Engin Sustam, Maître de Conférence invité, Paris 8. Chargé de cours, Université de Genève
Dédicace: A Loran Miro, mon fils, né en exil en 2018, qui par sa joie de vivre m’incite à écrire davantage.
Résumé
Dans ce texte, il est question de la pétition des Universitaires en Turquie qui se sont opposés à la reprise de la guerre contre les Kurdes par le président turc Erdogan en 2015. A la suite de cette pétition des signataires ont été arrétés ou ont dû fuir en exil. Pour saisir l’enjeu politique de cette action, l’auteur présente le type de régime politique qui domine en Turquie : un système « post-totalitaire » défini par une souveraineté nécropolitique (Mbembe) de gouvernance sur la vie et la mort, par la guerre à outrance et exercé sans limites dans le Kurdistan turc. Que signifie alors, « dire la vérité » que revendiquent les intellectuels de la pétition ? Que devient alors l’exil et le desexil dans un contexte politique de destruction nécropolitique et dans une telle pratique ?
Introduction
Comment parler d’une guerre, dire vrai à propos de cette guerre qui rend visible la pathologie sociale au sein de la société kurde produisant des effets raciaux en Turquie et nous pousse aussi à l’exil ? Comment résister en exil ? Que signifie se desexiler ? Telles sont les problématiques des intellectuels exilés que nous allons introduire comme une figure emblématique et micropolitique.
La Turquie est embourbée dans une crise politique constitutionnelle depuis sa fondation basée sur la racialisation du territoire (turcité).[2]. Le phénomène de l’Etat autoritaire, loin de régresser en Turquie augmente la violence étatique. Le crime, la cruauté restent une modalité répandue de répression. Le coup d’Etat militaire, le putsch manqué, le coup d’Etat « civil constitutionnel » et la phase du conflit sous contrôle d’un régime agressif de haine installent un régime de type autoritaire avec des lois et des pratiques conservatrices-néolibérales. En 1980, l’héritage du coup d’Etat militaire peut être interprété comme une réparation symbolique. Le gouvernement « post-totalitaire » actuel utilise les techniques constitutionnelles, les lois pour régner sur la société et manipule la violence en formulant un discours du légitimité de la guerre contre ses ennemis imaginaires et intérieurs : agressivité et polarisation sont des modes de contrôle social des populations. C’est une entreprise de normalisation des déviants, des opposants (ennemis intérieurs et séparatistes), l’exemple flagrant est celui des Kurdes. La gouvernementalité turque se base sur la xénophobie contre les non-turcs et les non-musulmans ; elle concentre ainsi l’hostilité de la société contre eux. En résumé, la torture, la violence, la menace et la haine deviennent un élément du processus de la pratique policière et de la tentative du coup d’Etat civil dans la mesure où la pratique d’état d’urgence est rationalisée par le contrôle social avec un désir autoritaire du « parti de la justice et du développement (AKP).
Dans ce chapitre, je me propose ici d’analyser deux types d’action politiques alternatives qui s’interpénètrent : l’une est la réflexion des Universitaires pour la Paix en Turquie qui, par une pétition, vise une analyse critique du langage hégémonique de la guerre imposé par le gouvernement autoritaire ; l’autre concerne la situation des universitaires exilés à la suite de la pétition lancée le 11 Janvier 2016. Pour saisir le contexte, nous présentons tout d’abord la situation conflictuelle de l’espace kurde et l’impact de la pétition des Universitaires pour la paix, considérés par le pouvoir comme des « sujets délinquants, sur l’affrontement à la guerre ainsi que sur le concept « courage de la vérité »: dire-vrai autour de la problématique foucaldienne[3]. Puis nous expliquons la perception politique du terrain par des enseignants exilés, en Turquie puis en exil.
L’enjeu est de comprendre en quoi dire la vérité contre l’enfermement sociopolitique et sous la surveillance du gouvernement autoritaire qui brandit la menace de la punition contre les opposants. La comparaison entre des régimes et leurs facteurs de différentiation favorise les analyses microsociologiques du langage du droit d’expression pour la défense de la paix sous surveillance tout en révélant plusieurs points communs. Cet article s’inscrit aussi dans une perception de critique sur l’expérience de l’exil et de la subjectivité exilée. La situation d’exil des chercheurs n’est pas un cas isolé en Turquie. Depuis le début du 20ème siècle, les Kurdes ont bien connu le chemin d’exil. Une intelligentsia kurde qui s’est forgée en exil[4]. La Turquie constitue pour ses citoyens un cheminement d’exil obligé en raison de l’exercice du pouvoir répressif et des coups d’Etat. Comment cette nouvelle subjectivité d’exilé engendre une résistance face aux souffrances de l’exil. L’exil est à la fois un territoire matériel et imaginaire. Il s’agit de parler d’un mouvement de « reterritorialisation et déterritorialisation » (Deleuze & Guattari).
Pour saisir ce qui a motivé la pétition des Universitaires pour la paix, présentons le contexte et l’enjeu des transformation du pouvoir. Au début janvier 2012, les Universitaires pour la Paix (groupe horizontal créé en 2012)[5] ont signé une pétition pour des demandes politiques contre le « massacre »[6] commis par l’armée dans la région kurde pendant l’insurrection kurde dans la ville de Cizre. La pétition des universitaires accuse le gouvernement qui a appliqué une violence étatique face aux Kurdes en régnant sur la société avec un discours de guerre et de violence, discours qu’il a concrétisé dans la région kurde (‘massacre’ : ‘komkujî’ en kurde et ‘katliam’ en turc). Qu’est-ce qu’ont dit à ce propos les Universitaires pour la Paix (BAK) ? « Nous, enseignants-chercheurs de Turquie, nous ne serons pas complices de ce crime ! ». Cette pétition critique a été rendue publique au moment de la violence délibérée et organisée du « massacre » contre les civils dans les villes pro-kurdes durant l’insurrection urbaine au Kurdistan de Turquie. Durant l’été 2015, le gouvernement a décidé de mener une véritable guerre contre les insurrections kurdes qui avaient formulé deux revendications raisonnables : l’autogouvernement (l’autogestion) de la région, et le retour à la négociation de la paix qui avait été soudainement arrêtée par le gouvernement de l’AKP. Dans leur pétition, les Universitaires exigeaient de soutenir la demande de société kurde, de retourner au processus de la paix et d’arrêter les mauvais traitements dans la région kurde.
Le but précis de notre perception est de démontrer la nature de celui-ci en le mettant en rapport avec les transformations de la guerre. Pour ce faire, nous prenons en compte deux corpus : 1. La pratique actuelle de la gouvernementalité (on vient de la faire) et de l’Ethos turc (le contrat du turquisme) [7] dans la pratique nécropolitique ; 2. En quoi la nécropolitique, dont parle Mbembe est en œuvre au Kurdistan en appuyant sur le contrôle du corps mort, le langage de la menace et la société d’enfermement expulsif. Cette sensibilité de pouvoir contient une complexité dans la gouvernementalité coincée entre le plan mondial et le sol de l’agonie nationale. En résumé, l’AKP doit être considéré comme une forme de racisme avec une doctrine d’État national qui cherche à créer une idéologie unique sur un territoire sunnite et turquisé (en tant que nation protectrice de l’islam)[8].
Dans ce contexte de répression gouvernementale, nous avons consulté une série de soulèvements et d’insurrection réprimés par le gouvernement d’Erdogan depuis 2012 qui ont engendré une nouvelle Turquie en dérive totalitaire avec l’application d’une gouvernementalité extrême de contrôle : le nouveau «Serhildan» (soulèvement en kurde) émergeant dans la région kurde en 2012, la victoire des Kurdes en Syrie et sa révolution d’écologie sociale au Rojava en 2012, la révolte du parc Gezi à Istanbul en été 2013, la victoire remarquable du parti pro-kurde et oppositionnel HDP lors des élections du 7 juin 2015, l’abandon du processus de la paix par le gouvernement de l’AKP en 22 Juillet 2015, la proclamation de l’insurrection kurde autogérée dans des diverses villes au Kurdistan de Turquie depuis 24 Juillet 2015 et le déclenchement de la guerre par le gouvernement.
Depuis le 20 juillet 2015, la déclaration de l’état d’exception des zones de sécurité spéciale dans la région kurde engendre une occupation d’enfermement de la violence étatique contre la société kurde. La population kurde s’abrite dans les caves des immeubles lors des bombardements. Après la proclamation de l’autogestion dans les villes kurdes, l’armée et la brigade spéciale ont occupé, enfermé et bombardé les villes en permanence. En effet, la réflexion contre le conflit guerrier dans le lieu défavorisé de la domination militaire au Kurdistan sert de cadrage des faits de la pétition universitaire sur les victimes de la guerre, ceux des civils massacrés à Cizre. Dans le même temps, pendant l’occupation de Silopi, Sur, Cizre Nusaybin (les villes du Kurdistan de Turquie), les brigades spéciales (JÖH et PÖH), les groupes paramilitaires (Esadullah Timi)[9] et l’armée ont totalement bouclé la région, coupé tous les réseaux, les ondes, etc.. Et ils ont écrit sur les murs des slogans xénophobes : « L’Etat est là, vous êtes où ? », « Heureux celui qui se dit Turc », « Si tu es turc, tu es fier de toi ; si tu ne l’es pas, obéis », « l’Etat est partout. Les filles on est venus, on est rentrés votre tanière », « TC est ici, il est là, où sont les bâtards », « Les dents de louves ont goûté le sang ». Du point de vue sociopolitique, ces traces xénophobes dans les slogans sont le foyer du nationalisme turc valorisé par la permanence des pratiques génocidaires. Celui-ci organise la société en camps de concentration dans tous les dispositifs de l’Etat « Léviathan » selon lequel le nomos de la gouvernementalité affirme l’Etat autoritaire, et accorde une place centrale à des micros-macros fascistes dans la société avec le déplacement de la population, le contrôle de la violence d’Etat, le discours de la menace sur la guerre civile. Il s’agit alors de décrire la perception des universitaires envers ces éléments des rapports de force de l’état et de la guerre. Ces caractéristiques politiques de l’Etat envers les Kurdes sont une tentative d’installer le conflit au sein de la société kurde contre le gouvernement. Que font contre cela, les Universitaires de la pétition ?
D’une situation à l’autre, la pétition a ainsi rendu visible l’héritage étatique de la Turquie actuelle et l’alliance majeure des acteurs de l’Etat et des éléments cristallisés du nationalisme turc entre les kémalistes et islamistes (un pouvoir d’unité nationale). Celui-ci continue à mettre en danger la vie de chaque citoyen dans une guerre et un conflit ethnique. Le régime autoritaire en Turquie a procédé à une juxtaposition entre dénonciation et pénalisation pour donner à voir trois manières de punir les universitaires : les traiter comme « traitres de la patrie et supporteurs du terrorisme » par une rhétorique de punition, les dénoncer sur la place publique par le discours gouvernemental et les limoger pour les condamner à mourir comme acteurs et professionnels dans la société turque.
Du régime post-totalitaire : la Gouvernementalité bio-/nécropolitique
De ce point de vue, l’enjeu est de percevoir la stratégie d’un pouvoir qui tente d’assujettir la société avec le discours de l’ennemi intérieur et extérieur, l’exercice du racisme, la menace, la peur, la discrimination et la violence. D’une situation à l’autre, la pétition a ainsi rendu visible l’héritage étatique de la Turquie actuelle et l’alliance majeure des acteurs de l’Etat et des éléments historiques cristallisés du nationalisme turc entre les kémalistes et islamistes (un pouvoir d’unité nationale). Il continue à mettre en danger la vie de chaque citoyen embarqué de force dans une guerre et un conflit ethnique. Pour le pouvoir en place, ce qui peut être nommé, la pratique du « massacre » d’une population s’effectue en termes de statistiques et donne lieu à des prévisions et des interventions concertées par la raison d’Etat[10]. Comme le massacre dans les sous-sols à Cizre (littérairement le « sous-sols de la sauvagerie » – «Vahşet Bodrumu »[11] selon le lexique des kurdes), des civils ont été tués. La plupart de ces gens étaient des étudiants, activistes non armés. Ce qu’on voit depuis un an au Kurdistan (pratique de massacre génocidaire) et en Turquie (oppression, violence et menace) est une pratique et un discours de guerre, qui fonctionne selon des normes autoritaires et de terreur comme, par exemple, l’époque du nazisme entre 1933 et 1945 pendant la deuxième guerre mondiale en Europe. Le massacre ou le crime devenu « normal, évident, un acte de droit », depuis une année de plus, on a des chiffres sur la violence étatique issue de l’intervention policière ou militaire dans la région kurde : plus d’un million d’habitants déplacés (une estimation journalistique) et à peu près 2000 morts[12]. Ce qui veut dire que depuis les années 1990, les Kurdes ont subi une dynamique de migration politique forcée (ou déportation) sous la domination biopolitique de l’état d’urgence et/ou de la guerre. L’occupation, la guerre et la violence étatique ont fourni au pouvoir gouvernemental, une nouvelle stratégie afin de contrôler la société kurde avec la politique migratoire, le conflit et la discrimination xénophobe dans les villes occidentales. La migration politique forcée crée sa dynamique sociopolitique de résistance kurde (ce qui se passe dans les villes kurdes occupées par l’insurrection urbaine) dans une approche de contre-espace face à la définition raciale de la migration en Turquie. Notre question issue des faits pathologiques du conflit ou de la guerre manifeste une crise sociopolitique de la politique du gouvernement d’AKP qui définit les Kurdes comme l’« ennemi intérieur » de l’Etat turc au nom de la turcité. On prendra en considération l’exacerbation de « l’état de violence » imposé de toutes parts (la violence institutionnelle, étatique et la contre-violence non étatique dans les espaces urbains). Comme Bozarslan le souligne au sujet de la pratique de la violence au Moyen-Orient : «Adaptant cette notion au Moyen-Orient des années 1980, nous avions suggéré dans un précédent ouvrage que loin de s’opposer, l’« état de violence» et l’«état de guerre»[13] pouvaient coexister, « faisant également disparaître la discontinuité entre acteurs armés étatiques et non étatiques» (Bozarslan, 2015, 21).
Ce type de violence se retrouve aussi dans ses alliances héritières dans son histoire « İttihatçı »[14] (entre 1909 et 1915, İttihat ve Terakki Fırkası: Comité Union et progrès, qui a planifié le génocide arménien),[15] et kémaliste (défense d’un centralisme autoritaire-nationaliste chargé de maintenir l’intégrité territoriale d’un Etat unitaire turc) et conservatrice (lecture sunnite, salafiste et Ikhwan). Il s’agit de voir un nouveau type de mouvement national et conservateur « Néo-Ittahat Terakki » au pouvoir (nouveau panturquisme des Jeunes Turcs du Comité Union et Progrès au temps de la mondialisation), qui rétablit le vecteur idéologique de la nouvelle modernité turque, d’une société croyante et de returquification du territoire. Elle s’est accentuée en suscitant ainsi un politique institutionnelle contre l’héritage occidental. La perspective de la réorientation du régime d’Erdogan s’était conclue en rupture avec l’héritage kémaliste avant les purges, mais après leur vision s’est rétablie sur un plan national de la turquification. Le nouveau régime a opté pour une Turquie unie, conservatrice et nationaliste montrant la vision eugénique de son nationalisme avec l’islamisation de la société (du kémalisme au néo-ottomanisme)[16] s’intégrant dans le temps de la mondialisation actuelle avec en prime un capitalisme islamique. Cette gouvernementalité participe de ce fait à la mondialisation en tant que principe d’action de la marchandise, d’agissement politique national de l’Etat à la solde du marché pour devenir la force de la productivité musulmane, mais avec le contrôle social à l’intérieur. Il s’agit de voir une pratique d’enfermement social recadrée par les dispositifs de l’Etat et des acteurs civils du conservatisme islamique qui l’applique au quotidien dans les quartiers des villes en engendrant les projets de la gentrification[17].
Dans sa version turque, le post-totalitarisme est une forme de société de consommation musulmane et de « société de contrôle »[18] . Il favorise la constitution d’une perspective du social et permet à un discours de s’ériger en but et en progrès pour devenir dominant (‘Reis’– le chef du peuple comme Führer, Duce et ‘Usta’ – maître en turc) dans le processus économique de « l’Hizmet » clientéliste avec une approche de «l’art de gouverner » le pays comme une entreprise et ses règles actuelles. Il n’est pas étonnant que le gouvernement au pouvoir gère la société avec un système d’endettement. La crise économique et la marchandisation de la société se maitrisent avec un programme d’économie dépendante pour les citoyens, la dette, la croissance, les impôts, la précarité et l’austérité[19]. Le langage sécuritaire est un des principes de la vision de l’AKP. En outre, la sécularisation du territoire signifie l’autorité néolibérale de la marchandise et les intérêts du pouvoir, aussi bien l’une des instances de la légitimation du pouvoir politique de l’AKP auquel elle est subordonnée.
Au 21ème siècle, l’ennemi change. Le post-totalitarisme gouverne la nation avec les dettes planétarisées (Lazzarato, 2014). On ne peut plus identifier le nouveau pouvoir comme un régime social, un Etat-nation, une démocratie[20]. C’est un pouvoir transnational avec une nouvelle production sécuritaire. Foucault le définissait en dehors du pouvoir intraétatique, s’inscrivant dans des conditions propres de la modernité dans une tension entre l’ennemi, la patrie la réaction nationale et la peur. Il y a une récupération des Etats anciens et de leurs appareils dans une continuité, et une rupture avec cette vision d’Etat archaïque.
L’arrivée de l’AKP au pouvoir depuis 2002 montre une nouvelle articulation en utilisant les outils du conservatisme néolibéral au sens où il intègre aussi la stratégie autoritaire du pays. Soulignons que la religion de l’AKP n’est pas l’unique vecteur politique de la Turquie moderne, mais c’est une stratégie dynamique de gouvernementalité. Il s’agit de la nouvelle illusion de la gouvernementalité. Il est nécessaire d’analyser comment le post-totalitarisme change la figure du totalitarisme et tout en utilisant les facteurs sécuritaires du totalitarisme comme une cohérence d’ensemble dont est dépourvue la réalité à laquelle il se trouve confronté.
Dans un cas comme dans l’autre, il y a des ruptures, des dissonances et des continuités dans ce régime racial. Il s’agit d’une continuité des dispositifs de l’Etat restant sur la ligne du génocide, de la violence et du massacre. Car la continuité est essentielle pour les dispositifs étatiques d’un régime de turcité depuis le génocide arménien. Il s’agit d’une instrumentalisation de la victimisation et de la menace qui contrôle le social. Le système se base sur une agressivité répugnante qui fait partie du décor de la turcité xénophobe et qui polarise les sociétés. Ces éléments s’inscrivent dans le post-totalitarisme.
Après l’anatomie-politique du nationalisme turc, mise en place au cours de la décennie du 20ème siècle, on voit apparaître, à la fin de ce même siècle, quelque chose qui n’est plus une anatomie-politique de turcité, mais quelque chose de nouveau qui décrit la bénédiction par le pouvoir de devenir martyr pour la patrie ou nation. Devenir un citoyen de la turquification éternelle par la mort, cela peut se comprendre à partir de que j’appellerai une approche nécropolitique de la violence : la cruauté, la matérialisation du martyr et la domination sur le corps des morts. Nous voyons une vertu, une fierté et une sainteté du mort et du martyr par et dans le pouvoir absolu. La martyrisation de la turcité avec un Reis (Führer, le guide de la nation) montre ainsi des mécanismes de régulation des populations. Dans cette optique, la politique de l’agressivité coloniale et de la polarisation de la violence sont des modes de contrôle social où des déviants de la nation – les Kurdes, les non-musulmanes ici – sont l’objet de la nouvelle normalisation de la vie et de la mort.
Par ailleurs, la domination de la société de contrôle est propre au néolibéralisme sunnite. La masse désire la volonté d’un régime rigide inscrit dans la sécurité et la forme profasciste transmettant ce désir à l’Etat et aux gouvernants. Une société sécuritaire est la base du système post-totalitaire en Turquie et elle est précisément souhaitée par le bas et la société pour rétablir un pouvoir sécuritaire clientéliste. Ce régime est étroitement lié à la question du régime biopolitique sécuritaire dans lequel les Kurdes sont aujourd’hui ciblés individuellement et politiquement par ce régime discursif de « Hizmet et Güvenlik » (Service et Sécurité) comme les ennemis intérieurs potentiellement « désobéissants et indisciplinés » de la nation. La crainte que le pays soit divisé par les Kurdes, par les occidentaux (ennemi extérieur) et par les tabous comme le génocide arménien qui met le feu à l’identité turque. L’espace politique actuel en Turquie est refaçonné par cette définition de l’ennemi intérieur et extérieur, en s’inspirant de la définition du pouvoir avancée par C. Schmitt : un champ de bataille, la division de l’ami et de l’ennemi est à la base de la domination du pouvoir souverain. Le régime sécuritaire (biopolitique et nécropolitique) est alors défini par le concept de droit démocratique de la Constitution, des élections parlementaires, des coups d’Etat civils et militaires, des décrets lois du gouvernement et la récupération des pouvoirs à l’âge de la société de contrôle qui existaient auparavant d’une certaine manière dans une aire républicaine séculaire, et qui reposait ainsi sur les défenses de la nation.
Le régime nécropolitique de la guerre
Quant au terme de la souveraineté nécropolitique dans une société de contrôle et l’époque post-totalitaire, nous le problématisons comme une nouvelle réception du pouvoir qui est compréhensible par les concepts de biopolitique de Foucault[21] et de nécropolitique de Mbembe[22]. Dans ce cadre conceptuel, la souveraineté n’est pas une notion qui se base habituellement sur une rationalité basée sur la discipline sociopolitique de l’Etat. Elle se constitue par une qualification des rapports de force sur la population et le désir de gouverner la société sous le contrôle et la production de la marchandise néolibérale. Dans cette discussion, ce que l’analyse de la gouvernementalité biopolitique révèle chez Foucault, ne suffit pas à analyser le cas du gouvernement en Turquie comme pratique politique du massacre, de la violence à partir de « Assabiyya et de Dava »[23]. On peut les problématiser a priori en se basant sur le terme « nécropolitique » de Mbembe[24].
Nous proposons ainsi une brève définition de la nécropolitique pour comprendre notre interprétation à la lumière de la conceptualisation de Mbembe d’un régime post-totalitaire utilisant le contrôle social à travers la gentrification des terres, la capitalisation de la mort (martyr et ennemi) et la rationalisation de la haine. La nécropolitique reprend la fameuse formule de Foucault : «laissez vivre et faire mourir» tout en la prolongeant. Elle montre comment elle s’instrumentalise parfaitement dans et par la loi ou par l’exercice de l’état d’urgence et du coup d’Etat. Selon Mbembe la nouvelle aire de l’occupation coloniale par « la discipline, combinant la politique bio et nécropolitique, est différente des premières occupations de la période moderne » (Mbembe, 2016: 247). Cette nouvelle forme de « l’occupation militarise l’espace par une institution étatique » et sacrifie les morts pour la patrie, le corps devient une exercice de pouvoir sur les morts. La nécropolitique que décrit Mbembe, cette forme d’occupation basée sur la mort s’adapte sans aucun doute au contexte de la gouvernementalité du couvre-feu au Kurdistan lors du conflit de 2015. Ce concept est pratiqué par le gouvernement de l’AKP dans l’espace kurde. Cette apparition de gouvernementalité nécropolitique (qui prend des formes multiples) se fixe sur le contrôle du corps mort au lieu de laisser vivre le corps vivant. Cette perception reprend le contrôle du social basé sur l’exposition du corps mort dans l’espace ouvert, l’approche du martyr pour la patrie et/ou la religion. Par cette réception de pouvoir se forme ainsi une nouvelle politique sur le mort et le vivant (utilisation du discours de « martyr » pour la patrie et droit de tuer l’adversaire). C’est pourquoi le terme de Mbembe nous aide à réfléchir sur cette pratique de souveraineté par la violence exerçant la haine cruelle et la menace durant la guerre au Kurdistan. Mbembe disait qu’il décrypte le fait de l’exercice du pouvoir excessif et de son mode de souveraineté qui caractérise la production de la mort à partir d’un mode de calcul purement rationnel sur la vie comme chez Foucault, dans son biopouvoir et dans sa biopolitique. Comme le souligne Mbembe:
« La notion de « nécropolitique » suscite donc trois séries de questions. Et d’abord celles qui ont trait aux domaines du superflu – de la vie superflue, celle dont le prix est si faible que cette vie n’a aucune équivalence ni marchande, encore moins humaine propre, cette espèce de vie dont la valeur est « hors économie » – toute économie. Partant de cette sorte de vie, la notion évoque ensuite la sorte de mort qui en constitue comme l’équivalent. Strictement parlant, il s’agit d’une mort à laquelle nul ne s’estime obligé de répondre. Nul n’éprouve, à l’égard de cette sorte de vie ou de cette sorte de mot, un quelconque sentiment de justice »[25].
Mbembe affirme que le concept de biopolitique de Foucault – l’une des principales logiques des sociétés contemporaines, due à la machine de guerre et à l’état d’exception – devrait être remplacée par celui de la nécropolitique.
Mbembe distingue ce nouveau pouvoir sur les morts. Nous voyons la mise en place d’un pouvoir de haine individualisant sa vengeance face au corps d’insurrection kurde, qui est capable de pénétrer dans le grain social et de s’immiscer non seulement dans nos pensées mais dans nos gestes les plus simples, les plus individualisés (une culture de lynchage). Nous pouvons donner des exemples : Taybet Inan (mère Taybet) est une femme kurde âgée tuée par la brigade spéciale de « l’Etat-profond » pendant l’insurrection au 19 décembre 2015 à Silopi, et sa dépouille (corps mort) est restée pendant une semaine sur le lieu de l’assassinat. Ses enfants et parents n’arrivant pas récupérer le corps à cause de snippers tirant sur les civils, son corps mort est devenu la pratique nécropolitique de l’état de guerre. Elle avait 57 ans et avait 11 enfants qui sont restés pendant 7 jours dans la rue. Elle n’a pu être enterrée que 23 jours après. La surveillance de cette pratique raciale sur le corps mort de Taybet dans la rue crée une symbolisation nécropolitique de l’Etat qui veut dresser et soumettre les autres révoltés kurdes. La dépouille de Taybet Ana a traumatisé la subjectivité kurde en face de l’Etat qui punit la résistance en exposant les morts dans leurs nudité pour se venger contre les Kurdes insurgés et les corps féminins de la résistance. En outre, nous pourrions donner d’autres cas plus cruels, l’exécution de la combattante kurde Ekin Van (Kevser Elturk) et son corps mort et nu exposé dans la rue de la ville de Varto le 10 Août 2015 ; la dépouille de Hacı Lokman Birlik (cinéaste, militant) trainée par une voiture de la brigade spéciale de l’Etat de la ville Sirnak, le 3 Octobre 2015.
De ce point de vue, la nécropolitique peut prendre des formes multiples dans la perception du gouvernement de l’AKP qui a utilisé les dépouilles des femmes, combattantes kurdes exposées dans leur nudité en pleine rue, mettant en scène la légitimation de la violence contre les «séparatistes» kurdes pour «sauver» prétendument la nation turque. Le corps et la nudité kurdes sont formés par ce pouvoir sous la forme d’une occupation coloniale. L’enjeu de cette nuance est immense, vu que le corps est l’objet de la police et de la violence pornographique : l’indispensable, l’utile et le superflu. Dans sa forme actuelle, le pouvoir a renversé le sens de ce droit de vie et de mort. Il est devenu une perception qui tente de s’imposer par le pouvoir qui contrôle la mort. Le pouvoir gère la vie avec les dépouilles des morts. Une telle exposition des dépouilles nues est devenue une préoccupation politique dans la Turquie actuelle. Les dépouilles exposées dans les rues sont une punition des Kurdes insoumis. Par ailleurs, pendant les années 2000, le pouvoir a mis en œuvre une forme d’infanticide face aux enfants kurdes insurgés : le meurtre d’enfants est devenu une exercice politique du pouvoir de l’AKP, les exemples des morts révélées ont marqué les esprits : Uğur Kaymaz (12 ans, 21 Novembre 2004, Mardin), Ceylan Önkol (12 ans, 28 Septembre 2009, Lice-Senlik), Berkin Elvan (15 ans, 2014, Istanbul). Les dépouilles instrumentalisées au sein de la violence étatique commencent à apparaître dans l’appareil d’État de contrôle[26].
La nécropolitique a trois axes selon Mbembe : 1. la dynamique de fragmentation territoriale, l’accès interdit à certaines zones et l’expansion des colonies comme Gaza en Palestine, « Kalekol » (La forteresse militaire) au Kurdistan (sur les montagnes et sur la frontière). L’objectif de ce processus est double : rendre tout mouvement impossible et réaliser la séparation selon le modèle de l’État d’apartheid. 2. la présence de l’élément paradoxal : l’Etat continue d’appliquer l’état d’urgence et la souveraineté verticale sur l’espace de résistance. Cela mène à la prolifération d’espaces de violence où est menée une guerre infrastructurelle. 3. la surveillance complète de l’espace des dépouilles pour mettre en scène le faire mourir. Cette pratique est combinée, selon Mbembe, avec les tactiques de siège médiéval adaptées au réseau étendu des camps de réfugiés urbains. La Turquie a créé des camps des réfugiés syriens dans les villes pro-kurdes où le conflit et l’insurrection détermine l’espace. Les camps de réfugiés se trouvent tous dans la région kurde, la zone de la population Alévie. Depuis sa fondation la praxis colonisatrice de l’Etat turc est la suivante : ne jamais établir de camps de réfugiés dans la région turcophone. Le biopouvoir turc et musulman (sunnite) essaie toujours de recadrer ou gouverner toutes les populations en vue d’une occupation étatique de l’espace. C’est une machine despotique de guerre qui à la fois instrumentalise les réfugiés. Elle est imposée à la population autochtone ou migrante que cela montre bien le jeu géopolitique de la gouvernementalité des populations. Une machine de guerre combine une pluralité de fonctions colonialistes selon ses désirs de domination. Il s’agit d’une pratique xénophobe tout en incorporant de nouveaux éléments d’assimilation bien adaptés au principe de segmentation des peuples. Nous constatons ce type de pouvoir, tout particulièrement après le bombardement massif des villes pro-kurdes en été 2015. L’AKP a affirmé militairement une autorité suprême d’Etat-profond en ayant délocalisé le peuple kurde dans les villes de la résistance pour relocaliser d’autres populations comme les Kirghizes, les Syriens, les Afghans installés en vue de l’assimilation des espaces kurdes. Dans le cadre de notre propos, l’installation des camps migrants et l’exode de la population locale nous ont conduits à une analyse plus concrète. Cette recette d’exercice du pouvoir sur les populations produit la vengeance, la haine, l’agressivité, la précarité et l’insécurité économique (en les mettant dans le système des dettes bancaires) entre les peuples pour créer une société hostile contrôlée. Et cela en se basant sur la rationalisation de la violence étatique dans la vie et la mort en pénalisant les « autres ». A partir de ces concepts, et du point de vue de la société de contrôle, on peut mettre en lumière une théorie de la pratique carcérale de la souveraineté gouvernementale contemporaine mélangeant le nationalisme et le religieux. Et cela devenant un aspect-clé du pouvoir sur la vie et la mort des citoyens. Il faut savoir que ce type de régimes sécuritaires constitue une expérience de contrôle limitée sur le social et la visibilité des minorités actives. Il se situe au-delà de toute expérience proprement dite de l’Etat classique qui est l’objet de la démocratie parlementaire, d’un contrat social. Il s’agit d’une nouvelle acception du pouvoir dans le temps de la mondialisation [27].
De la répression à l’exil
« It is part of morality not to be at home in one’s home »
T. Adorno, Minima Moralia
Être intellectuel et chercheur en exil est caractérisé par la proximité affective d’une politique singulière et collective. Elle se définit par les fondements de tous les rapports sociopolitiques et transculturels pris entre l’hybridité, la dépossession territoriale, le conflit politique, l’insurrection cognitive, la mémoire mutilée, la représentation micro-identitaire. Notre terrain et nos sources démontrent dans ce chapitre comment l’expérience de la vie intellectuelle en exil constitue la mise en scène d’une micro-identité dispersée, issue d’un territoire entouré par le conflit, la résistance permanente et la guerre. Les sujets interrogés ont une double approche cohérente : questionner l’expérience de l’exil et devenir desexilé dans l’exil. Leurs actes sont l’approche compréhensive du départ en exil en intégrant la mémoire politique que nous constituons au-dehors d’un lieu qui nous appartient, au-dedans d’un lieu qui n’est pas le nôtre. De plus, le chemin de l’exil pour un intellectuel (ou pour l’intelligentsia) présente toujours une « obligation » de partir et une ligne de fuite pour séjourner d’un lieu à autre. Notre critique est donc perçue comme une expérience collective et singulière. C’est le récit de la connaissance intellectuelle et de la rupture qui nous permet de décrire la jonction entre la mémoire politique du lieu d’exil et la résistance dans ce lieu.
Commençons par prendre en compte une notion-clé de Deleuze&Guattari. Dans leur théorie de l’espace, le mouvement de « reterritorialisation » et de « déterritorialisation » conceptualise la notion qui nous semble rendre compte de cet aspect fondamental préfigurant un réel sans le déterminer. Comme disait Deleuze, « il n’est pas espace ni dans l’espace, il est matière qui occupera l’espace à tel ou tel degré » (1980,189). Le concept deleuzien et guattarien nous permet de sortir de cette impasse et transforme la perspective que l’on a sur l’exil. On utilise alors le terme « territorial» autour du concept des mouvements de « déterritorialisation et de reterritorialisation ». Ces concepts sont envisagés comme des flux dans la manière d’aborder le sujet de l’espace physique et politique qui interpellent l’esprit et le désir et soulignent ainsi l’expressivité en mouvement de la territorialisation par rapport à la terre. C’est un acte créatif de celui qui constitue le territoire avec son mouvement, sa forme d’histoire, son esprit, son désir et son être. Ensuite, Deleuze et Guattari montrent comment toute déterritorialisation ne va jamais sans une reterritorialisation qui peut, par exemple, prendre la forme de l’histoire. La notion de «reterritorialisation» (artificielle, résiduelle, imaginaire) parle de la structure littéraire, artistique et représentative, des éléments discursifs, de la géographie, de l’espace, de la forme, des désirs et d’une approche de l’identification intellectuelle. La «reterritorialisation» comme opération n’exprime pas un retour au territoire (même s’il y aura une relation avec le territoire), mais ces rapports différents intérieurs au mouvement de la déterritorialisation elle-même, qui est une multiplicité intérieure à la ligne de fuite. [28] On utilise ici ces notions à la fois pour sortir de l’exil et rester en exil et ainsi expliquer la construction identitaire qui appartient au discours de l’idée de l’Etat-nation ou et/ou ? à l’imagination de la terre en exil.
Ce territoire imaginaire de l’exil est tout d’abord le départ d’un lieu perdu pour «se réfugier ou s’expatrier» vers un lieu mémorial de la nostalgie et de l’absence[29]. Mais ni l’absent, ni la nostalgie ne définissent l’exil, c’est plutôt l’existence ontologique de la nouvelle subjectivité (« une communauté affective »)[30] qui retrace l’exil et crée le chemin des subjectivités déracinées. L’espace sociopolitique que constitue l’exil (à la fois « transnational et hybride») a favorisé les revendications identitaires et nationales qui se cristallisent autour de la création d’un nouvel espace politique leur appartenant. Il faut bien comprendre aussi que la Turquie a créé un espace d’exil dès le début du 20ème siècle. La diaspora kurde[31] raconte l’histoire collective de la déportation d’un peuple (comme celui des Arméniens à la suite du génocide du 1915), celui d’une société sans Etat (stateless diaspora).
A la suite de cet ancrage, soulignons que l’expérience de l’exil d’un intellectuel face à un régime autoritaire est la source du nouveau langage politique qui produit une nouvelle démarche intellectuelle propre à la langue diasporique dans la narrativité imaginaire de l’exil influençant le processus de la visibilité dans un territoire donné. Nous nous intéressons donc à l’impact de l’exil sur le sentiment d’être «étranger» dans deux territoires imaginaires (différenciation de l’espace imaginaire : lieu d’origine et lieu diasporique). Cette approche cherche à rendre compte des reconstructions autoréférentielles des exilés concernant la perception qu’ils se font de la réalité sociale ou du sentiment d’être «sans-patrie». Plus précisément, on observe le changement de l’identité intellectuelle en diaspora (de l’«homo politicus à l’homo poeticus») et l’émergence d’une nouvelle réflexion qui s’exprime à travers le langage, la productivité en exil comme les écrits de T. Adorno et W. Benjamin pendant la deuxième guerre mondiale, l’intelligentsia kurde qui produit en exil (Celadet Ali Bedirxan, Mehmet Uzun, Hamit Bozarslan, etc.)[32] Edward Said qui a développé une critique d’exil[33] et Mahmoud Darwich,[34] son exil et son combat politique, le dialogue lyrique avec la terre de Palestine et ses rapports intimes politiques avec la territorialité imaginaire.
L’exil devient ainsi une possibilité de souligner une perception micropolitique de l’expérience de ne pas «être» autrement. Ceci est plutôt une impossibilité d’écrire autrement, la langue coupée de l’intellectuel exilé à trait avec ce que disaient Deleuze et Guattari dans « Kafka pour une littérature mineure », sur l’impossibilité littéraire : «(…) Impossibilité de ne pas écrire, impossibilité d’écrire en allemand, impossibilité d’écrire autrement. Impossibilité de ne pas écrire, parce que la conscience nationale, incertaine ou opprimée, passe nécessairement par la littérature. (…)» [35].
Néanmoins, notre article problématise précisément l’exil à partir de l’expérience d’un intellectuel-chercheur kurde qui s’est positionné contre la guerre dans son territoire qu’il a dû quitter, qui est devenu un intellectuel exilé et qui parle d’un désexil dans l’exil comme une perception de devenir un acteur autrement dans un espace imaginaire pour sortir de la souffrance et de la nostalgie qui lui appartiennent. Il s’agit de problématiser comment l’exil devient un lieu d’expérience émancipatrice et de transformation micropolitique malgré ses souffrances pathologiques et ses nostalgies qui nous comblent, et un lieu d’affect, un «non-lieu»[36] pour déraciner l’exil.
L’espace que constitue l’exil, à la fois «transnational et hybride», a favorisé les revendications identitaires qui se cristallisent autour de la création d’un nouvel espace de partage appartenant aux exilés. Il faut bien saisir aussi que l’intelligentsia kurde se réforme d’ores et déjà dans le territoire d’exil et d’asile. L’intelligentsia kurde exilée se concentre alors autour de la littérature, de l’art, du cinéma et des sciences sociales depuis le début du 20ème siècle jusqu’à nos jours. Les termes : mémoire, exil, asile et diaspora, sont employés par exemple dans l’essai «Welatê Xerîbiyê» (exil en kurde) de Mehmed Uzun (écrivain) où, en partant de sa propre expérience d’exilé, il raconte l’histoire de l’exil des intellectuels kurdes. La littérature elle–même ne nous raconte que peu de choses sur les expériences diasporiques personnelles des auteurs. L’exil est représenté par la communauté affective de personnes vivant à l’étranger, dans les pays d’accueils, et qui se sont engagées civiquement dans des actions politiques, démocratiques, culturelles et micro-identitaires. Il semblerait que malgré la rupture physique entre les exilés et leur terre, dans leur conscience et leur sentiment, subsiste une continuité imaginaire sur le territoire qui n’est pas le leur. Le territoire d’accueil devient, pour l’intelligentsia et l’opposant, un lieu d’expression de leur sentiment, de leur micro-culture, de leur nostalgie et ainsi une possibilité de faire devenir ce lieu comme un espace de résistance et création insurgée d’un intellectuel qui cherche un chemin bifurqué. Le récit de ce sentiment rappelle ainsi un mouvement de déterritorialisation / reterritorialisation physique et morale qui commence déjà par l’exil et finit par le silence en passant par l’exil. Deuxièmement, la légitimation de ce « lieu libre » crée certaines attitudes intellectuelles, artistiques et politiques portées par une communauté quelconque et ainsi, reconstruit « la narration de soi » des exilés. La narration de soi comme la reconstruction de l’identité opprimée permet d’oublier provisoirement le spectre d’une vie déjà vécue et permet par fois la création d’un moi au miroir de la pathologie singulière qui favorise un récit territorial avec une vie dans ‘un hors lieu’ (non-lieu) qu’on ne veut pas fluidement lâcher. L’exil kurde met en valeur notamment bien la multiplicité et la complexité des répertoires d’appartenance, d’énonciation collective d’une communauté affective de l’exil. Les intellectuels kurdes élaborent une apparence d’exil et deviennent, à l’image de leur communauté sans état, les citoyens de l’exil. Et la nouvelle pratique de l’exil, en restructurant le langage politico culturel, privilégie aussi le développement des études kurdes (comme Kurdish Studies) en diaspora, synonymes parfois d’engagement politique. L’expérience de la diaspora et de l’exil kurde commence certes au 20ème siècle, mais il semble que les termes eux-mêmes n’apparaissent ainsi qu’à partir des années 1980 dans les textes littéraires et dans les recherches en sciences sociales qui circulent en occident. On peut donc penser que l’exil est devenu, pour les Kurdes, le lieu d’un territoire imaginaire et un intermédiaire réel où survivre. L’exil devient alors une source de revalorisation du soi collectif.
Mémoire traumatisée sur le chemin de «devenir» : une narration errante et bifurquée
Il est également possible d’analyser l’exil comme un espace créant l’altérité, plusieurs temporalités et une sensibilité micropolitique à l’Autre que mettent en œuvre les intellectuels dans la création et la production pour enluminer leur expérience singulière, une ligne errante dans le destin collectif. Le terme exil est compatible et concordant avec le terme diaspora. De nombreuses recherches portant sur la diaspora, l’exil et la reconstruction de «réseaux transnationaux» (études sur la population juive, iranienne, chinoise, etc.), montrent l’utilisation des ressources diasporiques sur des territoires différents. Le terme de diaspora provient du verbe grec speirein (semer) et du verbe composé diaspeirein qui indique la dispersion d’une population dans l’asile[37]. Mais on le retrouve en Egypte, rapporté par les religieux Juifs hellénophones (au 20ème siècle, il apparaît après le génocide et l’holocauste). Le terme apparaît ainsi dans la terminologie des Arméniens après le génocide du 1915 (disposé dans la revue «Sion» de Jérusalem).[38] Ajoutons que l’étymologie latine de la notion d’« exil », exilium, signifie ainsi littéralement «hors d’ici, hors de ce lieu». Elle implique donc «l’idée d’un lieu privilégié entre tous, d’un lieu idéal et sans pareil»[39]. Il ne faut pas oublier non plus que l’exil comporte deux significations : l’une renvoyant à l’idée d’un «exil subi» et l’autre à celle d’un «exil volontaire». Les deux termes sont différents au sens où l’exil subi fait référence au fait de quitter un lieu tandis que l’exil volontaire renvoie à la projection de l’exilé vers un lieu choisi. Cependant dans les deux cas, il convient de mettre l’accent sur les notions de déplacement et de confrontation : les exilés ont dû quitter leur pays d’origine, pour s’expatrier dans un pays qui n’est pas le leur. Ils sont devenus des déracinés à l’échelle mondiale. C’est donc depuis l’Antiquité que l’exil exprime la douleur de «soi» et du «corps»[40] (l’angoisse et le sentiment d’une étrangeté). Il se résumerait à une expulsion d’un lieu physique et imaginaire, avec « l’obligation» de séjourner dans un lieu qui n’est pas le nôtre.
Comment l’exil et la diaspora deviennent-ils une source d’inspiration pour l’expression intellectuelle et artistique des exilés (du moi collectif) ? Et comment les exilés peuvent devenir quelqu’un d’autre comme être en dehors de leur propre soi ? L’exil est vécu comme une fracture, une perte et une rupture réelle. L’exilé est un homme déraciné, (parfois) déterritorialisé qui vit l’exil comme s’il goûtait la disparition de la terre natale. L’écrivain ou l’intellectuel est confronté ici en exil à une sorte de déchirure de la pensée et de «souci de soi»[41] comme devenir un autre, qui se traduit parfois par une singularisation sensée pouvant permettre la construction d’une nouvelle micro-identité en terre d’accueil, comme devenir un écrivain de l’exil. Ce que disait Foucault : « On peut reconnaître le développement de l’art de l’existence – qui gravite autour de la question de soi – dominé par le souci de soi » (Foucault, Souci de soi, p. 272). Le souci de soi est une notion qui parle de la forme du soi, qui problématise la pensée cartésienne, la modernité et l’exercice du pouvoir sur soi. Et le souci de soi fait place à la subjectivité exilée, un type de travail sur soi qui implique le déchiffrement de l’âme et des désirs en exil. Pour un écrivain d’exil, le souci de soi peut être, par exemple, un objet de travail ou d’art où le soi devient un objet d’expression sur lequel l’écrivain s’exerce au savoir et à la pratique de soi pour se libérer de l’héritage épistémique de l’exil (la nostalgie, le spleen, la douleur et la perte). Foucault distingue ici la connaissance de soi et le souci de soi. La connaissance de soi porte sur le sujet et le pouvoir (cogito, ergo sum). À l’envers le souci de soi est une forme de rapport à soi et une matière subjective, il est devenu une obligation de toute existence. On dirait que la question du souci de soi se réclame ici, explicitement d’une inspiration de la perte du sujet et de la subjectivité coincée entre deux mouvements de territorialité et deux territoires. Ce n’est pas une pratique d’individualité mais plutôt de singularité d’« un agencement collectif d’énonciation» (Deleuze&Guattari, 1980). En outre, c’est être coincé entre de multiples possibilités comme «être entre» ici, là-bas et ailleurs (espacement-spacement), qui offre une possibilité de revitaliser la singularité intellectuelle et micropolitique en exil. Nous pourrions utiliser ici le terme « devenir »[42] de Deleuze et Guattari (et leur approche « être entre » quelque chose) pour problématiser l’espace diasporique et l’identité territoriale de l’exil. Cette notion nous permet de problématiser, chez les écrivains, un sujet de l’écriture comme devenir écrivain d’exil et devenir mineur. Mais le concept définit plutôt la perte de l’ego du sujet et de l’écrivain comme signature de la conscience. Deleuze et Guattari nous invitent ainsi à questionner, avec ce concept, le lieu et l’esprit comme une pratique de territoire de jeux. Le vocabulaire « devenir » définit en gros la déterritorialisation du soi et du lieu, permet aux intellectuels exilés, selon nous, de repenser le choix, transforme le lieu d’exil de la souffrance en lieu de jeu de l’espace enfantin, carnavalesque pour l’écrit et la mémoire. Ils conçoivent l’espace comme lieu de passage en tant que « « transversalité »[43], comme plan d’immanence traversé par la vie, le désir, la singularité et la réflexion. Deleuze utilise avec Guattari ce concept «devenir» comme «corps sans organe»[44] qui dit la rencontre, la relation et le passage hétérogène qui se déterritorialise, qui déterritorialise et reterritorialise de manière multiple l’espace, associé à la notion de désir.
Il peut donc être intéressant de repenser l’exil pour penser le devenir de soi (le devenir-mineur dans un lieu de dialogue et de la résistance ontologique)[45]. L’exil produit des sentiments de joie, de tristesse, de ressentiment, et un mode de travail intellectuel. Tant que les sentiments ou affects constituent une rencontre, une sensation de perte et un partage (le voisinage, l’hospitalité et l’état moral : dépression, optimisme, négativité, pathologie) avec les autres subjectivités, l’exil devient un processus de résistance créative et un récit peignant un répertoire de contre-utopie (dystopie).
D’un autre côté, il existe toujours un mode de pensée substantialiste et populaire qui considère l’intellectuel exilé (ou artiste), comme coupé, isolé et séparé définitivement de son territoire d’origine. A l’inverse de ce mode de pensée substantialiste, Edward Saïd pense par exemple qu’en exil, même s’il y a une séparation véritable avec le territoire d’origine, les intellectuels appartiennent encore à la pensée de l’ex-terre[46]. C’est pour cela qu’ils ne sont ni complètement intégrés dans le nouveau cadre que constitue l’espace de l’exil et dans leur nouvelle communauté, ni entièrement débarrassés de la pensée de l’ex-terre. L‘intellectuel demeure «coincé» entre ces espaces flous et il est donc contraint de se tenir à distance des deux pôles avec son sentiment nostalgique. Edward Saïd considère que suite au déracinement que produit l’exil, un type nouveau d’intellectuel apparaît, souffrant de son aliénation et de «l’exil de soi» comme un sans-abri chez soi[47]. Il s’agit ici de rendre compte des transformations de l’individu inhérentes à la situation de «sans-abri». D’ailleurs le modèle de l’intellectuel exilé est celui de l’étranger qui se sent en dehors du monde et tente d’échapper à sa communauté et au piège du bien-être nationaliste[48]. De plus, l’intellectuel exilé se doit d’être content du chagrin qu’il éprouve dans cet espace malheureux. Edward Saïd analyse ainsi le nouveau rôle de l’intellectuel en exil comme une attitude intellectuelle d’exil de soi qui pousse à se sentir toujours « étranger» et bohême dans la société, flâneur,[49] voyageur ou migrant dans le soi[50]. L’intellectuel exilé est ironique, sceptique, et dionysiaque (Nietzsche) parfois même espiègle mais jamais cynique. Il se sent en exil, comme «étranger» même au sein de sa propre société et de sa communauté. Être un exilé, pour Saïd, va donc au-delà du déchirement et de la souffrance, et implique la recréation d’un nouvel intellectuel et la manifestation de ce nouveau soi dans un espace dispersé. L’exil suppose toujours un retour ; l’exil de l’intellectuel marginal, comme le disait Edward Saïd, fonde le retour en soi. Les exilés souffrent ainsi, en tant qu’intellectuels, de la nostalgie de leur ex-territoire (une forme de nostalgie à forte dimension nationale et ethnique) et se sentent comme des hommes sans monde confrontant multiples cultures.[51] La diaspora offre ici une large place à la notion d’hybridité et de conflictualité employées par les intellectuels exilés pour définir l’ouverture à une nouvelle lecture des dynamiques sociales sous l’angle du concept transculturel. L’expérience et le vécu jouent un rôle considérable pour les singularités dans leur diaspora surtout dans le domaine de la mémoire brisée. La mémoire brisée pouvait ici perdurer à l’intérieur d’un contexte social. Elle est donc avant tout un usage individuel et micropolitique d’une appropriation des souvenirs vécus et du passé.
Il est évident que la typologie de l’exil d’un chercheur ou d’un/e intellectuel/le est basé/e sur un concept de «reterritorialisation» du corpus langagier et la pensée errante. La voix et les récits expriment de facto dans la sphère verbale ou écrite la subjectivité dispersée et la «raison déchirée»[52], enregistrées dans la mémoire comme images d’«une identité imaginaire», d’« un territoire imaginé», et des habitus (certains souvenirs ahistoriques qui rejoignent une minorité en devenir). Il s’agit aussi de savoir comment les expériences de chercheurs et intellectuels sont transmises dans l’exil par le biais de la langue et des vécus. Alors l’expérience de la subjectivité exilée (ou de la singularité exilée) nous révèle la mémoire déterritorialisée entre l’impossibilité de ne pas vivre autrement, le passé, le présent, le futur, le souci, les mythes et la conscience singulière ou collective. Il s’agit ici de penser et de constater la transmission d’expériences de la mémoire brisée à la mémoire dispersée. La mémoire est un corps de pouvoir individuel et collectif. Elle est au cœur de la reconstruction de l’identité (macro et micro), et toutes deux s’influencent réciproquement dans une dynamique en constante reformulation. La mémoire est encore complexe dans l’établissement et le maintien de l’identité de l’exilé ; elle est intimement liée à l’impossibilité d’être autrement dans un lieu dystopique où s’expriment les pouvoirs ; elle véhicule des discours, le plus souvent dominant. Qu’elle soit sous forme «individuelle ou collective», la mémoire est une «province de l’imagination» (comme le dit Ricœur)[53] et elle redéfinit la construction singulière en exil.
Il s’agit de voir ici le recours aux thèmes du territoire, de la «patrie perdue» et de l’héroïsme, dans la vie des acteurs/actrices exilé/e/s qui sont entre le rejet et la réception. Nombreux sont les intellectuels à s’organiser au sein des associations, des revues. L’exil se transforme en un espace de résistance et d’insurrection face à la culture majeure et à la domination étatique du territoire quitté (territoire perdu). La diaspora développe un langage soutenu par une pensée dispersée, déchirée et en même temps engagée, que les concepts de « desexil et de desexilé » permet de les problématiser. Les comportements intellectuels en exil sont individuels, mais le rapport à l’exil lui-même est politique et collectif.
En outre, il faut analyser le sentiment de la nostalgie en exil. D’après Judith Stern, la nostalgie se définit d’abord comme «le mal du pays»[54]. L’étymologie du mot semble nous conduire à la même définition. Le mot est composé de deux racines grecques, nostos (retourner chez soi), et algos (douleur)[55]. La nostalgie n’est pas ici une recherche du passé, mais plutôt le malheur du passé comme la volonté de retourner dans un foyer caché dans la ligne du passé. La nostalgie est plus forte cependant, lorsque les exilés ont quitté les lieux en prenant le chemin de l’exil. Elle établit ici un paradigme entre la mélancolie et ‘la recherche du temps perdu’ dans le temps présent. Elle est marquée, notamment, par la tristesse, la dépression et l’angoisse, ainsi que par la recherche d’un lieu et d’un sentiment perdu. Elle comporte tout à la fois des aspects cognitifs et affectifs. Il s’agit sur le plan cognitif de la mémoire et du passé, du vécu, de la perte, de l’objet perdu (Stern, ibid.)[56]. Dans sa dimension affective, la notion de nostalgie implique une réflexivité de la pensée dispersée. Cette notion est ce qui permet à l’exilé de reconstruire ou de recréer dans l’imagination, sa subjectivité et son territoire perdu comme un laboratoire et l’illustre la recherche de l’intellectuel exilé. L’idée de l’exil comme un véritable foyer des intellectuels et des opposants permet à l’intelligentsia de reconstituer un contre-espace cognitif à l’intérieur du champ transversal et appartient à la fonction fabulatrice d’inventer une communauté à venir, une histoire présente, une mémoire à sa destination collective à venir. L’intellectuel exilé reconstruit des sujets micro-identitaires et reterritorialise la résistance et la perception micro-révolutionnaire dans l’espace retrouvé. L’exil donne donc lieu à la constitution d’un espace «périphérique» (où les liens avec le territoire d’origine et l’identité sont réaffirmés) à l’intérieur même d’un champ central de production (du dehors au dedans).
On pourrait parler ainsi du thème de la déchirure de soi, de la pathologie singulière que sont devenus les sujets post-traumatiques et qui tentent d’exprimer ainsi les conséquences de partir en exil, de la violence post-traumatique d’une société vers l’exil, ainsi que leurs sentiments liés à l’exode et à leur traumatisme identitaire. La notion de « déchirure » est de même une forme micro-révolutionnaire qui ressort dans le discours mélancolique des singularités, fait référence à l’expérience vécue et à ses transmissions mémorielles. Les regards sont des reflets exemplaires de «la schizophrénie de l’exil». C’est dans cette perspective multiple que la diaspora et l’exil sont devenus l’espace de la définition de la terre imaginaire et de la reconstruction qui se manifeste dans la continuité et la discontinuité.
Les aspects relèveront enfin de la figure du mouvement de reterritorialisation en les rapportant à la visibilité et à l’altérité. Il s’agit de traiter des rapports de force entre le sentiment d’appartenance territoriale et le renouvellement de l’espace diasporique dans le processus de l’expérience post-totalitaire. En effet, on constate la recréation d’une langue bifurquée. Cette approche cherche à rendre compte des reconstructions autoréférentielles des exilés issue de la Turquie et du Kurdistan (les universitaires limogés, les opposants, les artistes, les journalistes, les députés, etc. en exil) concernant la perception qu’ils se font de la réalité historique ou du sentiment d’être «sans-patrie» (Bê Welat) attachant à leur territoire quitté. Plus précisément, on observe le changement de l’identité traumatisée en diaspora et l’émergence d’une réflexion intellectuelle en résistance qui s’exprime à travers les conférences, le lieu universitaire, la littérature, la productivité culturelle, artistique, politique. L’histoire se répète, semblable au film Yol (Chemin) de Yilmaz Güney qui nous dévoile la construction du soi exilé. Le langage du film Yol de Güney constitue un langage transversal de mouvance artistique et met l’accent sur la réalité sociale, l’exode, l’apatride, la névrose identitaire et le vécu d’une société subissant une violence permanente dans son histoire que celle de la société kurde. Yilmaz Güney, cinéaste et acteur kurde a vu sa vie se briser en raison des événements pathologiques du conflit politique (le coup d’État du 12 septembre 1980) et de l’exil, comme le raconte son film Yol (Le Chemin, traduit La Permission). Le film Yol errant sur le chemin qui les fait passer d’une terre à l’autre (de la Turquie nationale au territoire des « exclus », le Kurdistan), est en quelque sorte une métaphore des souffrances de «l’exil» que vivent Yilmaz Güney lui-même et son peuple. La vie, la foi, la famille, le passé et l’avenir des personnages du film sont perturbés dès qu’ils posent le pied sur le chemin, à l’image de la vie des exilés. Le film Yol nous donne une trace de portraits des personnages déchirés entre leur nouvelle vie et leur passé, le chemin des intellectuels exilés. Notre perception essaie donc de rendre compte de la situation d’un intellectuel exilé qui n’est pas dans le chemin perdu, mais un chemin à recréer (une expérience philosophique), vivant une forme d’exil à l’intérieur même de son territoire. Nous parlons du maintien cognitif d’une langue (d’une nouvelle force linguistique) qui bien qu’opprimée dans son territoire refusée par une culture «dominante», développe ses épistémès et ses désirs (singulière et collectif).
Nous considérons que l’exil, en tant que vécu qui nous emmène vers une critique de la domination symbolique de l’académie et des élites intellectuels en lieu diasporique, correspond exactement à la situation précaire de l’intellectuel exilé dans l’ère de la mondialisation. L’exil provient de l’assemblage de deux termes : être ici et ailleurs (ou dedans et dehors). La singularité exilée renvoie à celui/celle qui a la puissance de s’exiler comme celui qui subit l’exil (involontaire, bannissement), celui qui choisit l’exil avec la volonté (c’est-à-dire, la puissance) et celui qui s’exile parfois de son propre soi. D’après nous, le concept d’exil déconstruit ainsi le discours du nativisme engendré par la lecture identitaire. Ce que veut dire, le nativisme d’aujourd’hui (en dehors du sentiment géographique) renvoie du coup à un processus, un sentiment, une identité exacte, une forme d’appartenance, une rhétorique politique envisagée dans l’imagination sociale comme créer la préservation du musée multiculturel de l’imaginaire d’autrui. En effet, l’exil provoque un sentiment de perte et d’inéluctable solitude, représentant autant de facteurs de l’activité intellectuelle. Il est une personne déracinée et déterritorialisée qui vit l’exil comme s’il goûtait la disparition de son propre vécu territorial. L’exil marque donc une rupture et une continuité entre une ex-terre, une nouvelle terre et un individu qui est issu de la pensée déchirée comme les vécus des intellectuels qui ont dû fuir le nazisme en Europe (exil politique comme T. Adorno, W. Benjamin, B. Brecht). Nous pourrions faire référence à la notion d’«exilocrate» (exil volontaire comme T. Todorov). Elle est comme «une boîte à outils» à usage réflexif, qui est développé par le sociologue, curateur et critique d’art A. Akay pour une série de conférences au Musée du Jeu de Pomme à Paris en 2009-2010,[57] ; il interprète la nouvelle situation des intellectuels en exil et la transformation des sciences sociales (sociologie, philosophie, anthropologie, etc.) avec l’art, la vie quotidienne en exil, et définit bien le rôle de cet intellectuel dans le cadre de la relation cognitive diasporique où se trouvent les intellectuels spécifiques (au sens foucaldien) qui n’ont pas la parole idéologique du pouvoir sans être non plus intégrés dans la rôle d’intellectuels organiques (voir Gramsci). Il existe toujours un mode de pensée substantialiste et populaire qui considère l’intellectuel exilé, comme coupé, isolé et séparé définitivement de son territoire quitté comme nous le vivons. A l’inverse de ce mode de pensée substantialiste, il peut donc être intéressant de penser l’exil et le désexil pour penser le devenir de soi (devenir-mineur, une résistance cognitive), pour être dans un tiers-espace périphérique face au discours centraliste de l’exil.
Conclusion
Finalement, l’exil raconte d’un côté les traumatismes et les souffrances qui en résultent, les déchirures de la culture et de l’identité, la peur de la perte du territoire, mais aussi le renouveau des performances artistiques, intellectuelles. Cet article a essayé de s’attacher à savoir comment un bricolage identitaire des intellectuels est négocié entre la diaspora, la résistance, le post-totalitarisme et la guerre en Turquie ; ce que représentent les codes culturels issus de la résistance en Turquie et ce que représentent les codes diasporiques de l’identité avec le vécu, la mémoire et l’expérience nous donnant à voir la visibilité d’une mobilité intellectuelle qui s’organise en exil (du dehors au dedans). L’exercice d’une perspective critique en sciences sociales suppose une problématique micropolitique sur la résistance et l’exil.
II est évident que notre article dans le contexte du post-totalitarisme et de la nécropolitique apporte une nouvelle perspective du pouvoir à l’ère du capitalisme intégral mondial. Ainsi l’approche des Universitaires pour la paix et des intellectuels en exil se basant sur le ‘dire la vérité’ contre la guerre peut être comprise dans ses enjeux. En effet, la pensée et la perception singulière de l’intellectuel doivent faire preuve en notre temps de courage face à la violence d’Etat, à la guerre et à la catégorisation idéologique qui nous enferme dans un langage rigide. Notre analyse rend visible ce que la répression du post-totalitarisme et le vécu de l’exil dévoilent, d’un côté, une insurrection micropolitique et, de l’autre, une micro-identité complexe dans la double structure reproductive. Plus précisément, notre approche met en lumière l’entreprise de la critique de non jugement sur l’asile politique qui est à l’œuvre dans le vécu des exilés. Ce que signifie le devenir en exil dans un lieu, qui ne nous appartient pas, est une position insurrectionnelle vis-à-vis de l’enfermement social. L’enjeu de cet article consiste donc à voir un exercice de pouvoir biopolitique et nécropolitique reposant sur la pratique du crime et du massacre, renvoyant continuellement ses concitoyens ainsi que ses opposants vers le choix de l’asile politique ou de l’exil.
[1] Publié in Caloz-Tschopp M.C., Wagner V., Brepohl M. de Coulon G., Possenti I., Veloso T. (dir.), Vers le desexil. Démarches, questions, savoirs, Paris, éd. L’Harmattan, 89-113, 2019.
[2] Voir, Hamit Bozarslan, Histoire de la Turquie, De l’Empire à nos jours, Editions Tallandier, 2015 ; Une histoire de la violence au Moyen-Orient, De la fin de l’Empire ottoman à Al-Qaida, éd. La Découverte, 2008.
[3] À voir pour le concept « Dire vrai » et une définition de Parrêsia : Michel Foucault, L’herméneutique du sujet, EHESS, Gallimard, Seuil, 2001 ; Le gouvernement de soi et des autres, EHESS, Gallimard, Seuil, 2008 ; Le courage de la vérité, Le gouvernement de soi et des autres II, EHESS, Gallimard, Seuil, 2009
[4] Engin Sustam, « Mémoire, Narration et Reterritorialisation. Expression Culturelle et Identitaire au Miroir de l’exil », in Mémoires et Exilés d’Europe (des Balkans et du Caucase) vers la Turquie et de Turquie vers l’Europe, livre collectif, Ed. Université Bordeaux-MSHA, Françoise Rolland (eds), June 2013, pp. 261-281, Bordeaux, France.
[5] A Voir les articles qui traitent de la pétition du BAK (Universitaire pour la Paix) sur le site : https://barisicinakademisyenler.net/node/63 ; ainsi l’article de Cagla Aykac : http://mouvements.info/des-universitaires-pour-la-paix-en-turquie/ et de Aysen Uysal : http://mouvements.info/les-risques-de-la-mobilisation/
[6] Lorsque l’on déploie ici le terme « massacre », ne correspondant à aucune notion juridique précise en Turquie, un tel usage sert à frapper les esprits par la brutalité des actes. C’est la raison pour laquelle le gouvernement d’AKP et Recep Tayyip Erdogan ont accusé les Universitaires pour la paix pour l’utilisation de ce terme « massacre » mettant en cause de l’acte du crime de l’état.
[7] À voir l’analyse de Baris Ünlü sur le contrat de la Turcité « Türklük Sözlesmesi », Edition Dipnot, Ankara, 2018.
[8] Voir, Hamit Bozarslan, https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/hamit-bozarslan-la-turquie-otage-d-erdogan_1816088.html et https://www.lesclesdumoyenorient.com/Entretien-avec-Hamit-Bozarslan-Le-point-sur-la-Turquie-a-l-issue-du-referendum-2407.html
[9] Esadullah Timi : groupe paramilitaire allié aux djihadistes Al-Nusra et Daesh. « JÖH et PÖH » : Les brigades spéciales de la police et de la gendarmerie, vient de l’époque des années 1990, des organisations de l’Etat-profond.
[10] C. Lazzeri et D. Reynié, La raison d’état : politique et rationalité, Paris, PUF, 1992, p.43-82
[11] Voir, le Massacre de Cizre : http://www.kedistan.net/2016/02/08/a-cizre-massacre-crime-de-guerre/
[12] Voir le rapport du 2015 au 2017 de IHD -Diyarbakir (Association des droits de l’homme en Turquie) : http://www.ihddiyarbakir.org/en et ainsi https://www.evrensel.net/haber/274530/ihdden-2015-raporu-infaz-saldiri-ve-catismalarda-910-kisi-oldu
[13] Voir le terme de « dispositif de guerre » similaire « état de guerre », D. Defert, « Le dispositif de guerre comme analyseur des rapports de pouvoir » dans J-C. Zancarini (dir.), Lectures de Michel Foucault, ENS Éditions, 2001.
[14] Pour lire sur le mouvement « Ittahat Terakki Firkasi » : Hamit Bozarslan, Histoire de la Turquie contemporaine, Paris, Editions La Découverte, 2004, et Robert Mantran (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, Paris, Fayard, 1989.
[15] R. Adalian, ed. The Armenian Genocide in U.S. Archives, 1915–1918. Alexandria: Chadwick-Healey, 1991, et R. Kévorkian, Le génocide des Arméniens, Odile Jakob, Paris, 2006.
[16] Voir, Tanil Bora, Milliyetçiligin Kara Bahari, Iletisim, 2013 et Cereyanlar, Iletisim, 2015 ; Ahmet Insel, La Nouvelle Turquie d’Erdogan, la Découverte, 2017.
[17] Jean-François Pérouse, Istanbul, Planète, éd. La Découverte, 2017.
[18] A voir, Gilles Deleuze, « Contrôle et devenir, Post-scriptum sur les sociétés de contrôle », dans Pourparlers, Editions de Minuit, 2007, pp.229-249.
[19] A voir, le livre de Maurizio Lazzarato , Gouverner par la dette, éd. Les Prairies Ordinaires, 2014.
[20] Voir l’analyse de Yascha Mounk sur « Démocratie autoritaire ou libéralisme non démocratique ». En savoir plus sur http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2016/06/10/cercle_157855.htm#QwDrWQ15byibAiUd.99
[21] Michel Foucault, Il faut défendre la société, Hautes Etudes, Gallimard, Seuil, 1997 et Naissance de la biopolitique, Hautes Etudes, Gallimard, Seuil, 2004
[22] Achille Mbembe, « Nécropolitique », Raisons politiques 2006/1 (no 21), p. 29-60. DOI 10.3917/rai.021.0029
[23] Voir, H. Bozarslan, Le Luxe et la violence : Domination et contestation chez Ibn Khaldûn, CNRS, 2014.
[24] Achille Mbembe, ibid.
[25] Elsa Dorlin (Propos recueillis par), « Mouvement » Reportage avec A. Mbembe : https://www.cairn.info/revue-mouvements-2007-3-page-142.htm
[26] Selon IHD (Association des Droits de l’homme de Diyarbakir), Durant les conflits armés au Kurdistan et en Turquie (dans le villes occidentales) depuis le pouvoir d’AKP, nous avons un chiffre effrayant sur les enfants kurdes tués par l’armée et la police : plus de 200 enfant. http://www.ihddiyarbakir.org/en/cat/raport
[27] Michel Foucault, « La gouvernementalité », in Dits et écrits, vol. III, Paris, Gallimard, 1993, p. 645, 646
[28] Voir, Mille Plateaux, Capitalisme et Schizophrénie 2, Editions de Minuit, Paris, 1980 et l’Anti-Œdipe, Capitalisme et Schizophrénie 1, E. de Minuit, 1972.
[29] Voir, S. Dufoix, Politiques d’exil, Paris, PUF, 2002.
[30] Pour le terme « communauté affective » utilisée par plusieurs auteurs comme Yves Michaud, nous faisons plutôt référence à la lecture philosophique de Spinoza en se basant sur un sentiment de joie et de tristesse en exil (l’affect-sentiment : joie ou tristesse, Deleuze, Spinoza philosophie pratique, p. 70-72). Spinoza traitre des termes «l’affection et l’affect (affectio)» dans son ouvrage l’Ethique, traduction de Gallimard, 1954.
[31] Voir, Clémence Scalbert-Yücel, « La diaspora kurde en Suède : conservation, production et diffusion d’un savoir linguistique », European Journal of Turkish Studies, thematic issue no 5: Power, Ideology, Knowledge: Deconstructing Kurdish Studies, 2006 https://journals.openedition.org/ejts/771
[32] À voir, M. Uzun, La Poursuite de l’Ombre, Phébus, 1999 ; Barbara Henning, Narratives of the History of the Ottoman-Kurdish Bedirhani Family in Imperial and Post-Imperial Contexts, University of Bamberg Press, 2018 ; E. Sustam, Art et Subalternité Kurde, Harmattan, 2016 ; et Hamit Bozarslan, « Iki Dünya Savasi Arasinda Kürt Entelijansiyasi Üzerine Birkaç Not », Ikinci Bilim ve Siyaset, No.1, 2001, pp.55-60.
[33] A voir, E. Said, Reflections on Exile and Other Essays, Harvard University Press, 2000.
[34] Mahmoud Darwich et l’exil : http://mahmoud-darwich.chez-alice.fr/accueil.html
[35] Deleuze &Guattari, Kafka, Pour une littérature mineure, Ed. Minuit, 1975, pp. 29-30.
[36] Voir, le concept «non-lieux» de Marc Augé : Non-lieux, Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Librairie du XXIe siècle, 1992.
[37] A voir pour le terme diaspora, Maurice Halbwachs, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 ; Michel Bruneau, Diasporas et Espaces Transnationaux, Paris, Economica (Anthropos Ville), 2004, pp.8 et C. Bordes-Benayoun & D. Schnapper, Diasporas et Nations, Odile Jacob, Janvier 2006, pp. 8-15. Et ainsi voir, l’analyse de Marie-Claire Caloz-Tschopp qui problématise le lieu dystopique de l’asile et ses acteurs entre un pari tragique positif d’exercice de la liberté, de l’hospitalité et la violence extrême, l’Évidence de l’asile, Essai de philosophie dys-topique du mouvement, Harmattan, 2016.
[38]Voir toutes les éditions et tous les formats de la revue Sion sur le site : http://www.worldcat.org/title/sion/oclc/4103401/editions?referer=di&editionsView=true
[39] Cité par Véronique Bonnet, De l’exil à l’Errance : Ecriture et quête d’appartenance dans la littérature contemporaine des petites antillaises anglophones et francophones, Thèse de Doctorat non publiée en Littérature, Université Paris Nord Paris XIII, 1997, pp.8 et V. Linhartova « Pour une anthologie de l’exil », L’Atelier du roman, no : 2 Paris, Arléa, mai 1994, pp. 128-129.
[40] A voir, Jacques Sojcher Marges et exils, Bruxelles, Editions Labor, 1987.
[41] Voir les livres, Michel Foucault, Le Souci de Soi, Histoire de la sexualité T.3, Gallimard, Paris, mai 1984 et L’Herméneutique du sujet, Ibid.
[42] A voir, G. Deleuze et F. Guattari, L’Anti-Œdipe, ibid. et Mille Plateaux, Ibid.; Voir ainsi Kafka, Pour une littérature mineure, Ibid. et Deleuze et C. Parnet, Dialogues, Ed. Flammarion, 1977.
[43] F. Guattari, Psychanalyse et transversalité, La Découverte, 1974
[44] On remarque cependant une interpénétration entre le corps sans organe qui montre une production du désir de la singularité (non-productive) et le corps exilé qui produit la force de s’exiler et le désir de disperser dans l’espace de l’exil. Pour une analyse du concept de CsO, voir Deleuze G., Logique du sens, Editions de Minuit, 1969 ; Deleuze&Guattari, L’Anti-Œdipe, Ibid., et Mille Plateaux, Ibid., p. 185.
[45] À voir, le livre collectif du colloque, Penser pour résister, Colère, courage et création politique, sous la direction de Marie-Claire Caloz-Tschopp, Harmattan, 2011.
[46] Edward Said, The Representations of the Intellectual, Vintage Books Edition, April 1996, pp.48.
[47] Voir pour la discussion de « sans-abri et exil de soi » le livre, Thelen Lionel, L’exil de soi. Sans-abri d’ici et d’ailleurs, FU Saint-Louis, Bruxelles, 2006. Il faut cependant noter que la perception de l’exil est évoquée par M. Heidegger dans son œuvre de «Être et Temps» comme la problématisation du soi et l’exil relève ici de l’originaire existentiale du soi : «d’une manière existentiale ou ontologique, le ne pas être chez soi doit être compris comme le phénomène le plus originel», Trad. E. Martineau, Authentica, 1985, pp. 78.
[48] Edward Said, Ibid., pp.52-54.
[49] Pour une perspective benjaminienne de cette notion «flâneur», à voir, Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXème siècle : le livre de passage, Ed. Cerf, Paris, mai 1997.
[50] Voir le livre de Toni Negri, Exil, Mille et une nuit, 1998.
[51] Enzo Traverso, La Pensée Dispersée, Ed. Lignes et Léo Scheer, 2004, pp.10-12.
[52] E. Sustam, Ibid.
[53] P. Ricoeur, La mémoire, L’histoire, L’oubli, Paris, Seuil, 2000.
[54] J. Stern, « L’immigration, la nostalgie et le deuil », dans la revue de psychanalyse Filigrane, volume 2, no : 2, Automne 2005, http://rsmq.cam.org/filigrane/archives/nostalg.htm
[55] P. Robert-Demontrond, «La nostalgie : du refus de l’altérité à la quête de l’ipséité», dans Arobase, 6, 1-2, 2002, pp. 19-29
[56] À voir l’article de Matthias Waechter qui problématise la condition des intellectuels exilés pendant les années 1933-1945 en Allemagne à l’époque de 3ème Reich de Hitler, « Repenser l’histoire en exil. L’exil comme lieu de réinterprétation de l’histoire allemande » : ahttps://journals.openedition.org/cdlm/5720
[57] Voir, les séminaires d’Ali Akay au Jeu de Paume sur : http://www.jeudepaume.org/?page=article&idArt=1250