameux Rapport bleu rédigé par Jacques Derrida, François Chatelet, Jean-Pierre Faye et Dominique Lecourt. Des textes évoquent aussi un conflit qui a eu lieu entre 2015-2016, au moment de changements de statuts institutionnel du Collège (une association ou un Institut rattaché à un Pôle universitaire, Paris-Lumière. Les directrices et directeurs de Programme ont fait vivre le Collège sans être salariés, en s’engageant par la conception, la direction d’un Programme (en principe pour 6 ans). Les finances de l’Etat français du Collège ont été l’arme tranchante. Les institutions universitaires de formation et de recherche publics sont pris dans un processus globalisé de changement (Bologne, Pôles, etc.) qui bouscule la notion de « service public », des liens entre Etats et associations civiques, les rapports public-privé, dont il est difficile de percevoir encore les conséquences pour la libertés de penser et les savoirs, dont la philosophie. L’association du Collège ancrée dans la loi de 1901 (une autre époque !) a été prise dans la tempête. Il fallait du courage pour réfléchir à des enjeux pas évidents, se battre, aller à contre-courant et écrire. Les textes ci-dessous sur l’étape 2015-2016 sont l’apport d’une réflexion après-coup. Ils invitent à poursuivre la réflexion et le travail de mémoire critique pour « une Université libre et autonome ».
Pour mémoire, rappelons des documents d’information sur la fondation du Collège, sur un débat à propos de transformations intervenues, en présentant aussi des textes sur la décolonisation, de désimpérialisation de la philosophie.
2.1. Fondation du Collège International de philosophie (CIPh), il y a 30 ans
Note explicative. Ce document est en libre accès sur le site du Collège International de Philosophie (CIPh) en 2015. Le dénommé Rapport bleu est le texte fondateur du Collège international de philosophie. Commandité par Jean-Pierre Chevènement, alors Ministre de la Recherche et de l’Industrie, et remis en septembre 1982 par ses quatre co-signataires, François Châtelet, Jacques Derrida, Jean-Pierre Faye et Dominique Lecourt au Président de la République française, François Mitterand, il a jeté les bases du Collège international de philosophie fondé officiellement en 1983. Composé d’une partie collective et d’une contribution en nom propre de chacun de ses auteurs, il est non seulement un document historique intéressant mais également un texte philosophique qui a fait date. Le Collège international de philosophie est une institution singulière et pionnière qui reconnait à chacun et chacune un droit à la philosophie. Local et international, il est un lieu d’enseignement, d’expérimentation, de création, ouvert à tous et toutes, où la philosophie s’expose à la réalité du monde et s’ouvre aux pratiques et aux théories en provenance d’autres champs pour transmettre des savoirs, penser et transformer le contemporain.Il est important d’insérer ici, Du droit à la philosophie, de Jacques Derrida, Paris, Galilée, 1990, 662 p. ISBN 2-7186-0382-8, 662 p.
Derrida Jacques, Du droit à la philosophie, Paris, Galilée, 1990.
2.2. Traces d’un débat interne au Collège (2015-2016)
Tout au long des 30 années d’existence, le Collège a été très actif et a connu des débats dont le compte-rendu rigoureux de l’histoire mouvementée dépasse ici notre propos. Tout au plus, peut-on souhaiter une histoire minutieuse, une évaluation externe et indépendante d’une expérience de pratiques philosophiques riches et complexes en France et ailleurs.
Nous nous limitons à présenter ici des traces non exhaustives espérons-le, d’un débat interne en 2015-2016 sur les conditions matérielles de la transformation d’une structure associative, avec des philosophes non salariés en un Institut intégré dans un pôle universitaire étatique de Paris-Lumière. La transformation de statut administratif et juridique du Collège n’est que la pointe de l’iceberg. Elle pose la question institutionnelle, juridique du rapport contradictoire entre une association et l’Etat et ses conditions de transformation. Le débat a été une étape qui ne peut être ni banalisée, ni évacuée mais mérite une évaluation en profondeur. Le document des 12 principes présenté ci-dessous apporte des éléments pour aujourd’hui. C’est une percée ouverte par quelques directrices et directeurs de Programme du Collège vers de nouvelles exigences pour la pratique philosophique. Elle interroge le rôle, la responsabilité future du CIPh en lien avec les buts voulus par les fondateurs actualisés à la situation des années 1960-1980, actuelle et future du monde qu’en 2020 le Covid-19 met en lumière.
En bref, a la suite de cette « crise » révélatrice de ce que nous pourrions appeler la « non contemporanéité » (Ernst Bloch) du Collège, nous pouvons souhaiter qu’un réel travail de mémoire ait lieu et qu’un nouveau « Rapport bleu » actualisé ou refondé soit imaginé et produit collectivement au-delà de tout cadre, privilèges, intérêts particuliers et « national », par celles et ceux engagés dans de multiples pratiques hétérogènes de philosophie en Europe et sur la planète. Il existe des exemples d’Universités libres pratiquant notamment la philosophie dans divers endroits du monde qui devraient être associées à un processus transversal. La globalisation qui imprègne les politiques de la formation et de la recherche (modèle Bologne et ses avatars)[2] et donc le rôle, les pratiques de la philosophie à la fois attaqués[3], développant une pensée de l’exil[4], du « desexil » dans un des Programmes du CIPh récent et appelées à renaître, les situations souvent précaires des travailleurs intellectuels de la philosophie, implique une critique des logiques « nationales » étroites et une approche non tant « internationale » (entre des « nations ») que transversale. Les conditions de son actualisation ne peuvent plus être limitées à un pays et sa politiques étrangère culturelle. Une ouverture existe déjà au Collège par l’engagement de directrices et directeurs de Programme « étrangers ». Pour la première fois un Président de l’Assemblée portugais a été choisi, mais cette initiative ne semble pas avoir continué.
Cela implique une distance critique des habitus, des schèmes d’action, de pensée et des politiques existantes. Cela implique de déplacer, décoloniser et aussi de désimpérialiser la philosophie. Une multitude d’autres pratiques sont présentes dans le travail (climat, pratiques des multinationales, place des femmes, inégalité abyssales, racisme, pillage et destruction des ressources, transformations imprévisibles de la violence « extrême » (Balibar), modèle scientifique s’affrontant à ses limites, à l’urgence, à l’incertitude, au non savoir, exigences de nouvelles épistémologies, méthodes, etc.. Dans le champ philosophique, le Collège a entr’ouvert une porte, mais réussira-t-il à entrer de plein pied dans une ère « postcoloniale »[5] et « postimpériale » ?
Dans un tel contexte, à quoi bon rêver, fêter l’anniversaire de la fondation du Collège (30 ans), ce qui a eu lieu ? D’un autre côté, à quoi bon remuer le passé récent, d’autant plus quand celui-ci réveille des spectres attristés dont parle Derrida, qui semblent sortis de la scène ? The times is out of joint…. Le moment est ambigu et douloureux pour celles et ceux qui se sont engagés dans un labeur de mémoire, de sauvegarde de l’acquis et de transformation et qui en ont été affectés. Des risques ont été pris. Ils ont coûté cher à certains. Ils ont produit des désillusions devant des jeux de pouvoir, des défenses d’intérêts, des privilèges au mépris de la sauvegarde d’une création politique et philosophique « internationale », « libre », ouverte?
A quoi bon prendre le temps d’un travail de mémoire d’une lutte située entre 2015 et 2016 pour sauvegarder la « personnalité morale » et aussi juridique (association libre) d’un espace philosophique d’intelligence collective, de délibération, de soutien créé, il y a 30 ans pour un « Collège International de Philosophie » de travailleuses et travailleurs de philosophie appelés à se « déplacer », à interroger des habitus d’Etat hiérarchique, d’ancien Empire, certains préconisant une « philosophie de terrain » (Christiane Vollaire par exemple), d’autres optant pour des travaux personnels ? Dans le cadre de la globalisation, à laquelle n’échappe pas la praxis, l’exercice philosophique, que devient ce qui est appelé « l’international » dans le Collège ? Ces questions nous ont été posées par l’expérience de direction de Programme, sur un fond de tristesse et de désillusion. Quand du souffle d’un projet novateur, il reste des traces, il est difficile de ne pas s’inscrire dans un tel souffle aujourd’hui Je suis reconnaissante au Collège d’avoir accueilli un Programme « étranger » (Suisse) sur le desexil de l’exil. Par ailleurs, dans ces années, deux réfugiés ont pu être accueillis comme directrice et directeur de programme, au moment d’un débat européen sur l’accueil de réfugiés.
2015-2016
Textes de deux anciens directeurs de Programme au CIPh :
LAVAL Christian, Pour mémoire. La bataille perdue du Collège international de philosophie.