Fabio Perocco
1. Introduction
Il ne fait aucun doute que parmi les processus sociaux qui ont caractérisé la scène mondiale au cours de la dernière décennie figurent la mondialisation des politiques migratoires restrictives, sélectives et répressives, la généralisation de discours et pratiques anti-immigrés avec plusieurs États qui rivalisent pour aggraver les conditions de migration et les conditions de vie des populations immigrés. A tel point qu’il n’est pas exagéré de dire que ces dix dernières années, une phase particulière, marquée par la guerre aux émigrants et aux immigrés, s’est ouverte : l’ère du multiculturalisme est terminée, le néo-assimilationnisme s’est éclipsé, et aujourd’hui le rejet et l’exclusion prévalent. Cette phase, que nous pouvons définir comme « trumpienne » malgré son début avant Trump, est le résultat de la maturation après 2008 des tendances et des éléments déjà présents dans la première décennie du nouveau millénaire ; elle se développe dans le contexte de la radicalisation des politiques néolibérales comme réponse à la grande crise de 2008, évolue dans le contexte de la société de la crise structurelle et de la double crise – sociale et environnementale – de la civilisation de l’argent (Gallino, 2015; Basso, Chiaretti, 2018), dans laquelle s’est produit un élargissement violent et une exacerbation des inégalités globales et internes aux Etats.
La guerre de l’Europe (je me réfère ici à ce contexte) contre les émigrants du Sud du monde est la guerre contre les pauvres des continents noirs, rendus pauvres par le colonialisme et le néo-colonialisme. À travers une myriade de règlements, protocoles, accords, circulaires, lois, mémorandums et traités (publics et secrets), les pays européens le super-état Union Européenne ont donné un visage grognant à Schengen, en définissant les caractéristiques et les instruments d’une politique migratoire qui restreint effectivement le mouvement migratoire (en particulier celui dit « économique »). Le chemin commence avec le processus de Rabat de 2006 pour aboutir à la fermeture totale d’aujourd’hui par le biais du processus de Khartoum (2014), des accords de Malte (2015), du traité avec la Turquie (2016), du mémorandum Italie-Libye (2017) et des pactes spéciaux ultérieurs. C’est une politique caractérisée par le renforcement des frontières, la fermeture et la militarisation très strictes des frontières, le déplacement des frontières dans les pays d’origine et l’externalisation des contrôles (externalisation des frontières en Afrique), la création de camps de détention pour les migrants dans les pays d’origine ou de transit, les rejets individuels et collectifs en mer et par terre, l’aggravation absolue de la voie migratoire qui est donnée aux mains du crime organisé causant des naufrages d’État, l’illégalisation des migrants (en correspondance avec l’avènement de nouvelles formes plus radicales de précarité structurelle, même pour les autochtones), la privatisation du droit international et l’implication de sujets privés dans la soi-disant « gouvernance » des mouvements migratoires (Gjergji, 2016).
Dans cette phase et dans cette dynamique, l’Italie a joué un rôle de premier plan, soit en suivant activement le double processus de convergence descendante des politiques migratoires et de marginalisation des immigrés, soit en anticipant ce processus par des mesures spécifiques telles que la loi 94/2009 (le « paquet sécurité »), le blocage des entrées régulières (avec la suppression de facto des décrets-flux), la circulaire sur le libre travail (voluntary work) des demandeurs d’asile, les accords Italie-Libye, le bannissement des Ong, mais surtout avec la loi 132/2018 (et le décret-loi 53/2019 qui en découle, dit « décret sécurité-bis »).
La loi 132/2018 (communément appelée « décret de sécurité ») représente un bond en avant dans le processus de renforcement des politiques migratoires punitives, à tel point qu’il existe une opinion répandue selon laquelle elle représente d’une certaine manière la fin de l’asile en Italie. Il faut toutefois souligner qu’il ne s’agit pas d’un éclair venu de nulle part, d’un accident de parcours fortuit : il s’inscrit dans la continuité des législations nationales antérieures sur l’immigration ; c’est la énième étape du processus de précarisation et d’infériorisation des immigrés qui a caractérisé l’histoire de l’immigration étrangère en Italie au cours des dernières décennies ; ce sont les extrêmes d’un processus d’exclusion et de criminalisation des immigrés qui dure depuis des décennies et qui se concentre aujourd’hui principalement sur les demandeurs d’asile et le système d’accueil. C’est la double thèse de cet article, dans lequel dans la première partie je reconstruis l’évolution et les caractéristiques de la politique migratoire italienne, tandis que dans la deuxième partie j’analyse la loi 132 : d’une part cette loi fait un véritable bond en avant dans la préparation de mesures franchement punitives introduisant de nouveaux éléments, d’autre part elle est le point extrême d’un long processus de dévalorisation des immigrés. Ce faisant, je suis attentif à la dynamique sociale générale car l’immigration n’est pas un phénomène en soi, distinct du reste de la société : comme on le verra, cette loi est effectivement le point culminant (actuel) de la guerre contre les immigrés, mais en même temps elle criminalise la pauvreté et le malaise social, réprime la dissidence sociale, limite les droits de tous, touche tous les travailleurs autochtones et immigrés, les classes ouvrières (la classe-qui-vif-du travail, utilisant une expression de Ricardo Antunes).
2. Les racines de l’exclusion
En Italie, dans le courant des dernières années, une inégalité raciale liée à l’immigration (liée au facteur d’être immigré dans un pays étranger) s’est formée et est venue s’ajouter aux inégalités de classe, de genre, de territoire et de générations.
Elle est le fruit du système de discriminations qui touche structurellement tous les aspects de la vie des immigrés et du système des rapports sociaux existant entre la société italienne et les populations immigrées ; elle résulte, en particulier, de l’action combinée d’au moins trois structures de stratification sociale – le marché du travail, le système juridique, les médias – dont la logique a abouti à l’infériorisation et à la ségrégation. Cette inégalité, qui touche les populations immigrées de manière variable, a vu s’opérer des mécanismes générateurs spécifiques, tels que la sélection des populations immigrées, la précarisation et l’exploitation différentielle des travailleurs immigrés, la création d’un droit spécial, la stigmatisation systématique dans les discours publics. Cette inégalité est multidimensionnelle, du fait qu’elle concerne toutes les facettes de la vie sociale des immigrés, du travail à la santé, des conditions de logement aux conditions scolaires, des images publiques à la condition juridique (Istat, 2018 ; Saraceno et al., 2013), mais aussi au niveau de la mort et après la mort (Cattaneo, 2018). L’un des moteurs permanents de ce processus – alimenté continuellement par le « racisme ordinaire » (Balbo et Manconi, 1990) qui règne dans la société italienne et la montée irrésistible du racisme institutionnel de ces deux dernières décennies (Basso, 2010, 2016) – est l’inégalité au niveau des droits produite par les politiques adoptées vis-à-vis de l’immigration au fil du temps.
2.1 Droits inégales, vers le soft-apartheid.
Jusqu’en 1990 – année de promulgation de la loi n° 39 sur le placement des travailleurs étrangers et année durant laquelle une politique d’immigration commence conventionnellement[1] – la référence normative principale a été le « Texte unique des lois de sécurité publique », datant de 1931, qui assimilait la présence de l’étrangère à celle d’un ennemi intérieur, dans une optique sécuritaire et de contrôle. En plus d’avoir constitué une référence importante pour l’administration publique pendant une certaine période de temps, certains éléments du Texte unique sont évoqués dans les lois sur l’immigration durant les décennies qui ont suivi – au niveau du contenu ou au niveau formel)[2].
On a cependant intégré le cadre réglementaire – largement déficitaire par rapport à la nouvelle réalité – par la publication d’innombrables circulaires administratives qui, de facto, ont représenté pour la public administration les principales références légales[3]. En tant que normes de second rang, dispositions internes aux ministères et à l’administration publique qui ne sont pas des sources du droit, les circulaires administratives n’offrent pas une direction politique générale et laissent une bonne marge d’interprétation, d’appréciation et de libre-arbitre quant à leur application ; néanmoins, la place qu’on leur a accordée a entraîné un processus d’ « administrativation de la politique migratoire » (Gjergji, 2013a, 2013b), qui prévaut encore aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne la question des demandeurs d’asile. Le résultat est que la vie des immigrés a été et est fortement conditionnée par la pléthore de circulaires administratives qui sont produites quasi quotidiennement par les divers ministères.
La loi 39/1990[4] – véritable expression de fermeture envers l’immigration – a mis sur pied une politique migratoire qui a institutionnalisé la clandestinité et l’infériorité sociale des immigrés et constitué l’épine dorsale des lois et des dispositions qui ont suivi.
Cette loi a introduit un mécanisme de contingentement des travailleurs immigrés par l’établissement d’un décret flux triennal ou annuel fixant le nombre d’entrées sur le territoire pour motifs de travail ; sauf que, durant les premières années, il n’a pas été promulgué ou a été rendu inopérant par des quotas nuls, puis, les années suivantes, par des quotas très bas ayant contraint la grande majorité des immigrés à emprunter la voie du travail irrégulier (Reyneri 1998, 2001; Caritas – Emn, 2005) et de l’immigration « irrégulier ».
L’outil de gestion des entrées mis en œuvre par cette loi est le mécanisme de l’appel nominatif, qui posait comme condition d’entrée sur le territoire italien l’existence d’un contrat de travail signé préalablement entre l’employeur et le travailleur étranger dans son pays d’origine. Ce mécanisme s’est révélé être totalement inadapté à un système de production tel que le système italien, qui se caractérise par des petites et moyennes entreprises (PME)[5], une forte croissance du tertiaire peu qualifié, une grande économie souterraine[6], mais il a joué un rôle fondamental dans les processus de clandestinisation des immigrés et d’informalisation de l’économie en plein essor au niveau mondial.
Cette loi, qui a accompagné la troisième régularisation (220.000 demandes acceptées), a prévu que les démarches pour obtenir l’autorisation d’entrée sur le territoire soient entreprises par l’employeur, un principe devenu l’axe central de la politique migratoire et des lois sur l’immigration qui ont suivi: en vertu de la loi sur l’immigration n° 189 de 2002, l’employeur est la seule personne habilitée à demander un permis de séjour pour un immigré, la seule personne ayant la faculté et le droit individuel de présenter une demande de permis de séjour – l’immigré n’a pas cette faculté et il n’est pas considéré comme un sujet de droit, mais plutôt comme l’objet d’actes d’autrui.
Ces points-clé de la loi 39, repris et renforcés par les lois qui ont suivi, ont eu des conséquences bien négatives sur les parcours professionnels et sociaux des immigrés, réduits à la condition de sans-papiers dans l’attente d’une régularisation ou d’un décret flux (qui n’est autre qu’une régularisation déguisée puisqu’il régularise les immigrés déjà présents sur le territoire) pour officialiser leur statut. La plupart des immigrés ont dû et doivent encore aujourd’hui franchir un véritable parcours d’obstacles pour sortir petit à petit de la clandestinité forcée et aboutir à un emploi régulier, en obtenant à chacune des étapes une part de droits, un petit brin de citoyenneté sociale, un peu de stabilité (Cillo, 2011; McKay et al., 2011).
Ensuite, la loi-cadre de 1998 sur l’immigration n° 40 (Einaudi, 2007 ; Morozzo Della Rocca 2008 ; Zincone 2001)[7], qui considère l’immigration comme un élément structurel de la société italienne, se présente comme une réglementation organique, contient d’importants chapitres concernant l’intégration et les aspects sociaux et culturels (famille, école, langue, santé, etc.) ; mais, dans son ensemble, elle a eu pour effet d’engendrer des travailleurs liés au rôle socialement défini de « travailleurs subalternes » et d’institutionnaliser deux catégories d’immigrés, les « réguliers » et les « irréguliers », qui se différencient quant à leurs droits.
Elle a établi un lien entre permis de séjour, travail et logement, en institutionnalisant le modèle d’insertion basé sur la clandestinisation et la précarité socioprofessionnelle qui s’était développé dans les années précédentes, et a lié l’exercice des droits sociaux au statut migratoire. Dans la continuité de la loi 39, elle a inscrit noir sur blanc les pratiques sociales en vigueur et confirmé que la condition de clandestinité est un passage obligé pour les travailleurs immigrés, que leur régularisation ne peut avoir lieu que plus tard et selon la volonté discrétionnaire de l’employeur, ce qui entraîne une forte dépendance du travailleur vis-à-vis de son employeur. Elle a augmenté les chances que les immigrés titulaires d’un permis de séjour retombent dans l’irrégularité s’ils ne sont pas à même de satisfaire les conditions requises pour son renouvellement (Caritas et Emn, 2005 ; Palidda et Dal Lago, 2002) et au même temps elle a institué les centres de rétention et l’expulsion administrative ; le système des quotas garantis et le mécanisme de l’appel nominatif mis en place a subordonné l’entrée légale des immigrés sur le territoire aux exigences à court terme du marché du travail.
En outre, elle a produit une fragmentation des typologies de permis de séjour et une pluralisation de leur durée, qui a donné lieu à une stratification du statut juridique des immigrés, à l’origine des nombreuses catégories porteuses de droits différenciés. C’est cette différentiation qui est à la base de la hiérarchie de la précarité et de la « stratification civique » (Morris, 2003) existant aujourd’hui au sein des populations immigrées.
2.2 Précarisation et criminalisation.
Dans les années deux mille, la politique migratoire s’est caractérisée par un double processus de profonde précarisation et criminalisation des immigrés, en particulier par l’application de politiques sélectives, restrictives et punitives.
La loi n° 189 de 2002 (Basso, 2004, 2014; Einaudi, 2007; Morozzo Della Rocca, 2008)[8], symbolisée par le slogan politique « immigration zéro » et basée sur la redéfinition dans un sens restrictif des conditions de séjour par l’établissement du contrat de séjour, a engendré une immigration à zéro droits, prise dans l’étau du chantage et dont l’issue ne tient qu’à un fil, prête à tout plutôt que de retomber dans la clandestinité . Elle repose sur le principe que le séjour doit impérativement être subordonné à un emploi, à l’existence d’un rapport de travail, comme seul et unique élément susceptible de légitimer la légalité du séjour, dans une véritable optique de jus laboris. Cette approche, qui s’est concrétisée par l’établissement d’un lien strict entre travail, permis de séjour et logement, a été un modèle de politique migratoire pour l’Europe et s’est révélée dans la pratique être un puissant facteur de production institutionnelle de clandestinité de masse; cette loi, qui déclarait vouloir combattre la clandestinité, l’a en revanche elle-même engendrée, pour ensuite la criminaliser.
Les nombreuses dispositions contenues dans cette loi ont entraîné une restriction des droits des immigrés[9], dont la grande majorité ont souffert une condition de très forte précarité régie par la loi et accentuée par l’interaction avec les normes en matière de libéralisation du marché du travail (Basso, 2004; Cillo et Perocco, 2015; Ciniero 2013). Elle a réduit les possibilités d’entrée légale sur le territoire italien et accentué l’instabilité du séjour par le risque, concret et permanent, d’une rechute dans l’irrégularité ; elle a entraîné une très forte dépendance des travailleurs immigrés vis-à-vis de leurs employeurs et a conditionné l’exercice des droits sociaux à la validité du contrat de travail ; elle a exalté les vieux aspects sécuritaires des lois en la matière et en a établi de nouveaux, en durcissant la répression contre les immigrés sans-papiers. Ainsi a-t-elle donné de l’élan et une direction particulière au processus de formation d’un droit spécial réservé aux immigrés. Elle a officialisé ce que les lois précédentes, les circulaires administratives, les pratiques de l’administration publique avaient produit durant les décennies passées, à savoir statué qu’il existe bien une condition d’infériorité juridique, politique et sociale des immigrés.
Durant cette période, la politique migratoire italienne a repris et réaffirmé l’expérience du Gastarbeiter (travailleur hôte), en liant la durée du permis de séjour à la durée du contrat de travail. On a réduit les durées maximales des permis de séjour, encouragé les entrées sur le territoire pour travail temporaire et saisonnier pour satisfaire la demande de main-d’œuvre au coup par coup dans les secteurs caractérisés par des activités saisonnières et pour décourager la stabilisation des immigrés, entravé le regroupement familial par un resserrement des conditions (Della Puppa, 2017), ce qui a favorisé l’immigration d’individus seuls sans leurs éventuelles familles, de ce fait peu insérés et très mobiles. Ce « retour du Gastarbeiter »[10] a cependant eu lieu dans un contexte de capitalisme flexible – et tout ce qui en découle en termes de fragmentation, polarisation et précarité – et dans une conjoncture de stagnation économique qui a ensuite évolué en une véritable crise. Ainsi partagés entre une condition de rigidité due aux normes en matière d’immigration et une condition de flexibilité due aux normes du marché du travail, les immigrés sont donc devenus des guestworkers au sein d’une période de stagnation économique, de recrudescence du chômage, de croissance de la précarité et d’affaiblissement du mouvement des travailleurs.
La politique migratoire de ces dix dernières années s’est ultérieurement durcie et a acquis une dimension très nettement raciale (Basso, 2010). L’achèvement de ce processus est représenté par la loi n° 94 de 2009 (« Dispositions en matière de sécurité publique »), qui a réalisé un véritable saut de qualité, même au niveau de la culture juridique.
La cascade de discriminations légales et les nombreuses mesures punitives mises en œuvre par les organes centraux et locaux ont conduit à une profonde inégalité des droits (Ferrero, 2010; Gjergji, 2014), qui ne manque pas d’exemples révélateurs : la circonstance aggravante de la clandestinité dans les délits commis par des immigrés sans permis de séjour[11] ; les décisions municipales et les dispositions nationales contre les pauvres (en réalité, contre les Roumains), en vertu desquelles la possibilité d’être domicilié dans une commune est subordonnée à un revenu minimum; le recensement « ethnique » des Roms ; le fichage des SDF ; la réduction des conditions d’octroi du regroupement familial[12] ; la taxe augmentée sur le permis de séjour ; l’allongement des délais de permanence jusqu’à six mois dans les centres d’identification et d’expulsion ; l’impossibilité pour les immigrés sans-papiers d’obtenir toute autorisation, certification ou mesure administrative, y compris les prestations sociales[13] ; l’obligation pour les médecins, les enseignants et tout le personnel de la fonction publique de signaler aux forces de police les immigrés sans-papiers. Tout ceci a eu pour effet de placer l’immigration dans une situation de clandestinité sociale, de précarisation totale, symbolisée par l’introduction du permis de séjour à points, un système de crédits que l’on accumule durant la période de validité du permis de séjour (grosso modo, une sorte de jeu de l’oie).
À cela est venu s’ajouter le retour de l’assimilationnisme, qui a de plus en plus caractérisé les politiques migratoires italiennes et le discours publique comme autres pays d’Europe, visant une adaptation maximale des immigrés aux conditions auxquelles ils sont astreints (dans le domaine de l’emploi, du logement, des droits, etc.). L’offensive anti-immigrés sur le plan de la législation et de la propagande – servant à presser et à contrôler plus profondément et plus facilement la main d’œuvre immigrée – a soutenu les politiques publiques caractérisées par un mélange d’éléments identitaires et sécuritaires, visant à décourager l’enracinement social et à encourager les migrations temporaires, fluctuantes, en accord avec la demande de main-d’œuvre au coup par coup (Gjergji, 2016). On a imposé à ces nouveaux Gastarbeiter de se conformer et de s’assimiler même si leur présence n’est que provisoire et temporaire. Les politiques migratoires, de nombreuses forces sociales, les campagnes d’opinion, les discours publics, ainsi que les mille dispositions des administrations locales, ont tracé pour les immigrés un parcours fait de exclusion et d’assimilation, de provisoire et d’adhésion forcée.
Récemment, le caractère sécuritaire et punitif de la politique migratoire a été confirmé par les décisions prises dans le domaine de la protection international et de l’accueil des demandeurs d’asile, qui ont abouti à la loi n° 46/2017 convertissant le décret-loi n° 13 du 17 février 2017 intitulé « Dispositions urgentes pour l’accélération des procédures en matière de protection internationale ».
Ce décret – né en même temps que le décret-loi sur la sécurité et le décor des villes (n° 14 du 20 février 2017)[14] – introduit la généralisation de l’Hotspot approach[15] et implique plusieurs changements procéduraux et substantiels. Il prévoit la modification de la première instance de jugement dans les affaires de protection internationale, notamment le remplacement de la « procédure sommaire d’instruction » par une procédure sans audience en chambre du conseil[16], ce qui supprime la publicité du jugement, le débat contradictoire oral, la possibilité pour le juge de poser des questions au demandeur d’asile ayant formé un recours. Il prévoit la suppression du droit d’appel sur le fond dans les affaires de protection internationale, c’est-à-dire l’abolition d’un second degré de jugement pour les demandeurs d’asile ayant fait recours contre un rejet (une véritable exception pour ce qui est des droits individuels, protégés par la Constitution italienne, qui prévoit deux degrés de jugement). Il introduit l’établissement dans les cours d’appel de « sections spéciales » consacrées aux demandes d’asile et aux rapatriements ; il établit l’extension du réseau des centres de rétention pour immigrés sans-papiers qui s’appellent dorénavant « centres de permanence pour le rapatriement », dans la perspective, pour le législateur, d’une augmentation du taux d’expulsion. Il prévoit l’extension du statut d’officier public au responsable du centre de rétention ou de la structure d’accueil pour toute signification au demandeur d’asile. Il introduit le bénévolat d’utilité sociale, comme manifestation de bonne volonté à s’intégrer (pour obtenir la protection internationale) et comme forme d’indemnisation envers l’État pour l’accueil que le demandeur d’asile reçoit (Pasqualetto, 2017).
Dans ce cadre, la loi 132 du 2018 constitue le prolongement et l’aggravation d’une longue politique migratoire caractérisée par précarisation, exclusion et criminalisation des immigrés. En particulier, elle réduit les droits et les garanties des demandeurs d’asile, limite fortement le droit d’asile, au point qu’on pourrait affirmer que la fin de l’asile est en train de devenir réalité en Italie.
3. La loi n° 132/2018: fin du droit d’asile?
La loi 132 « Dispositions urgentes en matière de protection internationale et d’immigration, de sécurité publique » s’occupe de plusieurs aspects liés à l’immigration et à la sécurité publique, cependant, son noyau central concerne les demandeurs d’asile et leur accueil, en faisant véritablement un saut vers l’exclusion et la discrimination de ce groupe social.
Premièrement, elle prévoit une aggravation de la rétention et de la détention administrative, à travers deux éléments. Le premier introduit une nouvelle forme de détention administrative pour les personnes qui demandent une protection internationale: elles peuvent être soumis à une détention pour la détermination ou le contrôle de l’identité ou de la nationalité pouvant durer jusqu’à 30 jours[17] dans des hotspots ou dans des centres gouvernementaux de premier accueil[18]; si la détermination de l’identité ou de la nationalité n’est pas possible, la détention peut se poursuivre dans un Centre de Permanence pour le Rapatriement jusqu’à 180 jours. Cette forme d’enfermement peut aussi être appliquée aux mineurs qui font partie d’un noyau familial dont les parents sont soumis à une détention. Pratiquement, le demandeur de protection internationale est accueilli avec une chaleureuse bienvenue de 210 jours de détention administrative uniquement pour la détermination de l’identité – sans avoir commis aucun délit. En revanche, le deuxième élément prolonge le délai de la période maximum de détention de l’étranger en phase d’expulsion au sein des Centres pour le Rapatriement, en l’augmentant de 90 à 180 jours.
Cette aggravation de la détention administrative de l’étranger est le stade le plus avancé d’un phénomène pluri-décennal qui a caractérisé la politique migratoire de l’Italie et d’autres pays européens (Campesi, 2013 ; Ceccorulli et Labanca, 2014). En même temps, il fait partie d’un processus global: l’élargissement de la détention administrative est un phénomène général qui implique plusieurs pays dans le monde, au point de parler d’une véritable globalisation de la détention administrative, qui se situe dans le modèle de gestion de la dissidence et de contrôle des classes populaires dans l’ère néo-libérale et dans la société de la crise structurelle.
Deuxièmement, cette loi abolit la protection humanitaire. La législation précédente prévoyait la délivrance d’un permis de séjour pour des motifs humanitaires qui, en Italie, a été la modalité principale pour obtenir un permis pour protection en défense des personnes en fuite de pays frappés par la guerre, des catastrophes naturelles, des persécutions politiques. Le permis de séjour pour des motifs humanitaires est remplacé par des permis de séjour pour « cas spéciaux » (protection sociale, victimes de violence domestique ou d’exploitation grave par le travail), soins médicaux, calamités naturelles, acte particulier de valeur civique, protection spéciale (par ex. risque de persécutions et de torture dans le pays d’origine), cependant, ces cas ne couvrent pas toutes les situations et les hypothèses qui étaient garanties par la protection humanitaire[19].
En effet, cette dernière constituait l’application directe de l’art. 10, 2ème alinéa et 3ème alinéa, de la Constitution italienne, pour garantir le respect des obligations internationales et constitutionnelles de la part de l’Etat italien; avec son élimination, il n’est plus tenu compte – en cas de rapatriement – du cas où le demandeur d’asile est interdit d’exercer les libertés démocratiques prévues par la Constitution italienne et les droits garantis au niveau international, ou bien s’il risque des traitements dégradants dans son pays d’origine.
L’abolition du permis de séjour pour des motifs humanitaires, principale et dernière porte d’entrée en Italie (vu que l’entrée pour motif de travail à travers le décret-flux est très limitée), concrétise le cri « stop aux immigrés! » qui a marqué le discours politique et médiatique de ces dernières années. Vu que le pourcentage de rejet à la demande d’asile est très élevé, la plupart de ceux qui n’obtiennent pas une protection internationale se retrouvent dans la condition de sans-papiers et se voient dans l’obligation d’affronter un parcours jonché d’obstacles « clandestinité forcée – régularisation au niveau du travail – régularisation administrative» décrite précédemment. Pour ce motif, les demandeurs d’asile constituent la composante la plus écrasée et vulnérable de l’immigration, la réserve de l’armée industrielle de réserve exploités dans les campagnes, dans la construction, dans les services peu qualifiés, dans l’économie souterraine – qui demande constamment les travailleurs à bon marché, avec peu de droits, obligés d’accepter n’importe quelle condition, fournisseurs de l’élément le plus demandé par le marché du travail: la disponibilité totale.
Troisièmement, la loi élargit les cas de délits qui, lors d’une condamnation définitive, déterminent le refus de la demande de protection internationale ou la révocation du statut de réfugié et de la protection subsidiaire[20]. Parmi les nouveaux cas de délit (avec condamnation définitive), on prévoit la violence ou la menace sur les officiers publics : mais cela représente une peine disproportionnée par rapport à la possibilité de retourner dans des pays où le sujet peut être persécuté et où il pourrait subir des tortures ou des traitements inhumains.
Ensuite, la loi introduit un nouvel élément contrastant l’entrée en Italie: la condamnation pour le délit de ne pas avoir obtempéré à l’ordre de dispersion d’une manifestation ou d’un rassemblement. Encore un fois, il s’agit d’une peine excessive, mais la volonté de briser et de neutraliser, à l’avance, la subjectivité, l’organisation et la résistance des émigrants semble évidente.
Quatrièmement, toujours en matière de demande d’asile, la loi introduit d’autres obstacles qui réduisent les possibilités de concession de la protection internationale.
Tout d’abord, la « liste des pays d’origine sûrs », rédigée par le Ministère des Affaires Etrangères, a été introduite, sur base de critères et d’informations spécifiques. Si le demandeur provient d’un pays présent dans la liste, il doit démontrer que son pays n’est pas sûr[21] et, que dans tous les cas, sa demande est traitée prioritairement avec une compression des garanties procédurales. Puis, le principe de l’ « alternative de fuite interne » est introduit : en clair, la possibilité de rejeter la demande de protection est prévue si le demandeur d’asile peut être rapatrié dans une zone différente de son pays d’origine (considérée comme sûre) par rapport à celle qu’il a fui.
Ensuite, des nouveaux cas sont prévus pour qualifier une demande d’asile comme demande manifestement non fondée (et qu’elle ne donne pas droit à d’autres formes de protection). Les demandes présentées par les sujets suivants sont considérées comme non fondées: citoyens de pays d’origine considérés comme sûrs; personnes qui ont délivré des déclarations incohérentes; personnes qui ont fourni des informations fausses ou de faux documents d’identité ou qui ont détruit leurs documents d’identité; personnes qui ont refusé de donner leurs empreintes digitales; personnes qui se trouvent dans une situation d’expulsion administrative ; personnes qui représentent un danger pour la sécurité et l’ordre public; étrangers rentrés en manière irrégulier ou qui sont restés sans motif valable en Italie et qui n’ont pas présenté de demande de protection internationale en temps utile. En ce qui concerne ce dernier point, prévoir l’entrée irrégulier en Italie comme un cas de manque de fondement en vue du rejet de la demande d’asile est un véritable acte d’exclusion préventive, car la majeure partie des demandeurs d’asile rentrent « irrégulièrement ». Sur base d’une longue campagne de matraquage au moyen de laquelle le discours public dominant a défini les émigrants comme étant « tous clandestins », la nouvelle loi a fait devenir cette condition un élément d’exclusion a priori. Ce retournement de la relation entre la cause et l’effet (« tous dehors, car ils sont tous clandestins! ») est le résultat d’un long processus politique et idéologique qui a été soutenu par la montée formidable et irrésistible du racisme institutionnel en Italie et en Europe (Basso 2016).
3.1 A l’écart: le démantèlement du système d’accueil.
Comme le souligne Algostino (2018), non seulement cette loi dresse des murs pour les personnes qui veulent arriver ou, sont à peine arrivées, en Italie et qui s’apprêtent à faire une demande d’asile: elle met aussi à l’écart celles qui sont déjà présentes depuis un certain temps et qui ont déjà présenté une demande d’asile. Elle aggrave les conditions des réfugiés et des demandeurs d’asile à travers la désarticulation du système d’accueil ; en particulier elle démantèle partiellement le système national de d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés (Sprar, redénommé Siproimi[22]), qui est destiné à accueillir uniquement les sujets avec le statut de réfugiés ou la protection subsidiaire[23] et les mineurs étrangers non accompagnés, en excluant les demandeurs d’asile et les titulaires de protection humanitaire qui perdent le droit au première accueil[24]. D’un point de vue financier, la loi réduit fortement les ressources financières destinées au système d’accueil, en provoquant une aggravation des conditions de vie des émigrants (dont une partie est en train de sortir du système d’accueil diffus et retourne dans les grands centres d’accueil ou bien tombe dans la clandestinité) et des conditions de travail des opérateurs sociaux (dont plusieurs d’entre eux perdent leur emploi)[25]. Cependant, le fonds pour les rapatriements est augmenté et passe de ½ milliard d’euros en 2018 à 1,5 milliard d’euros pour l’année 2019 et l’année 2020.
Cette loi favorise un modèle d’accueil pour les demandeurs d’asile et les titulaires de protection humanitaire qui les isole et les regroupe en ghetto, basé sur des centres de grandes dimensions (centres-dortoirs) pourvus seulement de quelques services essentiels. En effet, ils peuvent être accueillis uniquement dans des Centres d’Accueil Extraordinaire (CAS) et dans des Centres de Premier Accueil (CPA) qui, très souvent, étaient déjà pauvres et dépourvus de services sociaux, linguistiques[26], de formation, d’orientation professionnelle et de protection juridique.
Pratiquement, une distinction (juridique, social et symbolique) est faite entre les demandeurs d’asile et les titulaires de protection humanitaire respect aux réfugiés : ceux-ci sont placés dans une zone d’attente, dans un contexte qui ne prévoit aucune procédure d’insertion sociale. Les aides et les interventions en faveur de l’inclusion sociale de demandeurs d’asile et de titulaires de protection humanitaire sont très réduites.
Il ne s’agit certainement pas d’une erreur de distraction ou d’un manque de préparation: c’est une politique volontaire qui veut bloquer toute forme, même initiale, d’enracinement social, d’insertion sociale, et qui au même temps lance un message avec plusieurs destinataires : les demandeurs d’asile (« vous êtes à peine tolérés, présents seulement physiquement en Italie et il n’y a aucun engagement pour vous de la part de l’Etat italien »), tous les immigrés (« faites attention et filez droit, nous vous surveillons et votre condition peut s’empirer à tout moment »), les italiens qui se sentent flattés à l’idée de recevoir un traitement spécial (« vous, vous êtes différents et vous bénéficiez d’un traitement spécial, ne vous mêlez pas à ces gens »).
Cette politique d’exclusion est symbolisée par les dispositions en matière d’inscription au registre de la population[27], qui, en Italie, est nécessaire pour la délivrance du certificat de résidence et de la carte d’identité – documents nécessaires pour bénéficier de services publics (services sociaux, logement social, concession de subsides, etc.) ou pour l’octroi de prestations et de services de la part de sujets privés (employeur pour le contrat de travail, propriétaire d’immeuble pour le contrat de location, auto-école pour le permis de conduire, banque pour l’ouverture d’un compte bancaire). La loi prévoit que le permis de séjour pour la demande d’asile, malgré qu’il soit valable comme document de reconnaissance de l’identité, ne peut pas être utilisé comme document pour la demande d’inscription au registre de la population. En théorie, le demandeur d’asile peut obtenir l’inscription au registre de la population en présentant un autre document en mesure de démontrer le séjour régulier[28], toutefois, l’inscription est soumise au pouvoir discrétionnaire des Municipalités. La législation italienne devrait garantir aux demandeurs d’asile l’accès aux services publics en vertu du domicile déclaré au moment de la demande de protection internationale, mais l’absence d’inscription au registre de la population peut comporter le refus d’octroyer des services de la part de l’Administration publique et des sujets privés. Même si les demandeurs d’asile sont des étrangers qui séjournent régulièrement, ils peuvent voir refuser l’inscription au registre de la population communale, avec de lourdes conséquences sur la vie de tous les jours (accès au médecin généraliste ; inscription à l’école non obligatoire, aux listes pour l’école maternelle et la crèche, aux centres de l’emploi ; l’ouverture d’un registre de commerce).
Cette loi fait une distinction entre les demandeurs d’asile et tous les autres étrangers, en les excluant d’un droit fondamental, d’un droit subjectif inconditionné : elle pénalise une catégorie spécifique qui subit un traitement différent par rapport au reste des étrangers sur base du type de permis de séjour. Cet énième cas de différenciation juridique et de stratification des droits au sein du monde de l’immigration fait partie di système d’assujettissement, de contrôle et d’exploitation des immigrés. Cette lois crée une catégorie de sujets avec moins de droits, en offrant au marché du travail des personnes à genoux, fortement exploitables ; tout ceci brise les processus de partage et d’intégration réciproque, en pulvérisant les formes de solidarité et d’échange entre les immigrés, ainsi qu’entre les immigrés et les populations locales.
4. Conclusion
Comme nous l’avons vu, la loi 132/2018 constitue un bond en avant dans la guerre contre les émigrants et les immigrés, avec la mise en place de nouveaux dispositifs discriminatoires inédits. Mais en même temps, elle s’inscrit dans un long processus matériel, politique, idéologique et normatif d’exploitation et d’infériorisation des immigrés. Elle contient de nombreux éléments de nouveauté mais aussi de continuité avec la politique migratoire italienne qui dure depuis des décennies et avec le système d’assujettissement des immigrés qui a été structuré au fil du temps.
A la lumière de ce qui est exposé ci-dessus, pour le contexte italien, pouvons-nous parler de nouvelles politiques d’exclusion des immigrés ? En grande partie, non, car la loi 132/2018 s’inscrit dans un long processus matériel, politique, normatif et idéologique d’exploitation et infériorisation de l’immigration; en effet, elle contient de nombreux éléments de continuité avec la politique migratoire italienne pluri-décennale et avec le système d’asservissement des immigrés qui, à la longue, s’est structuré dans le pays. Oui, dans une petite mesure, car elle représente un saut de qualité dans la guerre à l’immigration, avec la prévision de nouveaux dispositifs franchement discriminatoires.
De plus, il est nécessaire de souligner la portée de cette loi, qui ne concerne pas seulement les demandeurs d’asile, mais aussi tous les immigrés et toutes les classes populaires en général. Elle prévoit que le citoyen italien d’origine étrangère qui a acquis la nationalité italienne risque de la perdre à la suite d’une condamnation pour de graves délits ; elle étend à 4 ans le délai d’examen de la demande pour obtenir la citoyenneté italienne (puisque en Italie on peut obtenir la citoyenneté après 10 ans de permanence, l’étranger peut l’obtenir après 14 ans) ; elle se meut dans une optique de répression du dissentiment, du malaise et du conflit social, de criminalisation de la pauvreté et de l’exclusion, en interdisant des piquets de grève et des rassemblements, en prévoyant le délit pénal de blocage routier[29], l’aggravation des peines en cas d’occupation d’édifices et de terrains, l’expulsion des pauvres et des mendiants des villes au nom du décorum urbain.
Comme on le voit pour la énième fois, la réduction des droits des immigrés est parallèle à la réduction des droits de tout le monde, autochtones y compris. Le destin commun des travailleurs immigrés et des travailleurs autochtones est confirmé par cet état de fait. Ces politiques et discours sur l’immigration ont de plus vastes conséquences que le simple aspect auquel ils font formellement référence (dans ce cas les demandeurs d’asile). Elles ont des retombées sur toutes les populations immigrées, mais aussi sur les populations autochtones qui – sauf mise en œuvre de contre-mesures – s’intoxiquent de racisme et sont incitées à creuser un fossé insurmontable et totalement contre nature entre elles et les populations immigrées. La criminalisation des immigrés (et la criminalisation de la solidarité aux immigrés) empêche et brise les relations et les nouvelles solidarités qui naissent dans les lieux de travail désormais entièrement multinationaux ou dans les lieux de plus en plus globaux du quotidien. Convaincus comme ils sont d’occuper une place privilégiée dans l’échelle sociale et de bénéficier d’un traitement de faveur de la part de l’État, les autochtones sont incités à tenir les immigrés «à bonne distance» et à les surveiller. Dans ce sens, le discours sur l’immigration – qui est de fait un discours raciste et de guerre contre les immigrés – concerne toute la classe laborieuse, la classe-qui-vif-du-travail; il interroge le travail et l’antiracisme, qui sont appelés à contre-attaquer point par point, mais aussi à garder uni ce que d’autres voudraient séparer, à souligner que l’immigration concerne le monde du travail tout entier, tant au nord qu’au sud du monde, et – au-delà des travailleurs – le destin de l’humanité travailleuse.
Références
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[1] La loi 943 de 1986 (« Normes en matière de placement et de traitement des travailleurs immigrés extracommunautaires et contre les immigrations clandestines»), a été un acte dû qui mettait en œuvre la convention n°143/1975 de l’OIT en matière d’égalité de traitement des travailleurs étrangers.
[2] Un exemple est la Loi 94/2009 « Dispositions en matière de sécurité publique», en grande partie dédiée à l’immigration. Elle prévoyait la légalisation des rondes de citoyens que, le ministre de l’Intérieur de l’époque avait proposé d’appeler « volontaires pour la sécurité» (n’oublions pas que les chemises noires, corps militaire de l’Italie fasciste, étaient appelés « milices volontaires pour la sécurité nationale»).
[3] A titre d’exemple, la première régularisation des étrangères (1980) est le fruit d’une circulaire du Ministère du Travail.
[4] Voir Einaudi, 2007; Bruni, 1994.
[5] En 2015, 95,4% des entreprises étaient de petites dimensions (maximum 9 travailleurs) et employaient 46% des travailleurs totaux (Istat, https://www4.istat.it/it/files/2017/12/C14.pdf, 10.2.2019).
[6] En 2016, l’Istat a estimé un pourcentage d’économie souterraine de 12,6% sur le Pib national (équivalant à 210 milliards d’euros; https://www.istat.it/it/archivio/sommerso, 2.5.2019). Cependant, des études dignes de foi mettent en évidence un niveau plus élevé: en 2003, elle constituait 26,3% du Pib et, en 2016, 20,2% (Schneider, 2016).
[7] Elle a prévu la cinquième régularisation (217.000 demandes acceptées).
[8] Elle a prévu la sixième régularisation (650.000 demandes acceptées).
[9] Par exemple : la réduction des durées maximales de validité des permis de séjour (deux ans maximum pour les permis de séjour délivrés pour motifs professionnels en présence d’un contrat de travail à durée indéterminée), la réduction du délai maximum de chômage (six mois), l’allongement des délais maximums de détention dans les centres de rétention pour immigrés (de 30 à 60 jours).
[10] Castles, Stephen, 2006; Samers 2015.
[11] Cette mesure prévoit une augmentation d’un tiers de la peine lorsque le délit est commis par un immigré sans-papiers et a été jugée inconstitutionnelle en 2010 du fait que on punit la condition subjective de sans-papiers, un status.
[12] Les normes qui limitent le regroupement familial concernent notamment le conjoint (qui doit avoir au moins 18 ans), les enfants (qui, une fois majeurs, ne peuvent rejoindre le père ou la mère que s’ils sont totalement handicapés), les parents (qui doivent prouver de ne pas avoir d’enfants dans le pays d’origine ou bien, s’ils ont plus de 65 ans, que les autres enfants ne peuvent subvenir à leurs propres besoins pour de graves raisons de santé).
[13] Le redoutable obstacle à la reconnaissance des enfants a ensuite été réfuté par une circulaire ministérielle ayant précisé que les formalités liées aux naissances sont d’intérêt public. Ceci n’évite cependant pas aux parents sans-papiers d’être dénoncés pour le délit d’entrée et de séjour illégaux.
[14] Qui a des conséquences directes sur les couches pauvres et marginales, au sein desquelles se retrouvent souvent les demandeurs d’asile et les réfugiés.
[15] Https://ec.europa.eu/home-affairs/…/2_hotspots_en.pdf.
[16] Au cours de laquelle le juge visionne la vidéo de l’entretien que le demandeur d’asile a eu devant la commission territoriale. La décision est prise par le biais d’une procédure collégiale en chambre du conseil, qui d’ordinaire ne prévoit aucune audience de comparution (si bien que l’avocat lui-même ne peut rencontrer le juge).
[17] Avant, c’était jusqu’à 40 heures.
[18] La détention n’est pas communiquée au magistrat, par conséquent, elle n’est pas soumise à sa validation et il n’y a pas de garanties procédurales s’y rapportant.
[19] Ces permis de séjour sont différenciés au niveau de leur durée, de leur possibilité de conversion en permis de travail, ainsi qu’au niveau de l’accès à l’assistance et de l’exercice des droits sociaux.
[20] Si le demandeur d’asile est soumis à une procédure pénale pour les délits susdits, durant le recours contre le refus, l’effet suspensif du recours déchoit et le demandeur d’asile peut faire l’objet d’une expulsion.
[21] En clair, le fardeau de la preuve est à charge du demandeur.
[22] «Système de protection pour les titulaires de protection internationale et pour les mineurs étrangers non accompagnés».
[23] S’ils ne peuvent pas avoir accès aux structures prévues à cet effet, ceux en possession d’un permis de séjour pour motifs de santé, de protection sociale, de violence domestique, d’exploitation au travail, de calamité naturelle, d’acte de valeur civique, peuvent aussi être accueillis.
[24] Les détenteurs de « protection spéciale » sont également exclus.
[25] L’estimation pour l’année 2019 est de 15.000-18.000 personnes environ.
[26] La loi prévoit l’élévation du niveau de connaissance de la langue dans le but de concéder la nationalité italienne (du A2 au B1).
[27] Afin d’obtenir l’inscription au registre de la population, l’étranger doit démontrer qu’il séjourne de manière stable dans un endroit et qu’il possède un permis de séjour.
[28] La loi ne spécifie pas quel autre document.
[29] Les mobilisations et les luttes des syndicats de base, des mouvements sociaux antagonistes, sont dans le collimateur.