Prendre du recul pour penser le monde et mieux agir

Christophe Tafelmacher, avocat, Lausanne

A l’origine de mon adhésion au projet du Collège (CIPh) , il y a l’expérience d’une rencontre provoquée par la Ministre suisse socialiste chargée des questions d’immigration et d’asile en octobre 2011 avec diverses organisations de terrain. Bien que, nous ayons été accueillis aimablement, l’écoute de nos points de vue et observations n’a été que formelle. Nous avons été limités dans notre temps de parole, et dans l’amplitude des sujets à aborder. Ainsi, il n’était pas question de discuter des liens entre politique  d’asile officielle et l’existence de centaines de milliers de personnes sans statut légal en Suisse. Pas question non plus d’élargir la réflexion au-delà des débats législatifs qui faisaient l’actualité, à savoir  un énième projet de révision de la Loi sur l’asile présenté comme indispensable. Au final, tout le dispositif de cette consultation du terrain a gardé un voile opaque sur les buts réellement poursuivis par les responsables gouvernementaux.

En parallèle, comme c’est devenu une habitude en Suisse depuis le milieu des années 1980, les partis politiques représentés au Parlement national agitaient l’opinion publique autour de ces questions d’asile et d’immigration, comme s’il s’agissait véritablement du problème central de la société helvétique. La manière de poser le débat ne me paraissait pas plus pertinentes qu’auparavant.

Je ressentais le besoin de développer une réflexion qui se situe en-dehors des cadres institutionnels ou du cadre des partis. Nécessité aussi de sortir du discours dominant et de repérer d’autres liens et explications que celles qui nous sont habituellement données sur le fonctionnement de notre société et des rapports de pouvoir qui s’y jouent.

En ma qualité d’avocat et de membre des Juristes démocrates suisses, je suis particulièrement sensible à la question des droits fondamentaux. Or, ces dernières années ont vu se mettre en place diverses politiques dans plusieurs domaines, qui toutes concourent à démanteler les garanties offertes par ces droits aux individus, et à détruire ce que l’on appelle « l’Etat de droit ». Cette évolution représente un défi pour les mouvements sociaux et pour les militants politiques, qui doivent prendre du recul pour mieux définir les réponses à apporter à l’offensive du total-libéralisme. Surtout, il faut réussir à dépasser nombre de clivages qui produisent un émiettement de la résistance, une reproduction des divisions que les forces dominantes veulent imposer à nos esprits.

Au terme du Séminaire du CIPh, nous avons pu montrer à la fois la nécessité de réenvisager le « commun » face à la société déchiquetée qui est la nôtre aujourd’hui. C’est aussi la revendication d’une égalité radicale des êtres humains, qui doit être affirmée, réaffirmée et martelée face à toutes les propositions politiques qui visent à mettre les individus en concurrence dans toutes les sphères de l’existence.

A été également bien posée la question du dépassement du droit existant. On ne saurait se contenter de s’arc-bouter sur une défense désespérée des vieux acquits de l’Etat de droit. Il faut aussi repérer les failles dans la construction historique de ce dernier, concevoir une démocratie en mouvement et en débat permanent, affirmer des droits qui protègent les individus au-delà de leurs nationalités et de leurs statuts de séjour.

Notre texte initial « une philosophie générale d’ouverture à un seul monde (One World) » s’achève par une série de propositions de changement, à court et moyen terme. Le temps a malheureusement manqué pour pouvoir discuter en profondeur de ces mesures qui entendaient concrétiser la réflexion et donner des perspectives d’action. Mais nous avons réussi, le temps du Séminaire, à nous réapproprier la politique pour recréer du « commun ». Tout cette production intellectuelle, toutes ces discussions ont ainsi posé des jalons pour d’autres réflexions et actions futures. C’était le pari, et nous pensons l’avoir gagné.