Quand la violence domine tout mais ne tranche rien. Réflexions sur la violence, la cruauté et la Cité

Hamit Bozarslan (CETOBAC /EHESS)

Résumé
Quelques années seulement après les forts espoirs suscités par les contestations révolutionnaires, le monde arabe, et plus généralement le Moyen-Orient désormais élargi à l’Afghanistan et au Pakistan à l’Est et au Sahel à l’Ouest, fait face à un état de violence massive, compromettant l’existence même de nombreuses sociétés. Comment peut-on analyser les contextes où la disparition du Léviathan ou sa dégradation en une force milicienne, provoque dans son sillage également la fragmentation militarisée de l’espace et l’effondrement de la Cité ?
Cet essai, qui part des situations moyen-orientales pose la question de la gewalt en prenant en compte une série de variables, des pacifications des sociétés aux effets transformateurs de la violence en tant que pratique, de la crise du modèle westphalien à la question de la « convertibilité » qui est au cœur de la réflexion d’Etienne Balibar.

Après de forts espoirs que suscitèrent les contestations révolutionnaires de 2011, le monde arabe et plus généralement le « Grand Moyen-Orient » font face à un phénomène massif de violence : alors que le coup d’Etat du général Abdelfattah al-Sissi a réintroduit la cruauté au cœur de la Cité en Egypte, la Libye, et dans sa continuité la région du Sahel, le Sinaï, le Yémen, la Syrie et l’Irak (et dans une moindre mesure le Liban), et enfin l’Afghanistan et le Pakistan risquent un effondrement politique et social partiel, voire total. Il ne s’agit pas seulement de la désintégration des Etats, mais aussi, dans leur sillage, des sociétés qui se trouvent fragmentées en micro-segments et livrées aux micro-puissances armées. Le bilan est en effet lourd aussi bien en vies humaines qu’en termes d’atomisation militarisée de l’espace. Les conflits de 2011-2014 ont déjà anéanti des dizaines de villes, fait des centaines de milliers de victimes ainsi que de millions de réfugiés et de déplacés dits internes. Rien n’indique qu’on sera encore en mesure de parler d’une « société syrienne » ou d’une « société libyenne » au tournant des années 2020. Quant à l’ampleur de l’émiettement armé, on rappellera simplement que quelque 1200 milices sont actives en Syrie, et près de 300 en Libye, sans même compter les autres zones de conflits.

Sauf en Tunisie qui évolue sur une brèche mais tente de gérer ses « incertitudes révolutionnaires » par la voie du consensus, la raison dignitaire, libertaire et égalitaire de ce printemps désormais lointain de 2011 a laissé place à une toute autre raison, qui défie notre intellect et interroge la pertinence même de nos outils conceptuels et nos catégories analytiques. A titre d’exemple, dans de nombreux pays de la région on assiste au « dépérissement » du temps[1], lequel a toujours constitué le principal « capital » aussi bien des Etats que des acteurs contestataires. Les pouvoirs ne peuvent en effet s’ancrer dans la durée qu’à condition d’être des horlogers d’un temps qu’ils régulent et convertissent en rapports de domination, instruments de légitimation, ou outils d’intervention dans l’espace. Comme le suggère l’historien Bernard Lepetit, l’ « espace » n’est, en dernière instance, que la forme « solidifiée » du temps[2]. A l’inverse, comme Ibn Khaldûn le saisissait déjà au 14ème siècle, toute contestation vise à bousculer, puis pulvériser le temps du pouvoir existant pour transformer son propre temps en outil de conquête de l’espace[3]. Mais que fait-on lorsqu’un pouvoir n’assure sa durabilité qu’en détruisant le temps et l’espace collectifs, comme c’est le cas en Syrie ? Comment analyse-t-on des situations où l’Etat se transforme en une sorte de milice, coexistant, dans ce pays, mais aussi en Irak, au Yémen ou encore en Libye, avec d’autres milices, qui s’avèrent tout aussi destructrices du temps et de l’espace ?

Certes, la recherche en sciences sociales n’est pas entièrement démunie face à ce phénomène, qu’on peut expliquer en partant autant des « fondamentaux » ethniques, confessionnels, tribaux, territoriaux ou transfrontaliers de ces sociétés, que d’une simple chronologie montrant comment la militarisation des conflits s’est graduellement opérée, puis a déclenché un processus vertigineux de fragmentation[4].  Mais bien que pertinente, l’ « explication » ainsi offerte tourne dans le vide, ou, pire encore, « la clarté » qu’elle apporte « fait apparaître cela même dont il faut se délivrer ou contre quoi il faut lutter »[5].

« « Expliquer » la violence à partir de son contexte d’émergence et ses mutations s’avère d’une utilité pratique dérisoire et ne permet nullement de surmonter la crise de sens qu’elle provoque face à laquelle les chercheurs sont tout aussi désarmés que l’ensemble des citoyens. Aussi raffinée soit-elle, en effet, la recherche ne peut, de par sa vocation même, engendrer une conscience critique, un « agir-citoyen » à même de peser sur le monde «  (Bozarlan, 2014).

C’est cette urgence citoyenne qui est à la base de notre texte. Malgré notre formation en histoire et en sociologie politiques, nous avons voulu présenter ici non pas un article de recherche, mais plutôt quelques réflexions, avouons-le d’emblée, libres, qui trouvent leur point de départ au Moyen-Orient, mais tentent de penser la violence en tant que phénomène universel.

La violence ou la « conversion » en creux

A la fin des années 1960, Hannah Arendt s’étonnait de la faiblesse des travaux sur le phénomène de la violence et plus généralement de la pauvreté des concepts et outils théoriques pour le penser[6]. Ce constat pouvait sans doute se vérifier encore dans les années 1980. Depuis, de très nombreuses publications, aussi bien théoriques que monographiques, comparatives qu’interdisciplinaires, virent le jour. Pourtant, la « violence » comme objet de recherche ou de réflexion philosophique continue à nous échapper. En dépit des typologies que nous élaborons, nous ne parvenons ni à la « définir » ni à la « mettre en sens » : soit elle devient l’objet d’une description morbide des faits, soit, comme le montre les piètres résultats de la « guerre globale contre le terrorisme », elle est prise en charge par un dispositif sécuritaire aussi répressif que contreproductif, soit elle provoque une indignation qui soulage les cœurs et les esprits mais reste sans effets sur le terrain, soit, enfin, elle se dissout dans un magma d’autres sujets. Certes, l’approche phénoménologique, qui permet de l’analyser en la mettant en lien avec des rapports de domination et de contestation, de processus de construction et de dissolution du social, est indéniablement la plus fructueuse qu’on puisse développer en la matière, mais elle n’échoue pas moins à prendre en compte les effets transformateurs qu’elle engendre en tant que pratique. De même, elle n’apporte pas les clefs d’intelligibilité des situations dans laquelle elle domine tout mais ne tranche rien, ou si elle tranche, elle tranche dans le vif. On se trouve ainsi, en creux, devant la problématique hégélienne de la « convertibilité » que réactualise Etienne Balibar[7] : dans les cas qui nous intéressent ici, soit la violence s’exerce sans pouvoir « convertir » les projets et vouloirs de ses auteurs en « pouvoir », soit, plus grave encore, elle « convertit » les ressources confessionnelles, tribales, ou de cercles militarisés de socialisation en une action dont le sens se trouve dans la pure destruction, ou dans l’annonce de l’Heure H, de l’« ère nouvelle », qui est aussi celle du triomphe de Thanatos[8].

Bien entendu, cette « non-convertibilité » et cette « conversion destructive » trouvent leurs racines dans le social et dans le politique entendu comme rapports de pouvoir, de domination, de soumission, de contestation, voire de classe ou interethniques. Qu’il s’agisse des chabiha, ces « hommes-fantômes » de Bachar al-Assad, ou des combattants en noir de l’ « Etat islamique », des militants d’AQMI (al-Qaïda dans le Maghreb islamique) et d’AQPA (al-Qaïda dans la Péninsule arabique) ou des miliciens tribaux de Misrata ou de Zintan en Libye, des Talibans en Afghanistan ou au Pakistan ou des Chebbab et de Boko Haram en Somalie ou au Nigéria, les acteurs de la violence ne surgissent pas d’une apesanteur sociale, politique, économique ou culturelle. Mais le processus sacrificiel dans lequel ils sont engagés « radicalise le monde »[9] et partant leur monde, les dote des passions et d’une sacralité propres et permet ainsi leur affranchissement de leurs conditions d’émergence. C’est à la suite de cette trajectoire, condensée parfois en un espace-temps très court, qu’ils se muent en une force propulsée par ses seules dynamiques axiologiques. C’est aussi cette désarticulation constante entre l’amont et l’aval, résultant de la capacité transformatrice de la violence en tant que pratique, qui constitue la source de notre incompréhension et de notre malaise. A titre d’exemple, ces acteurs ont bien un passé, largement documenté et étudié, y compris à partir des trajectoires individuelles et collectives et de « reconversion de carrières », mais ils ne s’inscrivent pas pour autant dans une logique de continuité ou de cumulativité ; au contraire, ils se reproduisent dans la durée par les ressorts de leurs métamorphoses permanente, qui les privent de tout horizon. De même, s’ils ont bien une « matérialité » qu’on peut étudier à partir des repères spatiaux (lieux de provenance, mobilité, cercles de solidarité ou de socialisation…), temporels (transmissions et discontinuités intergénérationnelles, événements fondateurs, filiation historique réelle ou revendiquée…), symboliques (figures tutélaires célébrations, rituels d’admission, camaraderie…), syntaxiques (vocabulaire propre, choix de noms de guerre, langage esthétique..), celle-ci est constamment minée par une axiologie qui balaie tout sur son passage, y compris ce qu’elle créé. De l’accoucheuse d’une société nouvelle, la violence devient alors l’agent de la démolition de la société dans toute sa complexité, son passé, son présent et son avenir. Mais les destructeurs deviennent aussi les agents de leur propre anéantissement ; certes ils s’ancrent dans la durée et contrôlent des parcelles de l’espace, mais ils le font au prix de la précarisation et de fragmentation de leur temps et de leur espace, ce qui les condamne à l’étouffement et à un parcours sans lendemain. En plaçant la violence au cœur de leur exercice de pouvoir et en devenant « politicides » au sens propre du terme, ils transforment leurs victoires en repères de leur déchéance.

Ces désarticulations, qui, de simples effets de l’axiologie violente se transforment en son « être ontologique » et son « mode opératoire » accoutumé, nous permettent aussi de reformuler la question du « mal » ; loin de se trouver dans un rapport dialectique avec le « bien », loin même de toute signification métaphysique, le « mal » se forge par et dans l’action. Il est la conséquence de l’affranchissement toujours plus accentué des acteurs vis-à-vis du social et du politique, qui, sur son passage, ne détruit pas seulement leurs filiations historiques et leurs propres repères, mais aussi toute considération d’ordre éthique. C’est par l’autonomisation et l’acquisition de la puissance par l’action, que l’ « indicible » devient un « ordinaire » accessible à de dizaines de milliers d’hommes (et quelques centaines de femmes) de toute origine sociale et ethnique, voire pratiquement de toute génération, des vétérans de la Guerre d’Afghanistan de la décennie 1980 qui ont aujourd’hui entre 55 et 60 ans aux jeunes nés dans les villes européennes à la fin des années 1990. Cette diversité ne produit pas seulement une « communauté » du destin, « universelle » et intergénérationnelle, permettant à chacun de « renaître », puis de « mourir » dans la « cause », elle facilite aussi le transfert des « savoirs » techniques d’un terrain à l’autre, la diffusion d’une « esthétique gothique » empruntée au monde virtuel des « wargames » pour être déployée sur un terrain bien réel, et bien sûr une « déresponsabilisation éthique » qui, en tant qu’elle est collective, déresponsabilise aussi chaque individu. La puissance que tout un chacun gagne à titre de membre de la « communauté de la violence » et qui est à la hauteur des sacrifices individuellement consentis, n’a pas seulement valeur de preuve de la « justesse de la cause », elle donne aussi naissance à un dispositif émotionnel, moral et cognitif, qui fait du meurtre un acte de « courage » et de « vertu » autant qu’une obligation « morale » et collective. On voit ainsi se mettre en place un double processus, de destruction de l’individu dans la puissance que lui apporte le collectif, et de renaissance dans l’axiologie qui, par un effet de retour, permet au collectif de monter en puissance.

Violence, Temps et Espac

Dans les années 1980, le Moyen-Orient lato sensu avait connu un « état de violence »[10] généralisé, sur lequel nous reviendrons ultérieurement. Exception faite des acteurs kurdes et partiellement palestiniens, la violence de cette période frappait les esprits non seulement par sa densité, mais aussi par sa stérilité, en ce que, in fine, elle ne procédait à aucune construction et ne réalisait aucune « conversion ». La guerre Iran-Irak, l’une des plus destructrices des conflits interétatiques d’après la Deuxième Guerre mondiale, fit entre 800.000 et un million de victimes, mais elle se solda par le retour des deux belligérants au statu quo ante, sans le moindre gain pour l’un ou pour l’autre ; il en allait de même de la Guerre civile libanaise qui fit 180.000 victimes et disparus sur une population de quatre millions d’habitants et qui se conclut par un simple réajustement du « Pacte » communautaire de 1943 ; la guerre d’Afghanistan, qui mobilisa également plusieurs dizaines de milliers d’ « Arabes », parvint certes à mettre fin à l’occupation de l’Armée rouge, mais elle déboucha surtout sur une fragmentation territoriale du pays.

Cette décennie fut aussi le témoin de la montée en puissance du courant islamiste radical, renforcé par les ondes de choc de la Révolution iranienne et le noir romantisme afghan. Mais là encore, la « conversion » n’opéra pas ou opéra de manière perverse : les régimes, qui par ailleurs n’avaient pas hésité à « exporter » le radicalisme de leur jeunesse vers l’Afghanistan, ne manquèrent pas d’utiliser la « menace terroriste » pour consolider leur autoritarisme. Les djihads algérien et égyptien des années 1990, s’expliquant en partie (mais seulement en partie) par le retour des « Arabes afghans » sur leurs terres d’origine, constituèrent également des moments particulièrement destructeurs, d’espaces, mais aussi de générations de militants et de populations civiles, mais n’eurent politiquement d’autres conséquences que la consolidation des Etats autoritaires dans les deux pays.

Si l’on regarde le Grand Moyen-Orient d’aujourd’hui, qui sous l’impact des transhumances djihadistes passées et présentes, est désormais élargi à l’Afghanistan et au Pakistan à l’Est et au Sahel à l’Ouest, on observe de nouveau un « état de violence » trouvant sa traduction la plus manifeste dans la militarisation des dynamiques « régionalistes », confessionnelles et tribales, qui sont elles-mêmes fragmentées. Les frontières internationales, qu’Anthony Giddens définit comme des « digues de violence » départageant les espaces de souveraineté étatique[11], sont devenues les lieux de production d’une violence trans-étatique et surtout sont doublées par d’autres, cette fois-ci internes. Loin de toute fluidité, ces nouvelles lignes qui divisent les territoires « nationaux » en entités fragmentées, se sont transformées en « fronts » au sens étymologique du terme.

Plus que dans les années 1980, la violence qu’on observe dans la région de nos jours s’inscrit simultanément dans un registre matériel et un registre des passions, qu’Etienne Balibar définit respectivement comme « ultra-objectif » et ultra-subjectif[12] et se radicalise par les effets amplificateurs que produit leur fusion. Elle est « ultra-objective » en ce qu’elle engendre indéniablement des ressources économiques et symboliques mises à la disposition de ses auteurs, voire donne naissance à un « système de transaction »[13] dont elle est la principale régulatrice. L’effondrement de l’économie syrienne, qu’on a observé et chiffré dès l’automne 2011, par exemple, n’a eu aucun impact sur l’ « économie de guerre », plutôt prospère, du régime, puis des mouvances djihadistes.

La « matérialité » de cette violence vient aussi du fait qu’elle prend la forme d’une totale dé-subjectivation ; lorsqu’elle ne procède pas à des massacres purs et simples et n’utilise pas la cruauté et la peur comme ressources, elle fragmente, puis détruit les repères temporels et spatiaux, ainsi que le lien social, sans lesquels le sujet ne peut exister. La disparition de l’ « espace collectif » enlève aux individus la possibilité même de s’ancrer en confiance dans une localité tout en demeurant des acteurs potentiels de mobilité ; celle du temps collectif interdit aux individus, mais aussi à la société dans son ensemble, de se penser à l’aide des repères rétrospectifs et prospectifs, de se ressourcer dans leur passé et construire leur avenir ; enfin, la fin du lien social condamne tout un chacun à se replier sur un cadre de survie, strictement individuel, familial ou, au mieux, micro-spatial. Comme le souligne Simone Weil, en effet, l’« injustice humaine fabrique {…} non pas des martyrs mais des quasi-damnés »[14]. Mais au cours de ce processus, les « hommes en armes » deviennent eux-mêmes des « quasi-damnés », voire, des « sur-damnés ». Comme le précise encore Weil dans son déchiffrage du « dernier secret de l’Iliade », «… les batailles ne se décident pas entre hommes qui calculent, prennent une résolution et l’exécutent, mais entre les hommes dépouillés de ces facultés, transformés, tombés au rang soit de la matière inerte, qui n’est que passivité, soit des forces aveugles qui ne sont qu’élan {…}. L’art de la guerre n’est que l’art de provoquer de telles transformations et le matériel, les procédés, la mort même infligée à l’ennemi, ne sont que des moyens à cet effet ; il a pour véritable objet l’âme même des combattants »[15]

De l’autre côté, on observe aussi l’émergence d’un sombre régime de subjectivité, qui est marquée par une urgence axiologique qualifiant tout enjeu, toute bataille, toute tactique, comme chargé d’une importance « vitale », voire comme découlant d’un drame cosmique dont l’issue ne dépendrait que de la seul détermination et du seul esprit de sacrifice des combattants. Cette a-historicisation des séquences se déroulant pourtant dans un temps et dans un espace tristement terrestres, a pour conséquence de pulvériser la notion même de « stratégie », qui est pourtant omniprésente comme conséquence de la violence inscrite dans la durée. Il n’y a pas de doute que les régimes dégradés en forces miliciennes, les combattants islamistes ou les autres groupes armés confessionnels ou tribaux, pensent le conflit, sont capables de déplacer les lignes du front, assurent le contrôle de leurs espaces respectifs, organisent la mobilité de leurs effectives parfois sur de longues distances, maîtrisent la vitesse et rationnalisent leurs ressources économiques et coercitives, mais ils le font en mettant le corps d’autrui et leurs propres corps sous la pression du seul mouvement et de la seule immédiateté, les privant ainsi de fait de tout passé appréhendé comme réservoir de ressources, et de tout avenir perçu comme horizon de changement ou de réalisation de projets. La continuité entre ces trois déclinaisons du temps, présent, passé et futur, sur laquelle insistent les philosophes depuis Saint Augustin, se voit ainsi rompue.

L’une des conséquences probables de cette cassure estle passage des acteurs de la violence à une logique chiliastique. Comme le précise Karl Mannheim, celle-ci « brise toute relation avec ces phases de l’existence historique qui sont en processus quotidien de devenir parmi nous. Elle tend à tout moment à se changer en hostilité vis-à-vis du monde, sa culture et toutes ses œuvres et accomplissements terrestres et à les considérer comme des satisfactions prématurées d’efforts plus importants qui ne peuvent être intégralement satisfaits que par kairos »[16]. La deuxième conséquence, qui est encore plus extrême que le « chiliasme », est la recherche d’une délivrance eschatologique dont la réalisation est censée avoir lieu hic et nunc, dans l’espace et dans le temps terrestres immédiats. Les auteurs de la violence cessent alors de se concevoir comme acteurs au sens propre du terme, autrement dit avec des expériences du passé, des projections dans l’avenir et la responsabilité axiologique et éthique du présent, pour se réaliser comme de simples actants accomplissant un dessein imposé par l’au-delà, s’interdisant par conséquent toute faculté de jugement ou de réajustement si ce n’est que d’ordre strictement militaire ou organisationnel. On est en effet impressionné de voir combien un millénarisme, parfois explicite, à d’autres moments sous-jacents, est constamment présent dans des discours et symboliques des acteurs, qu’ils soient étatiques, non-étatiques, alaouites, chiites ou sunnites pour jouer le rôle de « déresponsabilisant éthique». Enfin, il faut souligner une troisième conséquence qui trouve son expression ultime dans des attentats-suicide. D’exceptionnels comme dans les années 1980-1990, ceux-ci sont devenus ordinaires pour se compter par milliers depuis le 11 septembre. Est-il nécessaire de rappeler que cette forme particulière d’action auto-sacrificielle consiste à tuer l’autre, et partant toute altérité, dans soi, à détruire le temps, l’espace, en somme le monde, dans soi et par soi ?

L’Etat de violence et l’effondrement des sociétés

Le concept d’« Etat de violence », qui fut élaboré par le philosophe Frédéric Gros dans les années 2000 (cf. supra), désigne la naissance, dans les démocraties occidentales, d’un nouveau régime sécuritaire ne reconnaissant pas de « discontinuité » entre la scène intérieur et le front extérieur, l’armée et la police, les périodes de mobilisation et la démobilisation. Dans un travail antérieur[17] nous avions appliqué cette notion au Moyen-Orient des années 1980 où non seulement ces lignes de partage avaient disparu, mais sous l’impact d’une transhumance militaire, notamment mais pas exclusivement, du monde arabe vers le Pakistan et l’Afghanistan, la Guerre Iran-Irak et la Guerre civile libanaise, la distinction entre les acteurs étatiques et non-étatiques s’était également estompée et les frontières s’étaient transformées en lieux de production d’une violence massive. Au cours de cette décennie, les Etats, seules entités reconnues comme légitimes par le droit international, avaient apparu comme les premiers acteurs à violer les principes westphaliens qui les avaient fondés.

Comme le suggèrent Heinrich Sharp et Bertrand Badie avec six décennies de distance dans le temps[18], le Traité de Westphalie de 1648 avait certes permis au Vieux Continent de sortir de ses guerres, qui l’avaient mis à feu et à sang, mais en reconnaissant la souveraineté exclusive des princes sur « leurs » territoires respectifs, il avait aussi annihilé l’espoir d’une Europe supranationale ou impériale. Les Etats se voyaient ainsi doublement légitimés comme acteurs –théoriquement- exclusifs de la violence : ils avaient désormais légalement le droit de faire la guerre à l’extérieur de leurs frontières, et tout le loisir d’utiliser l’activité militaire pour « aménager » leurs territoires, se centraliser, mettre en place une politique d’imposition et de conscription et, enfin, se doter d’une efficacité technocratique et bureaucratique. C’est à ce titre que l’ « Etat », qu’aussi bien Max Weber[19] que Charles Tilly[20] présentent in fine comme une maffia qui a réussi à s’institutionnaliser, parvenait, du moins en partie, à pacifier « son » territoire.

L’évolution fut toute autre au Moyen-Orient[21] qui a intégré le monde westphalien seulement au 20ème siècle. Le processus de la fragmentation militarisée des sociétés, mais aussi de la « dégradation » des Etats en milices, voire en forces prédatrices à l’intérieur des cadres territoriaux qui leur était reconnu par le système westphalien, était déjà nettement perceptible dans la décennie 1980 ; silencieusement en œuvre dans les années 1990 et 2000,  celui-ci s’accélère à une vitesse vertigineuse depuis 2011, pour provoquer non seulement l’effondrement des Etats, mais aussi des sociétés, les premiers entraînant les deuxièmes dans leur chute. Des vastes zones ou des villes importantes, disposant parfois des ressources militaires considérables comme Tombouctou au Mali ou Mosul en Irak « tombent » sans la moindre résistance sous l’assaut de quelques centaines ou quelques milliers d’hommes. Alors que l’ « armée nationale » tente d’assurer sa propre survie par la fuite, la population civile, désarmée aux deux sens du terme, ne sait pas et ne peut pas se défendre. La pacification de la Cité, qu’en contraste avec Machiavel[22] Ibn Khaldûn considère comme la condition même de son existence, produit bel et bien de l’obéissance au Prince[23], mais lorsque celui-ci s’évanouit, la société se trouve livrée à ses marges dissidentes[24] ou aux milices venues d’ailleurs, qui disposent des ressources de la violence, savent faire la guerre, tuer et se faire tuer pour une « cause ». La transformation de l’ « armée nationale » en une milice produit le même effet : en temps de paix, la société peut gérer un pouvoir, même oppresseur, accepter le pacte de soumission qu’il lui dicte et trouver des modes d’accommodement avec lui ; mais elle ne sait comment se défendre face à un prince assurant sa survie par le guerre qu’il mène contre elle, qui dispose des moyens de coercition considérables et se dote non seulement des mercenaires, mais aussi des hommes issus de sa communauté comme les malfamés chabiha syriens.

Le Prince et le Milicien : la Cité à l’épreuve de la violence

L’effondrement de la cité par suite des attaques de ses marges ou de son Prince, nous invite aussi à réfléchir au lien entre la violence et la politique. D’Ibn Khaldûn à Marx et Engels, nombre furent de penseurs qui appréhendèrent la violence comme fondatrice d’un ordre nouveau. D’autres figures, parmi lesquels Walter Benjamin[25] et Sebastien Haffner[26], en revanche, ont été désemparés par son irruption dans la Cité et, plus tard, Hannah Arendt a émis l’hypothèse d’une antinomie entre la violence et la politique. Selon Arendt, qui avait clairement l’Antiquité comme modèle, la Cité pouvait bien mener une guerre à l’extérieur, mais à condition de reconnaître la nature « non-politique » de cette activité[27]. On pourrait, au prime abord, interpréter cette remarque comme un signe d’incompréhension profonde du phénomène de la violence. Après tout non seulement la violence n’a jamais été absente de la Cité, mais en tant qu’épisode, voire acte fondateur, elle en été souvent aussi à la base. Mais si l’on délaisse ce registre empirique et se déplace vers un horizon normatif, on pourrait trouver dans cette réflexion une précieuse clef de lecture des conditions de la viabilité même de la Cité. Pour assurer sa durabilité, celle-ci doit en effet se baser sur un double principe politique, contradictoire mais convergeant, excluant l’un et l’autre la violence : le consensus pour définir son identité, ses frontières et son système de représentation et du gouvernement, et le dissensus pour légitimer, négocier, et éventuellement résoudre ses conflits internes, ou, le cas échéant, les institutionnaliser. Dans une telle perspective, l’introduction de  la violence dans la Cité ne peut avoir pour conséquence ultime que son effondrement : en la défiant en sa qualité de personnalité collective, institutionnelle et morale, la violence remet effectivement en cause le principe du consensus et, en substituant la critique des armes à l’arme de la critique, elle interdit le dissensus comme dispositif légitime. Une dissidence armée, tentant de surcroît d’imposer son hégémonie pour s’assurer de la victoire, ne peut que tuer la dissidence légalisée.

Certes, dans ce domaine comme dans d’autres, il ne faut pas aller trop vite en besogne. En réalité, le terme « violence » (au sens générique de la gewalt en allemand) efface la distinction entre la force d’un pouvoir organisé et la dissidence armée d’une partie de la société et s’avère par conséquent d’une piètre utilité heuristique. Supprimer cette distinction, qui est centrale dans l’analyse de Georges Sorel et de Charles Tilly[28], reviendrait en effet à vider de leur sensun grand nombre de concepts fondateurs de la politique, comme la domination, la contestation, l’exclusion, l’intégration, ou simplement la citoyenneté. Comme le rappelle l’histoire des révolutions à travers le monde, la violence peut émerger comme une réponse des dominés ou des exclus, ou des simples oppositions politiques,  à la coercition  du pouvoir. De même, elle peut viser à débloquer une machine politique oligarchique refusant toute représentation politique et sociale, et partant tout élargissement du jeu politique. Elle peut également être, du moins dans la lecture subjective des acteurs, l’ultime recours à leur disposition pour résoudre une « question sociale » aggravée par de fortes inégalités. Enfin, il est indéniable que ce n’est pas le radicalisme en tant que tel qui conduit à la violence, mais sa mise au ban de la cité ; les radicalismes de gauche en Europe des années 1960 et 1970, ou les contestations afro-américaines de la même période ont, en règle générale, renoncé à la violence du moment où ils ont pu obtenir la possibilité de s’intégrer dans l’espace publique ou politique et disposer des moyens d’action pour porter et réaliser certaines de leurs revendications.

Mais dans certaines configurations où la Cité a été déjà détruite ou considérablement affaiblie, la violence, nourrie d’un radicalisme, non pas nécessairement politique, mais de race ou de confession, peut atteindre un niveau paroxystique faisant disparaitre toute distinction entre la contestation armée et la coercition du pouvoir. Dans ces cas particulier,  ce sont bien les puissants, voire les bourreaux, et non pas les exclus, ce « prolétariat de l’intérieur » dont parle Arnold Toynbee[29], qui ont recours à la violence et monopolisent les deux registres, symboliques et discursifs, de l’ordre légitime et de la contestation légitime ; ils peuvent, par cette synthèse qui avait déjà fasciné et terrifié le juriste Sebastien Haffner (cf. supra), justifier leurs brutalité et à partir du droit d’unpouvoir établi à se défendre et à partir du droit à la révolte des « opprimés » ou des « exclus » d’un « ordre injuste ». Le national-socialisme s’était ainsi particularisé comme ordre et comme anti-ordre, comme bourreau et victime, et avait privé ceux qu’il exterminait du droit de se présenter en tant que victimes, et, bien entendu, encore moins de se révolter en cette qualité. L’Etat milicien de Bachar al-Assad et l’Etat islamique qui contrôle désormais un vaste territoire en Syrie et en Irak en tant qu’Etat, agissent exactement sur le même modèle, se légitimant et par la coercition sans limite qu’ils considèrent comme légale, ou du moins nécessaire pour défendre l’ordre, et par la violence, qu’ils justifient par leurs conditions d’ « opprimés » pour briser un « ordre injuste » associé à leurs victimes.

On voit ainsi émerger une « rationalité perverse » ou ad absurdum sur laquelle Murray Edelmann[30] attirait déjà notre attention, qui ne manque certainement pas d’efficacité axiologique et parvient parfaitement à convaincre un cercle d’affidés, mais désarme ses victimes au sens propre comme au sens figuré du terme, les laissant sans choix autre que de vivre la cruauté et l’ « a-sens » comme la seule condition humaine ou la seule histoire possibles. Le « a-sens » est, comme le précisait en son temps Cornelius Castoriadis,  « une menace pour le sens de la société » en ce qui il comprend « le risque d’ébranlement de l’édifice social de significations »[31]. Quant à la cruauté, elle devient elle-même un système d’échanges, n’acceptant qu’une cruauté toujours plus massive, toujours plus à même de frapper les esprits par une dynamique de surenchère, comme réponse. Comme le précise Marie-Françoise Baslez, dans un tel système : « ni le bourreau ni la victime ne sont à vrai dire des sujets, mais bien des postures d’assujettissement politique dont la cruauté est l’instrument caché »[32]

La conséquence, elle aussi perverse, de cette évolution est que le « pouvoir » est préservé comme principe et comme organe efficace, mais est mis au service de la destruction méthodique de la Cité. D’un côté les acteurs de la violence parviennent à se structurer, se doter non seulement d’une armée, mais aussi des ministères, signent des décrets ou des fatwas suivis d’effets réels, payent des salaires parfois même en les augmentant comme c’est le cas de l’ « Etat islamique », imposent la taxation et la conscription, administrent, avec une grande cruauté, leurs justices, imposent leurs propres curriculums aux établissements scolaires, adoptent des politiques préférentielles de redistribution des ressources, exercent, en somme, la plupart des prérogatives des entités étatiques. De l’autre côté cependant, cette rationalité bureaucratique et technocratique va de pair avec l’usage massif des chars et/ou de l’aviation dans l’espace urbain ; elle n’unifie pas mais fragmente ; elle ne créé pas de la confiance dont a besoin la Cité, mais la peur ; elle ne « lie » pas mais « délie ». En mettant le darwinisme social en œuvre au plus près, à l’échelle des villes, des quartiers, voire des rues, elle redéfinit l’altérité comme une irréductible inimitié, voire une abomination qui doit être supprimée par le meurtre ; par conséquent, elle n’expulse pas la mort de la cité comme l’avait suggéré Jean Baudrillard[33], mais transforme cette dernière en théâtre de massacres largement publicisés. Elle a une rationalité, qui trouve son sens dans le meurtre de la raison de la cité, et qui, en dernière instance, se transforme elle-même en une rationalité des ruines au cours d’une gigantesque « Troisième nuit de Walpurgis » [34].

***

Comme lors de certaines périodes tristement célèbres du passé, la violence qu’on observe aujourd’hui au Moyen-Orient pose aussi la question–piège de la « responsabilité ». La « violence » n’est pas un acteur mais une pratique ; on ne l’« interroge » pas, mais on la subit. Comme le précise Hannah Arendt, « la question qui se pose, est que la violence elle-même est incapable de parole, et non seulement que la pensée est impuissante face à la violence. C’est en raison de ce mutisme que la théorie politique n’a que peu de chose à dire sur le phénomène de la violence dont elle se voit bien forcée de confier l’étude aux techniciens »[35].

Mais « subir » la violence n’est-ce pas aussi une façon de livrer le monde au fatalisme des ruines, et partant à une plus grande irresponsabilité ? Ne revient-il pas à contribuer à détruire le « sujet » qui ne peut exister qu’à condition d’être pensant, réflexif, critique et agissant sur lui et sur son monde ?

Si l’on ne peut interroger la violence, on peut et on doit, en revanche, interroger ses auteurs en leur enlevant le droit de se présenter soit comme des défenseurs d’une cause juste, soit comme des simples actants d’un drame cosmique sans responsabilité propre, la « communauté internationale » qui ici comme ailleurs par le passé s’est anéantie par sa propre paralysie devant les scènes d’horreur se déroulant sous ses yeux, et la Cité, notre Cité universelle, qui n’a pas saisi que « quand la violence règne ‘au loin’, elle règne aussi ‘encore’ »[36] et que le « malaise dans la culture » ailleurs, est aussi le « malaise » dans la culture tout court.


[1] L’expression est de l’historien Jules Michelet, cité in François Furet, La révolution française, Paris, Gallimard, 2007, p. 892.
[2] Bernard Lepetit, Carnets de croquis. Sur la connaissance historique, Paris, Albin Michel, 1999, p. 137.
[3] Cf. Hamit Bozarslan, Le luxe et la violence. Domination et contestation chez Ibn Khaldûn, Paris, CNRS Editions, 2014.
[4] Cf. Hamit Bozarslan, Moyen-Orient 2011-2015. Configurations révolutionnaires et état de violence, Paris, CNRS Editions, à paraître au printemps 2015.
[5] Léon Chestov, La nuit de Gethsémani. Essai sur la philosophie de Pascal, Paris, Editions de l’Eclat, 2012,p. 99.
[6] Hannah Arendt, Du mensonge à la violence, Paris, Calmann-Lévy, 1969.
[7] Etienne Balibar, Violence et civilité. Wellek Library Lectures et autres essais de philosophie politique, Paris, Galilée,2010, p. 63-70.
[8] Sigmund Freud, Le malaise dans la culture, Paris, Le Monde & Flammarion, 2010, p. 127.
[9] Jean Baudrillard, L’échange symbolique de la mort, Paris, Gallimard, 1976, p. 63.
[10] Pour ce concept, cf. Frédéric Gros, Etats de violence. Essai sur la fin de la guerre, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2006.
[11] Anthony Giddens, The Nation-State and Violence, Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 1987, p. 120.
[12] Etienne Balibar, op.cit., p. 34.
[13] Pour ce concept, cf. Daniel Pecaut, « De la banalité de la violence à la terreur : le cas colombien », Cultures et Conflits, n° 24/25, 1997, p. 166.
[14] Simone Weil, Le pesanteur et la grâce, Paris, Agora, 2012, p. 76.
[15] Simone Weil, L’Iliade ou le poème de la force et autres essais sur la guerre, Paris, Payot, 2014, p. 101.
[16] Karl Mannheim, Idéologie et utopie, Paris, Marcel Rivière, 1956, p. 167.
[17] Une histoire de la violence au Moyen-Orient, Paris, La Découverte, 2008.
[18] Heinrich Scharp, Abschied von Europa ? Francfort, 1953 ; Bertrand Badie, Quand l’histoire commence, Paris, CNRS Editions, 2012.
[19] Max Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Press Pocket, 1992, p. 335.
[20] Charles Tilly, « War Making and State Making as Organized Crime », in Peter B. Evans, Dietrich Rueschemeyer & Theda Skocpol, Bringing the State Back n, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 169-191.
[21] Rolf Schwarz, War and State-Building in the Middle East, Gainesville, University of Florida Press, 2013, p. 2. Il en va de même de l’Afrique subsaharienne qui communique largement avec le monde arabe, qu’étudie Achille Mbembe dans son Sortir de la Grande Nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, Paris, La Découverte, 2013.
[22] Nicolas Machiavel, Œuvres complètes, Gallimard, 1952, p. 353.
[23] Cf. Hamit Bozarslan, Le luxe et la violence, op.cit. & Gabriel Martinez-Gros, Brève histoire des Empires. Comment ils surgissent ? Comment ils s’effondrent ? Paris, Seuil, 2014.
[24] Dans l’usage que nous faisons ici, le terme « marges » ne désigne pas nécessairement des acteurs « périphériques » ou économiquement et socialement marginalisés, mais des catégories qui ont la capacité de produire une dissidence radicale dans la cité.
[25] Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire, Paris, Payot, 2013.
[26] Sebastien Haffner, Histoire d’un Allemand, Souvenirs 1914-1933, Arles, Actes-Sud, 2002.
[27] « La polis en tant que totalité utilisait la violence à l’égard d’autres Etats et d’autres cités-Etats mais, ce faisant, elle se comportait, d’après sa propre opinion, de façon non-politique », Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 1995, p. 121 & 139.
[28] George Sorel, Réflexions sur la violence, Paris, Quartier Libre, 2006 ; Charles Tilly, The Politics of Collective Violence, Cambridge & Londres, Cambridge University Press, 2003.
[29] Arnold J. Toynbee, L’Histoire. Un essai d’interprétation, Paris, Gallimard, 1951.
[30] « …la justification de l’hostilité prenant la forme d’une narration centrée sur le passé et le futur : elles construisent une intrigue qui rationnalise les mesures draconiennes prises contre les ennemis supposés en alléguant que le mal doit être éradiqué non seulement pour sauver les populations menacées mais aussi pour défendre les ennemis contre eux-mêmes et assurer à tous un meilleur avenir. Brûler les hérétiques, briser leur carrière ou les humilier en public vise à la fois à protéger l’ordre social contre une contamination et à soigner une pathologie présente chez l’ennemi », Murray Edelman, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil, 1991, p. 143-144.
[31] Cornelius Castoriadis, Le monde morcelé, Les Carrefours du labyrinthe III, Paris, Seuil, 2000, p.146.
[32] Marie-Françoise Baslez, Les persécutions dans l’antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, Fayard, 2007, p. 48.
[33] Cf. Jean Baudrillard, L’esprit du terrorisme, Paris, Galilée, 2002.
[34] Karl Kraus, Troisième nuit de Walpurgis (Dritte Walpurgisnacht), Paris, Agone, 2005.
[35] Hannah Arendt, Essai sur la révolution, Paris, Gallimard, 1967, p. 21.
[36] Jan Philipp Reemtsma, Confiance et violence. Essai sur une configuration particulière de la modernité, Paris, Gallimard, 2011, p. 236.