Autoritarisme et Violence

Ahmet Insel

La Turquie est un cas intéressant de régime de transition permanente. Le processus de transition vers la démocratie, annoncée et réclamée par toutes les forces politiques, soutenue au moins publiquement par les diverses composantes de la société civile, semble ne pas y avoir de fin. L’énigme que nous pose le cas turc est de savoir s’il y a vraiment une sortie vers une démocratie consolidée de cet état de transition permanente? Comment on arrive à briser cette dynamique d’avancée et de recul qui s’inscrit dans la très longue durée et qui finit par créer l’impression qu’elle représente l’état normal? Cette interrogation interpelle bien sûr les hypothèses des théories du développement politique et  remet en cause la validité de l’universalité naturelle de la démocratie, en tout cas des normes démocratiques contemporaines. D’où l’interrogation sur l’existence d’une “trappe à la transition”, soutenue par des facteurs endogènes historiques aussi bien politiques que sociales dans un pays qui est parmi les pays « en transition démocratique » le plus intégré dans les institutions du système de démocratie occidentale. Cette permanence de la transition pourrait être mise en parallèle avec la prolongation indéfinie du statut de la Turquie comme candidat à l’adhésion à l’UE.

L’incapacité à réaliser la consolidation de la démocratie n’est pas spécifique à la Turquie. Aujourd’hui plusieurs pays relève de ce cas. Leur nombre semble être sensiblement plus élevé que les pays que l’on peut qualifier de démocratie consolidée ou, au contraire, de dictature. Cette situation d’entre-deux, largement répandue à travers le monde, constitue une vaste zone grise occupée par autant de pays que de cas particulier. Il y a un foisonnement d’appellation pour appréhender ces régimes “hybrides” qui présentent plusieurs facettes contradictoires: pluralisme limité, illébéralisme, bonapartisme, régime semi-autoritaire, démocratie déléguée, autoritarisme compétitifs, etc… Ce qui les rassemble c’est la coexistence des institutions et des pratiques démocratiques avec des institutions et des pratiques qui violent ouvertement les principes démocratiques. Dans ces régimes hybrides, la plupart du temps les dirigeants se font élire par des élections plus ou moins libres et transparentes, le multi-partisme perdure mais le système politique reste monopolistique. Le pouvoir reste concentré dans les mains d’une caste ou d’un leader et n’est pas contrebalancé efficacement par des institutions démocratiques. Même si sur papier le principe de la séparation des pouvoirs est en vigueur, ces régimes sont marqués par la pratique d’unicité ou d’homogénéité des pouvoirs. La conjonction de plusieurs facteurs, notamment des facteurs historiques, internationales et socio-économiques font que ces régimes parviennent à se reproduire et à perdurer. Les changements survenus dans le pouvoir concernent plutôt la substitution d’une caste ou d’un leader à un autre sans pour autant changer les mécanismes de l’exercice du pouvoir. Ceci donne à ces autoritarismes une coloration démocratique et pluraliste mais les pratiques autoritaires continuent à fonctionner sans discontinuité. D’où l’interrogation sur le caractère transitoire des régimes hybrides. 

Le concept d’autoritarisme est souvent utilisé pour qualifier un large éventail de régimes qui occupent cette zone grise. Dans les régimes autoritaires, contrairement aux totalitarismes ou aux dictatures, la violence politique envers l’opposition et la contestation n’est pas systémique. Elle est plutôt aléatoire et larvée. Les régimes autoritaires ne sont pas des régimes de la répression massive, généralisée et ouverte. Pour pouvoir continuer à exercer le pouvoir plutôt par adhésion que par pure contrainte et pour répondre à certaines des contraintes internationales contemporaines, les régimes autoritaires autorisent l’existence de larges pans de libertés mais se réservent la possibilité de réprimer arbitrairement, selon les besoins de la conjoncture politique, l’exercice de ces libertés. Contrairement aux régimes totalitaires, les autoritarismes n’exigent pas une adhésion formelle complète de tous les citoyens à l’idéologie du pouvoir et contrairement aux dictatures le pluralisme y est formellement respecté et la contestation n’est pas officiellement bannie. Mais contrairement à une démocratie consolidée, les libertés fondamentales ne sont pas solidement établies et préservées, l’Etat de droit est aléatoire et le pouvoir réel est fortement concentré dans les mains du leader ou d’une caste au pouvoir. Contre toute contestation politique qu’il considère comme un défi à son autorité, le pouvoir peut déployer une violence légale débridée mais d’une manière aléatoire et discontinue.

Les régimes autoritaires sont marqués par les multiples manifestations de l’abus d’autorité. L’abus d’autorité elle-même est la forme la plus répandue de la violence exercée par le pouvoir dans les régimes autoritaires. La violence des appareils répressifs de l’Etat est souvent déclenchée devant les contestations de cet abus d’autorité. Aux recours disproportionnés à la violence par les forces de sécurité contre des manifestants ou à la violence judiciaire par l’extension du champ d’application des “crimes contre l’Etat” vers des contestations de l’autorité du pouvoir ou du leader s’ajoutent la violence économique exercée par un partage ultra-partisan des opportunités économiques et la violence symbolique par le contrôle des média. Toutes ces formes de violence ne s’exercent pas avec la même amplitude et ne se manifestent pas avec la même sévérité. Une multiplicité des nuances du gris existe aussi dans la manifestation et l’exercice de la violence par les régimes autoritaires. Mais dans l’ensemble ce qui semble être commun aux régimes autoritaires c’est la crédibilité de la menace de déclenchement d’une violence légale ou apparentée par les institutions du régime contre toute contestation de ses décisions. Cette violence est moins celle déclenchée par un pouvoir disposant d’une idéologie directrice élaborée que par les ressorts d’une mentalité voire même d’un réflexe autoritaire. Cette mentalité ou ce réflexe perçoit toute contestation ou toute revendication comme anxiogène, comme un manque de respect, donc comme des menaces majeurs. C’est dans ce sens que l’autoritarisme est foncièrement liberticide. Il est marqué par le sceau de la suspicion et de la méfiance et réagit violemment devant les désirs d’autonomie des sujets.

     La transition est débattue en Turquie depuis le XIXème siècle. Mais sans aller aussi loin, en reprenant l’histoire de la Turquie depuis 1923, date de proclamation de la République, le système qui se met en place autour d’un chef charismatique et une oligarchie civile et militaire a une forte connotation dictatoriale. Parti unique, chef inamovible, confusion entre les organes de l’Etat et les organes du parti, des libertés fondamentales fortement restreintes mais en même temps introduction par le haut de réformes (laïcité militante, droit de vote des femmes, code civil suisse, etc…). La violence du régime est forte. Toutes velléités de contestation de l’autorité du parti unique et encore plus du chef sont durement réprimées. Le régime n’hésite pas à faire fonctionner des tribunaux d’exception dont les jugements sont sans appel, réprime violemment les demandes de reconnaissances de l’identité des kurdes, poursuit la politique d’épuration etno-religieuse commencée dans les années 1910 et n’hésite pas à emprisonner les opposants politiques. Les leaders de l’oligarchie civile et militaire sont partisans du despotisme éclairé comme une nécessité historique due au faible niveau d’éducation u peuple. L’élite de l’Etat doit assumer d’être envahisseur et conquérante pour le bien du peuple et malgré lui. Cette thèse, l’épine dorsale de l’autoritarisme élitaire, va rencontrer un large écho parmi les officiers modernistes  qui forment la caste dirigeante avec les jeunes éduqués des premières générations de la république. L’abolition de la monarchie en 1922 et l’intégration du califat dans le corps de l’Assemblée Nationale via l’expatriation du calife en 1924 sont des moments décisifs du long processus de substitution de l’autorité de cette caste oligarchique à celle du calife/sultan. Il ne s’agit pas pour autant d’un basculement immédiat dans une république démocratique. Le vide créé dans le versant symbolique de l’autorité va être rapidement comblé par la personne du Mustafa Kemal. Devenant l’objet d’un culte officiel bien avant sa mort, en pleine exercice du pouvoir, il va assurer le passage d’une monarchie parlementaire en une république monarchique.

Le mythe fondateur qui entoure la personne de Mustapha Kemal se situe à la fois dans le prolongement du système de légitimité de l’ordre ottoman et représente une rupture en son sein. La légitimité traditionnelle qui reposait sur l’unité de la religion et de l’Etat et s’élevait sur deux pieds, profane et sacré, est reproduite dans sa structure au sein de la République kémaliste. Mais change de symboles. La nation se substitue à la religion et l’incorpore. La République proclame la fusion de la nation avec l’Etat qui ne font plus qu’un seul corps indivisible. Ce corps doit être préservé non seulement des menaces extérieurs mais surtout des menaces intérieures, d’où la nécessité impérieuse ressentie par la nouvelle caste dirigeante laïque de mettre sous tutelle la souveraineté nationale. Pour ce faire, le régime va procéder à une subtile distinction entre le pouvoir incarné par l’Etat et la souveraineté limitée issue de la société. La caste des bureaucrates civils et militaires s’attribue le statut de tuteurs de la République et dispose le monopole pour désigner, selon les besoins du moment, les « ennemis intérieurs ». Le fondement de l’autoritarisme républicain qui va marquer au fer rouge l’imaginaire sociale-historique de la Turquie réside bien dans l’affirmation d’un principe de souveraineté gigogne. « La souveraineté appartient à la nation sans limite et sans condition » comme il est inscrit sur le fronton de l’Assemblée nationale d’Ankara avant même la proclamation de la République, mais sous condition que la nation accepte de rester sous la tutelle de l’Etat et de ses serviteurs. Par ailleurs la nation ne continue pas moins d’être définie de facto et parfois de jure par l’appartenance à la nation musulmane turcophone.

L’autoritarisme républicain de ce pouvoir modernisateur est foncièrement méfiant devant le principe de la séparation des pouvoirs. Le pluralisme et la participation sont perçus comme des graves menaces portant atteintes à l’autorité du pouvoir et l’opposition est vue comme l’anti-chambre de la traîtrise, voire même comme la trahison incarnée. Dans les années cinquante, ce régime expérimente un assouplissement avec, notamment, l’ouverture au multipartisme. Le pouvoir change de mains à la suite des élections libres mais la culture politique turque reste ancrée dans l’autoritarisme. La pratique de la laïcité représente la quintessence de cet autoritarisme. L’Etat est laïc officiellement mais la pratique cultuelle de l’islam, la religion massivement majoritaire, est sous le monopole d’une administration publique. Avec l’abolition du califat en 1924, la religion musulmane est en quelque sorte nationalisée. La pratique officielle de la laïcité sera plutôt laïcarde, c’est-à-dire militante, jusqu’au renversement du parti kémaliste par les résultats des urnes en 1950. Elle continuera d’être soutenue par l’armée, une partie de la bourgeoisie moderniste, par les différents courants de la gauche et les minorités confessionnelles, comme une politique la clé de voûte du système de défense contre le « danger réactionnaire ». En effet la laïcité militante est la pièce maîtresse de la politique de modernisation par le haut. Mais ce modernisme autoritaire engendre dès le départ des clivages profonds au sein de la société turque. Une grande partie de la société, par résistance passive au laïcisme autoritaire, assimile la démocratie à un outil de résistance contre les velléités modernisatrices du régime autoritaire. Cette résistance passive des conservateurs, organisée par de multiples réseaux de confrérie, va utiliser tous les ressorts démocratiques pour lutter contre la laïcité militante. D’où l’importance attachée à la légitimité électorale dans la société turque et plus particulièrement parmi les courants conservateurs et/ou islamistes. Armée de la certitude de représenter « naturellement » la majorité dans une société largement conservatrice et pratiquante, le courant conservateur, éparpillé dans les différents partis de droite, va se revendiquer la quasi sacralité de la démocratie sortie des urnes.

Ceci éclaire le tournant politique survenu en Turquie lors du passage du 20ème au 21ème siècle. Dans un moment de crise économique majeure, épuisant la légitimité de tous les partis représentés au parlement, le Parti de Justice et Développement, fraichement créé par une scission dans la mouvance de l’islam politique, obtient une large majorité parlementaire. Le PJD est porteur du drapeau de la démocratisation, de l’espoir d’adhérer à l’Union européenne et d’une société de confiance, réconciliée avec elle-même. L’accélération du processus d’adhésion à l’UE, après le feu vert du Conseil européen en 1999 à Helsinki et la confirmation d’un soutien électoral massif lors des élections ultérieures vont pour la première faire perdre à l’armée turque la partie. L’armée turque qui fût quasi officiellement le régent de la République depuis le coup d’Etat de 1960, va commencer à perdre progressivement son statut d’autorité de tutelle de l’Etat et des procès pour préparation de coups d’Etat contre les hauts-officiers vont porter un coup fatal à l’autonomie politique de l’armée. La république qui avait acquis un caractère ouvertement prétorien au fil des coups d’Etat militaires, des interventions publiques des généraux et des décisions du Conseil national de sécurité, un véritable Etat dans l’Etat, va évoluer dans la décennie 2000 vers un autoritarisme démocratique. La démocratie sous la tutelle des élites de l’Etat deviendra une démocratie dominée par un pouvoir autoritaire et populaire, réduisant la démocratie aux résultats des urnes.  

En Turquie les élections sont libres, suffisamment transparentes et la participation électorale très élevée. Par conséquent les résultats difficilement contestables même si un seuil éliminatoire de 10% au niveau national qui a été introduit par les militaires après le coup d’Etat de 1980 reste toujours en vigueur et réduit le pluralisme de la représentation politique. Il y a une vraie légitimité par les urnes. Mais comme on le sait, cette légitimité électorale qui est la condition première de la démocratie n’est pas la condition suffisante. Or l’autoritarisme démocratique  est le régime de la légitimité démocratique acquise par les élections libres et transparentes qui donne au pouvoir la possibilité de justifier « démocratiquement » ces abus permanents d’autorité.

Mais pourquoi la société turque accepte-t-elle, d’une manière ou d’une autre, la légitimité des abus de pouvoir ? C’est là qu’intervient toute la dimension mémorielle, culturelle et imaginaire de la société, indépendamment des tempéraments des leaders politiques. La société turque est une société qui a du mal à accepter, à vivre avec la différence. L’aspiration à l’homogénéité y est très forte et cette aspiration, loin d’être affaiblie par le processus de modernisation kémaliste, elle a été renforcée. La représentation d’une société une et indivisible fût le crédo de l’Etat républicain et a acquis le statut de tabou fondateur. L’unicité et l’indivisibilité de la société est le pendant de l’unicité et de l’invisibilité du pouvoir. Le kémalisme, devenant l’idéologie fondatrice et officielle du régime républicain, adopte selon les circonstances un accent cheftiste, paternaliste, élitiste, autoritaire, en tout cas se donne le statut du pouvoir tutélaire de l’Etat et de la nation, nation qu’il définit comme « un corps réuni autour de son Père ». Le régime kémaliste authentique n’hésitera pas à se qualifier de « démocratie autoritaire ». L’arrivée du multipartisme et les changements des équipes au pouvoir ne va pas rompre fondamentalement les pratiques autoritaires héritées de l’Etat kémaliste. L’autoritarisme perdurera par la permanence d’un Etat mobilisé contre les ennemis intérieurs et la violence de l’Etat peut atteindre des formes de violence cruelle comme torture, emprisonnements abusifs, déportation, voire exécutions capitales d’opposants politiques ou de leur liquidation physique sans procès. Face aux revendications d’autonomie et/ou de reconnaissance émanant des fragments de la société, la violence de l’Etat sera déployée d’une manière disproportionnée. C’est le danger de la division de la société, de la dislocation de l’Etat, de remise en cause des acquis de la République qui seront toujours évoqués par les tenants du pouvoir pour justifier les politiques de violence. L’obsession de créer une société homogène et soumise entièrement à l’Etat en faisant un corps organique unique sera le ressort idéologique du déploiement d’une politique de violence bien au-delà des limites de la violence légale.

Cette obsession d’homogénéité sociale, comme toute obsession, nous permet d’aller aux sources des réflexes autoritaires. C’est le décalage entre la réalité d’une société multiethnique et multireligieux et l’idéal de la société parfaitement unifiée autour de l’identité officielle de l’Etat qui constitue la première source de l’obsession. La République est bâtie sur plusieurs dénis historiques. Celui du massacre des Arméniens et de l’épuration des chrétiens et des juifs est une dimension de ce déni fondateur. Si la République de Turquie est bâtie par une politique violente d’homogénéisation religieuse, autour du culte de l’islam sunnite, cette politique ne s’est pas arrêtée aux portes de la religion. Elle a continué, dans la foulée de la première, par une politique d’homogénéisation ethnique autour de la figure du Turc. Il y a eu par conséquent des vagues successives de violences épuratrices et éradicatrices ou assimilateurs d’abord envers les populations non-musulmanes, ensuite envers les populations kurdes revendiquant la reconnaissance de leur identité ethnique et enfin envers les populations alévites, refusant d’être assimilé dans l’islam sunnite. A cette politique ethno-religieuse violente s’est greffée une politique répressive contre les maigres oppositions démocrates et socialistes. Commençant par les crimes génocidaires envers les Arméniens ottomans lors de la Première guerre mondiale, la violence de l’Etat s’est déchaînée tout au long de l’histoire républicaine tour à tour contre les multiples figures de l’ennemi intérieur, arméniens, grecs, kurdes, alévites, intégristes, communistes, socialistes, syndicalistes, démocrates,…Ces politiques de répressions ciblées ont toujours pris soin d’isoler l’ennemi intérieur du jour et d’obtenir par une campagne de mobilisation idéologique le soutien du reste de la société. Ceci explique pourquoi en Turquie, pas seulement l’Etat, mais aussi la société dans son ensemble n’est pas apaisée avec son histoire et que le travail de mémoire est très difficile. La violence fondatrice sur la quelle est bâtie la République par son déni continue à travailler dans la profondeur de l’imaginaire sociale-historique sous la forme à la fois de d’identité victimaire et de culpabilité déniée.

La République de Turquie ainsi que la société turque ne sont pas apaisées avec leur histoire, avec leur passé et leur mémoire à cause aussi d’une peur fondatrice. Cette peur, largement répandue au sein de la société, est refoulée dans l’inconscient collective et elle est instrumentalisée par les pouvoirs autoritaires pour redynamiser les réflexes de rassemblement autour d’eux. Il s’agit de la peur d’une nouvelle dislocation de l’Etat, à la suite de celle de l’Empire à la fin de la Première guerre mondiale. Le traité de Sèvres est encore aujourd’hui un signifiant actif pour exprimer la peur d’une nouvelle dislocation face aux revendications kurdes, arméniennes voire face à la perspective d’adhésion à l’Union  européenne. Dans sa recherche d’apaisement contre les démons historiques qui le travaillent intérieurement, la société turque est plutôt encline à se soumettre à l’autorité et à produire les conditions de l’exercice de l’autoritarisme. La défaite dans les années 2000 de la coalition de l’autoritarisme bureaucratique soutenu par les courants laïcards-nationalistes ne débouchera pas à une véritable consolidation démocratique mais à la mise en place d’un nouvel autoritarisme, porté par une large coalition conservatrice. Il s’agit d’un autoritarisme plébiscitaire qui se réclame de la légitimité totale de la volonté nationale, c’est-à-dire de cette nation sunnite et turque, conservatrice dans ses valeurs morales, libérale dans ses choix économiques et démocrate à condition que la démocratie s’exprime exclusivement dans les urnes.