Jean-Michel DOLIVO, avocat, député, Lausanne, Suisse
Résumé
Les dernières restructurations économiques et la montée du chômage agissent comme un révélateur de l’inexistence d’une protection réelle des travailleurs. Le cas de la Suisse, situé dans une Europe qui s’est battue pour arracher des droits est un exemple de détériorations profondes du droit dans le travail partout dans le monde. Les travailleurs sont jetables, flexibles, précaires. Licenciements, chômage, maladie ou retraite, force est de constater que l’exploitation de la force de travail est devenue plus brutale encore. Dans la jungle d’un capitalisme secoué par la crise… allons-nous vers un monde du travail sans droit ?
La crise économique actuelle a de fortes répercussions en matière d’emploi, de chômage et de conditions de travail. Depuis le début de la crise, l’Union européenne a perdu 3,8 millions d’emplois et le nombre de chômeurs augmenté, de 2008 à 2009, de 16,6 à 20,9 millions. Les Etats-Unis ont perdu 5,5, millions d’emploi et quasi doublé le nombre de chômeurs dans cette période, de 7,6 à 14,8 millions. En Suisse, selon les chiffres du Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), en l’espace d’une année, le chômage est passé de 118’762 personnes à fin décembre 2008 à 172’740 fin décembre 2009. En moyenne, 146’089 personnes étaient enregistrée au chômage en 2009. Par rapport à l’année précédente (101’725 personnes), cela représente une augmentation de 44’364 personnes, soit 43,6%. Le taux de chômage atteint ainsi 3,7% en moyenne annuelle contre 2,6% l’année précédente. Le chiffre des demandeurs d’emploi, entre fin décembre 2008 et fin 2009, a passé de 171’279 à 234’359 personnes, soit une hausse globale de 63’080 personnes en l’espace d’une année. En janvier 2010, le nombre des demandeurs d’emploi inscrits s’élève à 236’317, soit près de 2’000 de plus qu’en décembre 2009, et le chômage des jeunes (de 15 à 24 ans) touche 29’979 personnes, soit une hausse de 31,1% par rapport à janvier 2009!
Ce que ces chiffres cachent, lorsque le SECO se targue d’un taux de chômage en moyenne annuelle de 3,7%, c’est que ce taux est calculé sur le nombre de «chômeurs inscrits», notion particulièrement restrictive. Elle ne comprend que les personnes sans emploi qui sont inscrites auprès des Offices régionaux de placement (ORP) et qui sont immédiatement disponibles pour un placement. Le taux de chômage n’englobe pas les personnes au chômage, inscrites auprès des ORP et qui se trouvent en situation de «gain intermédiaire», ni celles qui suivent des cours de reconversion ou de perfectionnement, ni celles qui sont en programme d’emploi temporaire ou qui ne sont pas immédiatement disponibles pour d’autres raisons, par exemple maladie ou service militaire. La somme de ces différentes catégories et des chômeurs inscrits correspond à la notion officielle de «demandeurs d’emploi inscrits». Et l’on ne parle pas ici de celles et ceux qui ne sont même pas dans ces catégories, les personnes arrivées en fin de droit, celles qui ont renoncé à toute inscription auprès des ORP, les bénéficiaires de rentes invalidité qui sont dans l’obligation de faire tous les efforts nécessaires pour retrouver un emploi, ou les femmes qui n’ont pas droit à l’aide sociale parce que leur époux travaille. L’enjeu politique des catégories statistiques, en Suisse comme ailleurs, est évident: dissimuler l’exclusion de nombreuses personnes du marché du travail.
Une politique d’ajustement de l’emploi
En Suisse, comme dans d’autres pays européens, face à l’ampleur de la crise économique et de ses conséquences en matière d’emploi, ce sont d’abord les emplois intérimaires qui ont servi d’amortisseur. Puis, c’est le recours au temps partiel et au chômage partiel. Ce dernier devient la panacée dans la gestion sociale de la crise. En Allemagne, plus d’un million de salariés connaissent ainsi le chômage partiel. C’est notamment le cas dans toute l’industrie automobile. C’est l’Agence pour l’emploi qui prend en charge les deux tiers du salaire, l’entreprise comblant la différence. Un système très coûteux pour les collectivités publiques qui supportent les conséquences des restructurations effectuées par ces entreprises pour maintenir leur taux de profit.
Collectivisation des risques, privatisation des profits: plus 15 millions de francs à la charge de l’assurance-chômage en Suisse, en 2009. De nombreuses entreprises ont en effet déposé des demandes d’indemnités de réduction d’horaire de travail (RHT). Selon les statistiques du SECO, en novembre 2009, 3’382 entreprises avaient recours au chômage partiel, contre 168 en novembre 2008, 48’630 salariés étaient concernées, contre 2’608 en novembre 2008. Le Conseil fédéral a porté, depuis le 1 avril 2009, de 12 à 18 mois la durée d’indemnisation en cas de réduction de l’horaire de travail et a réduit le délai d’attente à la charge de l’employeur à un jour. Une entreprise qui a touché l’indemnité pendant la durée maximale doit observer un délai d’attente de six mois avant de présenter une nouvelle demande. Relevons que n’ont pas droit au chômage partiel les travailleurs ayant un contrat de travail de durée déterminée, les travailleurs sur appel et ceux qui sont intérimaires. Les plus précaires sont les premiers licenciés! Le SECO vient de lancer une procédure d’audition pour un prolongement temporaire de la durée maximale d’indemnisation du chômage partiel de 18 à 24 mois. Le gouvernement devrait trancher en mars prochain. La RHT permettrait en principe d’éviter un certain nombre de licenciements, dans la mesure où elle correspond à une situation de suspension, complète ou partielle, de l’activité de l’entreprise ou de certains de ces secteurs, alors même que les rapports de travail se poursuivent. L’entreprise a droit au versement d’indemnités de l’assurance-chômage pour ses employés, notamment lorsque la perte de travail est inévitable ou passagère, qu’elle atteint au moins 10% de l’ensemble des heures normalement effectuées et qu’elle touche des salariés qui ont un emploi de durée indéterminée. Pendant la RHT, l’employeur a la faculté d’utiliser complètement ou partiellement, avec l’accord de l’autorité cantonale, le temps de travail qui est supprimé pour perfectionner sur le plan professionnel les travailleurs et travailleuses concernés.
Une étude menée sur mandat du SECO en 2005, portant sur la période de récession 2001 à 2003, montre pourtant que l’indemnisation du chômage partiel n’a pas du tout encouragé les entreprises à conserver leurs emplois! Dans un article publié dans la Vie économique 1/2-2006, ses auteurs, Andres Frick et Aniela Wirz, concluent que «les résultats de l’enquête montrent clairement que le chômage partiel n’a pas atteint son objectif, voulu par le législateur, qui est de préserver l’emploi dans les périodes de récession économique. Il semble même que d’utile instrument qu’il était, dans les phases de diminution temporaire de travail, pour assurer la soudure avec des temps meilleurs dont la perspective demeurait intacte, le chômage partiel soit progressivement devenu un élément parmi d’autres d’une stratégie d’entreprise visant à adapter l’effectif du personnel à un volume d’occupation en baisse sur le long terme». Il n’y a par ailleurs aucune interdiction pour les entreprises au bénéfice d’une RHT de licencier des salariés pendant la période de chômage partiel, et elles ne s’en privent pas!
Précarité et crise: pression accrue à la baisse sur les salaires
Selon les résultats de l’Enquête suisse sur la population active 2006, le taux de « working poor » (revenu inférieur au seuil de pauvreté) s’élevait à 4,5%, soit 166’000 personnes en situation de pauvreté laborieuse. 10,2% de salariés ont une rémunération inférieure au deux tiers du salaire brut médian, soit 248’000 personnes. Selon une étude publiée en 2009 par Caritas, entre 700’000 et 900’ 000 personnes vivent dans une précarité qui leur donnerait droit à l’aide sociale. Quelque 20 % de la population court le risque de glisser dans la pauvreté à la suite d’un accident dans l’existence, par exemple un divorce, le chômage, la perte d’une rente AI ou une facture de dentiste.
Ces données s’inscrivent dans un contexte d’augmentation générale de la précarité. Les salariés à temps partiel, avec horaires flexibles et des contrats de durée déterminée, ont plus de risque de devenir pauvres. Plus de 80 % des salariés à temps partiel sont des femmes. Et près de 100’000 personnes occupent en Suisse un job à temps partiel, faute d’avoir trouvé un emploi à plein temps. Ces dernières années, les personnes « sous-occupées», c’est-à-dire celles qui travaillent moins qu’un temps plein mais désirent en fait travailler plus, vont en nombre croissant. Leur augmentation est de 18 % au cours des dix dernières années. Le nombre de salariés occupant des emplois dits atypiques a fortement augmenté : par exemple celles et ceux qui ont au moins deux emplois, ou alors qui sont au bénéfice de contrats de travail de durée déterminée ou encore qui sont soumis à des horaires flexibles. 42 % des salariés sont soumis au régime de l’horaire flexible, 5 % travaillent sur appel et 60% de ces derniers ne disposent d’aucune garantie d’horaire hebdomadaire minimale.
Le travail en sous-traitance, celui des faux indépendants ainsi que le travail intérimaire ont connu une véritable explosion. De 2004 à 2007, la progression du nombre d’heures louées par les agences de travail intérimaire est supérieure annuellement à 10%. En 2007, plus de 287’000 personnes ont occupé un emploi temporaire, le travail intérimaire représentant environ 2,4% de l’emploi total (1,6% en 2004 et 0,5% en 1993).
Sur le plan financier, cette précarité croissante a des conséquences dramatiques: aux bas revenus s’ajoutent souvent une absence de couverture en terme d’assurance, avant tout ce pour ce qui a trait aux accidents, professionnels ou non, à l’incapacité de travail en cas de maladie et au chômage. Par ailleurs les revenus sont irréguliers et peuvent varier de semaine en semaine. En ce qui concerne les vacances, une indemnité sur le salaire horaire est garantie très souvent. II existe certes des périodes de non travail qui ne peuvent en aucun cas être assimilées à des «vacances», au sens de vacances payées. II n’est guère étonnant que la très grande majorité de ces salariés à bas revenus est contrainte de faire de lourds sacrifices pour financer la formation d’un adolescent ou s’offrir un minimum de loisirs.
Ces changements sur le marché du travail, avec la flexibilité qui s’y est installée, ont aussi des conséquences en matière de santé psychique et physique pour les personnes concernées par ces nouvelle formes d’emploi: augmentation du stress, de la fatigue au travail et de toutes les formes de contrainte. Ils ont également un effet direct sur l’évolution des salaires: certains secteurs, particulièrement frappés par la crise, subissent des diminutions de salaires importantes. De manière générale le pouvoir d’achat stagne, voir diminue, et des différences importantes en matière de rémunération se creusent entre branches économiques et entre salariés eux-mêmes. On constate en outre une forte réduction du salaire à l’embauche. Ces baisses ne concernent pas seulement les personnes touchant des bas salaires pour des travaux peu ou non qualifiés, mais également le niveau des salaires en vigueur dans des branches entières.
A mesure que la crise économique déploie ses effets, les employeurs se débarrassent des salariés comme des Kleenex après usage, en particulier pour nombre de salariés de plus de 40 ans. La protection légale contre les licenciements est quasi nulle.
Le sillon du chômage
Selon les statistiques officielles, entre 1993 et 2002, 1,2 million de personnes ont connu en Suisse le chômage. Une personne active sur quatre s’est ainsi trouvée au moins une fois sans emploi durant cette période, avec la dégringolade de son revenu que cela entraîne. Le revenu d’une personne au chômage baisse déjà de 20%, si elle a un enfant à charge ou si son gain assuré est inférieur à 3’797 francs, et de 30% dans toutes les autres situations.
Or, au milieu des années 90,dans le cadre des révisions de la Loi fédérale sur l’assurance-chômage (LACI), une «nouvelle philosophie» de l’assurance-chômage s’est imposée, sous l’impulsion des associations patronales, avec l’accord des syndicats. La priorité est accordée à «une politique dite active», ce qui implique la définition du «travail convenable» (art. 16 LACI), une définition très souple, de manière à contraindre les chômeurs à accepter un nouvel emploi, même à des conditions largement détériorées par rapport à celui qu’ils ont perdu. Cette priorité implique également une obligation pour les personnes sans emploi de fournir une «contre prestation» qui vise à améliorer leur«employabilité»,en participant notamment à des emplois temporaires ou à des cours de formation. Les offices régionaux de placement (ORP) sont alors censés travailler de manière «plus efficace», c’est-à-dire qu’ils vont exercer davantage de pression pour que ces personnes «sortent du chômage». L’ORP a la compétence de sanctionner les chômeurs (art. 30 LACI), par exemple pour une arrivée tardive à un rendez-vous ou pour des offres d’emplois insuffisantes. Le principe d’une sanction ainsi que la quotité exacte des jours de suspension du droit aux indemnités sont très souvent arbitraires (appréciation de la gravité de la faute, art. 45 OACI). L’ORP examine également s’il y a motif à suspension des indemnités si l’assuré refuse un travail qualifié de convenable. (LACI art. 16, OACI art. 16 et 17). L’assuré a l’obligation, lorsque l’autorité compétente le lui enjoint, de participer aux mesures relatives au marché du travail (MMT) propres à améliorer son aptitude au placement (LACI art. 15 et 17), aux entretiens de conseil, aux réunions d’information et aux consultations spécialisées. S’il n’accepte pas de se soumettre aux mesures actives censées «améliorer son aptitude au placement», il risque d’être jugé «inapte au placement» et de n’avoir plus droit aux prestations de la LACI. Dans cette logique, l’assurance-chômage a pour objectif de contribuer au fonctionnement rationnel du marché du travail, le dit fonctionnement étant présenté comme une condition pour arriver à un taux de chômage le plus bas possible. D’un système d’assurance, qui lie le paiement d’une prime (cotisations sur les salaires) à la couverture d’un risque (perte d’un emploi), on est passé à un système visant à rendre le marché du travail plus performant, à savoir à augmenter la flexibilité des salariés. C’est avec cette argumentation que le gouvernement a justifié la réduction du nombre maximum d’indemnités de chômage de 520 à 400 et la prolongation de 6 à 12 mois de la période minimale de cotisation ouvrant le droit à des prestations, modifications acceptées en votation populaire le 24 novembre 2002.
Les mécanismes mis en place par la LACI constituent donc un rouage essentiel de la politique de pression à la baisse sur les salaires. Le démantèlement des prestations de l’assurance-chômage provoquera une forte augmentation des arrivées en fin de droit. L’Office fédéral des statistiques (OFS) a récemment publié une étude (OFS 2009 : Arriver en fin de droit, analyse de la réinsertion des personnes arrivées en fin de droit de l’assurance-chômage, Neuchâtel, octobre 2009) sur la situation de ces dernières qui constate que « les formes de travail flexibles (intérim, travail sur appel) sont plus répandues parmi les personnes ayant connu une arrivée en fin de droit que dans la population salariée dans son ensemble. Ainsi, 85 % des premières bénéficient d’un contrat de travail de durée indéterminée, contre 92 % de la population salariée. Les proportions salariées travaillant sur appel sont respectivement de 13 % et 7 % et celles des employés placés et payés par une agence de location de services de 6 % et 1 % (…) ». Cette flexibilité accrue de l’emploi se reflète également dans les taux d’occupation. 27 % des hommes ayant retrouvé un emploi après une arrivée en fin de droit travaillent à temps partiel contre 12 % de l’ensemble des hommes actifs et occupés. L’étude l’OFS constate également un « fort impact de l’arrivée en fin de droit sur le niveau des salaires ». Alors qu’un salarié gagne 34.50 francs par heure (salaire horaire médian), une personne arrivée en fin de droit ayant trouvé un emploi salarié perçoit 26.20 francs, soit une différence de 8.30 francs.
4ème révision de la LACI: démantèlement annoncé de l’assurance-chômage
La 4ème révision de la LACI, discutée actuellement aux Chambres fédérales suisses, constitue une étape supplémentaire dans une politique de démantèlement, renversant les fondements d’un système de protection des personnes sans emploi face aux mécanismes d’exclusion et de précarisation du marché du travail. Ses objectifs visés sont triples: équilibre des comptes, amortissement de la dette et renforcement du principe d’assurance en éliminant les incitations dites indésirables. La révision vise à créer des sources de financement complémentaires pour couvrir les déficits, il est prévu d’augmenter les cotisations de 2 à 2,2 % du salaire (temporairement à 2,3 %) et prélever temporairement sur les revenus compris entre 126’000 et 315’000 francs une « contribution de solidarité » jusqu’à l’assainissement de l’assurance-chômage. Ces mesures touchant au financement servent de prétexte pour présenter une réduction des prestations. II est notamment proposé d’échelonner la durée d’indemnisation en fonction de la durée de cotisation. La personne qui aura cotisé pendant 12 mois ne bénéficiera plus que de 260 indemnités journalières au lieu de 400. Pour avoir droit à 400 indemnités, il faudra cotiser 18 mois. Les prestations seront massivement réduites pour les personnes qui n’ont pas cotisé, dont celles en formation. Un délai d’attente de 120 jours leur sera imposé, elles ne bénéficieront plus que de 90 indemnités au lieu de 260. Cette mesure frappera en particulier les jeunes qui terminent une formation scolaire ou académique. Des coupes sont également prévues dans les domaines dits des mesures relatives au marché du travail. Le gain assuré pour le délai-cadre suivant sera calculé sur la seule base du gain intermédiaire effectivement réalisé, en ne prenant plus en compte, comme actuellement, partiellement ou complètement des indemnités compensatoires versées par l’assurance-chômage. La possibilité de porter la durée maximale d’indemnisation de 400 à 520 jours dans les régions de crise sera supprimée, les personnes de plus de 55 ans devront cotiser 22 mois au lieu de 18 pour bénéficier d’une durée d’indemnisation allant jusqu’à 520 jours.
Dans son Message du 3 septembre 2008 relatif à la modification actuelle de la Loi sur l’assurance-chômage, le Conseil fédéral propose un certain nombre de mesures visant notamment à la réduction des coûts. Le gouvernement indique que «la réduction des coûts sera avant tout mise en œuvre par le renforcement du principe d’assurance en éliminant les incitations indésirables et en augmentant l’efficacité des mesures de réinsertion» (point 1.3.2.2). Dans son commentaire du nouvel alinéa 3 bis de l’art. 23 LACI qui exclut la possibilité d’assurer un gain réalisé dans le cadre d’une mesure relative au marché du travail (MMT) financée par les pouvoirs publics, le gouvernement enfonce le clou de la nécessaire flexibilité des personnes au chômage : « La politique du marché du travail vise à réinsérer les demandeurs d’emploi dans la vie active le plus rapidement possible (souligné par nous). C’est un but que devraient poursuivre non seulement les autorités du marché du travail mais également les autorités sociales. II faut dès lors empêcher que des programmes d’emploi temporaire soient organisés dans le seul but de générer des périodes de cotisations et se focaliser sur la réinsertion. Le nouvel alinéa 3 bis vise précisément à garantir que seule une activité lucrative normale, et non la fréquentation d’une MMT, donne droit à l’indemnité de chômage (…) La suppression des alinéas 4 et 5 permet de ne plus prendre en compte les indemnités compensatoires qui ne sont pas soumises à cotisation pour calculer le gain assuré dans un nouveau délai-cadre ».
Une assurance-chômage au sens réel du terme ne devrait pas avoir pour but de rendre le marché du travail plus performent et d’accroître l’employabilité des travailleurs et travailleuses. Elle devrait à l’inverse être partie prenante d’un système de droit qui devrait à la fois protéger contre les licenciements et garantir aux personnes ayant perdu leur emploi un revenu de substitution.
Lors de sa session de décembre 2009, le Conseil national a durci encore le projet de révision. Qui veut travailler, trouve toujours un emploi ! Qui n’en trouve pas est un fainéant ! Le chômage est une question personnelle et non pas une réalité sociale. Ainsi une majorité parlementaire a décidé que les chômeurs de moins de 30 ans sans obligation familiale n’auront droit qu’à 260 indemnités journalières (400 aujourd’hui), les chômeurs de moins de 25 ans n’auront droit qu’à 130 indemnités et les personnes de moins de 30 ans, inscrites auprès d’un ORP, pourront se voir imposer n’importe quel travail. Le délai d’attente passera de 120 jours à 260 jours pour les personnes qui viennent d’achever leur formation. Un transfert de charges vers les parents et l’aide sociale! Or, selon les données de l’Office fédéral des statistiques (OFS), 28% des étudiants sont encore sans emploi 20 mois après l’obtention de leur diplôme (OFS, Taux d’entrée dans la vie professionnelle HEU). Une mesure qui va aggraver la précarité des étudiants, une fois leurs études terminées, et dévaloriser nombre de diplômés en les obligeant à accepter un emploi pour lequel ils sont surqualifiés. Les chômeurs de longue durée verront le montant de leur indemnité baisser de 5 % après 260 jours d’indemnisation puis de 5 % encore après 330 jours d’indemnisation.
Convention collective de travail et fixation du salaire
Le nombre de salariés dont les conditions de travail sont soumises à une convention collective de travail (CCT) en Suisse s’élève à 1,68 million en 2007. Il était de 1,52 million en 2005. La principale raison de cette hausse réside dans la suppression du statut de fonctionnaire à la Confédération et dans de nombreux cantons. Des CCT sont ainsi négociées dans des secteurs publics qui ne sont plus ou de moins publics comme la Poste, les CFF, Swisscom, et, dans certains cantons les employés des hôpitaux du canton. Une seconde raison tient à l’application des accords de libre circulation des personnes avec l’Union européenne. Certaines associations patronales, pour tenter de réglementer les conditions de concurrence dans des secteurs économiques liés au marché intérieur, ont accepté de conclure des CCT. C’est le cas par exemple de la sécurité privée ou du nettoyage. Si 50 % des salariés susceptibles d’être conventionnés sont assujettis à une CCT, c’est une proportion bien moindre qui bénéficie d’un salaire minimum garanti dans leur CCT de branche. De nombreuses conventions, comme celle de l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux, ne contiennent aucun salaire minimal. Or, dans ces secteurs, des salariés, en particulier des femmes, travaillent pour des salaires mensuels bien inférieurs à 4’000 francs!
Dans des domaines comme les assurances, le secteur informatique, l’économie domestique, les services à la personne (soins corporels par ex.), dans l’industrie du tourisme, le secteur de la santé, dans une partie de l’industrie de la chimie ou de l’alimentation ainsi que dans les grandes chaînes de distribution du secteur de la vente comme chez Lidl, Aldi, Spar, Manor ou Denner, il n’existe aucune CCT. Les conditions de travail y sont extrêmement précaires et les travailleuses et travailleurs souvent payés à des salaires de misère.
La Suisse, véritable paradis pour les employeurs !
Il n’existe pas d’obligation d’assurance pour la perte de gain en cas de maladie, excepté pour une durée minimale selon l’échelle bernoise et seulement dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois (324a al.1 du Code des obligations): d’où « l’intérêt » de contrats courts – de trois mois au maximum – pour l’employeur. Comme le relevait, déjà en 1991, le Professeur genevois de droit du travail Gabriel Aubert (Gabriel Aubert (1991), Le droit au salaire en cas d’empêchement de travailler, in Aubert Gabriel (éd.), Journée 1991 de droit du travail et de la sécurité sociale, Zurich, p. 86) «en période de difficultés économiques, la réglementation légale risque de favoriser les occupations de courte durée, qui, en cas de maladie, coûtent moins cher à l’entreprise. Les travailleurs précaires seraient ainsi doublement défavorisés : d’une part, à raison de l’insécurité de leur emploi ; d’autre part, à raison des conséquences particulièrement lourdes d’une incapacité de travail».
L’assurance dans le 2ème pilier – régime qui déploie ses effets au moment de la retraite mais également en cas d’invalidité – n’est obligatoire que si le salarié gagne plus de 20’520 francs par année, limite qui exclut de fait une grande partie des contrats à temps partiel et permet des économies planifiées en charges sociales pour certains employeurs. Là aussi l’obligation d’assurance est limitée aux contrats signés pour une durée supérieure à trois mois (OPP2 art. 1 al. 1 lit. b). C’est donc une branche entière de la prévoyance sociale qui est inaccessible pour des catégories de travailleuses et travailleurs précaires : celle à bas revenu, celle à temps partiel ou encore celle des intérimaires de courte durée. Rappelons qu’aujourd’hui, la rente simple minimale AVS est de 1’140.- francs par mois: elle ne permet pas de couvrir les besoins minimaux d’une personne retraitée.
La stratégie patronale consistant à transformer une part croissante des salaires fixes en part variant en fonction des résultats de l’entreprise ou de prétendus mérites individuels (primes et allocations diverses) a eu en outre pour effet qu’une part de plus en plus significative de la rémunération échappe aux cotisations sociales, avec des conséquences à terme très problématiques pour le revenu des personnes concernées lorsqu’elles se retrouvent au chômage ou à la retraite.
Une conclusion s’impose: flexibilité des conditions de travail et de salaire, contrats de courte durée déterminée ou à temps partiels, permettent aux employeurs d’économiser sur les charges sociales.
L’exercice de droit collectif des salariés, fortement restreint !
Les graves détériorations des conditions de travail, imposées depuis plus de deux décennies, auxquelles s’ajoutent les effets de la crise économique de 2009, mettent en évidence l’extrême faiblesse de la protection, face à l’employeur, de l’employé, partie structurellement la plus faible dans les rapports de travail. L’exercice de droits collectifs des salariés a été rendu plus difficile encore. Le droit de grève correspond au droit de recourir à une forme collective de lutte, efficace dans la mesure où elle exerce une pression réelle sur l’employeur, lorsque d’autres moyens d’action ont échoué. Elle représente souvent la seule réponse possible pour des salariés face à la contrainte que constitue pour eux le rapport de subordination inhérent au statut salarial. Dans un rapport publié en décembre 2008 sur le respect par la Suisse des normes fondamentales du travail reconnues à l’échelle internationale, la Confédération syndicale internationale (CSI) conclut que «la protection légale octroyée aux syndicalistes est insuffisante en Suisse. En pratique la négociation collective est parfois entravée par la mauvaise foi et des problèmes d’ingérence. Les limitations au droit de grève persistent depuis plusieurs années à tel point que les grèves sont légalement interdites par certains cantons et communes. Le gouvernement ne cherche pas à promouvoir les conventions (de l’OIT, réd.)». Des jugements récents vident totalement de sa substance le droit de grève, pourtant reconnu à l’article 28 de la Constitution fédérale. Par définition la grève est une forme de pression sur l’employeur et les piquets de grève ne constituent qu’une mise en oeuvre de ce droit. En se prononçant notamment sur la «proportionnalité» de la grève, les tribunaux expriment avant tout une opinion sur le bien-fondé du moyen de lutte utilisé par les salariés. Pour exemple, le cas de la grève dans l’entreprise Allpack à Reinach (Bâle-campagne). Le 25 novembre 2003, une majorité de salariés de cette entreprise s’était mis en grève, avec le soutien de leur syndicat comedia. Quelques jours après, les grenadiers de la police cantonale étaient intervenus pour annihiler brutalement le piquet de grève, sous prétexte de garantir l’accès à l’entreprise aux briseurs de grève et à l’employeur. Malgré ce coup de force, les grévistes avaient reconstitué des piquets de grève à la porte de leur entreprise. Cette lutte avait trouvé une large sympathie dans la population. La grève des travailleurs et travailleuses d’Allpack était une réponse à une provocation patronale, celle d’imposer de nouveaux contrats, impliquant notamment une augmentation de 40 à 41h de la journée de travail, une annualisation du temps de travail, la suppression du 13ème salaire et une semaine de vacances par année. Devant ce diktat patronal et le refus de toute négociation avec le syndicat, les salariés avaient décidé de répondre à cette agression par la grève. Les autorités cantonales, au nom de la nécessité de faire respecter une prétendue «liberté de travailler», étaient intervenues massivement au côté de l’employeur pour l’aider à faire triompher ses intérêts. Les 25 et 26 mars 2009 derniers s’est joué le dernier acte de ce bras de fer, à savoir le procès et la condamnation, par le Tribunal pénal de Bâle-campagne, de 18 syndicalistes à des peines de trois jours-amendes avec sursis; cinq d’entre eux pour contrainte et violation de domicile, quatre pour contrainte et neuf pour violation de domicile. Ces «délits» auraient été commis, selon le juge, du seul fait que ces syndicalistes avaient participé à aux piquets de grève et s’étaient assis devant les locaux de l’entreprise!
Droit individuel ou collectif, mis en charpie !
Licenciements, chômage, maladie ou retraite, force est de constater que l’exploitation de la force de travail est devenue plus brutale encore. Les dernières restructurations économiques et la montée du chômage agissent comme un révélateur de l’inexistence d’une protection réelle des travailleurs. En matière de droit en cas de licenciements, cela est tout à fait flagrant. En droit suisse, le juge ne peut sanctionner un licenciement considéré comme abusif en prononçant la réintégration, ni pour un licenciement individuel, ni pour des licenciements collectifs. La seule sanction consiste en une indemnité, équivalent au maximum (rarement atteint !) à six mois de salaire. La loi de la jungle s’est imposée. Comment redéfinir des normes de protection par le biais du droit public du travail ou des conventions collectives, afin de garantir des droits aux salariés en matière de durée du travail, d’horaires, de santé au travail et de salaires. L’introduction d’un salaire minimum, fixé dans la loi, pourrait être une première réponse afin de mettre un cran d’arrêt à la spirale à la baisse des salaires. L’introduction du principe du «licencieur payeur» impliquerait la mise en place d’un droit de veto des salariés et des syndicats en cas de licenciements collectifs. Ce sont là des exigences très élémentaires. Existe-t-il aujourd’hui mouvement collectif à même de l’imposer? En 1886, Eugène Pottier, écrivait, après l’écrasement sanglant de la Commune de Paris en mai 1871, un poème, devenu chanson, dont le refrain ne manquera certainement pas de résonner aujourd’hui aux oreilles de ceux qui dirigent ce monde … «tout ça n’empêche pas Nicolas, qu’la Commune n’est pas morte » !
Publications de l’auteur:
Manifester: vos droits, Jean-Michel Dolivo, Christophe Tafelmacher, Editions d’en bas, 80p. 2003.
Voies clandestines, Stefano Boroni, Jean-Michel Dolivo, Beatriz Rosende, avec le Collectif de soutien aux Sans-papiers, Editions d’en bas, 148 p. 2003.
Vos droits au travail, Le guide juridique des salarié(e)s, Christian Bruchez, Odile Cavin, François Contini, Jean-Michel Dolivo, Catherine Jaccottet Tissot, Daniel Perdrizat, Bon à savoir, 2004.