Derrière les minarets, hégémonie et contre-hégémonie aux frontières de l’Europe (2010)[1]

Marie-Claire Caloz-Tschopp, prof. titulaire, Institut d’Etudes Politiques Internationales, Université de Lausanne (IEPI-UNIL)

A l’inconnu africain, dont le cadavre a été trouvé sur un talus près de Weisslingen (Zurich) est probablement tombé d’un avion. L’homme s’était très certainement caché dans le train d’atterrissage. Le cadavre présentait de nombreuses fractures, a indiqué le juge d’instruction Markus Imholz. L’homme serait tombé lorsque le train d’atterrissage s’est ouvert, mais il était probablement déjà mort de froid ou étouffé (ATS, 6 mai 2010)[i].

Résumé

Il suffit d’un vote pour que de vastes questions s’imposent à la recherche. Considéré depuis une démarche philosophique, qu’est-ce qui échappe au regard et au savoir dans l’initiative contre la construction de minarets, acceptée par votation en Suisse le 29 novembre 2009? Au-delà du climat du vote, de la légitimité juridique d’une décision dite « populaire », quelles sont les raisons du succès relatif de la votation? Qu’est-ce qu’elle désigne en creux ? En quoi et pourquoi l’objet à dégager du débat des minarets peut intéresser l’Europe et le monde arabe dans l’espace euro-africano-méditerranéen et même d’autres parties du monde ? Postulons que l’objet principal du débat et des enjeux politiques sur la votation des minarets n’est pas en priorité la religion en tant que croyance, l’islam, les minarets, la burka, le niqab, etc.. mais qu’il concerne la conquête du pouvoir et que celle-ci s’inscrit dans la logique schmitienne amis/ennemis (ici les étrangers) guerrière et non d’adversaires dans un conflit politique organisé dans l’espace public. Ces tensions se jouent aux frontières de l’Europe et aussi aux frontières de la démocratie. On verra qu’il met aux prises des forces en recherche d’hégémonie et des forces contre-hégémoniques ambigues et incertaines. L’analyse des faits, des ambivalences et des contradictions peut aider à cerner les difficultés d’une contre-hégémonie démocratique radicale dont a besoin la Suisse et un espace euro-méditerranéen ouvert à l’Afrique et au monde.

Introduction

Les thèmes du colloque – centralité de la méditerranée, question de la coopération, du partenariat, de la sécurité, de l’intégration, évaluation de conflits -,  sont abordés dans le contexte d’après la rivalité est-ouest qui a dominé les relations internationales et interimpériales depuis la fin de la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1989. Il m’a été demandé une analyse d’un cas de conflit interne à un pays d’Europe : la votation minarets en Suisse en 2009. Elle intervient vingt ans après la chute du mur de Berlin et dans un monde où le financier Madoff et le trader Kerviel ne sont pas des Robin des Bois[ii]. Le cas peut intéresser d’autres régions du monde. Il permet d’observer une tentative de suprématie d’un modèle politique et le déficit démocratique de la Suisse, de l’Europe, du pourtour méditérranéen. Un de ses terrains de prédilection des affrontements est la migration et plus largement l’altérité comme modèle de civilisation. On verra que sur certains aspects, il semble que ce cas rejoigne des questions liées à l’expression du « nationalisme »[iii] dans certains conflits (Sahara occidental, Kabylie, conflit israélo-palestinien notamment). L’analyse du cas de la votation des minarets apporte des éléments pour identifier deux projets en concurrence, résister et construire à la fois la politique et la philosophie. Elle peut permettre de conjuguer des intérêts et des enjeux communs à l’Europe et au monde arabe dans l’espace euro-africano-méditerranéen et à d’autres parties du monde.

Le titre de l’article indique la triple exigence d’innovation épistémologique et politique dans une période où, comme le dit le Ministre indien chargé de l’innovation, « les grands cerveaux en Inde travaillent trop à résoudre les problèmes des riches »[iv]  : 1) une recherche d’objet derrière une question d’aménagement du territoire montée en épingle (qu’est-ce qui se cache derrière les minarets ?) ; 2) un objectif de connaissance (vérité) des faits 3) un objectif de citoyenneté transnationale (politique) auquel est lié le droit de cité aux frontières de l’Europe[v]. Que devons-nous connaître, interpréter, évaluer en observant un conflit sur le terrain de la migration? Quelles sont les forces politiques qui, dans des rapports de force inégaux, cherchent l’hégémonie du pouvoir pour une (re)fondation politique en méprisant l’exigence de vérité, en se servant de passions haineuses pour, à la fois, aveugler les esprits et induire la passivité? Par quelles voies est-il possible de les combattre ? Comment (s’)éloigner (de) la haine, retourner la peur, transformer la colère en courage dans la création démocratique ? Comment construire une contre-hégémonie et résister en acte ? Ces questions concernent à la fois la science et la politique,les relations internationales, les relations internes aux Etats et aux sociétés dans un monde devenant multipolaire. Il s’agit d’évaluer divers projets politiques qui émergent dans des conflits internationaux et internes à des Etats comme la Suisse, autour de la migration, et aussi dans la conformation ou le renforcement d’Etats post-coloniaux[vi], des rivalités nationales, des formes actuelles de patriotisme.

Migration et minarets, premier abord

Les rapports de pouvoir sur le terrain de la migration ont un intérêt épistémologique certain, comme l’a bien montré,  A. Sayad, sociologue algérien dans ses travaux. Ils indiquent, des zones aveugles, des lieux de conflits et des apories dans les grands récits des rapports de pouvoir internationaux et internes[vii]. Tout d’abord, par exemple, l’existence de la marche mondiale des femmes nous rappelle que les femmes sont majoritaires dans la migration[viii] mondiale. Une perspective d’analyse sexe/genre est donc fondamentale pour voir, connaître, décrire, évaluer leur présence[ix] et le rapport social de migration. Ensuite la migration est d’une part la condition humaine de mouvement dans un monde pris dans « l’accélération » du temps[x], un retrécissement de l’espace, une redéfinition des frontières[xi] et d’autre part un phénomène dynamique global, complexe et non dual. Une approche philosophique de la migration en terme de mouvement, implique la prise de conscience sociale que les humains ne soient pas réductibles à des choses échangées sur un marché généralisé où tous les biens deviendraient « naturellement » des marchandises[xii], mais que la migration est une condition matérielle d’existence[xiii]. A ce niveau, les calculs économiques de « coûts-bénéfice » de la migration et en particulier des expulsions d’étrangers[xiv] sont révélateurs du marché, des intérêts, des protagonistes dont les Etats d’émigration et d’immigration. Il faut ensuite penser ensemble les transformations du marché international du travail et le rapport émigration/immigration illégale autour de la Méditerranée (ici) pour ne pas nous enferrer dans les catégorisations essentialisantes, une logique de la différence et dans l’apartheid sécuritaire, obstacles centraux dans la construction du savoir et de la citoyenneté transnationale.

Travaillant sur le terrain de la migration, j’aimerais ensuite lever une confusion et une méconnaissance concernant la migration, dénommée le plus souvent en terme de « mobilité des populations ». Cette manière de parler  s’inscrit communément dans la liberté de circulation des biens, des capitaux, des services, de la force de travail. Comme l’a rappelé, la philosophe et théoricienne, Hannah Arendt, il est nécessaire de distinguer la liberté de mouvement (par les pieds, la pensée) liée à l’autonomie, à la liberté, de la liberté de circulation (des matières premières, des biens, des capitaux, de la main-d’oeuvre) où les humains sont réduits à un simple facteur économique, leur force de travail. A ce propos, rappelons aussi que l’article 13, alinéa 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme[xv] reconnaît la liberté de quitter son pays, mais pas d’entrer dans un autre pays. En d’autres termes, l’article en question ne mentionne qu’une partie du mouvement migration (sortie) mais pas la liberté d’entrer dans un autre pays quand on est amené à devoir quitter le sien. Tout migrant se trouve alors en suspens dans le vide. Traduit dans la pratique, ce fait montre la mise en place de politiques « d’é-immigration illégale » qui vont se poursuivre et institutionnaliser la dualité globalisée d’ « é/immigration illégale ».  Actuellement les pays de l’UE négocient avec des pays extra-européens la mise en place de nouveau dispositifs qui renforcent le duo « e/immigration illégale ». Ainsi par exemple, l’Ukraine, la Libye, le Maroc, le Sénégal, la Mauritanie, mettent en place une police et des instruments répressifs (camps, prisons, arsenaux de contrôle, etc.), la confusion entre politiques de sécurité et politiques sécuritaires, un détournement de la politique de développement, le remplacement d’une culture de droits rattachés aux individus (Convention pour les réfugiés, individus considérés comme des sujets de droit, droit d’asile, droit au travail, à la santé, à la formation, etc.) par une culture humanitaire (individus considérés comme des victimes, gestion de masses, « aide » humanitaire), la privatisation du service public, la sous-traitance[xvi], contre l’é-immigration illégale.

Des institutions policières se construisent des deux côtés de la frontière : dans la périphérie pour contrôler « l’émigration illégale» et en Europe pour mettre en place l’« immigration choisie », emprisonner (Grèce, Italie, Chypre, Malte, pays de l’est européen) et  expulser les « immigrants illégaux ». Autour d’un consensus ambigu se mettent en place des politiques dites « d’harmonisation » et des dispositifs comme celui de Frontex (migration choisie, politiques sécuritaires, externalisation). Remarque plus générale. De tels dispositifs et règles, sont accompagnées de mauvais traitements, de tortures physiques et psychologiques[xvii], voire de morts dans les prisons, camps, lors des expulsions forcées, de condamnations sans jugement pour des délits administratifs non pénaux contraires au droit international et aux droits démocratiques. Ils induisent une radicale transformation des métiers de service public, réduits à des charges de police. Ils induisent aussi une privatisation du service public avec de la sous-traitance et une délégation de responsabilité. Ces faits sont un des volets du « contrôle des flux migratoires ». Ils s’inscrivent dans l’utilisation, le contrôle, la précarisation de la force de travail à l’échelle internationale, dont les migrants sont la cible privilégiée mais pas unique. Le processus a tendance à s’étendre à d’autres populations (chômeurs, jeunes, assistés, retraités, militants syndicaux dans les entreprises, les harcelèments, les licenciements dans les restructuration du service public, etc.). Dans un tel contexte, le cas des minarets détourne les regards des grèves de la faim[xviii], des émeutes, des suicides, des morts, etc., dans le monde. Ils vise à rendre invisible un processus d’exploitation globalisé, de destruction du service public et de la solidarité et à empêcher la connaissance des faits et la construction d’une conscience sociale élargie.

Les attaques des droits individuels, des droits syndicaux, des droits sociaux, des droits collectifs qui s’étendent, exigent un déplacement à la fois épistémologique et politique du terrain de la migration « criminalisée »[xix] vers d’autres secteurs de la société. Elles en appellent à construire un nouveau regard, de nouveaux savoirs et de nouvelles formes d’action, non pas centrées sur l’épiphémonène du duo « e/immigration illégale », mais sur le bien commun à sauvegarder pour tous. Comment, par exemple, ne pas voir la chaîne d’exploitation qui va des travailleurs marocains dans l’industrie touristique, aux travailleurs agricoles en Europe quand nous achetons des tomates insipides dans les supermarchés de l’UE ? Comment ne pas voir depuis les années 1970 que l’évolution de politiques sécuritaires visant les travailleurs migrants, les réfugiés avec le saut qualitatif de l’ouverture des camps, les expulsions forcées rejoignent d’autres chaînes de mesures répressives, les atteintes des droits des travailleurs, des droits des femmes, les restructuration des médias, des services publics (santé, éducation, social), qui atteignent aujourd’hui les professionnels de la classe moyenne, après avoir attaqué les droits des migrants et des pauvres plus vulnérables ? En d’autres termes, comment travailler pour l’innovation des connaissances, la sauvegarde des droits fondamentaux et contre la division des solidarités à un moment où les contradictions s’aiguisent?

Première partie 

Une contre-hégémonie qualitative dans un nouvel ordre du monde multipolaire 

Que signifient encore les termes  « Europe », « centralité euro-méditerranéenne », rapports « nord-sud » dans un monde qui n’est plus bi-polaire mais multipolaire ?[xx] « Après l’empire »[xxi], parler de centralité implique aujourd’hui une à la fois une décentration épistémologique et une centration qualitative à la fois politique, philosophique et épistémologique dans un nouvel ordre du monde multipolaire[xxii]. En observant la manipulation des passions politiques, l’enjeu, pour quelqu’un qui vient d’Europe est de reprendre une réflexion sur la construction d’un projet politique et philosophique européen basé sur la justice et ouvert au monde. Sur l’échiquier politique mondial les passions politiques « nationalistes » et xénophobes[xxiii] rôdent. Pourquoi, des forces politiques en recherche d’hégémonie, manipulant des formes de nationalismes, de xénophobies, et aussi d’antisémismes, de sexismes (ce qui plus grave), etc.. rencontrent un écho certain ? Pourquoi un projet euro-africano-méditerranéen (intégrant la Turquie) visant à renforcer les droits individuels, la défense d’intérêts régionaux ne soulève pas les foules ? Pour comprendre la substance philosophique et politique d’une centralité qualitative, peut-être faut-il traduire le mot centralité par le concept d’hégémonie pour saisir les transformations en cours et les enjeux.

En ce début du XXIe siècle, quand nous réfléchissons à la question politique et philosophique de la « centralité de la méditerranée » posée par le colloque, Oscar Caravello rappelle un fait de réalité, qui succède à la modernité, à la colonisation, à l’impérialisme européen au tournant du XXe siècle dans un monde en profonde transformation. En 2050, l’Union européenne (UE) représentera le 10% du PIB de l’économie mondiale. En matière de population, selon les Nations Unies, l’UE verra sa population diminuer de 11%, soit de 43 millions dans les 50 ans à venir. Pour répondre aux besoins de renouvellement démographique, dans l’UE, il faudrait maintenir une immigration de 1 million par an, ce qui est la situation actuelle[xxiv]. Dans un monde multipolaire (Chine, Etats-Unis, Inde, Brésil, Russie, Allemagne, Mexique, France, Royaume Uni[xxv]) où l’Europe peine à trouver sa place, l’empire américain après l’ère Bush, cherche sa voie après avoir assis une suprématie après la deuxième moitié du XXe siècle. Le président Obama a révisé la politique de sécurité (en diversifiant la liste des dangers), opté pour une stratégie multilatérale dans le processus multipolaire, non éloignée d’un objectif de contrôle des matières premières[xxvi], mais n’a pas renoncé aux interventions guerrières dans un monde où le pouvoir et la guerre[xxvii] subissent de fortes transformations.

Nous savons qu’après d’autres réactions en chaîne ailleurs dans le monde, le risque d’effondrement financier persiste en Europe et ailleurs avec le fait que la spéculation se porte sur les monnaies, dont l’Euro et les dettes publics avec des conséquences imprévisibles. Et avec lui un accroissement des inégalités, des exclusions, l’affaiblissement des classes moyennes, l’attaque des droits sociaux, du service public, etc. L’augmentation du trafic d’armes et du nucléaire, l’installation de l’apartheid[xxviii], la division internationale du travail et la précarisation des emplois dans le monde, le rapport abyssal entre capital et travail[xxix], la rigueur budgétaire, la stigmatisation du peuple grec et d’autres peuples avant et après lui ne résout rien. Dans l’étape actuelle, nous sommes en train de passer d’une forme de concurrence à une autre forme de concurrence brutale où chacun s’arme, dresse des frontières, tente d’attirer les matières premières (pensons à la Chine en Afrique), les capitaux, la main d’œuvre qu’elle prend aux autres et en appelle à un Etat-pompier, restrictif et sécuritaire.

Pour réfléchir à une contre-hégémonie qualitative de l’espace euro-africano-méditerranéen, à la coopération, au partenariat, à la solidarité, commençons par évoquer un fait qui accompagne l’augmentation du commerce international des armes et qui n’est pas sans lien avec les politiques migratoires. Il peut aider notre imaginaire à s’ouvrir aux nouvelles réalités plutôt que de nous égarer dans des passions politiques négatives. Les drones de combat de la guerre virtuelle sont une métaphore du temps présent.Ces armes de guerre virtuelle transforment la guerre, tout en qualifiant les rappors des humains entre eux et en transformant le rapport à la vérité, à la responsabilité?[xxx] Les techniciens des drones qui remplacent les pilotes des avions de combat et des bombardiers inventent, manipulent des armes qui transforment la connaissance du réel en renforçant une civilisation d’apartheid, c’est-à-dire la séparation des humains de leurs actes et la séparation entre les humains dans d’autres domaines de la vie politique (politiques migratoires par exemple). La guerre qui se veut anonyme, zéro-mort, a changé de visage et de terrains. Elle contribue à élever des murs. Dans un contexte de « guerre infinie dans un monde fini »[xxxi], le slogan de Solidarité Sans Frontières « liberté, égalité, dignité pour moi et toi »[xxxii] en Suisse, indique peut-être qu’une culture politique du lien devient le bien commun ultime de la politique.

La globalisation en cours, implique en effet la création infinie d’une qualité politique et philosophique du lien qui soit la base d’une contre-hégémonie ancrée dans le lien, la polis et non la police et le refus detoutes les formes d’autoritarisme[xxxiii]. Elle est assurée par une création infinie et courageuse de la démocratie et des droits de l’homme. Un tel projet peut résister aux risques d’un cadre pseudo-juridique entre « nations » hiérarchisées, avec la conjugaison entre des pratiques de privilèges et de mérite, l’intensitification de la concurrence et de la guerre. J’empreinte l’opposition police/politique à Nicolas Busch[xxxiv], ancien responsable de Fortress Europ. Elle a une valeur heuristique intéressante pour notre propos.

Pour notre analyse de cas, partons d’un postulat de recherche énoncé en trois points. Il vise un travail de déconstruction épistémologique critique pour créer une conscience sociale politique « post-nationale » : 1) l’objet principal du débat sur la votation des minarets n’est pas en priorité la religion comme croyance, « l’islam »[xxxv], les minarets, la burka, le niqab, etc., fait qui implique une reconstruction critique de l’objet ; 2) la votation sur les minarets, à l’égal d’autres débats autour des travailleurs immigrés, a occulté l’objet réel du débat, à savoir un conflit politique de classe dans le capitalisme globalisé qui ne concerne pas seulement la Suisse ; 3) le choix des minarets (ici) et son usage stratégique visent à neutraliser le conflit politique central et empêcher la construction de ce qu’Etienne Balibar appelle un « populisme post-national »[xxxvi] impliquant d’identifier des enjeux, des dangers réels et la création de nouvelles solidarités dans le cadre d’une citoyenneté post-nationale démocratique intégrant le droit de cité.

Notre questionnement se situe dans le cadre de la transformation du pouvoir et de la guerre. Il se limite à observer des opérations visant à cacher l’âpreté et l’enjeu d’une lutte de pouvoir pour l’hégémonie. Il ne décrit pas, par exemple, la construction de la xénophobie/ethnicisation/nationalismes en articulant les techniques de pouvoir et l’économie néolibérale tout en synthétisant le sens de faits comme la disparition de la solidarité et « l’incertitude collective » dans une société marchande atomisée dans l’analyse du cas hollandais[xxxvii]. Il ne décrit pas non plus les rapports de pouvoir entre élites et « peuple » en Suisse[xxxviii] ou encore l’usage des « abus »[xxxix] pour légitimer une politique de discrimination systématique en Suisse. Il ne débat pas de la pertinence de la thèse d’un imaginaire du conspirationisme dans la littérature consacrée au populisme et à l’extrême-droite en Europe[xl]. Ces études méritent d’être signalées par l’ampleur de leur recherche. Notre propos est plus circonscrit.

Deuxième partie

Quel monde, quelle Europe, quel espace méditerranéen ?

Au XXIe siècle, l’héritage d’une double tragédie humaine et politique

Aujourd’hui, après l’explosion au XXe siècle de la guerre « totale », avec les destructions de masse, les génocides, la rupture historique qui a eu lieu et dont a parlé Hannah Arendt, dans un contexte de nouvelle étape de « crise » capitaliste, s’inventent de nouveaux ennemis et de nouvelles méthodes de violence extrême, de cruauté[xli] qui dessinent les limites de la politique, de l’anthropologie politique, en mettant en cause la possibilité même de la résistance,  de la création politique comme le démontre Etienne Balibar[xlii]. Un des défis majeurs aujourd’hui pour une nouvelle philosophie de l’histoire et la création démocratique est d’articuler politique et civilité, en se posant la question des possibilités mêmes de la politique et donc de la possibilité physique, psychique, politique de se représenter les situations de violence (rôle de la pensée individuelle et collective) et d’y résister[xliii], de construire des conditions permettant de les penser dans l’intimité individuelle et collectivement. En partant de la proposition de l’égaliberté[xliv] (re)mise à l’ordre du jour dans sa radicalité par Colette Guillaumin, Paola Tabet, Cornelius Castoriadis, Jacques Rancière, Etienne Balibar, etc., pour saisir les transformation de la politique et de la guerre, il s’agit donc de réfléchir sur la violence de plus en plus extrême et banalisée, de pratiques d’exception mises en place dans la foulée du 11 septembre 2001 (elles existaient déjà avec l’instauration des Etats-nations, dès la Conquista, la colonisation, l’impérialisme).

Comme nous le rappelle Judith Butler, « les formes mêmes de définition des limites de l’humanité », n’ont jamais été assurées. Aujourd’hui, l’ensemble du phénomène vital n’a plus de limites claires. Il faut lutter avec lucidité pour protéger les humains de leur propre production[xlv]Vie et Politique, les liens sont complexes et engendrent angoisse et sentiment de perte de repères et de sens. Derrière le débat des minarets, nous ne pouvons donc pas faire l’économie de la prise en compte du nouveau visage de notre tragédie humaine et politique devenue visible avec l’évolution de la science et par la rupture totalitaire au XXe siècle après une longue genèse historique (conquête, colonialisme, impérialisme): ce qui est en cause est non seulement notre condition de mortalité décrite dans les traditions philosophiques diverses, mais la mortalité de masse industrielle, post-industrielle pouvant aboutir à transformer notre planète en désert (Arendt). La possibilité de destruction est inscrite dans l’agir des humains, dans la politique elle-même ce qui exige de reprendre radicalement la réflexion sur la violence politique. 

Ou pour le dire en d’autres termes, derrière les minarets, comme derrière tout acte humain de haine destructrice où s’étend l’apartheid, et se grignote l’espace relationnel de « l’entre-deux » (inter-esse, Arendt) est mis en cause un rapport possible au monde. Le désert s’étend. Vu sous cet angle, la question métaphysique, Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? de Leibniz se transforme pour Hannah Arendt en Pourquoi y-a-t’il quelqu’un plutôt que personne ? S’il y a quelqu’un, quel rapport à soi, aux autres et au monde faut-il sauvegarder ? En d’autres termes, la métaphysique se traduit en anthropologie politique. La question métaphysique devient une question politique de vie et de survie de l’ensemble des humains. Loin de céder à la « psychologie du désert », comme l’écrit Hannah Arendt, dans Qu’est-ce que la politique ? il nous faut dépasser l’illusion de la fausse conscience aliénée. A chaque fois recommencer, créer des oasis de résistance,  « qui nous permettent de vivre dans le désert sans nous réconcilier avec lui »[xlvi].

La mort clinique de l’Europe et les minarets

La votation suisse des minarets fait écho à l’échec de la construction européenne. Qu’est-ce que les peuples européens (Norvège, France, Suisse, etc.) qui ont refusé la nouvelle constitution européenne ont rejeté ? On peut penser qu’ils ont refusé un modèle « total-libéral » par le biais de projets politiques parfois antagoniques. Depuis l’Europe est morte. Le débat n’a pas été relancé. La peur d’une Europe total-libérale a rejoint le repli nationaliste et s’est économisé un vrai débat politique sur l’Europe. L’enfant a été jeté avec l’eau du bain. Dans un processus de globalisation et de réaménagement multipolaire, ce débat est pourtant urgent. Il ne peut se résoudre par une stratégie interétatique bilatérale et la privatisation du cadre et des liens politiques par des multinationales, des maffias.

Face aux conflits de la planète, l’Europe ne s’est toujours pas constituée en sujet politique, pour les mêmes raisons pour lesquelles elle avait alors permis la précipitation des Balkans dans la guerre. Ce fut la guerre de fondation ou de construction de cette étape-ci de l’Europe, de la première période d’après la guerre froide. L’Europe n’a toujours pas de peuple politique. La gouvernance technocratique et policière accompagne une dépolitisation générale (en Europe, ceci n’est pas encore la caractéristique du sud global), avec l’épuisement des mécanismes de représentation, la violence brute et directe des appareils d’Etat et du « communautarisme » qu’ils produisent, etc..

La philosophe d’ex-Yougoslavie, Rada Ivekovic, qui s’exprimait en ces termes dans un texte important en 1994[xlvii],  pensait que l’Europe n’hésiterait pas à s’élargir toujours plus loin, si ce n’était par peur de la pauvreté et des guerres sur son territoire qu’elle circonscrit sur son bord extérieur. Elle ne parvient pas à prendre de décision pour arrêter  les guerres sur  son terrain (dont font partie aussi Israël-Palestine, une guerre de « basse intensité ») parce que cela la touche de trop près. Si elle arrivait à s’exprimer à ce propos, paradoxalement ces guerres n’auraient pas lieu et l’Europe serait unie. La guerre ou la violence, et aujourd’hui le racisme, la xénophobie montants, « l’islamophobie »  (mais aussi l’antisémitisme), la chasse aux sans papiers de plus en plus institutionnalisés, sont l’expression du fait que l’Europe n’est pas unie, qu’aucune identité définie ne s’y construit, que l’Europe n’est point sujet. Elle n’est pas un sujet politique ou un sujet du point de vue international. Elle n’a aucune volonté commune, aucun rempart ou garde-fou (sauf dans la mesure et sous condition de la construction de son ou ses peuples politiques, ce qui est en soi problématique) contre la violence, le racisme, la xénophobie, la chasse à l’étranger (Rosarno en Italie après el Ejido en Espagne!) ou aux minarets (CH) qui la refondent sur la haine et la guerre. Paradoxalement, l’Europe ne semble pouvoir s’unir qu’en s’homogénéisant autour du rejet de l’autre, écrivait Rada Ivekovic. En Yougoslavie les mêmes mécanismes ont été vécus. On les appelait alors « nationalisme », « ethnicisme ». On les voyait au loin et on pensait que c’était les autres.

Rada Ivekovic liait ces considérations à la manière dont, dans la modernité occidentale (européenne à l’origine, devenue monde aujourd’hui), le sujet se constitue par le partage et la séparation, par une possible violence première et « fondatrice » (d’autant plus si l’on recherche cette refondation). La refondation par le nationalisme ou par l’ « identité nationale » comme aujourd’hui en France appelle un fondamentalisme qui n’est pas forcement religieux, qui peut même être républicain (il reste pourtant une forte odeur ecclésiastique jusque dans l’intégrisme républicain !). Il s’accomplit le mieux par la violence et la guerre. Tout en lui tend à la guerre. Il faut donc lui inventer des ennemis, des « traditions », etc… Il est très imprudent de banaliser ce processus, écrivait-elle dans les années 1990.  Vingt ans après, la votation des minarets lui donne raison. L’évaluation de la dépolitisation faite par Rada Ivekovic s’est muée en constat de la mort de l’Europe à un moment d’urgence où elle est atteinte, à son tour par la crise financière où elle aurait besoin d’être politiquement forte pour agir contre des forces de destruction.

Une question transversale à plusieurs conflits autour de la méditerranée, en Europe, en Suisse, mais pas seulement, mérite d’être posée explicitement à partir du questionnement de Rada Ivekovic. Qu’est-ce qui se cache derrière les conflits appelés « nationalistes » ? N’assiste-t-on pas à un écrasement de la notion d’individu, de peuple, par celle de « nation » ? Ne peut-on pas penser qu’une certaine renonciation au projet nationaliste pour toutes sortes de raisons (post-colonial, ou même anti-capitaliste, par exemple) passe par l’expression « nationale »  mais dans quelle perspective? L’expression « nationaliste » ne s’inscrit pas forcément dans la dualité national/non national (Sayad). A l’étape de la « crise » capitaliste actuelle, il concerne une redéfinition les notions « d’individu », de « peuple », des rapports individus/peuple/classe/nation qui se jouent dans des projets économico-politiques en recherche d’allégeance et d’hégémonie.

Du « nationalisme » et de l’utilité des empires

Une autre question mérite d’être évoquée pour construire la mémoire historique permettant de mieux contextualiser le débat sur les minarets. Bien que la Suisse n’a pas eu de colonies, elle n’a pas été à l’écart des politiques coloniales européennes. Pensons par exemple aux appuis d’industriels, de banques et de l’Etat à l’apartheid d’Afrique du sud[xlviii]. La colonisation marque l’histoire, l’espace, les frontières. Elle est une partie et un miroir de certains reculs d’aujourd’hui. Elle est présente comme une sorte de spectre (au sens où Jacques Derrida a utilisé ce mot à propos de Marx)[xlix], dont Haïti récemment a fait émerger les visages enfouis. Oubli d’autres conquêtes[l], d’une autre révolution, d’une bataille d’esclaves qui ont battu 50.000 soldats coloniaux en 1802. Etrangement, dans le regain des travaux sur la colonisation française, à ma connaissance, Haïti a été peu évoqué dans sa spécificité[li]. Un tremblement de terre ramène la question des l’esclavage là où les concepts ont été absents.

Nécessité de centration qualitative, de décillement du regard. Les travaux d’autres continents nous renvoient à des civilisations où les questions de la justice, du droit, de la politique sont vieilles de 3000 ans. En Europe, la modernité capitalise en gros 500 ans d’expérience. Peut-être que pour comprendre ce que nous vivons et pouvoir le nommer, le décrire, en sommes-nous arrivés à devoir traduire un paradoxe impérial décrit par un historien de la colonisation à propos de l’Empire britannique dans la situation d’aujourd’hui : « Somme toute, l’utilité de l’Empire n’aura jamais été aussi grande que durant la phase de déclin économique de la métropole. Du début des années 1930 à la fin des années 1950, l’Empire est la bouée de sauvetage qui maintient à flot l’économie d’exportation britannique et donc la balance des paiements et la livre sterling»[lii]. Somme toute l’utilité de la migration des pays riches n’aurait-elle jamais été aussi grande que durant le déclin économique et politique de l’Europe et même de l’empire américain[liii] ?

En nous situant sur le terrain de la migration mondialisée et vue depuis les « suds », comment en effet le développement peut-il être revendiqué quand il sert à embarquer les pays du Maghreb, l’Afrique et de l’Est de l’Europe dans les politiques de « migration choisie », de brain-drain, d’externalisation liée aux intérêts des pouvoirs impériaux et de ceux qui les relaient dans les pays des « suds » (pillage des ressources, contention des départs, camps, prisons, expulsions collectives, etc.) ?[liv] La question difficile qui demande du courage, n’est-elle pas plutôt celle que pose l’historien Bouda Etemad à propos de « l’utilité de l’empire » actualisable dans la nouvelle géopolitique mondiale : « Aujourd’hui, cinq siècles après le début de l’expansion européenne, deux siècles et demi après la révolution industrielle et un demi-siècle après la dissolution des empires coloniaux, les écarts de développement entre l’Occident et le reste du monde sont plus importants que jamais. Le temps est venu de s’interroger sur “l’utilité” de l’Europe pour les ex-colonisés et leurs enfants »[lv]. Concernant la votation des minarets, ces questions pourraient légèrement se transformer et s’appliquer aussi aux travailleurs migrants et aux travailleurs de l’intérieur… ceux qui refusent l’Europe en haut.

Troisième partie 

Minarets : quel est l’objet, comment le penser, le décrire ?

Une démarche exploratoire critique

Au premier abord, en tâtant le pouls politique, en observant les manipulations des peurs et des passions, on cherche des raisons qui ont conduit à l’initiative pour interdire les minarets. On réfléchit aux fondements juridiques d’une décision xénophobe, intolérante vis-à-vis de ce qui est appelé hâtivement « l’islam », méprisant des Conventions internationales. Au-delà du climat, de la légitimité juridique d’une décision, quelles sont les raisons d’une telle votation dite « populaire » ? Qu’est-ce qui est en jeu ? Parmi une panoplie complexe de questions (valeurs dans les constitutions, évolution du conflit entre religion et politique ne concernant pas seulement l’islam, quête d’identité, place et statut des femmes dans le débat, place des étrangers dans la construction d’une citoyenneté européenne, visibilité et statut de « l’islam »[lvi] dans l’espace public en Europe, etc.) limitons-nous à notre postulat.

Comment parler d’un sujet débordant de haine, de peurs manipulées ? Qui jouent avec nos zones grises d’ambiguïté, attaque le plus essentiel, à savoir l’imaginaire, la pensée, les mots en figeant notre capacité d’agir, d’inventer. Nous rend passifs, déterministes. En bouchant l’horizon de la pensée critique avec le risque de nous aveugler sur les urgences (risque de non contemporanéité dont parle Marc Bloch). Avec le risque que nous propagions la haine par non discernement. La question est autant existentielle, politique que scientifique. Elle concerne à la fois la subjectivation, la science (vérité), la société (liberté, égalité).

Au lendemain de la votation, évitons donc de nous laisser emporter par les vagues de haine et la langue des assassins, de nous laisser embarquer dans un suivisme de haine larvée. Ou alors d’être pris par des effets de résonnance avec les mises en scènes populistes dont les médias[lvii] sont friands et pris dans des évaluations de la situation hâtivement nommée « anti-raciste ». Ces réactions exprimeraient un effet de brouillage. Elles contribueraient à augmenter la confusion, à paralyser le travail de pensée critique et le jugement politique.

Céder au mouvement qui nous pousse sur le terrain des minarets, comme sur celui du djihad, de la burka, du niqab évoque la bêtise (Dumheit, Kant), la haine, plus que la lucidité. C’est une sorte de souricière où tout le monde se précipite pour avoir son mot à dire dans un débat mondain pseudo-politique. C’est le signe d’une désintégration idéologique à la fois des partis libéraux, de la gauche et même de l’extrême-gauche. Pendant que toutes les forces politiques débattent des minarets sur une scène creuse, quels sont les objets dont on ne débat pas en politique ? A une époque où certains travaillent sur la ruse de la démocratie en Chine[lviii], pour décrire les formes de construction démocratique , nous n’entendons que trois mots en arabe,  dijhad, burka, niqab… le quatrième ayant été traduit – minarets peut-être parce qu’il évoque les églises, les temples. Comment dit-on travail, chômage, précarité, exploitation, terre, paysan, ouvriers, usine, enfant, école, santé, vie, mort, etc. en arabe ? Mystère. Les médias n’utilisent pas ces termes arabes. L’UDC et les politiciens non plus. Les intellectuels sont silencieux. Notre ruse consiste à ne pas aller dans la souricière. A ne pas accepter que l’UDC et derrière lui d’autres partis, définissent le terrain, la temporalité politique, les questions à débattre. Il nous faut nous déplacer pour définir, décrire et inscrire d’autres questions dans le débat politique et philosophique, dans la recherche de vérité.

Ma démarche exploratoire[lix] et critique se situe aux frontières de la langue, des mots, des catégories, des concepts, des dispositifs, des outils. Elle se base sur un principe épistémologique décrit par Jean Piaget pour la construction de l’intelligence, le principe de décentration. Il peut se traduire par le principe d’abandon d’un sentiment autocentré de majorité, de peuple élu, de situation d’exception (évoquée pour la Suisse, elle pourrait concerner la méditerranée). Je m’inscris ainsi à la fois  dans une démarche de résistance politique et une épistémologie de la traduction infinie (d’objets, de catégories, d’enjeux, de positions, de mots, de gestes, de styles, etc.) entre systèmes et démarches philosophiques, politiques et culturelles pour dégager des questionnements transversaux à divers univers, situations, positions. Plus que par des peurs et de la haine manipulées, ma démarche s’inspire des colères rentrées ou exprimées (colloque de Lausanne) à transformer en courage politique, de contradictions révélées par un mouvement social affaibli mais très actif (autour de la défense des droits, dont l’initiative récente pour un salaire minimum lancée par l’USS, des droits des étrangers, des femmes, des étudiants, des retraités, etc.). Elle s’inspire des recherches d’autenticité, d’autonomisation, de création d’artistes, d’étudiant.e.s, de citoyens que l’on peut appeler à la suite de Hannah Arendt, des héros ordinaires.

Quatre questions pour construire la vérité

Dans n’importe quel débat politique et en particulier dans ceux concernant la place des femmes, des étrangers, de la guerre, on peut repérer trois zones de conflits-clés aux frontières de la démocratie depuis au moins son invention en Grèce entre le VIIIe et le Ve siècle, en ce qui concerrne l’Occident, comme l’a rappelé Nicole Loraux. Pas de consensus autour de ces thèmes mais des conflits récurrents[lx] – qui aujourd’hui sont déniés et se focalisent autour de ce qui est appelé la « religion », plus que sur l’ensemble, la diversité de ses formes[lxi] et sur le total-libéralisme. La première question à se poser est la suivante : A quels intérêts répond une telle votation ? Que cachent les minarets ? Quel est l’objet réel du conflit ? Où sont les structures, les mécanismes intellectuels et politiques d’aveuglement, d’aliénation, de domination ? Comment les démasquer pour permettre un débat critique, la construction de la connaissance du réel (vérité), la récupération de l’esprit critique ? Selon les régions du monde, ici depuis l’Europe, de quoi ne parle-t-on pas, plus dans un climat d’oubli, d’effacement de la mémoire, de réduction du temps à l’immédiateté et de l’espace physique et mental du territoire « national »?

La deuxième question concerne les conditions de la pensée critique. La manière de réfléchir parvient-elle ou non à articuler les recherches de la vérité, et de l’égal accès à la liberté ? Est-il possible d’échapper aux pièges, aux fabriques du consentement. à la « fabrication de la vérité », de la propagande, selon la formule de Schomsky[lxii], qui non seulement travertissent la vérité, mais amènent à considérer qu’elle est impossible à obtenir. En d’autres termes, que nous sommes impuissants à penser, à connaître ce qui arrive. Ce qui nous rend passifs. La tâche d’honnêteté, de rigueur intellectuelle consiste à développer une vérité des faits et des représentations en nous libérant du consensus dominant, de la propagande. Une telle tâche remet en question le cadre de pensée dominant et aussi les ambiguïtés, les ambivalences des intellectuels qui freinent, empêchent une telle tâche. On peut être conscient qu’on ne sait rien, – posture d’étonnement de Socrate -, tout en accordant une attention soutenue aux faits, aux représentations, aux dénigrements, aux ambiguïtés, aux mensonges qui sont autant de lieux et de mécanismes de pouvoir pour celles et ceux qui y consentent.

La troisième question est celle de l’optimisme et du pessimisme, de la volonté dans l’action, selon la célèbre formule de Gramsci, « le pessimiste de l’intelligence, l’optimisme de la volonté ». L’enjeu est multiple pour l’Europe et l’espace méditéranéen. Tout d’abord constater, analyser, repérer les mensonges politiques, les manipulations des passions, des institutions, les paradigmes haineux récurrents et de leur évolution (sexisme, nationalisme, xénophobie, racisme, antisémitisme, etc.), le changement spectaculaire de la conscience et des pratiques sociales dont celles des discours. Et y résister. Il s’agit de récupérer la force des mots, les espaces de pensée autonomes pour dégager les vrais objets, les vrais enjeux et contruire, élaborer les conflits dans un espace politique.

La quatrième question qui a trait à une difficulté liée à la violence politique extrême dans la construction du savoir et l’articulation entre construction du savoir et politique. Il ne s’agit pas de participer à ce que j’appelle des « métaphysiques de la catastrophe » qui en plus du danger de naturalisation de faits sociaux en appellent au déterminisme et à la passivité, ni à la mélancolie nostalgique mais de résister en acte pour connaître (vérité) et agir (politique). L’enjeu est de construire une auto-critique permanente, de résister  d’intégrer au nihilisme destructeur dans le travail de pensée, la construction du savoir, après la rupture totalitaire du XXe siècle décrite par Hannah Arendt. La démarche concerne une opération de nomination d’un danger d’hégémonie destructrice en appelant à titre exploratoire une tentative hégémonique à l’aide du concept provisoire de « capitaliste total-libéral ». Plutôt que de fuir devant le malaise, la peur ou alors de « tourner autour » d’un objet pour tenter de le saisir par ses composantes spécifiques tout en sachant que dans son mouvement, il échappe à l’analyse, l’opération du postulat exploratoire est une tentative de nommer le processus qui tient ensemble des faits, la rupture civilisationnelle qu’il masque, pour se forcer à voir, à comprendre et à résister à un modèle politique dangereux, tout en résistant aux passions négatives, à la peur[lxiii]. En effectuant un acte conceptuel de nomination provisoire d’un horizon, la difficulté de toute tentative de conceptualisation philosophique est de ne pas essentialiser un fait, une situation, ou encore de se fixer sur une des composantes hétérogènes en ratant le mouvement du devenir du pouvoir. De ne pas céder non plus aux passions négatives, à l’injure, ce qui bloquerait toute curiosité dans la recherche des spécificités, des distinctions nécessaires, de la nouveauté. L’opération de nomination provisoire vise à l’éveil curieux, à fournir, ce que j’appelle provisoirement aussi, un concept-cadre, qui soit un appui de passage provisoire au travail d’investigation, de récupération du pouvoir de penser pour agir.  En s’adressant à tout le monde, il s’agit de « s’étonner » (Socrate), d’encourager un travail de pensée critique, descriptive, compréhensive, interprétative, intégrant histoire et actualité, connaissance et politique, passion et raison ce qui permet de saisir ce que l’intuition désigne, à la fois la réalité d’une situation, ses composantes, son unité en mouvement, ses dangers et de sauvegarder l’exigence de (re)construction conjointe du savoir et de la conscience sociale.

Ces quatre questions concernent les tensions entre la construction de la connaissance (vérité), de la politique (justice), de la conscience sociale et la manipulation de l’intelligence, des passions politiques, des institutions dans un contexte de désorientation d’une majeure partie de la population. La votation des minarets qui s’est déroulée d’une part dans un silence, une passivité, une banalisation ritualisée du jeu politique traditionnel et d’autre part sous une intense campagne de propagande de l’UDC a soulevé les passions qui se sont exprimées sur un terrain politique qui ressemblait à un boulevard. Ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’histoire suisse. Au XIXe siècle, les passions se sont matérialisées dans une guerre « civile » (Sonderbund) à l’occasion de la constitution de l’Etat moderne suisse basé sur la séparation formelle entre la politique et la religion. Dans les années 1970, les politiques d’immigration et du droit d’asile ont été l’objet d’une autre inititiative, l’initiative Schwarzenbach, qui a failli coûté le renoncement par la Suisse à la signature des Conventions internationales signées.

Au-delà de la propagande et des manipulations dans la recherche hégémonique de l’UDC, en repérant aussi des zones grises d’ambiguïté et d’ambivalence de l’ensemble de la société suisse, on en arrive à s’interroger sur ce qui provoque les peurs et les passions politiques « tristes » ou alors « joyeuses » (selon la classification de Spinoza) aujourd’hui et à quels intérêts, à quelles motivations elles obéissent. Qu’est-ce qui aujourd’hui en Suisse et en Europe, après l’échec du reférendum sur le traité constitutionnel européen en 2005, dans les politiques économiques, les modalités politiques de construction de l’Europe, dont les politiques migratoires font partie, provoque la haine et la colère ou alors l’hospitalité, la solidarité (elles ont aussi une longue histoire dont on parle trop peu) ?

Quatrième partie 

Derrière les minarets… quelle Suisse ?

La Suisse, un laboratoire d’essai

Nous parlons ici de la Suisse. D’entrée de jeu, rappelons que ce petit pays (comme dans une moindre mesure les pays d’origine des migrants)[lxiv] doit sa richesse, sa prospérité à ses travailleurs, dont une partie ont été des travailleurs émigrés et aussi à ses anciens et actuels « ennemis » désignés, les travailleurs immigrés, qu’ils soient légalisés ou sans-papiers. Ces derniers représentent plus du 20% de la population aux côté d’autres étrangers vivant sur le territoire suisse[lxv]. A ce chiffre il faut ajouter le travail de la population avec un passeport suisse qui ne fait pas partie des élites économiques et financières. Autre fait. La majorité des musulmans vivant en Suisse sont aussi éloignés des courants fondamentalistes de l’islam, que la majorité des Suisses vis-à-vis des courants fondamentalistes catholiques ou protestants, dont on connaît certains avatars aux Etats-Unis et ailleurs[lxvi]. Que se passe-t-il donc en Suisse, qui rejoint et manifeste des tendances populistes en Europe et ailleurs dans le monde ?

Décrivons de manière brève une transformation politique significative de la Suisse et le défi politique et philosophique qu’elle pose. Le système économico-politique suisse avec ses PME et ses multinationales (pharmaceutiques, bancaires, assurances, services, recherches, système éducatif, etc.) aux prises avec la concurrence du capitalisme financier mondial, joue un rôle de laboratoire d’essai pour les politiques en recherche d’hégémonie dans une Europe en perte de puissance[lxvii] au moment où elles ont montré leurs conséquences néfastes aux Etats-Unis après 1989. Il s’agit d’identifier ce qui brouille les passions politiques, la conscience sociale et de savoir sur quelles bases peut se construire une connaissance des faits (vérité) une résistance et une alternative (politique) à un tel modèle.

La Suisse n’est pas un empire mais elle cherche sa place dans la cour des grands du monde. Elle ne fait pas partie de l’Union européenne[lxviii] mais, à partir de sa petitesse et de sa position minoritaire elle développe une politique économique, policière, juridique, très active dans de multiples domaines dont par exemple, dans la formation, la propriété intellectuelle sur le vivant[lxix] et dans la mise en place de stratégies et dispositifs, qui articulent la dynamique globalisation/dynamique interne de l’Etat pour les politiques de gestion de la main d’œuvre, du droit du travail et en particulier des politiques migratoires. Des recherches comparatives entre politiques diverses apporterait certainement des éléments précieux d’évaluation. Au niveau des politiques de la main-d’œuvre et des migrations ici, elle est un laboratoire d’essai pour l’Europe et même pour l’espace euro-africano-méditérannéen. Rappelons qu’en Suisse un référendum populaire proposant l’adhésion à l’UE a été refusé le 6.12.1992[lxx]. Le refus n’a pas empêché des secteurs du gouvernement suisse d’être très actifs dans l’Europe des polices de Schengen bien avant l’adhésion de la Suisse à Schengen et Dublin (ex. empreintes digitales, modèle des cercles[lxxi], dispositifs produits sans contrôle parlementaire, exportés dans l’UE), tout en faisant pression pour que les mesures globales sécuritaires de Schengen et Dublin soient ensuite intégrées dans la politique suisse. Le modèle politique que le laboratoire d’essai suisse invente autour des instruments de la violence d’Etat, du démantèlement des droits, du détournement du projet démocratique par certains secteurs de l’Etat et des partis populistes, du renforcement d’une bureaucratie policière d’Etat, rencontre une passivité, une ambivalence, des ambiguïtés de la classe politique dominante intégrée dans une démocratie semi-directe parlementariste. Il faut se garder de sur- ou de sous-interpréter le laboratoire, mais ne pas ignorer qu’il intéresse des gouvernements européens et d’autres Etats autoritaires.

Rappels sur la  votation des minarets

Sans le contexte de la crise financière, économique, politique, la droite et l’extrême-droite, qui ne sont pas un univers homogène. Ils répandent une haine légitimée, diffusée dans des rangs bien plus larges que seulement chez leurs partisans et s’enracinent dans le paysage politique européen et suisse[lxxii].

Par quels chemins tortueux une votation, dans un petit pays qui ne fait pas partie de l’Europe, rejoint-elle des questions en arrière-fond de l’histoire suisse, européenne et même mondiale, et aussi une autre votation refusant l’adhésion de la Suisse à l’Europe, un débat européen sur la Constitution européenne, sur « l’identité nationale » et plus récemment des colères face aux politiques économiques européennes à propos de la Grèce, de l’Espagne (et bientôt le Portugal) qui ont été soumis à des mesures draconiennes touchant les classes populaires en priorité?

Venons-en à un bref rappel de la votation des minarets, nouveau combustible à usage électoraliste[lxxiii] face à une abstention croissante. Par l’usage d’un outil de démocratie semi-directe[lxxiv] en Suisse, une initiative populaire fédérale a été déposée le 8 juillet 2008 à la Chancellerie fédérale suisse « contre la construction de minarets »[lxxv]. Elle a recueilli 114.895 signatures. « Le peuple a parlé. La construction de minarets est interdite : voilà l’énoncé du nouvel alinéa 3 de l’article 72 de la Constitution fédérale. Son application est simple et ne laisse aucune place à l’interprétation … La décision sur les minarets a une fois de plus révélé la grande maturité des citoyennes et citoyens suisses… Une fois de plus, le peuple a indiqué le chemin à ses autorités» a déclaré d’emblée l’UDC qui a lancé l’initiative[lxxvi]. De plusieurs côtés en Europe (Ligue du sud, du nord, Front national[lxxvii], etc.) « l’esprit de résistance » a été évoqué à propos du vote, invitant les pays européens à suivre l’exemple suisse.

Faits à relever aussi. L’alinéa de l’article 72 concernant l’interdiction des minarets remplace celui de l’interdiction de nouveaux évéchés[lxxviii]. Le Conseil fédéral s’y est opposé[lxxix] tout en recommandant un contre-projet, sans contrôle formel préalable de la constitutionalité du texte d’initiative avant le recueil des signatures. Le parlement est entré en matière. Il a recommandé le rejet de l’initiative (132 contre 51 voix et 11 abstensions). Des parlementaires ont même parlé « d’initiative fondamentaliste ». Lors de la votation populaire du 29 novembre 2009, l’initiative a été acceptée à 57,9% des voix à la fois par les votants et les cantons[lxxx], avec un taux de participation de 53,4%, plus haut que d’habitude mais plus bas que sur des objets « exceptionnels » (adhésion à l’EEE, initiative du GSSA[lxxxi] notamment).  Il faut aussi tenir compte de l’avis non exprimé du plus du 20% d’étrangers – plus d’un million – vivant en Suisse. En clair, à peine 25 à 30% de la population a voté pour l’initiative, ce qui en dit long sur l’abstention et le développement des droits politiques.

Le résultat du vote de l’initiative a suscité une certaine surprise et des réactions en Suisse, en Europe et dans le monde islamique. Au soir de la votation, Oscar Freysinger, conseiller national UDC, a demandé une protection policière. Il avait peur, son parti (l’UDC) n’en demandait pas tant. La Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) a exprimé la crainte « d’effets collatéraux » du débat sur l’islam en Suisse (alimentation indirecte de l’antisémitisme, frein à l’intégration)[lxxxii]. Stupeur, consternation, « gifle aux élites politiques… désaveu pour le gouvernement » (Express, 4 mai 2010), retour du refoulé, expression d’un grand malaise, vote de protestation et de méfiance des polytraumatisés de la crise, menace pour l’économie suisse, augmentation de l’isolement de la Suisse, climat refroidi pour les musulmans de Suisse, intolérance religieuse, peur que l’affrontement à l’islam puisse coûter cher à la Suisse, etc. Les commentaires n’ont pas manqué, dont celui-ci : « Au moment où tant d’autres défis sont à relever, de la crise économique au conflit avec la Libye en passant par la disparition du secret bancaire[lxxxiii], espérons que le prix ne sera pas exorbitant »[lxxxiv]. Le 23 juin 2010, les parlementaires du Conseil de l’Europe (89 voix sans opposition) ont demandé à la Suisse d’abroger l’interdiction de construire des minarets à la suite d’un débat sur l’islamisme et l’islamophobie. Des questions comme celles du sexisme, de l’égalité, de la mise en danger des acquis des révolutions libérales en Europe, du vote des étrangers, de l’opportunité du concept de « racisme », des raisons de la haine de la démocratie (y compris en s’en réclamant), de la diversité des courants religieux sous le label « islam » eu Europe, sur la logique commune qui réuni les fondamentalistes et les xénophobes européens, du piège sémantique de « l’islamophobie »[lxxxv], n’ont pas été au centre des débats de la campagne.

Le débat continue. Dans le flot des articles, des émissions des médias, les arguments s’accumulent dans un cadre de défense du total-libéralisme, de la Suisse et de refus d’adhésion à toute organisation supra-nationale (OTAN, ONU, UE, etc.) pronée par l’UDC. « L’islam » n’est donc pas le seul visé, ni l’ennemi principal. Depuis le début du siècle, avec un pic dans les années 1970, une campagne démagogique principalement xénophobe[lxxxvi] avait déjà été organisée par d’autres courants nationalistes à propos des travailleurs immigrants (italiens, espagnols à l’époque). En ce qui concerne les étrangers visés, elle a continué autour des demandeurs d’asile criminalisés[lxxxvii], des tsiganes[lxxxviii], des frontaliers à Genève[lxxxix], des travailleurs immigrants en provenance d’Allemagne[xc] et de « l’islam ».

Nourris activement par l’UDC qui a formulé « un contrat avec le peuple » et les Démocrates suisses, une campagne cible depuis quelques temps « l’islam » après avoir désigné d’autres « moutons noirs ». Le thème du djihad entendu comme « guerre sainte », l’interdiction de la burqa[xci], du niqab[xcii] qui divise les femmes en Suisse sont montés en épingle[xciii]. Deux historiennes alémaniques, Katrin Rieder et Elisabeth Joris[xciv], défendent l’autodétermination des femmes en dénonçant l’intrumentalisation politique du débat à des fins anti-islamiques et racistes dans un contexte électoraliste, tout en critiquant un féminisme « post-colonial » prétendant libérer les musulmanes de leur oppression. La Weltwoche, journal proche de l’UDC, apporte de l’eau au moulin en franchissant un nouveau pas qui vise « l’islam » et cette fois-ci la « religion »: « Faut-il interdire l’islam ? La religion n’est pas compatible avec la Constitution fédérale ». Nouvel tentative. Peut-on penser que ce sera le nouveau cheval de bataille demain, alors que d’autres faits bien plus  réels se passent en Suisse? Donnons trois exemples. Dans un contexte de durcissement européen[xcv], alors que 5886 étrangers ont été expulsés de Suisse via l’aéroport de Zurich en 2009, que plusieurs morts ont été dénombrés, un jeune nigérian de 29 ans est mort à son tour en mars 2010 lors d’une expulsion forcée à Zurich. Dans la prison de Bochuz (canton de Vaud), le jeune Skander Vogt avec un parcours aberrant dans le système carcéral avec de graves disfonctionnements, est mort étouffé après deux heures d’agonie sans qu’aucun fonctionnaire observant sa situation n’intervienne[xcvi]. Au parlement du même canton, à la suite de l’interpellation du député J.-M. Dolivo sur les conditions d’application des mesures de contraintes, le gouvernement de ce canton en est arrivé à préciser que pour les expulsions de « détenus administratifs », les entraves aux pieds ne se justifient pas[xcvii]. Une militante des droits de l’homme assiste (juillet 2010) à une séance du Tribunal fédéral où « les juges, sans hésitation,  ont décidé qu’une personne qui reçoit  9.50 fr.s par jour de prestation minimum est condamnée à payer  90 jours amende à Fr. 10.- par jour pour séjour illégal ». Ces faits, loin d’être de simples faits divers cyniques, absurdes, désignent non seulement des disfonctionnements, mais la déshumanisation, la violence structurelle d’Etat et de l’administration auquelles sont soumis les marginaux et les étrangers. 

De James Scharzenbach a Christoph Blocher : après 1989, la modernisation d’un modèle politique en recherche d’hégémonie

Le fait qu’entre le XVIIIe et la fin du XIXe siècle l’Etat suisse se soit constitué sur une base hétérogène sexiste, antisémite, anti-ouvrière, nationaliste, xénophobe, est un fait avéré. La haine ciblée a été fédératrice d’un Etat de classe construit sur la paix sociale assurée par la construction d’un ennemi principal externalisé du contrat « national »: les travailleurs immigrés. Après 1989, la mise en scène d’un nouvel ennemi « l’islam » après avoir ciblé d’autres « ennemis » (juifs, tsiganes, travailleurs immigrés, requérants d’asile, jeunes, chômeurs, etc.) marque un pas: le passage d’un nationalisme antisémite, sexiste et xénophobe à un capitalisme total-libéral ancré dans un conservatisme anti-Lumières[xcviii]. Dès les années 1990[xcix], dans les actes, les discours de l’UDC, on peut repérer des traits racistes, homophobes, accompagnant un programme ultra-libéral en matière économique, avec un démantèlement des droits et des protections.

Deux hommes et deux initiatives en provenance de la Suisse alémanique (3/5ème de la population suisse) représentent les deux moments historiques de ces quarante dernières années et l’émergence d’une étape politique dont on se demande si elle parviendra à se consolider, tout en passant un jour ou l’autre à l’encouragement d’une violence extraparlementaire. En 1968, le journaliste James Schwarzenbach fonde l’Action nationale (AN) et lance une initiative contre la « surpopulation étrangère » (Ueberfremdung) (46% de oui, 54% de non, 75% de participation). En 1971, le directeur milliardaire d’une multinationale de la chimie, Christoph Blocher[c], qui avait appuyé l’apartheid en Afrique du sud[ci], met la main sur l’Union démocratique du centre (UDC), monte un parti et un outil de propagande, tout en s’appuyant sur des inventions de partis au pouvoir comme par exemple, celle du parti démocrate chrétien[cii]. Il méprise ouvertement les institutions démocratiques tout en se réclamant de la démocratie directe. En 2008, son parti lance des actions haineuses et anti-sociales, dont l’initiative contre les minarets (proposée par les jeunesses de l’UDC). Son parti ne combat pas l’islam au nom de la démocratie et de la laïcité (comme par ex. Pim Fortuyn, Geert Wilders[ciii] en Hollande), mais par un discours populiste s’appuyant sur la revendication à la démocratie directe, mêlant nationalisme, conservatisme réactionnaire, ciblage d’ennemis, mépris pour les lois et le droit, les libertés publiques. Il prône le démantèlement de l’Etat social, la stigmatisation des étrangers et des plus faibles (chômeurs, handicapés, pauvres, etc.), et pratique la chasse aux abus sociaux. Son programme est total-libéral en matière économique et politique. L’AN était un petit parti d’opposition non gouvernemental, tandis que l’UDC est le plus grand des partis gouvernementaux (27-29% des voix) qui développe aux côtés d’un travail parlementaire, une stratégie d’entrisme dans les grandes associations professionnelles depui les années 2000[civ]. De plus, plusieurs déclarations et actions montrent que l’UDC vise une transformation de l’Etat et des droits. Ch. Blocher a déclaré un jour à la presse que si une de ses initiatives était inconstitutionnelle, il fallait supprimer la constitution. Autre exemple : dans l’initiative pour accélérer les renvois forcés[cv] en débat en ce moment, l’abolition du principe de proportionnalité (principe directeur essentiel en ce qui concerne les actions de l’Etat) et la remise en cause de la primauté du droit international[cvi] vont dans le même sens.

Ni dans l’histoire, ni dans l’actualité, ce modèle de capitalisme total-libéral ne peut se revendiquer du label suisse, même s’il présente des particularités locales. Le modèle a des racines profondes en Allemagne et en Europe. L’histoire allemande du nazisme, l’apartheid en Afrique du sud en sont des exemples institutionnalisés. A la fin du XXe siècle, il a été mis au goût du jour, avec des variantes, durant l’ère Reagan, Tatcher puis Busch aux Etats-Unis. Avec  la guerre des civilisations dont l’ennemi est l’islam (Huntington), la fin de l’histoire (Fukuyama) et la guerre juste (Michaël Walzer)[cvii] en retrouvant alors de vieux démons à la fois coloniaux, impérialistes, nationalistes d’un racisme d’Etat et de la « guerre totale » qui ont amené à la première et deuxième guerre mondiale, à Auschwitz et Hiroshima. En bref, dans le contexte suisse, un tel modèle a instrumentalisé le contrat politique assurant le passage à la modernité capitaliste avec un Etat construit par les partis bourgeois (partis radical et libéral) en 1848 sur une séparation entre la religion et la politique après une guerre civile (Sonderbund en 1847). Soulignons que le débat actuel sur « l’islam » réveille par ricochet les vieux démons de la guerre civile suisse et appelle ainsi les forces conservatrices religieuses suisses qui ont perdu leur hégémonie en 1848 à intégrer le nouveau modèle. Actuellement, le modèle vise aussi à détruire le contrat sociald’un Etat basé sur les droits et la solidarité sélective et partielle.

On ne peut alors que travailler contre l’oubli et la censure, se rappeler que les pratiques et les valeurs politiques conservatrices anti-Lumières, le sexisme, l’antisémitisme, la xénophobie, le racisme, font partie de l’histoire et de l’actualité des politiques d’Etat (Ebel, Fiala)[cviii], que les « ennemis » sont une nécessité consubstantielle à la cohésion d’une société en crise, qu’ils sont fabriqués, qu’ils changent, que les vrais débats sur des choix politiques face à la crise émergent difficilement (débat sur la régulation financière, le contrôle des banques, la taxation des bonus[cix] et des grandes industries, l’initiative sur un salaire minimum, le statut et les droits des sans-papiers, le droit d’asile, la défense des droits sociaux, du service public, par ex.).

En Suisse, bien que cela ne soit pas immédiatement visible au voyageur, il convient de se rappeler que  les structures de classe sont toujours bien présentes et qu’elles s’accentuent. En voici deux exemples.  Alors que l’UBS n’est pas passé loin d’une faillite en 2008-2009, et a été sauvé par l’argent des contribuables, le président du Crédit suisse, Brady Dougan, a touché le plus haut salaire de tous les banquiers de la planète (12,6 millions d’euros, laissant bien en arrière le patron de Goldman Sachs avec ses 6,8 millions d’euros). Le 24 avril 2010, Caritas a organisé une journée nationale pour rendre visible un fait souvent oublié ou nié : les femmes élevant seules leurs enfants et les hommes pauvres ne peuplent pas seulement le tiers monde. Ils sont le 10% environ de la population suisse. La classe moyenne est aussi touchée.

La crise financière et économique, l’augmentation du chômage, les réductions des offres d’emploi et aussi les politiques contre l’Etat-providence concourent à une augmentation des travailleurs pauvres (working poors). Par ailleurs une série de lois, directives, mesures, font vivre des gens en-dessous du seuil de survie. L’extension de la détention administrative en vue de l’expulsion forcée, la surpopulation dans les prisons, les conditions d’incarcération très préoccupantes, les traitements de mesures d’exception (saisie d’argent, notification illégale d’amende, incarcérations illicites, inscriptions sauvages dans le passeport, blocage à l’entrée dans les abris d’hiver, etc..)[cx] se succèdent à l’encontre des étrangers et par extansion à l’encontre de populations précarisées. Elles ont des effets concrets : des morts lors des expulsions forcées et dans les prisons, une atteinte des services publics, une dégradation des conditions de travail, des statuts de plus en plus précaires, une augmentation des maladies physiques et psychiques du travail, etc.

L’Etat est pris en tenaille entre des courants majoritaires qui tolèrent voire appuient la violence d’Etat et des partis qui, en se réclamant de la démocratie directe et en pratiquant de fait une « démocratie populiste », inventent des outils efficaces inspirés de la propagande nazie et des courants anti-Lumières. Ils ne sont pas contrés énergiquement sur le programme de leur modèle politique par d’autres courants politiques dont la position sur les thèmes du nationalisme, de l’égalité, de la démocratie, du sexisme, de l’antisémitisme est pour le moins ambiguë. Ces courants n’ont pas fait le choix de « l’égalité contre les frontières », dont parlent M. Ebel et Pierre Fiala. Est-il dès lors étonnant que l’UDC fasse pression et se saisisse des instruments de démocratie directe pour tenter de renforcer son modèle en recherche d’hégémonie?

Cinquième partie 

La démocratie à l’épreuve des minarets

Il nous faut donc (re)partir du constat de la mort clinique de l’Europe comme projet politique. L’enjeu est la refondation qualitative de l’Europe et de l’espace euro-africano-méditeranéen sur d’autres bases : refus de tout sexisme, de tout entisémitisme, de tout nationalisme, articulation individu/politique, Etats plurinationaux fédéralisés, élargissement de l’espace méditerranéen, en intégrant la Turquie, le continent africain. Pouvoir en débattre suppose une série de clarifications préalables de confusions autour de la création démocratique que le cas des minarets permet d’identifier.

Que nous apprend la votation des minarets ?

Partons de constats pratiques révélés par la votation des minarets pour en arriver à des questions théoriques. Autour de la revendication démocratique, on retrouve la revendication populiste de la démocratie directe combinée à un capitalisme total-libéral sécuritaire manipulant la haine (en arrière-fond de la votation des minarets en Suisse), la colère, le courage. Sans établir un inventaire exhaustif des problèmes à considérer à propos de la démocratie, signalons des problèmes observés dans le cas des Minarets. La manipulation de la « démocratie » et des « droits de l’homme » par certains gouvernements pour justifier des guerres impériales sont des faits connus. Ce fait rappelle d’autres manipulations décrites par des spécialistes du régime, de la propagande et du langage totalitaire[cxi]. L’usage par l’UDC suisse de la « démocratie directe »[cxii], laisse apparaître un fossé grandissant entre peuple et élites suisses et manifeste une forme populiste de haine de la démocratie. La contradiction nodale entre la tendance zurichoise de Christophe Blocher et d’autres tendances plus proches des classes populaires en Suisse romande est à la base du programme de l’UDC, et apparaît clairement dans un faits d’actualité. Ch. Blocher vient de « sacrifier deux vaches sacrées sur l’autel de l’économie : le sacro-saint secret bancaire et la démocratie directe »[cxiii].

Par ailleurs, le mécanisme classique de désignation sélective « d’ennemis », de « l’islam » (djihad, bouka, nikab), en manipulant des peurs identitaires, en s’appuyant sur les ambiguïtés de forces politiques, vise à la fois à paralyser et à coaliser des forces et des intérêts contradictoires dans la construction d’un projet en recherche hégémonique. L’UDC construit des ennemis imaginaires pour voiler les contradictions et les intérêts représentés par Ch. Blocher tout en vidant des concepts, des référents importants de la tradition politique de leur contenu. Il va bien au-delà d’un « démocratie de la consommation », que décrit Michael Rodriguez[cxiv]. Soulignons un paradoxe important. Un tel mensonge politique, par l’appropriation de l’imaginaire et du concept démocratique dans une pratique populiste, efface les rêves et les inventions démocratiques des luttes courageuses qui ne se revendiquent pas de la démocratie par distance critique avec les mésusages du mot, par déficit d’un travail de mémoire critique sur les luttes et peut-être aussi parce que le mensonge croise d’autres ambiguïtés dans le mouvement social qui ont considérablement affaibli les luttes démocratiques[cxv]. Voyons de plus près quelques difficultés et ambiguïtés révélatrices.

Que révèle la tension droit national, droit international dans le cas des minarets ?

Un problème concerne le lien entre droit et démocratie. Alors que la Suisse (175 voix) et la Lybie (155 voix) entrent en mai 2010 au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, malgré la votation sur les minarets, une partie du débat sur l’initiative a ouvert les vannes d’un autre débat sur le nationalisme et l’internationalisme du droit et sur l’adhésion de la Suisse à l’ONU et aux instances européennes. Il n’est pas innocent que le journal Weltwoche proche de l’UDC fasse l’inventaire sur l’échiquier politique de politiciens (socialistes, PDC, UDC) pour qui l’ordre juridique suisse doit prévaloir[cxvi]. Que révèle sur le « nationalisme », la « démocratie », le droit, des tensions entre droit « national » et droit « international » et sur des paradoxes du droit?[cxvii] Qui défend et pratique aujourd’hui la démocratie « directe » en s’appuyant sur quels référents, et avec quelles conséquences, perspectives aux frontières internes et externes de l’Europe ?

Précisons tout d’abord que la votation des Minarets en novembre 2009[cxviii] et sa non conformité avec les Conventions internationales[cxix] n’est pas une exception. La démocratie semi-directe en vigueur en Suisse – sans droit de vote pour les étrangers sauf dans certaines communes et deux cantons (Jura, Neuchâtel) – n’est certes pas une assurance de respect des droits fondamentaux. La lente adoption des conventions internationales (la Convention des travailleurs migrants n’en fait pas partie), accompagne une pratique d’inscription de réserves quant à leur application. Des mesures sécuritaires et discriminatoires ont été élaborées ainsi qu’une législation discriminatoire concernant les étrangers. La loi sur les étrangers marquée à l’origine par l’antisémitisme a débouché sur la notion d’Ueberfremdung (surpopulation étrangère), ancrée dans la loi de 1931 jusqu’en 2007[cxx]. D’autres lois portant atteinte aux Conventions internationales signées par la Suisse ont aussi été adoptées en votation populaire : la loi sur les mesures de contrainte en décembre 1994[cxxi], l’internement à vie pour les délinquants sexuels ou violents jugés dangereux et non amendable en février 2004[cxxii], la révision de la loi sur l’asile étendant le champ d’application de l’aide d’urgence en 2006,.

Le droit d’initiative[cxxiii] et de référendumestun exercice de démocratie directe[cxxiv] pratiqué en Suisse dans un système de démocratie semi-direct (qui inclue le droit de référendum et d’initiative par le « peuple »). Dans le débat, certains acteurs populistes se réclament de la démocratie directe alors que l’abstention croit dans le rituel politique qui n’attire pas les citoyens. A propos des minarets, « l’échec est aussi celui d’un mouvement social bien atone ces temps-ci qui n’a pas su offrir une perspective crédible aux victimes du système »[cxxv].  Par ailleurs, les citoyens votent les lois, au lieu de s’en remettre aux parlementaires, selon le droit interne, mais cela peut heurter les engagements internationaux de la Suisse, souscrits devant le Conseil de l’Europe et l’ONU[cxxvi]. Tout texte de loi est soumis à la hiérarchie des textes (constitution, traités, lois, décrets, arrêtés). Le droit national est subordonné au droit international, même si les instruments de « force » pour faire appliquer les droits, restent nationaux. Tout texte national est donc soumis aux Conventions internationales que l’Etat a signées. La Suisse a signé la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, et le Pacte des Droits Civils et Politiques de 1966, qui dépend du système de ONU. Ces deux Conventions permettent en principe un recours individuel devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et le Comité des Droits de l’Homme de l’ONU. Deux recours ont été déposés contre l’initiative des minarets à la CEDH qui doit se prononcer avant le mois d’octobree 2010[cxxvii].

Plusieurs questions sont en débat. Quelle que soit l’opinion et l’objet des votants, peut-on soumettre n’importe quelle question au peuple et aux 23 cantons suisses sans heurter le droit international[cxxviii]? La démocratie directe exercée dans un cadre de souveraineté nationale et populaire peut-elle être mise en cause dès lors qu’elle viole les droits fondamentaux ? Comment sortir de la contradiction entre le résultat d’un vote populaire et les Conventions internationales en demandant d’annuler la décision tout en engendrant un conflit sur un vote d’un peuple parfaitement démocratique et légal et le caractère illégal d’une décision en regard du droit international ?  Quelles en seront les incidences juridiques, diplomatiques, politiques, y compris sur les Conventions internationales elles-mêmes non seulement en Suisse[cxxix] mais dans le cadre de la construction européenne ? Que faire du droit si la loi du peuple, le suffrage universel, exercé ici dans un cadre national, exprime un désir de théocratie, de régime autoritaire, sécuritaire, raciste (exemple du nazisme en Europe). La question pourrait se déplacer au niveau européen, à propos du référendum européen. Changement d’étage, mais débat de fonds identique.

Paradoxe d’un pays qui au nom de la paix religieuse[cxxx], du nationalisme remet en cause les Conventions internationales. Paradoxe d’un Etat dit de droit,  avalisant une initiative mettant en cause les droits fondamentaux. Que révèle une telle conflictualité dans l’ordre politique et l’espace juridique ? De quel droit s’agit-il ? Constatons qu’en terme de connaissance, d’épistémologie du droit on assiste pour le moins à une « essentialisation » du droit national et à un refus d’une perspective constructiviste du droit à tous les niveaux, y compris international. Notons qu’une telle essentialisation du droit tente d’être acquise par un conflit ouvert. Elle tente d’empêcher le conflit au stade suivant du débat, quand il s’agit de se confronter à une réalité extra-nationale.

Quelle évolution manifeste le fait que dans les discours politiques, les droits fondamentaux sont rarement évoqués ? Faut-il se référer au droit en démocratie et à quels droits se référer ? Ces deux questions soulèvent un autre problème lié à la faiblesse des références du droit international dans la vie politique des Etats, à un moment de privatisation de l’Etat et des droits et au remplacement d’une culture des droits (dans tous les domaines, dont le droit du travail, de la formation, des étrangers, de l’assistance, etc.)  par une culture et une idéologie humanitaire. Il est évident que la non applicabilité de sanctions liées aux Conventions internationales leur fait perdre du crédit. D’autre part, en Suisse, une culture des droits liés à l’égalité est faible à cause de la paix du travail, d’une culture politique de conventions collectives entre travailleurs et patrons et aussi d’une institutionnalisation d’une non solidarité entre travailleurs (avec les travailleurs immigrés). Le droit du travail suisse est l’un des droits du travail parmi les moins développés en Europe. Il faut encore souligner que ces dernières décennies, dans le même temps où la défense des droits dans le Service public laisse la place à la nouvelle gestion publique et aux techniques, elle laisse la place au droit et à l’idéologie humanitaire et du soin (care). La référence au droit international humanitaire (DIH) gagne du terrain par rapport au capital politique et philosophique des droits fondamentaux articulés autour du corpus des Droits de l’homme.

Donnons un exemple récent allant dans le même sens. A l’occasion du 60e anniversaire de la signature des Conventions de Genève en 2010, le Maire de la ville de Genève a basé sa présidence sur la défense du droit international humanitaire (DIH), outil mis au point par le CICR et propagé par la politique étrangère suisse, qui rappelons-le est un droit de la guerre[cxxxi]. En arguant qu’il s’agit de renforcer des principes universels et des règles communes pour un gouvernement universel à construire, faut-il pour autant assimiler sans distance critique deux corpus se réclamant respectivement de la paix et de la guerre : les droits de l’homme et le droit international humanitaire ? Quelles questions soulève un tel remplacement ou alors un tel synchrétisme théorique et idéologique ? Faut-il souscrire sans autre aux arguments avancés qu’il ne s’agît pas de légitimer les guerres ou de légitimer des guerres menées en nom de l’humanitaire, mais de soutenir des règles de droit en défense des plus faibles qui devraient s’appliquer en situations de conflit ou d’occupation ? On ne peut que regretter qu’il n’existe pas aujourd’hui l’équivalent, par exemple, d’un mouvement ouvrier, de luttes anti-coloniales forts qui ont contribué à la construction des droits économiques et sociaux, des droits à l’autonomie, à la paix, au développement, à l’environnement, à l’égalité hommes-femmes, etc. qui font partie des droits de l’homme. A l’étape de globalisation actuelle, sans pouvoir approfondir cette question ici, on ne peut que souhaiter qu’une évaluation critique des outils du droit international ait lieu à la lumières des récents débats sur l’évolution de la guerre et des transformations de la politique après 1989.

Le  dépassement de la confusion entre conflit politique et guerre exige, exige donc une clarification théorique que désigne aussi sur un autre terrain, la confusion entre les droits de l’homme (DH) et le droit international humanitaire (DIH) renforçant la faiblesse du droit international dans les débats et les conflits à trancher. La distinction traduite dans la construction des droits, implique de refuser que des Etats fassent un usage sélectif de l’outil des droits, soient aveugles sur ses lacunes, ne signent pas des Conventions comme celle des travailleurs migrants, celles du droit du travail, etc.. Traduite en droit international, une telle exigence implique de distinguer entre le corpus des Droits de l’homme (DH) et le corpus du droit international humanitaire (DIH), qui est un droit de la guerre. N’est-il pas important de garder une lucidité critique devant les interventions humanitaires en sachant que l’idéologie humanitaire s’étend des champs de bataille à bien d’autres institutions, qu’elle accompagne les transformations de la guerre actuelle. Le danger d’une banalisation de la guerre est qu’elle efface finalement l’incontournable question des droits rattachés à chaque individu en tant qu’il est unique, du « droit d’avoir des droits » qui s’étend bien au-delà des champs de bataille aujourd’hui comme l’explique bien André Tosel.

Une réflexion sur une citoyenneté active, implique de dépasser le consensus ambigu qui masque, neutralise la distinction fondamentale entre conflit et guerre et les risques du conflit intrinsèquement liés à l’invention démocratique et qui s’exprime par la résistance, l’insoumission, la désobéissance civique. La construction démocratique – démos-cratos, la puissance au peuple – comme l’a bien montré Castoriadis, implique de prendre en compte les manipulations, les détournements des vrais conflits et aussi la spontanéité et l’incertitude risquée de la liberté dans un projet à inventer, jamais achevé, conflictuel, ouvert. Elle implique aussi, comme nous le montre bien le terrain miné de l’initiative des minarets, qu’il faut qualifier (vérité) et cadrer (politique) les conflits en construisant la justice et l’« auto-limitation » politique pour ne pas basculer dans les dispositifs sécuritaires, identitaires de la guerre.

Les partis populistes en Suisse rompent le consensus rassurant renforcé par la paix du travail et paix sociale. Mais qu’en est-il de la distinction entre conflit et guerre ? Jusqu’où faut-il laisser à de telles forces politiques l’initiative de définir au mépris de la science et de conduire les conflits politiques au mépris de la démocratie vers la guerre ?  Ils violent et détournent la politique, le langage, le droit, les institutions[cxxxii], imposent un conflit haineux en se réclamant de la démocratie directe qui ravive de vieilles craintes de « guerre civile » tout en conduisant à la violence politique guerrière. Au-delà des intérêts et des zones grises d’ambiguïté de la majorité des forces politiques face à de tels agissements, l’inertie exprime peut-être en partie la peur de se faire entraîner dans la violence destructrice. A ce niveau aussi l’évaluation d’expériences historiques et le débat sont essentiels[cxxxiii]. La peur est mauvaise conseillère en politique et en philosophie. La récupération d’une pensée active soucieuse de vérité, la réflexion, le jugement partagés peuvent faire dépasser la peur, le désarroi, le découragement. Ils peuvent  la transformer en puissance d’agir et transformer la colère en courage pour assumer les risques et choisir l’auto-limitation.

Finalement, sur un terrain qui conjugue démocratie, Etat et droit,on voit aussi que le débat politique, doit échapper aux confusions autour des mots de « populisme » et de « démocratie », qu’elle ne peut plus être confiné dans une technicité juridique et circonscrit dans la tension irréductible entre « droit national » et droit international[cxxxiv]. Le débat concerne la dialectique entre la guerre et la paix, la citoyenneté, le droit de cité, l’articulation entre le « droit d’avoir des droits » et les droits fondamentaux liés à la survie, la vie, l’appartenance politique et l’appartenance au monde.

En d’autres termes il s’agit de la création infinie dans le cadre de la démocratie comme régime, projet, imaginaire, selon les termes de Castoriadis. En violant ses propres droits qu’il est censé protégé, en faisant un usage sélectif des droits existants, l’Etat de droit et les partis dominants, réchignent à signer et à appliquer les Conventions internationales quand elles touchent leurs intérêts, comme, par exemple, celle qui concerne les travailleurs migrants non ratifiée par la Suisse et la plupart des pays riches. Ils réchignent  ainsi à intégrer dans la construction des droits, ce que deux avocats défendant les sans-papiers, dans un pladoyer pour le droit de cité. et les demandeurs d’asile, ont appelé « le droit d’être là »[cxxxv].

En synthèse, le dépassement du consensus, surtout quand il prend la forme du mensonge politique, de manipulations des passions politiques, la torsion de catégories classiques dont le sens détourné cache les enjeux (ex. « nationalisme2) et la prise en compte du conflit dans la pratique toujours ouverte d’invention démocratique implique, ce qu’a bien développé Hannah Arendt dans son œuvre, implique de distinguer entre le conflit de la guerre[cxxxvi] et entre la puissance d’agir et la force instrumentale.

A partir de là, la possibilité de la politique et des droits suppose une condition philosophique incontournable : la possibilité d’appartenance politique et donc d’appartenance au monde (éviter l’acosmie). Hannah Arendt a posé le socle du « droit d’avoir des droits » qui est le renversement de la condition de Human superfluity[cxxxvii] et qui est liée étroitement à la possibilité de la politique et d’un rapport au monde. Elle doit être garantie à chaque être humain sur la planète. Loin de faire partie d’une sorte d’inventaire des droits, le droit d’avoir des droits est un socle de base assurant l’appartenance politique et aux droits.  Pour sa part, Jacques Rancière[cxxxviii] avec sa notion très éclairante de « sans part » à la base de la dynamique de toute construction de la politique montre que l’(in)égalité est le moteur de la construction de toute appartenance et participation politique inscrite dans l’agir. Il en appelle à une contre-hégémonie qualitative de l’(in)égalité dans la philosophie politique. Quant à Etienne Balibar, sa proposition « d’égaliberté »  élaborée entre 1989 et 2009, porte sur l’énonciation et l’institution des droits fondamentaux au cours d’un processus inséparable des luttes. Il part des antinomies de la citoyenneté, en tant qu’institution du politique, dont son rapport originaire à la démocratie oblige en permanence à repenser ses conditions de légitimité et de transformation. La démocratie est une lutte infinie pour la « démocratisation de la démocratie » face à une dé-démocratisation engagée par la crise de l’Etat social et l’accélération de la globalisation capitaliste.

Le fait d’assumer le conflit n’élimine pas tous les risques de l’exercice démocratique. Balibar s’en explique : « La citoyenneté démocratique est conflictuelle ou elle n’est pas. Mais cela veut dire aussi que la citoyenneté démocratique – comme l’illustrent par excellence les épisodes révolutionnaires – implique un certain rapport intrinsèque à la mort actuelle ou possible. Pour se sauver ou demeurer vivante en tant que communauté de citoyens, il faut que la cité courre le risque de la destruction ou de l’anarchie dans l’affrontement de ses propres membres dont rien ne saurait la prémunir, surtout pas le fait de criminaliser la dissidence ou de faire porter le soupçon de trahison contre l’objection de conscience »[cxxxix]. A cette remarque importante, j’ajouterai, que le risque n’était pas le même au moment d’Aristote, de Spinoza qu’aujourd’hui.

En ce début de XXIe siècle et avec le souci d’intégrer la rupture historique du XXe siècle, réfléchir aux droits et à la démocratie implique de travailler sur une des résistances les plus fortes, à savoir (au sens de Freud), la difficulté à distinguer entre consensus et conflit, entre pouvoir de domination et pouvoir d’action, et entre conflit et guerre[cxl] et d’identifier la portée des risques que l’on prend. L’attention à ces distinctions, indique que l’invention démocratique n’est pas seulement mise au défi de la destruction de ses propres membres dans l’exercice du pouvoir et donc de pratiquer l’auto-limitation entre ses membres, mais de la destruction de l’humanité et de la planète. Ce fait implique, on l’a vu de passer de la colère au courage et de reprendre une réflexion radicale sur les transformations du pouvoir et de la guerre et la violence extrême et sur l’exigence d’une nouvelle philosophie de l’histoire (Walter Benjamin a ouvert le chemin avec sa figure de l’ange avançant à reculons sur un champ de ruine vers l’avenir) et d’une nouvelle anthropologie politique.

En conclusion

L’objet enfoui derrière la votation des minarets a pu être dégagé. Il concerne, on l’aura compris, l’identification d’un projet politique hégémonique et d’un projet politique de contre-hégémonie qualitative pour l’Europe et l’espace méditerranéen incertain. Il n’a pas la prétention d’être exhaustif. La démarche archéologique de repérage contribue à la construction d’une connaissance des faits, d’une conscience sociale commune, d’un projet politique, civilisationnel articulant histoire et présentvérité, liberté et égalité, repérant les ambiguïtés, travaillant avec lucidité sur les confusions et les manipulations de la pensée, des passions, des institutions politiques aux frontières de la démocratie.

Les drones et l’apartheid des politiques migratoires sécuritaires ont une logique commune. Ils séparent des mondes pourtant communs, des actes de leurs conséquences, ils détruisent les rapports entre les humains et les peuples. Ils renforcent les murs. « La Suisse a son réduit national, l’Europe a sa forteresse », écrit Michaël Rodriguez. La Suisse à l’image de l’Europe balance entre police et politique, écrit Nicolas Busch. Une évaluation des politiques d’immigration, du droit d’asile, du travail, du chômage, de l’éducation, du service public et de bien d’autres domaines nous oblige à ouvrir les fenêtres, à sortir de la forteresse, à repenser la Suisse, l’Europe, l’espace méditerranéen, un monde multipolaire dans l’histoire, l’espace. A prendre conscience du danger d’un modèle politique en recherche d’hégémonie. A nous interroger sur les conditions de possibilité d’une contre-hégémonie ancrée dans l’invention démocratique prise en tenaille entre police et politique et dont les morts aux frontières de la méditerranée sont des sortes de spectres désignant à la fois le passé et l’avenir.

Après 1989, s’il existe une contre-hégémonie qualitative à la fois philosophique et politique, elle se trouve dans les lieux multiples d’un imaginaire, d’un projet démocratique pris dans sa radicalité (Castoriadis) capable d’identifier ce qui se cache derrière l’écran de « nationalismes » illusoires, de connaître les enjeux des situations post-nationales, de distinguer entre individu et masse, entre peuple et nation, entre consensus et conflit, entre conflit et guerre, entre domination et action, ancrée dans le droit d’avoir des droits basée sur la proposition d’égaliberté à toutes les frontières. Dans ces lieux-frontières, l’Europe et l’espace méditerranéen ont un rôle important d’accueil actif et de médiation pour débattre d’une contre-hégémonie qualitative à construire avec le reste du monde.

Genève, juillet 2010


[1] Ce texte a été publié dans les Actes du Convegno Internazionale et Inter-méditerraneo. La Centralita del Medeterraneo dopo la crisis del sistema bipolare. Il Monde arabo e l’Europa tra conflitti e pace. Roma 25-26 Maggio 2010.
[i] Les migrants africains n’ont en principe pas droit à l’immigration en Suisse. En provenance du Nigéria (150 millions d’habitants) en 2009, la Suisse a enregistré 1786 demandes d’asile (seule voie possible de légalisation), dont 99% sont refusées. A la fin du moi de mai 2010, 887 Nigérians déboutés étaient déjà en attente de retour, mais qu’il n’existait que 320 places dans l’ensemble des centres de détention disponibles en Suisse (détention imposée par la loi de contrainte). « Le problème de fond (…), la Suisse est-elle prête à négocier une immigration légale de ce continent », Le Temps, 14.6.2010. Des négociations sont en cours entre la Suisse et le Nigeria. La suiss exclue un droit à l’immigration à tous les migrants extra-européens, sauf exceptionnellement pour des spécialistes de haut niveau.
[ii] Maréchaux Laurent, « Kerviel n’est pas Robin des Bois » (« le brigand de Sherwood était un « bandit social » qui combattait la mainmise des Normands sur les terres saxonnes et l’enrichissemwnt de l’Eglise au détriment des paysans »… « A l’heure où se multiplient injustices planétaires et enrichissements immoraux, notre monde se meurt aussi de n’avoir plus de hors-la-loi au grand cœur », Libération, 1.7.2010.
[iii] Je mets le mot entre parenthèses, car on peut penser qu’il ne désigne pas forcément une expression de type « nationaliste » au sens classique mais cache des projets de destruction des nations, des peuples, des individus pour installer un autre cadre et régime politique.
[iv] Pitroda Sam, « En Inde, les grands cerveaux travaillent trop à résoudre les problèmes des riches », Le Monde, 9 juillet 2010 ; remarque que nous pourrions étendre à d’autres partie du monde avec profit.
[v] Balibar Etienne, « Qu’est-ce qu’une frontière ? », in La crainte des masses. Politique et philosophie avant et après Marx, Paris, Galilée, 1997.
[vi] Pourquoi notamment au moment de la colonisation a-t-on vu fleurir le droit des peuples comme un instrument d’émancipation international et que plus tard il perd de sa substance pour se naturaliser et même se retourner en droit des peuples nationalisé voir ethnicisé ?
[vii] Voir Hobsbawm Eric, « What can History Tell Us about Contemporary Society », in Hobsbawm, E., On History, N.Y., The New Presse, 1997, p. 24-36.
[viii] Un fait les concernant mérite d’être mentionné. Des négociations se sont ouvertes à l’OIT Genève en vue de la création d’un instrument juridique international contraignant qui protège les droits des travailleurs domestique (100 millions de femmes, pour beaucoup de moins de 18 ans sont employées comme domestiques dans le monde). Human Rights Watch demande à l’OIT d’inclure les standars minimums suivants : 1. Application des lois nationales valables pour le travail « formel » appliqué au travail domestique 2. Inclusion d’une protection spécifique des enfants 3. Déliaison du statut et du visa des travailleurs migrants au contrat avec l’employeur 4. Création d’institutions d’assistance et de mécanismes de plaintes. Voir www.hrw.org/en/cities/geneva/events (tel. +41(0)22 738 04 81).
[ix] La revue Naqd à Alger, lance un appel à article sur les mobilités au féminin pour questionner les migrations méditerranéennes à partir d’une approche de genre (3000 mots ou 30.000 signes à faire parvenir jusqu’à fin septembre ; http://www.revue-naqd.org (source, réseau Terra).
[x] Hartmut Rosa, Accélération, une critique sociale du temps, Paris, La Découverte, 2010.
[xi] Voir à ce propos, un article important, Balibar Etienne, « Qu’est-ce qu’une frontière ? », La crainte des masses, Paris, Galilée, 2009.
[xii] Voir notamment à ce propos, Polanyi Karl, La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris,
Gallimard, 2004.
[xiii] Caloz-Tschopp M.C., « Philosophie et Migrations », Caloz-Tschopp Marie-Claire, Dasen Pierre, Mondialisation, migration et droits de l’homme : un nouveau paradigme pour la recherche et la citoyenneté, Bruxelles, Bruyant, vol. I, 2007, p. 75-171.
[xiv] En France par exemple, les diverses estimations du coût des expulsions d’étrangers en situation irrégulière varient de un à six selon la définition des coûts. A ce stade, les calculs prennent en compte essentiellement les coûts de l’Etat expulseur qui délègue ou non certaines tâches au privé (à ce stade, le chiffre maximum articulé par Migreurop est de 76.700 Euros par expulsion), alors que le rapport social de migration exigerait la prise en compte de facteurs de l’ensemble des acteurs et de la chaîne migratoire (incluant les expulsés, leur entourage ( !), les pays d’émigration, de transit, les coûts écologiques, économiques, sociaux indirects).  Pour le calcul des estimations en France, voir Le Bras Hervé, 76.700 par expulsion, La Recherche, juillet-août 2010, no. 443, p. 96.
[xv] « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». Rappelons-nous que cet article a été conçu dans la période bipolaire. Elle faisait référence à la Russie, à l’Allemagne de l’est notamment qui empêchaient leur habitants d’émigrer, de quitter leur pays.
[xvi] A ce propos, Human Rights Watch a dénoncé la coopération de Paris, Londres et Berlin avec des pays qui pratiquent la torture, par le fait de la soutraitance au nom de « l’anti-terrorisme ». Le rapport d’HRW mentionne plusieurs cas concrets d’informations utilisées en Europe dans le cadre d’opérations de surveillance, d’enquêtes, d’arrestations, de procédures judiciaires, alors qu’elles provenaient d’interrogatoires menés sous la torture dans des pays comme la Syrie, l’Algérie, la Jordanie, les Emirats arabes unis, le Pakistan, l’Ozzbekistan. Voir www.hrv.org
[xvii] Pour des descriptions précises, voir à ce propos, les rapports du Parlement européen, du CPT, d’AI, HRW, etc.
[xviii] Un exemple d’actualité en Suisse : « Trois requérants d’asile iraniens font la grève de la faim depuis plus d’une semaine en Suisse pour dénoncer les conditions « inhumaines » dans lesquelles ils vivent et pour protester contre le refus des autorités helvétiques de leur octroyer le statut de réfugiés. Ces trois Iraniens ont fui leur pays où ils se disent menacés pour des raisons politiques et/ou religieuses, et ont vu leur demande d’asile refusée par la Suisse. Les trois requérants d’asile ont entamé une grève de la faim à des dates différentes: le 2, le 21 et le 26 juin. Ils ne sont pas arrivés en Suisse au même moment : Farhad Bazrafkan en 2007, Kaveh Nikmaran en 2008, tandis que Barham Gharianluo vit depuis huit ans et demi dans la Confédération » Europe 1, 6.7.2010.
[xix] Voir notamment, Palidda Salvatore, Dal Lago Alessandro, Conflict, Security and the Reshapping of Society, London, Routledge, 2010.
[xx] Si centre il y a,  il ne se trouve plus plus dans l’alliance hégémonique Europe-Etats-Unis comme l’explique Gérard Challiand notamment : « L’hégémonie absolue exercée par l’Europe et les Etats-Unis, depuis bientôt trois siècles, s’estompe… Nous stagnons, dans une crise qui exige des réformes profondes, tandis que les « réémergents » se développent rapidement et exigent d’autres règles du jeu », Voir Le Monde, 2.6. 2010, p. 19.
[xxi] A ce propos, voir, Gilroy Paul, After Empire, Abingdon, Routledge, 2004.
[xxii] A ce propos, voir notamment, Cox Robert W., « Socail Forces, States, and World Orders : Beyond International Relations Theory », in Cox Robert, Sinclaire Timothy, Approaches to World Order, Cambridge, Cambridge University Presse, 1996, p. 85-123 ; Cox Robert W., « Reflexions and Transitions », in Cox Robert W., with Schlechter Michael G., The Political Economy of a Plural World. Critical Reflection on Power, Moral and Civilisations, London, Routledge, 2002.
[xxiii] En se référant à l’exemple historique du nazisme et de la fondation de l’Etat d’Israël, lors du procès Eichmann, on constate que les mêmes arguments nationalistes sont partagés par A. Eichmann haut fonctionnaire nazi et certains membres de l’Etat d’Israël qui ont participé au procès Eichmann. Voir à ce propos le script du film reprenant des parties du procès, Brauman R., Sivan Eyal, Un Spécialiste. Portrait d’un criminel moderne, film, Paris, 1990. Aujourd’hui, on trouve l’argument nationaliste à la fois chez certains Etats dans le traitement de peuples qui les constitue et chez certains partis xénophobes dans leur défense d’une politique d’immigration sécuritaire.
[xxiv] Voir rapport de la Documentation français,  http://europa.eu.int, Sénat.
[xxv] Selon les estimations établies par PriceWaterhouseCoopers (PwC), le classement indiqué représente le classement économique mondiale à une moment de Switching Wealth, basculement de la richesse mondiale (ce qui ne signifie pas une redistribution de la richesse mondiale) ; la trentaine de pays développés et riches pesait pour une 60% en 2000, en 2010 leur poids est descendu à 51%. Dans 20 ans il ne sera que de 45%. La Chine est devenue le premier exportateur mondial et le premier partenaire du Brésil, de l’Inde et de l’Afrique du sud détrônant les Etats-Unis et l’Euroe, comme l’indique  un rapport de l’OCDE rendu public le 17.6.2010.
[xxvi] Il suffit de citer le fait que le Pentagone disposant d’informations russes datant de leur occupation de l’Afganistan, a rendu public le fait que l’Afganistan, pays de l’opium, avec ses montagnes qui regorgent de fer, de cuivre, de cobalt, d’orge et d’autres métaux précieux est décrite comme « l’Arabie saoudite du lithium » (New York Times, 14juin 2010). L’afganistan reste un terrain d’affrontement des grandes puissances. 
[xxvii] Voir notamment, Ivekovic R., Samaddar R., (éd), Terreurs et terrorismes, Rue Descartes no. 62, Paris, PUF.
[xxviii] Ce concept a été avancé par la sociologue Colette Guillaumin puis par Laurent Monnier, politologue, pour la Suisse. Pour l’Europe, voir, Suvin Darko, « L’immigrazione in Europa oggi : Apartheid o civile coabitazione », Kamen, no. 37, giugno 2010, p. 101-130.
[xxix] Un exemple, en Chine, les dépenses sociales représentent le 40% du PIB.
[xxx] Les drones de la guerre virtuelle partagent des points communs avec les systèmes d’apartheid, qui qualifient non seulement des régimes politiques appliqués dans certains Etats (nazisme, Afrique du sud) mais aussi les politiques migratoires actuelles : la séparation imposée dans les rapports humains, le danger de déréalisation et les violations des droits fondamentaux. Un récent article du Monde (14 mai 2010) apporte des précisions très intéressantes sur les drones qui par analogie rendent plus visibles les effets pervers de certaines politiques qui obéissent aux mêmes contraintes dans un autre contexte. En résumé, dans cet article sont soulignés des dangers de la guerre virtuelle où les combattants qui ne sont plus des pilotes mais des techniciens sont séparés de leurs ennemis : « l’enjeu est de conserver du sens aux actes », dit Claude Valot de l’Institut français de recherche biomédicale des armées. L’éthique professionnelle pourrait-elle consister alors à réinjecter de la conscience dans les drones » ? (The Economist, éd. 3.4.2010). Ce journal fait état du travail d’une équipe du Giogia Institute of Technology qui a mis au point un système baptisé « Etical architecture » qui permettrait aux drones de connaître les dégâts causés par ses frappes et d’ajuster les frappes suivantes en conséquence… Plus largement, si le combattant se déconnecte complètement des populations, il risque de perdre sa crédibilité » estime un pilote qui déclare un pilotoe : « Il ne faudrait pas que cela devienne la guerre technologique des lâches contre la guerre des héros humains ». Sans évoquer en détail ici le respect des principes de discernement et de proportionalité du droit de la guerre mis aussi en cause par les exécutions extrajudiciaires. Les juristes demandent de prendre en considération les études psychologiques qui montrent que tuer à longue distance en utilisant des écrans video, rend la décision d’utiliser la force létale plus facile.
[xxxi] Tosel André, Mettre un terme à la guerre infinie du monde fini. La guerre au carré, à paraître dans les Actes du colloque de théorie politique de l’UNIL-IEPI, avril 2010. L’auteur introduit une quadruple différentiation dans le concept de guerre : 1) multiplicité de conflits nationalitaires à tonalité raciste et potentiellement génocidaires 2) culture de la vie quotidienne hantée par la concurrence et tentée par le recours à la violence contre divers « autres » 3) persistance du mode de production capitaliste transformé par la mondialisation 4) tension entre la soumission réelle du travail et la guerre civile sociale.
[xxxii] Slogan de Solidarité sans Frontières pour la manifestation du 26 juin 2010 à Berne.
[xxxiii] Voir notamment, Hubert Hugues-Olivier, « Entre second souffle démocratique et autoritarisme de la précaution », Imaginer la sécurité globale, La pensée et les hommes, no. 57, 2005,  p. 135-157.
[xxxiv] Busch Nicolas, « Police ou politique ? L’Europe face aux immigrés et aux réfugiés », in Caloz-Tschopp M.C., Clévenot A., Tschopp M.-P., Asile – Violence en Europe. Histoire, analyse, prospective, co-éd. Cahiers des Sciences de l’Education de l’Université de Genève et Groupe de Genève, Genève, 1994, p. 391-409.
[xxxv] Une analyse Vox faite par l’Université de Berne, après la votation mettait en lumière qu’il existe en Suisse une inquiétude réelle, une peur diffuse face à l’islam et le modèle de société qu’il véhicule, mais qu’il n’y a ni rejet fondamental, ni haine généralisée. La presse a souligné à plusieurs reprises qu’il existe autant de liens entre certains courants fondamentalistes présents dans les médias et l’islam, qu’entre le courant fondamentaliste catholique d’Ecône et l’Eglise catholique. Que le débat rejoignait sur certains point le débat sur « l’identité nationale » en France.
[xxxvi] Balibar Etienne, Europe : crise et fin ?, 22 mai 2010 (paru dans El Manifiesto, Italie).
[xxxvii] Demmers Jolle, Mehendale Sameer S., « Neoliberal Xenophobia : The Dutch Case », Alternatives, no. 35, 2010, p. 53-709.
[xxxviii] Gottraux Philippe, Oser nommer, oser dire, pouvoir agir : à propos d’un vote supposé parler de minarets, à paraître Actes du colloque UNIL-IEPI avril 2010.
[xxxix] Perret Basile, La formule « abus » dans les débats publics en Suisse, à paraître Actes du colloque UNIL-IEPI avril 2010.
[xl] Voir à ce propos notamment, Jamin Jérôme, L’imaginaire du complot, Paris, éd. Amsterdam, 2009.
[xli] Par exemple, Human Rights Watch vient de sortir un rapport rappelant les mauvais traitements infligés en 2004 par une unité de l’armée américaine dans la prison d’Abou Ghraib, près de Bagdad qui avait révulsé l’opinion internationale. HRW a interviewé 42 des 300 hommes transférés dans une autre prison sur les mauvais traitements subis. « L’horreur que nous avons découverte laisse à penser que la torture était la norme à Mouthana, situé dans l’ancien aéroport de l’ouest de Bagdad (AFP, 29.4.2010). Pour une analyse philosophique de la cruauté, voir Margel Serge, Critique de la cruauté ou les fondements politiques de la jouissance, Paris, Belin, 2010.
[xlii] Balibar Etienne, « Sur les limites de l’anthropologie politique », Violence et civilité, Paris, Galilée, 2010, pp. 385-417.
[xliii] Un tel questionnement s’inspire des travaux d’Etienne Balibar et d’autres chercheurs en dialogue sur ces questions (Rada Ivekovic, Ranabir Samadarr, Bertrand Ogilvie, etc.) en intégrant l’évolution de la violence. Voir notamment, Balibar Etienne, Violence et Civilité, Paris, Galilée, 2010. Une approche par le « care » la vulnérabilité, la dépendance ou encore la blessabilité ou « il est impossible que l’autre soit destructible sans que je le sois aussi, et l’inverse est également vrai », sur la réciprocité de la destruction est un autre angle d’approche. Voir Butler Judith, Ce qui fait une vie. Essai sur la violence, la guerre et le deuil, Paris, La Découverte, 2010. Voir aussi, Métraux Jean-Claude, Deuils collectifs et création sociale, Paris, La Dispute, 2009.
[xliv] Balibar Etienne, La proposition de l’égaliberté, Paris, PUF, 2010 ; COMPLETER TOUS LES AUTEURS
[xlv] http://www.wired.com/wired/archive/8.04/joy_pr.html
[xlvi] Arendt Hannah, « Du désert et des oasis », Fragmente 4, in Qu’est-ce que la politique ? 1995, Paris, Points, p. 186-191.
[xlvii] Ivekovic Rada, « Une guerre de fondation en Europe ? », Caloz-Tschopp Marie-Claire, Clévenot Axel, Tschopp Marie-Pia, Asile, violence, exclusion en Europe. Histoire, analyse, prospective, Genève, co-éd. Cahiers des Sciences de l’Education de l’Université de Genève et Groupe de Genève, « Violence et droit d’asile, en Europe, 1994, p. 5-11.
[xlviii] Un programme national de recherche du FNSRS (PNR 42) vient de rendre public ses résultats sur la question.
[xlix] Derrida Jacques, Spectres de Marx, Paris, Galilée, 1993.
[l] Lorsque les espagnols sont arrivés en Haïti, les estimations oscillent entre 1 à 1,5 millions d’habitants et au bout d’une quarantaine d’années il restait 30 à 40.000 habitants.
[li] Il est vrai qu’Haïti est plus éloigné que l’Algérie et même le Vietnam pour la France, que nous sommes à la fin du XVIIIe siècle, qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’exploitation coloniale des ressources en exploitant la main d’œuvre indigène. Dans le cas d’Haïti, des massacres ont supprimé les habitants et il y a eu ensuite importation d’esclaves mis au travail forcé.
[lii] Etemad Bouda, De l’utilité des empires. Colonisation et prospérité de l’Europe, Paris, A. Colin, 2005, p. 171.
[liii] La prégnance de l’argument démographique dans les débats sur les politiques d’immigration pourrait être entendu dans ce sens.
[liv] Tejada Gabriela, Bolay Jean-Claude (eds), Scientific Diasporas as Development Partners, Berne, Peter Lang, 2010.
[lv] Etemad Bouda, De l’utilité des empires. Colonisation et prospérité de l’Europe, Paris, A. Colin, 2005, p. 297.
[lvi] Nedjar Sophie, « L’islam en Suisse est-il coupable d’être trop discret ? », Le Temps, 21.12.2009.
[lvii] Alors qu’on assiste à une dérive de la presse vers le populisme, la Conférence mondiale des journalistes d’investigation a fait état de la fragilité et des dangers (ex. de Roberto Saviano et ses travaux sur la maffia)  de ce mode de travail journalistique en avril 2010.
[lviii] Thireau Isabelle, Linshan Hua, Les ruses de la démocratie. Protester en Chine, Paris, Seuil, 2010.
[lix] Il n’est pas dans mon propos de vous présenter un inventaire exhaustif des nombreux travaux sur la Suisse, la votation des minarets et d’en tirer des leçons savantes pour un renouvellement épistémologique de la philosophie, les sciences économiques, politiques et sociales.
[lx] Loraux Nicole, L’invention d’Athènes, Paris, Payot, 1981 ; La cité divisée, Payot, 1997.
[lxi] De tous ordres et dans tous les endroits du monde. Soulignons que dans son communiqué de prsse du 27 mars 2009, le Parlement suisse a écrit notamment : « Loin de lutter contre l’extrémisme islamiste, cette initiative risquerait au contraire de favoriser de telles tendances ». (08.0061).
[lxii] Noam Chomsky, extrait tiré de Jean Bricmont et Julie Frank (sous la dir. de Chomsky), Chomsky, Cahiers de l’Herne, no. 88, Paris, 2007, cité par le Monde diplomatique, mai 2010.
[lxiii] J’ai traité cette question ailleurs à propos de la rupture impliquée par l’invention totalitaire au XXe siècle et les questions philosophiques et épistémologiques qu’elle pose. Voir Caloz-Tschopp Marie-Claire, « La pensée en mouvement », in, Les sans-Etat dans la philosophie d’Hannah Arendt. Les humains superflus, le droit d’avoir des droits et la citoynneté, Lausanne, Payot, 2000, p. 315-408.
[lxiv] Donnons deux exemples actuels. D’après la banque mondiale, les migrants ont transféré près de 328 milliards de dollars dans les pays en développement en 2008, soit près de trois fois le volume total des fonds publics alloués à l’aide au développement ; dans la même période plus de 40% de chercheurs viennent d’Asile par exemple.
[lxv] Selon l’Office des migrations (ODM), la Suisse compte en 2010, 1.692 568 étrangers avec une croissance de 3,3% d’européens, soit 1.076 540 personnes,  (5,4 en 2009) et une croissance de 616.028, soit 04% de citoyens non membres de l’UE. « Cette faible progression est à mettre sur le compte de la politique du Conseil fédéral, qui limite le recrutement dans ces pays aux personnes qualifiées » (ATS, 9.6.2010). Parmi les étrangers arrivés, les Kosovars sont les plus nombreux (33 038), suivis des Allemands (14.470), des Portugais (8131), des Français (4548), des Britanniques (2110). Par contre la Suisse a connu une baisse significations des Serbes (-36.810), des Bosniaques (-1644), des Croates (-1166) et des Italiens (-1125).
[lxvi] Genève et Lausanne accueille un conférencier « créationiste », Harun Yahya, musulman d’origine turque qui, selon Ahmed Benani, contribue à dépeindre une image fondamentaliste de l’islam dans une Suisse déjà traversée par une « vague de rejet de l’altérité religieuse et culturelle », Le Courrier, 19 mai 2010. Une telle conférence succède à d’autres conférences sur le créationnisme en provenance des Etats-Unis.
[lxvii] Parmi les nombreux articles à ce sujet, voir par exemple, Garton Ash Timothy, « Europa avanza sonambula hacia el declive », El Païs, 22.5.2010.
[lxviii] Ce qui fait dire à une experte sur le sur le système bancaire, à propos du secret bancaire : « Si la Suisse intègre l’Union européenne, ce sera pour des raisons économiques, une fois que tous les avoirs gris auront quitté le pays », Myret Zarki, in Le Courrier, La Suisse a-t-elle vraiment enterré son secret bancaire ? 15 mai 2010, p. 5.
[lxix] Kalogiannidis Alexandre, Aux origines de la propriété intellectuelle sur le vivant en Suisse : ou comment faire de la connaissance sur le vivant un bien marchand, Mémoire de Master en Sciences Politiques, Université de Lausanne, été 2010.
[lxx] Après la votation, le Conseil fédéral a opté pour une stratégie des négociations bilatérales (justice, sécurité, migration, droit d’asile, conventions de Schengen et Dublin).
[lxxi] Condamné pour « racisme d’Etat » par l’ONU.
[lxxii] Un professeur à l’Université de Fribourg propose une typologie de la droite radicale, famille politique composée de trois courants (partis de droites populiste, prépondérants ; UDC, Lega FPO, FN ; ce courant met le peuple en avant qu’il dit représenter, insiste sur les différences culturelles, ne mène pas d’actions directes, utilise le système politique ; la nouvelle droite, mouvement intellectuel né dans les années 1960 avec un discours de « différentialisme culturel » ; figure de proue en France, Alain de Benoist ; l’extrême droite avec les exemples du Jobbik hongrois ou le NPD allemand ; multiples groupeuscules  caractérisés par leur agressivité, skinheades, négationnistes, néofascistes, nationaux révolutionnaires en France. Voir Skenderovic Damir, The radical right in Switzerland. Continuity and change, 1945-2000, Berghahn Books, 2009.
[lxxiii] Autre exemple ailleurs. Avec une récente loi  discriminative votée en Arizona aux USA et appliquée dès l’été 2010 en l’absence d’un cadre légal fédéral, pour durcir les conditions d’accès à l’immigration et au séjour des 460.000 clandestins (11,9 millions aux USA et la marche des 100.000 clandestins à Washingon l’été dernier) à six mois des prochaines élections, on se dit que le débat ressemble trop à une manipulation de l’opinion pour pouvoir articuler une législation sur les clandestins, un contrôle de l’immigration et un contrôle des conditions du marché du travail (concurrences des travailleurs latinos à l’encontre des travailleurs blancs pauvres).
[lxxiv] Le cas des minarets  n’est pas l’unique cas où l’on peut observer une déconnextion entre la démocratie semi-directe et les droits  fondamentaux. Le parlement suisse vient de refuser de mettre la Suisse en conformité avec les directives UE-Schengen-Dublin qui impliqueraient de réduire la durée de la détention administrative au nom de la démocratie semi-directe.
[lxxv] Voir site du Parlementsuisse : http://www.parlament.ch/f/Suche/Pages/geschaefte.aspx?gesch_id=20090060
[lxxvi] Communiqué de l’Union Démocratique du Centre (UDC), 30 novembre 2009.
[lxxvii] A l’occasion des élections régionales en France, le Front national a utilisé le graphisme de l’affiche antiminarets.
[lxxviii] L’idée de l’initiative est venue des jeunesses de l’UDC, Christoph Blocher y était personnellement opposé, mais l’UDC l’a endossée.
[lxxix] Voir le Message du Conseil fédéral du 27.8.2008  concernant l’initiative (conflit avec les normes internationales, menace sur la paix religieuse, etc.).
[lxxx] Les votants de Bâle, Genève, du Valais, de Fribourg, de Zurich, du canton du Jura,  ont refusé l’initiative.
[lxxxi] Le Groupe pour une Suisse sans Armée (GSSA) a lancé une initiative contre l’exportation du matériel de guerre en 2008 (avec 107.828 signatures) qui a été en campagne en même temps que l’initiative contre la construction des minarets en 2009, voation le 20.8.2009). Le slogan de la campagne était : Globalisons le désarmement.
[lxxxii] Voir à ce propos l’entretien avec la vice-présidente de la FSCI, Sabine Simkhovitch-Dreyfus, Le Courrier, 8 mai 2010.
[lxxxiii] A propos de la disparition du secret bancaire, soulignons le revirement de l’UDC ; le parti vient de retirer son appui à sa sauvegarde – ce parti était opposé sur le principe de l’accord d’entraide sur l’UBS avec les Etats-Unis qui porte sur la livraison au fisc américain de 4.500 noms de clients de la banque – à la condition pas taxer les bonus des managers.  (23 mai 2010). 
[lxxxiv] Journal, La Liberté, au lendemain des résultats.
[lxxxv] Ce terme est revendiqué dans des débats contradictoires soit pour désigner l’hostilité à l’islman comme religion, soit pour désigner l’hostilité aux musulmans comme groupe socioculturel étranger ou minoritaire. Le débat qui prête à confusion n’est pas tranché.
[lxxxvi] Les homosexuels sont aussi, par exemple, la cible des attaques de l’UDC.
[lxxxvii] Pour la première fois, la Suisse dispose d’une statistique présentant l’ensemble des infractions commises dans le pays. Olivier Guéniat, chef de la police de sûreté de Neuchâtel et criminologue de renom, commente ces chiffres et bat en brèche quelques idées reçues. Il constate notamment que les mineurs commettent moins de délits qu’avant et exclut toute corrélation entre nationalité et passage à l’acte. Quant à l’initiative pour le renvoi des criminels étrangers, elle n’aura aucune influence sur la criminalité, Le Courrier, 17 mai 2010.
[lxxxviii] Par des mesures d’exclusion diverses, dans la tradition d’une politique anti-tsigane dont la Suisse a été pionnière, voir http://www.labreche.ch/print/HuonkerBihr05_10.html
[lxxxix] La dernière campagne électorale a été une campagne antifrontaliers orchestrée par l’UDC, le MPC et aussi certains courants de la gauche.
[xc] « Jusqu’à présent, seuls l’UDC de Zurich [Union démocratique du centre, parti populiste de droite] et son principal organe de presse, l’hebdomadaire Weltwoche, s’en prenaient aux Allemands installés en Suisse. Désormais, ces attaques sont reprises par des personnalités politiques et médiatiques, réputées sérieuses et progressistes, et par une partie de la Suisse alémanique », Courrier international, 17.2.2010.
[xci] Le Grand Conseil du canton d’Argovie a adopté par 89 voix contre 33 (ensemble des partis de droits) une motion des Démocrates suisses demandant l’interdiction de la burqa (5 mai 2010)
[xcii] Le débat n’est pas lancé cette fois-ci par l’UDC, mais par Christophe Darbellay, chef du PDC. « Les musulmans et l’Etat libéral sont doublement pris en otages par ceux qui testent toujours plus les limites de la démocratie : d’un côté, par les fondamentalistes musulmans, voir les croyants conservateurs qui monopolisent la parole. De l’autre par les populiste, tout aussi fondamentalistes que les barbus puisque, par un effet miroir, ils résument eux aussi l’islman à sa caricature », Le Courrier 23-24 mai 2010 (édito).
[xciii] Je ne parle pas ici des divers courants et acteurs défendant « l’islam » au nom d’une tolérance religieuse ambiguë et qui, renforcent de fait l’UDC tout en légitimant une partie des peurs liées à des régimes autoritaires.
[xciv] Dans une tribune publiée par le journal Neuer Zurcher Zeitung (NZZ)  du  12 mai 2010,
[xcv] Par exemple, le camp sur l’île de Lampedusa n’acceuille plus personne, mais que deviennent les requérants qui venaient de Lybie ? Il y a moins de disparitions d’immigrés en mer, mais il y a des morts ailleurs. Des enquêtes journalistiques ont décrit des morts dans les déserts lybien qui les renvoie dans le désert. Voir un livre de la porte-parole du HCR, Laura Boldrini, Tutti indietro (En arrière tous), 2010, éd. Rizzoli.
[xcvi] Voir à ce propos, sur le site du Département de Justice et Police du canton de Vaud, le rapport du juge indépendant Rouiller.
[xcvii] http://www.bicweb.vd.ch/seance.aspx?pObjectID=327773&date=12.05.2010
[xcviii] Sternhell Zeev, Les anti-Lumières. Du XVIIIe siècle à la guerre froide, Paris, Fayard, 2006.
[xcix] Voir à ce propos, de Pury, Hauser H., Schmid B., Ayons le courage d’un nouveau départ. Un programme pour la relance économique de la Suisse, Berne, Orel Füssli ; Georges S., Sabelli F., La Suisse aux enchères. Réplique à la pensée unique, Genève, Zoé, 1997 ; Jaggi et al., Le livre noir du libéralisme, Lausanne, éd. de l’aire, 1996.
[c] Citons pour information, la dernière déclaration publique de Ch. Blocher à l’hebdomadaire Weltwoche. Tout en ayant une vision très pessimiste de l’Euope, il déclare avoir une admiration pour deux hérault du social-libéralisme des années 1990-2000. Gerhard Schröder « a au moins eu le courage de faire le ménage dans le domaine social », Toni Blair, « ferait probablement mieux qu’aujourd’hui D. Cameron ». La Suisse est entourée d’Etats très endettés qui ont besoin d’argent. « Cela peut devenir dangeureux. La tentative de s’emparer par les armes du trésor public suisse est une constante de l’histoire européenne ». La Suisse doit prendre des précaution en conservant notamment « une armée forte », in Le Temps, 21 mai 2010.
[ci] Un programme de recherche du FNSRS, le PNR 42 qui a été mené à bien sans pouvoir ouvrir les archives (ce qui vient après coup d’être autorisé) qui vient d’être publié, décrit le soutien de Ch. Blocher au régime d’apartheid : création et présidence du Groupe de travail Afrique du Sud (ASA), un loby qui avait pour mission de « corriger la désinformation mondiale concernant l’Afrique australe ; – EMS-Patvag filiale de l’entreprise Blocher Ems-Chemie – aurait livré au régime de l’apartheid des détonateurs sous la dénomination « produits de série anonymes », ainsi que des licences de production.
[cii] L’arrêté fédéral urgent (AFU) de « non entrée en matière » pour des requérants d’asile a été inventé par le Conseiller fédéral, Arnold Kohler du partie démocrate chrétien (PDC) qui a cédé aux pressions l’UDC. Peu appliquée au départ, elle a été appliquée systématiquement par Blocher au Conseil fédéral dès 1999.
[ciii] Ce leader populiste vient de presque tripler son nombre de députés dans le scrutin législatif des Pays Bas du 10 juin dernier. En novembre 2009, il avait félicité les Suisses après le référendum sur l’interdiction des minarets. « Le beau score de la plate-forme islamophobe de Geert Wilders confirme la vague anti-immigrés qui déferle depuis des années sur l’Europe », Le Temps, 11.6.2010.
[civ] Bruno Zuppiger, parlementaire national depuis 1999, membre de la commission des fiances du parlementn pronant le « moins d’Etat » par la réduction des dépenses publiques, et par l’attaque des conditions de travail des fonctionnaires publiques, contre l’assurance maternité, entre autre, a été élu (fin mai 2010) à la présidence de l’USAM, regroupant 280 associations patronales suisses.
[cv] Le Comité contre la torture (CAT) a dénoncé dans un rapport récent, l’usage excessif de la violence dans les renvois forcés. http://www.humanrights.ch/home/fr/Suisse/DH-et-politique-interieure/Poursuite-Punition-Detention/Torture/idcatart_9875-content.html?zur=79
[cvi] Je remercie l’avocat Christophe Tafelmacher qui m’a apporté ces précisions.
[cvii] Rigaux François, Où en est la notion de guerre juste ? à paraître dans les Actes du colloque de théorie politique de l’UNIL-IEPI, avril 2010.
[cviii] Ebel Marianne, Fiala Pierre, L’égalité contre les frontières, à paraître dans les Actes du colloque de théorie politique de l’UNIL-IEPI, avril 2010.
[cix] Au moment où j’écris, l’UDC vient de refuser une proposition du parti socialiste demandant, tout en acceptant « l’accord UBS » imposé par le gouvernement américain aux banques et au gouvernement suisse, la taxation des bonus. L’argumentation de Ch. Blocher est qu’il veut protéger l’industrie suisse contre la spéculation financières transnationale.
[cx] Une expertise du Comité de l’ONU contre la torture est en cours (état au 3 mai 2010)par des experts des Nations Unis pour mauvais traitement, notamment dans les prisons et la répression des migrants.
[cxi] Voir notamment, Klemperer Victor, LIT. La langue du IIIe Reich, Paris, Albin Michel, 1996 ; Faye Jean-Pierre, Le langage meurtrier, Paris, Hermann éditeurs 1996 ; Faye Jean-Pierre, Langages totalitaires, Hermann éd. 1972.
[cxii] Au moment où j’écris, je reçois une information intitulée : « Soloturn Landhausversammlung zur Stärkung der Menschenrechte und der Direkten Democratie », 29 mai 2010, Soloturn. Faudrait-il comprendre que la démocratie (directe) s’opposerait forcément aux Droits de l’homme ? Dans l’usage de l’UDC, certes, mais…
[cxiii] « Après un zigzag politique difficile à suivre, l’UDC a fait pencher la balance en faveur de l’accord entre la Suisse et les Etats-Unis qui permet la livraison des données de 4450 comptes de clients UBS (banque) au fisc américain. Cerise sur le gateau, le soutien à cet accord imposait de renoncer à la possibilité de lancer un referendum. C’est un comble pour ce parti, d’habitude si prompt à partir en croisade pour défendre la vox populi – il hurle au scandale rien qu’à l’idée que Strasbourg (CEDH) puisse statuer sur l’interdiction des minarets », Armanios Rachad, L’intenable grand écart de l’UDC, Le Courrier, 23 juin 2010.
[cxiv] michael.rodriguez@courant-d-idees.com
[cxv] Il faudrait analyser ici les aléas de la prolifération des ONG, de la professionnalisation du travail citoyen dans un période de chômage des classes moyennes formées et de ses effets néfastes sur la mobilisation de base (division des forces pour être visible dans les campagnes d’information et aussi financières ; poids du travail de sponsoring qui prend la place du travail de mobilisation,  par ex.).
[cxvi] H-Peter Raddatz et Baber Johansen, dans un article intitulé, « L’islam et l’Etat de droit » déplacent le débat et tentent de démontrer que le mouvement de sécularisation, de séparation entre l’Eglise et l’Etat dans l’histoire européenne n’est pas perceptible dans l’islam, bien au contraire. Stéphane Grodecki (revue de droit Plaidoyer, no. 1, 2010, p. 56-61) argumente que l’initiative est inapplicable (atteinte des droits de l’homme, primauté du droit international, articulation du droit international et suisse, légimité populaire, articulation entre les droits de l’homme et la constitution suisse, inapplicabilité de l’initiative)
[cxvii] Voir aussi : http://www.humanrights.ch/home/fr/Suisse/DH-et-politique-interieure/droit-interne/fr/Suisse/DH-et-politique-interieure/droit-interne/idcatart_9756-content.html. Cette rubrique présente des articles relatant le débat en Suisse autour des zones conflictuelles entre la démocratie directe et le droit international. Ce sont en particulier certaines initiatives populaires qui se sont heurtées aux engagements du devoir de respect des droits humains pris par la Suisse.
[cxviii]          « L’initiative interdisant les minarets est contraire au droits humains », Plateforme d’information humanrights.ch : http://www.humanrights.ch/home/fr/Suisse/DH-et-politique-interieure/Groupes/Culturel/idcatart_9243-content.html
[cxix]            Pour un exemple récent : Zurcher, Caroline, « Minarets: la Cour des droits de l’homme saisie », Tribune de Genève, mercredi 16 décembre 2009.
[cxx]             Dolivo et Tafelmacher, « Sans-Papiers et demandeurs d’asile … », art. cit., pp. 464-466. Weil-Lévy, Anne, Grünberg, Karl, et Isler Glaus, Joëlle, Suisse : un essai sur le racisme d’Etat, Editions CORA, Lausanne 1999 (1er volume : 1900-1942) et 2003 (2ème volume : 1942-2002).
[cxxi] Pour une analyse critique : AUER, Andreas, « La constitution fédérale, les droits de l’homme et les mesures de contraintes à l’égard des étrangers », Pratique Juridique Actuelle (AJP/PJA), Zürich 1994, p. 749-760.
[cxxii] « Internement à vie : nouvelles règles (CN 4/07) », Plateforme d’information humanrights.ch :   http://www.humanrights.ch/home/fr/Suisse/DH-et-politique-interieure/Poursuite-Punition-Detention/Detention/idcatart_5404-content.html
[cxxiii] Très peu d’initiatives ont été acceptées. La première initiative acceptée à été celle d’une protection sociale solidaire – l’AVS -, ce que la mémoire populaire se rappelle, mais qui est oublié dans les débats politiques.
[cxxiv] le droit d’initiative est la possibilité de soumettre au vote une modification constitutionnelle sans que le parlement ne se soit prononcé au préalable, pour autant que la modification soit soutenue par 100’000 électeurs (art. 139 http://www.admin.ch/ch/f/rs/101/a139.html).[
cxxv] Le Courrier, au lendemain des élections au Grand Conseil de Genève où le Mouvement citoyens genevois est sorti le grand vainqueur à Genève en raflant le ¼ des voix de la droite,  en faisant une campagne active contre les frontaliers
[cxxvi] « A l’évidence, le peuple dans sa majorité ne recule pas devant la violation des droits fondamentaux. Peut-être même désire-t-il justement cela. Peut-être appelle-til de ses vœux un régime autoritaire, qui piétine des droits de certaines catégories inférieures d’individus pour mieux le protéger, lui, des menaces que ceux-ci – toujours les autres – font planer sur lui. Depuis près de deux décennies, méthodiquement, une mentalité d’assiégé s’est remise à régner sur ce pays. On assiste à un retour en force de l’idéologie du réduit national. Soit dit en passant, la Suisse n’est pas seule en cause. Elle a son réduit national ; l’Europe a sa forteresse », Michaël Rodriguez, « Démocratie et consommation », 20.12.2009, in http://www.courant-d-idees.com.
[cxxvii] Voir à ce propos Humanwights.ch et texte du prof. Andreas Auer.
[cxxviii] La question a été soumise par le juriste Antoine Boesch à la Commission européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle est à l’examen.
[cxxix] L’UDC a menacé d’exiger que la Suisse « résilie les traités » internationaux garantissant la liberté religieuse s’ils étaient invoqués pour annuler le résultat du référendum interdisant la construction de minarets (APF 30 novembre 2009).[
cxxx] Soulignons à ce propos que le « peuple » a aussi voté la Constitution qui convient l’interdiction de la discrimination religieuse. Deux légitimités « populaires » s’affronteraient-elles entre celle de la Constitution et d’une loi, toutes deux au nom de la défense de la discrimination religieuse ?
[cxxxi] Voir à ce propos, Rigaux François, 1) « Introduction au concept d’action humanitaire », in Cultures et Sociétés, Université de Strasbourg, no. 16-17, p. 49-69. 2) Possibilités et limites du droit international, texte de l’esposé du 3.12.199 dans le cadre du programme plurifacultaire d’Action humanitaire de l’Université de Genève ; 3) « Quelle force au service de quel droit ? », in Caloz-Tschopp, Le devoir de fidélité à l’Etat entre servitude, liberté, (in)égalité, Regards croisés, Paris, l’Harmattan, p. 49-69 ; 
[cxxxii] Quelques exemples non exhaustifs. Rappelons les déclarations de Christoph Blocher sur la suppresion de la Constitution si celle-ci s’opposait à ses propositions ; Rappelons que le même Christoph Blocher, alors Conseiller fédéral a violé la règle de la séparation des pouvoirs en critiquant des décisions de justice et en forçant le procureur général de la Confédération à la démission, en inventant des dispositifs dans le droit d’asile contraires à la Constitutions (ex. création d’une catégorie de « non entrée en matière » pour empêcher l’accès aux droits de requérants d’asile).
[cxxxiii] Voir notamment à ce propos, Caloz-Tschopp Marie-Claire, Hannah Arendt, le fil rompu entre violence et révolution au XXe siècle, Colloque d’histoire contemporaine, UNIL. Actes à paraître 2010.
[cxxxiv] que l’on peut aussi constater entre la Charte de l’ONU défendant l’inviolabilité des frontières et la Déclaration des Droits de l’homme défendant la liberté de circulation des personnes (limitée il est vrai à la sortie d’un pays mais pas à l’entrée dans un autre pays).
[cxxxv] Dolivo Jean-Michel, Tafelmacher Christophe, « Faire reconnaître le droit d’être là », Caloz-Tschopp Mare-Claire, Dasen Pierre, Mondialisation, migration et droits de l’homme : un nouveau paradigme pour la recherche et la citoyenneté, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 459-519.
[cxxxvi] Voir à ce propos, Caloz-Tschopp Marie-Claire, Résister en politique, résister en philosophie avec Arendt, Castoriadis et Ivekovic, Paris, La Dispute, 2008.
[cxxxvii] Caloz-Tschopp Marie-Claire, Les sans-Etat dans la philosophie de Hannah Arendt. Les humains superflus, le droit d’avoir des droits et la citoyenneté, Lausanne, Payot, 2000.
[cxxxviii] Rancière Jacques, La mésentente, Paris, Galilée, 1995.
[cxxxix] Balibar Etienne, La proposition de l’égaliberté, Paris, La Découverte, 2010, p. 339-359.
[cxl] J’ai approfondi cette question ailleurs. Voir Caloz-Tschopp M.C., Résister en politique, résister en philosophie, Paris, La Dispute, 2008, p. 340-350.