Quand céder n’est pas consentir (extrait)

Nicole-Claude Mathieu, prof. d’anthropologie, EHESS, Paris

Le terme consentement, apparemment plus anodin, est donc en fait, appliqué au sujet opprimé, plus fort et plus grave que le mot pourtant violent mais plus objectif de collaboration. On peut alors se demander pourquoi il fait moins peur, il « passe » mieux, il est mieux agréé par beaucoup de femmes que le mot collaboration. Je vois à cela plusieurs raisons :

1. Le mot consentement appliqué aux dominé(e)s annule quasiment toute responsabilité de la part de l’oppresseur. Puisque l’opprimé consent, il n’y a rien de véritablement immoral dans le comportement du « dominant ». L’affaire est en quelque sorte ramenée à un contrat politique classique.

2. Le mot collaboration, en tout cas dans le contexte européen de l’après-nazisme, contexte loin d’être oublié, suppose une conscience mauvaise (moralement répréhensible) tant de la part du dominant que tu dominé, alors que le mot consentement suppose une conscience… tout court. Et de quoi l’opprimé a-t-il le plus besoin pour survivre, sinon de pouvoir se dire que ce qu’il vit, il le décide, il le fait, il le reconnaît comme part de lui-même ?

Ainsi, avec le terme consentement, d’une part la responsabilité de l’oppresseur est annulée, d’autre part la conscience de l’opprimé(e) est promue au rang de conscience libre. La bonne conscience devient le fait de tous. Et pourtant, parler de consentement à la domination rejette de fait, une fois de plus la culpabilité sur l’opprimé(e), p. 224.

Tiré de, Mathieu N-C., L’anatomie politique. Catégorisations et idéologies du sexe, Paris, Côté-Femmes, 1991. Voir tout le chapitre V, p. 132-225.