Marie-Claire Caloz-Tschopp, Direction de programme, Collège International de Philosophie.
Article en hommage à Richard Marientras, né à Varsovie le 18 janvier 1928, ancien résistant, décédé à Paris le 22 février 2011
La pure économie du marché implique que le gouvernement, l’appareil social de contrainte et de répression, veille à préserver le fonctionnement du système de marché, qu’il s’abstienne d’en entraver la marche, et le protège contre les atteintes venant d’autres que lui-même
Ludwig von Meses cité par F. Hayek, 1983, 77
Là où il y a des égaux, il y a le droit et là où il n’y en a pas, la force règne
Castoriadis, 2011, 207
Résumé
Impasse, Passage…Impasse de la guerre, conflit dans le passage de la guerre à la politique… Sur le champ de bataille de la migration et dans l’ensemble des rapports sociaux, reconnaître la réalité, l’impasse de la guerre et l’exigence de tenir le conflit dans le repérage du passage du droit vers l’au-delà du droit, son horizon, à savoir le désir d’autonomie, d’hospitalité, d’égaliberté, conduisent dans le labyrinthe de la création de la démocratie, de la philosophie, de la tragédie (Castoriadis, Marientras). Il s’agit de situer les dangers du passage de l’apartheid à la guerre. Depuis la théorie politique, la philosophie et la migration, la question est alors celle du passage de la force à la puissance, de la guerre à la politique.
La migration est un champ de bataille, un laboratoire d’essai et un miroir. Au travers de faits, de conflits dans ce lieu, l’article s’interroge sur la présence de deux logiques de pouvoir – domination, action – concernant la pensée et l’action politique. Elles sont présentes à la fois dans la tradition théorique et sur le terrain de la migration transformé en champ de bataille. Elles renvoient à la longue histoire de la guerre naturalisée, à l’ambiguïté théorique Macht und Gewalt repérée par W. Benjamin et H. Arendt, amenant à confondre guerre et politique. Celle-ci a des racines dans la tradition de la philosophie politique et la logique d’apartheid dans laquelle s’inscrit la logique de la différence. Au moment où la guerre ne peut plus être une légitimation de « l’homme nouveau » ou même un pari, l’article appelle à travailler l’ambiguïté face à la guerre moderne dans la conscience sociale (théories, pratiques) pour retrouver la généralité et la puissance de la politique et des droits.
Introduction
Point de départ. Impasse, passage…Impasse de la guerre, de la force instrumentale. Conflit dans le passage de la guerre à la politique. Passage, puissance de la politique. Sur le champ de bataille de la migration, le passage du droit vers l’au-delà du droit, le désir d’autonomie, d’hospitalité, d’égaliberté nous conduit dans le labyrinthe de la création incessante de la démocratie, de la philosophie et de la tragédie (Castoriadis 1975, Marientras 2000). Hier et aujourd’hui, le capitalisme guerrier domine. Il ressemble à un envahisseur venu en pantoufles[i]. Tellement familier, banalisé qu’on ne le voit plus. Il envahit les manières de vivre, l’économie, la philosophie, la politique. L’Etat et le droit, les médias, l’éducation, l’art, la migration, le savoir, la recherche, etc. sont transformés par la compétition, la force guerrière du marché[ii]. Visant une hégémonie globalisée, il s’appuie sur le nationalisme, l’antiuniversalisme des Etats qui a favorisé la montée des extrêmes-droites (Agier 2011), ce qui n’est pas le moindre de ses paradoxes. Les élites d’aujourd’hui, dans leur courant principal ne sont pas (plus) humanistes, mais pragmatiques et cyniques avec des vues à très court terme[iii]. L’Etat sécuritaire colonise toute la vie et défend de moins en moins le service public, les droits sociaux, les droits fondamentaux. L’enjeu est que soit perçu qui est visé, à savoir les nouveaux migrants, les anciens sur plusieurs générations, les travailleurs précarisés. Ils sont visés à la fois dans leurs droits et leur autonomie.
Il arrive pourtant que le désir de révolution se réveille dans le mouvement imprévisible de l’histoire. Intéressons-nous à la dynamique de transformation du pouvoir, à des conflits ouverts ou larvés[iv], à des ambiguïtés philosophiques, stratégiques, tactiques qui empêchent de les voir, de les connaître, de les vivre. Postulons qu’elles ont un fondement théorique dans la confusion entre la guerre et la politique. Elles sont lisibles sur le terrain de la migration. L’enjeu est donc de repérer des zones d’hétérogénéité, d’ambiguïtés dans la pensée et l’action politique en lien avec la guerre[v] pour repérer la nature des conflits, récupérer la généralité et la puissance de la politique et des droits dans la citoyenneté et le savoir.
Côté domination, le libéralisme a été refondé au XXe siècle par Hayek vigoureusement opposé à l’interventionnisme keynésien, au socialisme, à Marx et à Freud. L’auteur a été partisan d’un rejet de la démocratie donnant des pouvoirs étendus à l’Etat[vi] et d’une séparation entre gouvernementalité et marché[vii]. Le capitalisme financier actuel a mis en pratique, radicalisé sa théorie sans affiner les arguments.L’économie s’est présentée comme une science capable de prévision en légitimant l’imbrication entre science et marché[viii], entre experts des sciences économiques, l’Etat et la société. Cela s’est avéré faux. Conséquences : faillite des banques, perspective de nouvelles « crises » plus graves que celle de 2008. Les acquis de l’étape fordiste pour l’ensemble des travailleurs (protection sociale, niveau de vie, formation, etc.) sont incompatibles avec le tournant post-fordiste. Les acquis sociaux d’après la deuxième guerre mondiale doivent être détruits[ix]. Dans l’étape globalisée d’accumulation flexible post-fordiste de la force de travail, les travailleurs migrants paient le prix fort. Ils ne sont pas seuls à en payer le prix. Il n’est pas difficile de voir les contradictions se transformer en crise ouverte dans les secteurs privé et public. Y compris dans le domaine des savoirs, de la recherche et chez les travailleurs intellectuels précarisés.
Côté dominés, les migrants ne sont pas constitués et considérés en sujets politiques, comme en témoigne le dossier sur le droit de vote des étrangers. Les actes de courage existent, contre les expulsions, la réduction du droit d’asile à l’urgence humanitaire, les transformations du service public et des professions, par exemple, mais la résistance n’a pas la puissance nécessaire pour contrer un tel défi, imaginer une alternative. En observant la violence illimitée du capitalisme à l’œuvre, les inconnues sur les modes d’organisation politique, la fragmentation des luttes, la faiblesse des mobilisations politiques et syndicales[x], je me propose de cerner une question pour situer des lieux d’accommodation à la guerre moderne qui échappent à la conscience sociale. Précisons d’emblée que je ne prétends pas faire une évaluation du capitalisme dans sa globalité et des défaites de la (dé)mobilisation, sinon formuler une interrogation sur des faiblesses philosophiques de la politique pour cerner des impasses et trouver un passage praticable. En travaillant sur l’invention totalitaire, Arendt en est arrivée à distinguer entre la force et la puissance du pouvoir politique. Spinoza l’avait précédée en parlant de puissance du devenir. Pourquoi ce noyau conceptuel de compréhension de la politique est-il fondamental ?
Des faits. Face à la violence de la domination, des modes d’action et des théories interrogent. D’un côté, des courants politiques de droite, d’extrême droite populiste (proches des 20-30% de l’électorat en Europe, en Suisse) très actifs développent des programmes de destruction de tout cadre politique (Etat, constitution, séparation des pouvoirs, attaque du pouvoir judiciaire, refus de justice fiscale, propagande haineuse, légitimation de la torture, etc.), du droit international et interne, du droit d’asile, du service public en vue d’un projet total-libéral et néo-conservateur. La migration est leur champ de bataille favori. La contre-révolution vise à prendre le relais des courants post-fordistes se réclamant du keynésianisme (régulation de l’économie par l’Etat). De l’autre des forces politiques se laissent attirer sur le terrain quadrillé par l’adversaire populiste pour lui dérober des thèmes porteurs (patriotisme, nationalisme, sécurité sécuritaire, libéralisation, etc.), voire des dispositifs, outils[xi] politiques inefficaces[xii] qui attaquent, manipulent le cadre politique (Etat), bafouent le droit, les droits fondamentaux[xiii]. Elles se laissent ainsi dicter les thèmes, le terrain, le calendrier des coups de force et de désignation « d’ennemis immédiats » (Foucault, 1982, 222) en confondant politique de sûreté et de sécurité (Delmas-Marty, 2010) en violant les droits fondamentaux. En matière de politique du travail, de politique migratoire, etc. des ONG sont prises dans la toile d’araignée du changement. Les luttes contre le racisme, par exemple, sont nécessaires. L’idéologie raciste moderne est un fait incontournable (Guillaumin 1970, 1992). Les luttes anti-racistes et anti-sexistes se laissent parfois enfermer dans la logique de la différence qui est une des faces de l’apartheid, dont les effets pervers ont bien été décrits par la sociologue Colette Guillaumin. Elles entrent alors en résonnance avec la haine nationaliste, xénophobe, raciste sans pouvoir sortir de la logique raciste. A l’heure du populisme agressif, se battre sur le terrain de la lutte anti-raciste est une tâche nécessaire mais ce n’est pas un programme politique réaliste et alternatif. La question n’est pas, pourquoi tant de haine ? Mais plutôt, qu’est-ce qu’ils veulent en manipulant la haine ? Quel projet politique cachent-ils ? Pourquoi est-il difficile de se centrer sur un projet politique alternatif pour retrouver la généralité, la puissance de la politique et des droits ?
La tactique des courants de droite et d’extrême-droite populistes en recomposition (Venner & Fourest 2001) s’appuyant sur des outils performants de propagande[xiv] qui consiste à imposer les thèmes, un rythme, à occuper l’espace médiatique n’a pas seulement un but utilitariste (surexploitation) et électoraliste. Ces courants visent à détourner les regards du fait principal : l’état du capitalisme actuel où les rapports entre capital, capital financier, travail et nature sont dominés par un capitalisme de plus en plus débridé, destructeur, guerrier. Il est à craindre que des forces politiques, des courants minoritaires qui acceptent d’aller sur le terrain quadrillé par l’adversaire guerrier contribuent à fixer les regards sur les migrants en masquant l’objet central et même les lueurs des nouvelles formes fragmentées de la lutte des classes[xv]. En bref, loin de couper l’herbe sous les pieds de forces populistes et de leurs alliés, l’attentisme, le mimétisme, le manque d’imagination, de courage et d’alternative leur offre un boulevard pour leur rêve hégémonique. Alors voyons comment repérer certains pièges et agir pour les éviter.
Un dilemme. Dans un tel contexte, faut-il partager le pessimisme de Pascal, « ne pouvant trouver le juste, on a trouvé le fort »[xvi] et abandonner la politique et le droit pour la guerre ? La situation contemporaine de la guerre de haute, de basse intensité (économique, politique, militaire, technique) qui a envahi la planète et la vie quotidienne attire le pouvoir sur le terrain de la force et de la violence extrême. Guerre illimitée au nom du terrorisme[xvii] ou d’autres prétextes. Habitants d’une planète finie, pris dans le danger de claustration dans la tragédie d’un présent sans issue. Rétrécissement du temps, de l’espace, de l’imagination dans le champ de la mort collective. No future. « La société marchande étendue à une mondialisation intégrale ne nous offre plus d’issue. Nous n’avons plus de dehors, à la fois géographiquement, économiquement, matériellement et spirituellement » (Scherrer, 2011, 9). Temps, espace, imagination confisqués. Fin de l’histoire. Fin de l’espace politique. Fin de la pensée. Ou alors que faire, que penser ?
Résister : le passage de la force à la puissance, de la guerre à la politique
Hébétés, nous sommes comme un boxeur qui encaisse les coups sans pourvoir réagir. Nous ne savons plus danser comme Cassius Clay pour ruser avec la force, avec les voleurs des mots et de la liberté de penser, du temps, de l’espace. Nous sommes sonnés. « Sur fond de crise désormais généralisée et de mise à mort de l’Etat social, se dessine, depuis peu, la remontée lente et contradictoire de la question politique et, tout particulièrement, de sa dimension stratégique », écrit Isabelle Garo (2011, 366). Pourtant il est difficile de danser à notre rythme, en cherchant l’espace des cordes pour quitter le ring et trouver un autre terrain de vie et de lutte politique pour un projet pour une autre Europe (Balibar 2010).
Le parcours proposé à partir du champ de bataille de la migration concerne la place, le statut, de sens de la guerre moderne, contemporaine et donc le passage possible de la force à la puissance, de la guerre à la politique. Il intéresse les sciences sociales confrontées aux transformations des savoirs, la citoyenneté aux prises avec des attaques de la politique, les citoyens manquants, les incertitudes de la vie et l’action autonome. Ses méandres, ses terrains d’expérience sont aussi vastes, insolites qu’invisibles dans la condition humaine. Loin d’être réservé aux migrants, l’exil deviendrait-il la condition matérielle de millions de personnes dans le monde d’aujourd’hui et donc un fil rouge d’interrogation politique et philosophique ?[xviii] Des événements, des guerres, des ruptures qui désignent l’universalité de l’exil (Ivekovic, 2011) sont vécus mais ne sont pas forcément vus, sentis, pensés.
Les questions abondent. D’où vient la résignation poussant à croire à l’illusion de l’autorégulation du marché qui absorbe tout[xix] et aux remèdes-miracles de la régulation (y compris de la migration) ? Pour laisser le pouvoir à des clubs fermés[xx], suivre des mécanismes, des décisions, des stratégies, des tactiques d’accommodation à courte vue, soi-disant pour sauver ce qui peut l’être ou encore se laisser envahir par des processus de criminalisation de groupes ciblés ? De quoi sont faites les adhérences profondes, l’impuissance politique (Malrieu 2009), la capacité à se laisser aveugler, à se faire prendre son énergie, à s’adapter à n’importe quoi au risque de tout perdre ? Ou se laisser détourner de questions vitales vers les terrains minés choisis par l’adversaire (où la migration occupe une large part) au mépris de nos propres intérêts.
Jusqu’où accepter le paradoxe que le marché financier a dû être sauvé par l’Etat et qu’aujourd’hui il dicte ses règles à l’Etat pour faire imposer des mesures qui visent un Etat sécuritaire et une autodestruction de l’Etat en tant que cadre politique (ce qui se passe en Grèce, au Portugal[xxi] se propagera dans d’autres pays du sud, centre, nord de l’Europe) ? Jusqu’où accepter la conjugaison entre nationalisme et antiuniversalisme opportuniste et haineux ? Cela, alors même que le libéralisme classique (Hayek) et les libertariens (Nozick, 1974) pourfendent toute présence, intervention, gouvernance de l’Etat au nom de la liberté du marché. Pourquoi les forces nihilistes (Souche-Dagues, 1996) de déliaison, de destruction, de guerre, de mort – et même de mort de masse[xxii] – s’incrustent-elles dans la vie quotidienne, envahissent-elles la vie politique, ont-elles même tendance à se fixer sur des cibles désignées, à confiner le droit dans la guerre[xxiii] sans susciter des sursauts à la mesure des dangers ?
Pour y répondre, rappelons-nous que l’histoire est longue, sinueuse. Que dans l’espace planétaire, les situations sont multiples, complexes. Castoriadis rappelle quant à lui une vérité simple en matière de puissance, de droit, de politique: « … pour qu’il y ait démocratie, il faut dépasser le simple désir d’être protégé contre l’oppression : il faut que naisse aussi le désir de se gouverner soi-même » (Castoriadis, 2011, 270). Le désir politique de s’auto-gouverner serait-il devenu un trésor perdu ? L’histoire montre que la patience du peuple est longue (Wahnich, 2008), mais que la colère (Caloz-Tschopp, 2011) peut être vive, que des changements peuvent émerger avec le désir d’autonomie, d’émancipation. L’exemple de la Tunisie et d’autres pays d’Afrique du nord, du Moyen-Orient, d’Amérique du sud et de bien d’autres pays est parlant. Les passions politiques fluctuent entre espoir et rage désespérée, au rythme des médias, des urgences. Le désir de révolution oscille entre la désappropriation/réappropriation du corps, des émotions, de la pensée, des mots, du pouvoir d’agir.
L’embarras des mots. Alors (re)trouver les mots, la pensée tout en agissant. Travailler sur l’inadéquation des mots et de la pensée. La richesse des concepts, le poids de la tradition philosophique paralysent. Au-delà des difficultés techniques, des concepts chargés d’histoire présentent un danger d’anachronisme. « Notre héritage n’est précédé d’aucun testament », écrit Arendt en citant le poète René Char quand elle a l’intuition que l’invention totalitaire du XXe siècle est un régime politique « sans précédent » dans l’histoire humaine. Le savoir lui-même a été « déporté ». « Pour tout un chacun des générations post-nazies, la petite et la grande histoire se sont nouées dans la poubelle des camps » (Stern, 2004). De plus, dans les périodes historiques de transition, les mots sont travestis (sans parler des faits). Quand on dit « démocratie », « droits de l’homme », « révolution », « capitalisme », « lutte des classes », etc. de quoi parle-t-on ? L’envie de se taire, de baisser les bras est là. Prendre le risque de parler pour penser c’est prendre le risque d’être mal compris. On est mis au défi d’un travail de démontage constant du langage en acceptant de vivre une situation d’inconfort. En espérant qu’un mouvement de pensée, des lueurs fulgurantes, des bribes seront transmises. Il est alors utile de se rappeler que la force n’aime pas les espaces de parole, l’espace public de la tradition grecque, kantienne et arendtienne. Les travaux de Karl Kraus, Victor Klemperer, Jean-Pierre Faye en sémiologie contemporaine[xxiv] sont des outils précieux pour repérer des mécanismes de minage du langage.
Questions d’exercice, de prudence, d’audace. Rien n’est simple dans la vie. Construire le savoir est un défi à chaque pas. L’observation rigoureuse est nécessaire à la description, à l’analyse étayée, approfondie. La tâche s’avère incertaine. Les faits souterrains sont insaisissables. L’équilibre des forces change. Il est très difficile de voir ce qui se passe réellement. L’impératif de connaissance et de résistance implique pourtant de se risquer à imaginer, à penser, à parler, à partager des constats, des réflexions provisoires. Le travail collectif est indispensable. Pas à pas. Il est possible d’observer le rude labeur sur ce qui échappe, les résistances à savoir, les mécanismes de censure, d’autocensure. Comment penser ? Dans son époque Arendt a expérimenté « des exercices de pensée politique telle qu’elle naît de la réalité d’événements politique » avec la « conviction que la pensée elle-même naît d’événements de l’expérience vécue et doit leur demeurer liée…» (Arendt 1972b, 26). Faisons le pari que devant l’incertitude conjuguer la prudence et l’audace de tels exercices ouvre un chemin praticable.
Le champ de bataille de la migration. Le terrain de la migration se transforme de plus en plus en champ de bataille. Les mesures, les dispositifs, les débats de la politique de la migration et du droit d’asile ont un rôle épistémologique important pour comprendre à la fois les impasses et des passages, des transformations de civilisation de longue et de courte durée (depuis la constitution des Etats-nations, puis les années 1970-1980) et pour repérer les conflits[xxv] et en évaluer la teneur, le sens. La migration a un rôle à la fois de laboratoire d’essai et de miroir sur un champ de bataillequi cache des faits évidents. Les politiques appliquées aux migrants sont appliquées à d’autres groupes précarisés (chômeurs, handicapés, vieux, malades, etc.). Elles contaminent l’ensemble de la vie sociale. L’atteinte des droits fondamentaux fournit des exemples dans les politiques du travail, de la migration, de l’éducation, de la recherche, de la santé, de la vieillesse, des retraites, etc.. L’idéologie sécuritaire banalise la guerre. Elle a notamment effacé de la mémoire collective la place des luttes et des acquis des pratiques d’autonomie, d’hospitalité, d’égalité, y compris celles qui ont été gagnées par des combats courageux. Ceux-ci ne parviennent pas à être reconnus et fêtés comme tels[xxvi] par des militants fatigués, usés par la sourde violence vécue jour après jour. La migration est un laboratoire et un miroir où il est possible de mesurer la désappropriation/réappropriation de notre vie quotidienne, dans le capitalisme globalisé.
Les trois socles du conflit. Le conflit entre la force et le droit, les pratiques de la guerre et de la politique globalisées sont le terrain matériel et symbolique des affrontements et des recherches d’hégémonie en cours. Pratiquer au jour le jour une philosophie politique dialectique du mouvement dans les pieds et dans la tête (Caloz-Tschopp 2007) et de la relation dans les rapports sociaux en refusant une philosophie d’apartheid essentialiste et guerrière est montré comme de l’irréalisme. Ce qui domine dans l’approche essentialiste est le désir d’ordre, de maîtrise (peur de la mort) et le refus de l’imprévisibilité (ce qui définit la liberté pour Arendt). L’autonomie est un rêve. L’hospitalité un tabou. L’égaliberté, un scandale. Ce triple socle du conflit redécouvert respectivement par Castoriadis, Kant, Balibar (Caloz-Tschopp 2008) se heurte à la passivité des adeptes du consensus (dos rond), de la haine (Rancière 2005) ou s’exprime par la colère. Il devient alors indispensable de retrouver un tel socle et de repérer le fil rouge d’ambiguïtés, de consentements entre la guerre et la politique qui brouillent la conscience sociale pour poser un diagnostic lucide sur le capitalisme historique (Wallerstein, 1985) et actuel.
L’apartheid, un champ de bataille qui révèle l’élargissement de la guerre
Depuis plus de quarante ans, nous sommes beaucoup à analyser les politiques de la migration, du droit d’asile, du travail, du chômage et du service public en Europe et en Suisse. En constatant ce que lisent les étudiant.e.s, les chercheurs toujours à la recherche de nouvelles publications qui ont la cote aujourd’hui, je suis tentée de conseiller de (re)lire des travaux tombés dans l’oubli des bibliothèques pour repérer la genèse de l’apartheid et retrouver des références pour la réflexion. Ces politiques ont institutionnalisé un utilitarisme économique cynique (Morice, 2011) en écho avec l’utilitarisme des savoirs (Malrieu 2011) qui biaise le regard (bien montré par le courant antiutilitariste de la revue M.A.U.S.S., Berthoud 2009) et qui aujourd’hui se globalise (nous avions besoin de bras pour construire les tunnels, les routes, ce sont des hommes qui sont venus, Marx Frisch)[xxvii]. Sous la pression d’un nationalisme hérité du XIXe siècle et transformé en xénophobie d’Etat, teinté d’eugénisme (le concept d’Ueberfremdung, traduit par « surpopulation étrangère ») (Ebel et Fiala, 2011), la xénophobie d’Etat s’est combinée avec un racisme d’Etat précédé par la xénophobie et l’antisémitisme. Aucun Etat fondé sur la logique nationale-non nationale n’y échappe (Marientras 1975, Sayad 1991). Le fameux « modèle des cercles » pour hiérarchiser l’accès à l’immigration inventé par la police suisse, avalisé par le Conseil fédéral, ignoré par le Parlement suisse à l’époque de sa mise en œuvre œuvre et exporté dans l’UE avant d’être condamné par l’ONU en a été une des illustrations (Caloz-Tschopp, 2007).
En terme politique, un régime, système d’apartheid, a été mis en place, comme l’a bien expliqué le politologue Laurent Monnier dans une leçon d’adieu mémorable à l’Université de Lausanne le 21 juin 1988 (Monnier, 2004). Préfigurées par des mesures anticipées dans le domaine migratoire, avec le virage sécuritaire et de lutte antiterroriste de 2011 (Borradori, 2003) – Patriot Act -, les politiques migratoires ont glissé d’une idéologie de forteresse assiégée à un apartheid guerrier offensifdans un marché globalisé où avec une confusion des pouvoirs, la guerre à la fois militaire et sociale détermine les rapports de pouvoir. La réorganisation mondiale du marché du travail, de la consommation, des matières premières et des rapports de force internationaux en fait partie. Aujourd’hui, non seulement les défenseurs des droits de l’homme, des sans-papiers (Dolivo, Tafelmacher, 2007) mais les grandes entreprises multinationales, les PME qui ont besoin de main-d’œuvre qualifiée, les petits patrons qui ont besoin de main-d’œuvre bon marché dans l’agriculture, l’hôtellerie, les services, tout en bénéficiant de la concurrence des salaires d’une main-d’œuvre structurellement clandestine, s’appuient sur ce socle historique[xxviii]. Les débats sur la naturalisation[xxix], la « migration choisie », la régularisation des sans-papiers, les renvois forcés, l’accès à la santé des requérants d’asile[xxx], la suppression de toute aide sociale (le cas des NEM) (Povlakic, 2011, Sanchez-Mazas, 2011) et aussi sur le post-colonialisme en prenant en compte la migration dans l’accumulation primitive dans des pays émergents (Chine, Inde) (Samaddar, 2011), l’ouverture des universités aux étudiants des pays émergents, les « diasporas scientifiques » (Tejada, 2010) aux prises avec la concurrence internationale. Pour saisir l’extension de l’apartheid, on peut mettre en liaison ces mesures avec le démontage des services publics, les émeutes urbaines, les prisons qui sont de bons lieux d’observation de l’élargissement des contradictions.
Quand une militante du droit d’asile (de Coulon 2011) dénonce la « déshumanisation » et déclare, « nous sommes en guerre », qu’est-elle en train de dire, de décrire ? La violence guerrière devient visible dans le système des camps[xxxi], la politique des renvois forcés dans l’UE et en Suisse, l’externalisation de la gestion migratoire avec des méthodes d’esclavage aux frontières de l’UE (Lahalou & Mounir, 2010), entre le Mexique et les Etats-Unis (Cockcrof 2011)[xxxii], dans la proposition de « zones humanitaires » pour « contrôler tranquillement les flux migratoires » (Sarkozy)[xxxiii], etc.. L’apartheid devient guerrier[xxxiv]. Faut-il considérer que la guerre contre le terrorisme qui a infiltré entre autres les dispositifs des politiques migratoires nous a fait basculer dans une guerre qui ne dit pas son nom ? L’approche nationaliste (xénophobie), policière, sécuritaire, humanitaire de la migration au détriment des droits est bien antérieure. Elle met en exergue un embarras présent sur le terrain de la migration, celui de qualifier la violence de l’apartheid. Elle rend aussi visible une ambiguïté philosophique sur le rapport entre la guerre et la politique qu’il s’agit d’interpréter si l’on ne désire pas glisser sans autre frein dans la violence guerrière.
Le problème peut-être le plus insidieux est la soumission intellectuelle et politique à l’idée d’une généralisation des technologies, des dispositifs, des outils d’apartheid guerrier[xxxv], non seulement pour la migration, selon le postulat erroné qu’il y a trop d’étrangers en Europe, mais plus largement pour l’ensemble des questions de sécurité et de protection préventives rapprochées ou à distance dans les sociétés post-industrielles (Esteves 2011). La migration est un champ de bataille qui révèle une autre guerre qui s’étend.
Avant même la fin du XXe siècle, la civilisation et l’idéologie de la guerre ont regagné du terrain par une politique généralisée d’apartheid qui a confondu guerre et politique, Macht et Gewalt, force et puissance, en réduisant la politique à la guerre au sens large. Que l’on voit à l’œuvre notamment sur le terrain migratoire. L’économie total-libérale a traduit ce fait dans ses pratiques et même dans sa théorie de « destruction créatrice » moteur du progrès du capitalisme (Schumpeter)[xxxvi]. « Les droits populaires ressemblent à un terrain de football sur lequel de nombreuses transformations sont en cours » (Linder, 2011). Les transformations sont en effet à l’œuvre aujourd’hui, en Suisse, la politique migratoire, les politiques sociales, pénales, de service public et aussi les débats sur la démocratie parlementaire et directe, sur le statut et l’usage du droit international (respect des Conventions internationales signées par la Suisse) et interne (statut de la Constitution). Le débat a lieu, non sur les choix de développement, la régulation de l’économie et le contrôle des banques par l’Etat et le pouvoir politique, mais sur le terrain de la démocratie directe (adhésion à l’Europe, respect des Conventions internationales, élection du Conseil fédéral par le peuple[xxxvii], usage du droit d’initiative et référendum), de la politique migratoire (minaret, renvois forcés, libre circulation, quotas d’immigration, etc.) et plus récemment à propos de l’Ecole, du droit à l’avortement et de mesures aux familles (privées)[xxxviii] pour remplacer les droits sociaux (public) en allant même jusqu’à la justification de la torture dans le travail de la police[xxxix].
La longue histoire de la naturalisation et de la banalisation de la guerre
La guerre contemporaine a changé de nature, d’objet, de terrain, de forme, de lieu, de temporalité, de moyens, d’intensité. Il y a de moins en moins de guerres entre Etats avec une déclaration de guerre formelle et des traités de paix, des troupes classiques. Un des signes les plus évidents en est peut-être la non distinction entre le droit international public et le droit international humanitaire (DIH) qui, rappelons-le, est un droit de la guerre qui accompagne la confusion entre la culture des droits à la base des droits fondamentaux et l’action humanitaire (Rigaux, 2002) légitimant le démantèlement de l’Etat social. Il y a des guerres entre empires, entre l’Orient et l’Occident (Padgen, 2011). Il devient difficile de distinguer entre état de guerre et état de paix, entre combattants et non combattants, ce qui légitime les massacres des populations civiles, l’engagement d’enfants soldats. Au moment où les Etats-nations perdent leur pouvoir face à des empires, à des forces internationales de maintien de la paix et à d’autres forces militaires multinationales ou internes privatisées, de nouveaux acteurs émergent avec leurs intérêts, de nouvelles règles, de nouveaux combattants (paramilitaires, sociétés de sécurité privées, mafias, forces internationales, etc.). Les guerres dites « justes » (Rigaux, 2011) ont de nouvelles légitimations (interventions préventives répondant aux rapports de force, aux intérêts politiques au nom de la violation des droits fondamentaux dénoncée de manière ciblée selon les pays (Flükiger, 2011).
La guerre est un fait changeant, mais comment est-elle devenue un fait naturel, banalisé dans l’histoire pour représenter la forme de pouvoir politique dominante normalisée et normalisante aujourd’hui ? Comment en est-on arrivé à assimiler la politique à la guerre du côté des dominants et aussi parfois des dominés, des révolutionnaires ? Le pouvoir de domination planétaire actuel est intrinsèquement lié à l’économie et à la guerre (complexe militaro-industriel, partage d’empires émergents, en déclin), mais de quelle guerre s’agit-il et avec quelles conséquences ? Comment articuler un questionnement sur les transformations du pouvoir, de la guerre en guerre moderne « totale » (Arendt, 1993) et la haine raciste, notamment sur le terrain de la migration, en meurtre banalisé[xl] ? Comment repérer des seuils dangereux dans la mise en cause de la politique comme puissance de vie et non comme force de mort ? La Convention pour la prévention pour la torture (CPT) est un instrument important. Mais comprendre la profondeur de la transformation du pouvoir avec la transformation radicale de la guerre implique de revenir aux bases de la pensée guerrière pour comprendre les transformations de la violence contemporaine.
Rappelons-nous comment l’Iliade (guerre de Troie) est présentée comme un mythe fondateur de la civilisation gréco-occidentale avec l’Odyssée (exil), comment Achille est présenté comme un héros guerrier de notre civilisation, alors que selon d’autres interprétations, il aurait combattu à cause de la perte de son ami Patrocle[xli]. Les discours de glorification de la guerre traversent l’histoire humaine. Ils se renforcent depuis le XVIIIe siècle. Ils ont ressurgi après le 11 septembre 2001 dans une situation de dilution du concept de guerre[xlii] pris entre guerre impériale et guerre sociale (Bidet, 2005) redéfinissant les liens entre « violence d’en haut et puissance d’en bas »[xliii]. Dans la modernité[xliv], après le terme de « révolution militaire » utilisé pour interpréter la prédominance de l’Occident à partir du XVIe siècle, l’émergence de la guerre « absolue »(Clausewitz) dans le concert des Etats européens a dominé peu à peu le débat politique[xlv] dès le XVIIIe siècle. Alors que le républicain Kant, admirateur apeuré de la Révolution française, réfléchit à la paix perpétuelle (droit des gens et non seulement de l’Etat, hospitalité, éradication de l’esclavage, mise en cause de la propriété privée dans un monde fini) (Kant, 1997), l’état de guerre devient la référence incontournable des relations internationales et internes (guerre civile, guerre sociale). Pour Hobbes, avant lui, par exemple, « la nature de la guerre ne consiste pas en un combat effectif, mais en une disposition avérée, allant dans ce sens, aussi longtemps qu’il n’y a pas d’assurance du contraire » (Hobbes, 1971). En clair, pour lui, la politique c’est la guerre. La Révolution française et Napoléon dominent l’imaginaire des XVIIIe et XIXe siècles, alors que la révolution communiste russe et la « guerre totale » nazie (Auschwitz) et américaine (Hiroshima) dominent le XXe siècle. La guerre contient désormais le danger d’anéantissement de la planète. Devant une telle impasse, la guerre ne peut plus être un pari.
Deux références de la philosophie dominante au XIXe siècle, Hegel et Clausewitz, sont ancrées dans l’expérience des guerres napoléoniennes conduisant à l’offensive à outrance, à la mobilisation totale dans la recherche de « l’homme nouveau » (Gentile 2011). Ces auteurs se demandent comment maîtriser le chaos guerrier[xlvi], obtenir une victoire rapide, irréversible. Tous deux posent un lien naturel entre guerre et politique. « L’esprit du monde » était pour Hegel la figure de Napoléon, produit de la Révolution française, arrivant sur un cheval dans la ville d’Iéna[xlvii]. La guerre moderne (napoléonienne) a donné lieu chez Clausewitz à l’une de ses formules majeures concernant la signification (et non la définition) de la guerre : « la guerre comme continuation de la politique d’Etat par d’autres moyens ou par un mélange d’autres moyens » (Clausewitz, 1955, 703, 728) et à sa distinction entre « guerre absolue » (abstraction qui conduit à l’ascension aux extrêmes) et « guerre réelle » (circonstances historiques). Lénine inspiré par Clausewitz écrira plus tard que la guerre prépare les conditions de la révolution. J’ai expliqué ailleurs comment Arendt montre que la guerre devenue « totale », la révolution ne peut plus la banaliser sous peine non seulement de danger d’anéantissement mais de disparition de la politique (Caloz-Tschopp, 2011b).
Par ailleurs, on a vu le poids de la thèse de la « destruction créatrice » dans le champ de l’économie défendue par Schumpeter. La destruction postulée comme nécessité de progrès créatif fait-elle forcément pencher le plateau de la balance dans le sens de la création ou s’inscrit-elle dans une philosophie politique de destruction qui est une forme du nihilisme capitaliste ? A la lumière des constats d’aujourd’hui, la traduction du paradigme destruction-création dans le rapport entre capitalisme et guerre, dans le lien structurel entre capitalisme et violence, domination et soumission, (dé)subjectivation et émancipation permet une évaluation plus réaliste. Les bases de l’analyse nous sont fournies en priorité par l’œuvre de Marx pour le capitalisme industriel et de Rosa Luxembourg pour l’impérialisme colonial, qui a influé sur l’œuvre d’Arendt. A partir des analyses de Rosa Luxembourg, Arendt (1972a) a montré comment l’impérialisme a fourni des éléments pour l’invention totalitaire (articulation entre antisémitisme politique, impérialisme, racisme, camps d’extermination, la guerre « totale » d’anéantissement au XXe siècle).
Dans la migration, les droits sociaux, pourquoi le mot de guerre vient à l’esprit et sur les lèvres après qu’un autre mot, le mot camps, a émergé dans les discours sur la migration? Ce dernier a été tout d’abord revendiqué en France par une organisation indépendante de défense des droits (GISTI) tout en rencontrant une grande résistance à son usage (Caloz-Tschopp 2004, 2008) à cause des conflits de mémoire sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Europe (Auschwitz). Aujourd’hui, des discours parlent de la « guerre aux migrants », de « criminalisation des mouvements sociaux », de « guerre sociale » dans les politiques migratoires, du droit d’asile, des politiques sociales. De quelles transformations du pouvoir et de la guerre le paradigme de l’enfermement-expulsion serait-il la proue ? Les migrants ne sont pas les seuls visés.
Aujourd’hui, au nom de l’ordre, de la sécurité, d’un supposé état de désordre permanent et d’urgence sont inventés des catégories, des concepts (terrorisme, délits d’intention, Minority Report, délit d’opinion, etc.). Des dispositifs, des outils de fichage « biométriques », de contrôle généralisé des individus, de l’espace public (caméras de quartiers, écoles élémentaires, cantines scolaires, entreprises, projet de logiciels-espions de la police[xlviii], etc.) sont mis en place. Tout citoyen devient un terroriste, un criminel en puissance. Ces mesures bien plus radicales dans leurs implications que lors du nazisme et du fascisme transforment les villes en prisons généralisées. Elles visent à criminaliser les migrants et des catégories de populations précarisées tout en généralisant une « gouvernance » sécuritaire de la répression et du contrôle articulée au miracle, au mirage de la consommation. Les temples des supermarchés surveillés par des caméras ont remplacé des églises, des temples, des mosquées dans les grandes villes du monde.
Trois recherches récentes apportent des éléments complémentaires pour affiner l’analyse. Comme c’est le cas dans des mesures sécuritaires en Italie, dans l’UE, en Suisse avec les mesures de contrainte pour assurer les renvois forcés), il existe des travaux qui décrivent le passage à l’acte, le pari de la guerre autour des débats qui concernent la formule magique de la « guerre préventive » (vieille notion de 1665, remise au goût du jour) alors même que les armes sont plus précises et puissantes (Irak, Liban en 2006, Gaza en 2008, Afghanistan). « Comprendre la guerre préventive, c’est avant tout faire l’analyse de sa justification » au nom de la « guerre juste » (Colonomos, 2009). La guerre préventive n’est pas défensive, mais offensive. Elle est légitimée par la puissance hégémonique ou des puissances régionales par le fait qu’elle serait « juste » (au nom de la démocratie et des droits de l’homme). Fait troublant : l’argument de la prévention intervient aussi de plus en plus fréquemment dans les politiques sécuritaires pour les populations (migrantes et autres).
Imaginons un instant ces outils aux mains d’un pouvoir autoritaire dictatorial en Europe alors que seraient noyautés les contre-pouvoirs. Dans divers pays d’Europe, par le laboratoire Schengen[xlix], des mesures prises par des gouvernements pas forcément de « droite » sont en fait des suspensions de la démocratie pour soi-disant la défendre. Le débat a eu lieu sur l’opportunité de la torture à Abou Ghraib, à Guantanamo, à propos des prisons secrètes et d’autres mesures anti-terroristes. Les dispositifs, la dégénérescence du climat politique en Europe et ailleurs n’excluent pas la prise de mesures plus radicales.
Macht une Gewalt (Benjamin, Arendt), une ambiguïté conceptuelle de l’idéologie guerrière
Une ambiguïté théorique permet de voir que l’assimilation de la politique à la guerre est devenue une évidence légitimée, un conformisme généralisé. Arendt a apporté un renouvellement de la notion de pouvoir en distinguant entre pouvoir de domination et pouvoir d’action après avoir réfléchi à partir des guerres totales du XXe siècle. A partir de l’œuvre de Walter Benjamin, elle a mis en exergue sa réflexion originale sur le mot Gewalt qui l’a amenée à faire un important travail de distinction critique pour penser le pouvoir (domination, action, révolution). En bref, elle a repéré une ambiguïté entre Macht (puissance) et Gewalt (violence, contrainte, force). Dans un texte publié dix ans après son Essai sur la révolution, elle revient sur la guerre et la politique pour dépasser l’ambiguïté entre force et puissance définissant le pouvoir. Elle commence par lever une confusion sémantique autour des termes pouvoir, puissance, force, autorité et finalement violence (Arendt, 1973, 105-112). Amie et lectrice de Benjamin, elle formule la distinction entre Macht (puissance) et Gewalt (violence, contrainte) reprise plus tard par Jacques Derrida, puis Etienne Balibar.
Pour définir le pouvoir, il est nécessaire nous dit Arendt de distinguer entre pouvoir et violence guerrière, entre force et puissance. La domination est liée à la force guerrière. Le débat sur les opinions, l’action concertée sont liées à la puissance, à la parole, au débat, à l’espace public. La violence se distingue « par son caractère instrumental ». « La violence peut détruire le pouvoir, elle est parfaitement incapable de le créer » (p. 166). Arendt précise, « rien n’est plus fréquent que l’association du pouvoir et de la violence ; il est extrêmement rare de les trouver séparés l’un de l’autre et sous leur forme pure et donc extrême. Il n’en résulte pas cependant que l’autorité, le pouvoir et la violence ne soient qu’une seule et même chose ». L’autorité qu’elle lie à la capacité de fondation, d’innovation, de commencement par l’action (qu’elle distingue de la fabrication) et non à l’autoritarisme du tyran est le troisième terme qui lui permet de dialectiser le pouvoir et la violence.
Arendt pose cependant une triple distinction entre puissance, force et violence qu’elle situe résolument sur le terrain politique dont on mesure l’incidence sur sa manière de définir la politique: 1) « la violence peut être mesurée et calculée, tandis que la puissance est par essence impondérable et incalculable. C’est ce qui rend la puissance si « inquiétante » mais c’est ce qui constitue sa qualité ; 2) La puissance naît toujours entre les hommes (inter-esse), tandis qu’un seul peut disposer de la force. Lorsque quelqu’un « s’empare de la puissance », il la détruit. Il ne reste plus que la violence ; 3) la violence est toujours objective ; la violence est identique aux moyens de la violence – les bataillons renforcés -, tandis que la puissance ne naît et ne consiste que dans l’action concertée. Elle peut disparaître à tout moment. Elle est pure activité. Ces trois distinctions ont le double avantage de nous distancer : 1) d’un enfermement dans la violence guerrière (torture, massacres, génocides, féminicides (Gonzalez, 2007)[l] 2) d’une approche fonctionnelle, utilitariste du pouvoir guerrier (on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs). Ce qui permet de redéfinir le pouvoir en le situant dans le champ de l’agir politique. Sur ce terrain, la politique redéfinie à partir de la distinction posée refuse aussi la distinction hiérarchique entre gouvernants et gouvernés. Il est fondé sur la réciprocité dans l’agir et non sur le conflit[li]. Ailleurs, toujours dans la même perspective, Arendt oppose la figure du tyran isolé qui ne reste au pouvoir que par la force instrumentale qu’elle oppose à celle du « héros ordinaire », de l’agir politique et qui n’existe que par la conjugaison des libertés individuelles dans la pluralité.
La guerre et la démocratie directe sur le champ de bataille des étrangers
Dans le contexte de « crise » globalisée du capitalisme et du débat « populiste », en quoi la distinction entre force et puissance de Walter Benjamin reprise par Hannah Arendt peut être utile pour diagnostiquer notre époque ? Sommes-nous dans un état d’urgence, une situation-limite ou même dans un état de guerre qui ne dit pas son nom ? Le regain de travaux sur la démocratie – concept pour le moins polysémique – pourrait être un des signes précurseurs d’un malaise ou même d’un conflit à identifier. Il ne s’agit pas de reprendre ici les travaux sur les rapports entre impérialisme et guerre du XXe siècle (Hilferdings, Rosa Luxembourg), mais de repérer les transformations d’hégémonie politique à l’intérieur du système politique d’Etats-nations au nom du « peuple », d’une alliance privilégiée entre un « chef » et le « peuple » qui s’articulent avec les forces multinationales échappant aux Etats.
Le champ de bataille de la migration permet d’observer une mutation idéologique et politique. La situation politique est caractérisée par l’anomie, le manque de confiance qui a gagné l’exercice de la politique, alors que des courants se déclarent ouvertement ennemis de la démocratie ou au contraire se réclament de la démocratie directe en inscrivant son exercice dans la guerre ouverte contre le cadre politique, les droits et les forces politiques pour installer un projet hégémonique total-libéral néo-conservateur articulé au marché globalisé sans contraintes.
La confusion entre Macht et Gewalt traverse aujourd’hui, en Suisse, le débat sur la démocratie parlementaire et directe, sur le rôle des élites (Chollet 2011) et des intellectuels, sur le statut et l’usage du droit international (respects des Conventions internationales signées par la Suisse) et du droit interne (statut de la constitution, lois). Loin de se confiner aux rapports entre parlement et démocratie, légitimité et légalité, le débat se place sur le terrain des modes d’action et d’objets, la démocratie directe (adhésion à l’Europe, respect des Conventions internationales, élection du Conseil fédéral par le peuple[lii], usage du droit d’initiative et référendum), de la politique migratoire (Ueberfremdung – surpopulation étrangère – minaret, renvois forcés, refus de la libre circulation de l’UE)[liii] et plus récemment à propos de l’Ecole, du droit à l’avortement, du rôle de la famille, etc..
Entre tyrannie et démocratie (Strauss, Kojeve, 1997), entre démocratie et république, etc., les débats se sont succédés au XXe siècle et après. Pour contrer la « révolution conservatrice », le débat s’est développé autour des principes, limites, du modèle de la démocratie libérale (Rousseau, Locke, Burke, Mill, Bentham etc.), vieille de moins de deux siècles en Occident (Maspherson, 1985). Il se prolonge en lien avec l’éducation (Geneyro, 1991), le futur de la démocratie (Bobbio, 1995), la « démocratie des autres » (Sen, 1999), etc. Le groupe Socialisme ou Barbarie (Lefort, Castoriadis), quant à lui, a dégagé des thèmes de réflexion liés à la crise du communisme, du socialisme, de la révolution (démocratie lieu vide, germe de la démocratie radicale, autolimitation, autonomie-hétéronomie, autogouvernement). D’un autre côté, le débat s’est prolongé sur la question de la représentation (Riot Sarcey, 1994), de la place du conflit au centre de la politique (Loraux, 1993, Genre humain 1992 ; Rancière, 1995), de la division de forces rivales appelées à vivre ensemble[liv]. Les travaux sur la démocratie plurielle ont tenté d’intégrer le pluralisme des citoyens manquants (Ivekovic, 2010). Aujourd’hui en Suisse, le débat sur la démocratie croise celui des limites de la démocratie parlementaire et de la démocratie directe, des élites antidémocrates et des Conseils comme projet et mode d’organisation politique (Volluz, 2011).
La question n’est pas réductible à ce que Rosanvallon (2011) appelle la « pathologie historique » du populisme rongeant la démocratie. Le binôme populisme et démocratie aurait-il pris le relais du binôme démocratie et totalitarisme (Aron 1965) ? C’est plutôt le conflit entre politique et guerre en vue d’un changement hégémonique et de l’absorption de la politique par la guerre qui mérite d’être examiné. Un inventaire complet et nuancé des divers courants antidémocratiques, des raisons de leur haine envers la démocratie (Rancière, 2005) à partir de son plus célèbre détracteur, Platon, à la lumière d’une telle distinction serait utile pour redécouvrir la tension entre la haine et le désir de la politique. Distinguer la guerre et la politique est possible dès lors que l’on reconnaît le « pouvoir au peuple », un peuple qui n’est pas une masse ignorante (Rancière 2011), et que l’on met en cause l’illusion de l’homogénéité d’une société fermée, que l’on accepte que l’hétérogénéité, la « mésentente » des « sans part » (Rancière, 1995), soient à la base de la possibilité même de l’émergence de la politique en installant un autre rapport au temps (la durée à la base de l’action humaine)[lv] et en se réappropriant un espace public qui permette au conflit de se vivre, de se penser, de s’élaborer. En d’autres termes, il s’agit de distinguer entre la guerre et le conflit, entre guerriers et adversaires dans les contradictions à l’œuvre. Et d’apprendre à « tenir » les conflits sur la durée et dans l’espace politique en construisant des espaces publics. De ne plus rêver que la révolution se limite à l’événement enivrant de la prise de pouvoir.
Les limites des attaques du cadre politique (Etat, droit)
Le terrain de l’Etat et du droit (en particulier sur le terrain des politiques migratoires mais pas seulement) est un bon lieu d’observation des avancées de la guerre et du recul de la politique et des transformations de régime et de système politique. La Suisse est un des laboratoires d’essai en Europe de la transformation d’hégémonie de forces politiques total-libérales et néo-conservatrices. Un des lieux du conflit est celui des droits populaires. Ils ont une longue tradition en Suisse et ailleurs. Durant plus de 150 ans du développement de l’Etat fédéral, ils ont servi à l’opposition contre le gouvernement et le parlement. Ils ont valorisé et valorisent le principe de la démocratie directe. La puissance du peuple (demos-cratos), la parole, la pensée, l’autonomie sont à la base du « germe » de création démocratique incessante dans les conflits aux multiples frontières de la politique, montre bien Castoriadis dans son œuvre. Elle s’exerce dans le cadre, les formes de démocratie directe, dont les droits populaires et aussi les Conseils du tournant du XXe siècle, du Front populaire, de la République de Hongrie en 1956, etc. et ont été autant d’expériences pratiques collectives. Dans la démocratie parlementaire semi-directe, le droit d’initiative (proposer des nouvelles lois), le droit de référendum (contester une nouvelle loi) et aussi la nomination du procureur fédéral, des procureurs cantonaux par la plus haute autorité exécutive, le parlement, ou le peuple, sont par ailleurs des outils qui visent à associer le « peuple » (les populations qui disposent du droit de vote dans un système d’Etats-nations, les étrangers en sont exclus) à la création des lois, voire même à la révision de la constitution en vigueur, aux procédures de nomination du pouvoir exécutif, parlementaire, judiciaire.
Le débat, la tradition, la pratique des droits populaires face à l’Etat se sont joués au XIXe siècle sur le terrain de la politique « nationale ». Maintenant ils se jouent à la fois sur le terrain interne et externe. « Le défi le plus difficile et toujours pas relevé à l’heure actuelle, se situe dans l’adaptation des droits populaires à l’internationalisation du droit et de la politique » (Linder 2011). Dans l’articulation national-international, les rapports de force, les intérêts, les enjeux, les modalités, les acteurs, les terrains ne sont plus les mêmes.
Pour nourrir la contradiction entre guerre et politique, à côté d’autres actions, l’exercice de la création démocratique se fait autour l’Etat et du droit, dont la forme, le contenu sont en débat ouvert entre divers projets politiques qui s’affrontent autour de la nature, du rôle de l’Etat, du processus constitutionnel, des rapports entre les trois pouvoirs (législatif, exécutif et juridique), des rapports de pouvoir entre l’Etat et la « société civile », de l’organisation, de l’auto-gouvernement, de la construction des droits, etc..
Concernant l’Etat et le droit – vus sous l’angle de cadres de la politique -, des attaques directes de l’Etat et du droit actuels ont lieu depuis l’extérieur et aussi depuis l’intérieur de l’Etat et du parlement. Pour certains, il s’agit de faire tomber le droit (Marine Le Pen, forces d’extrême-droite). Pour d’autres il s’agit de prendre le contrôle sur l’Etat pour le transformer (partis de droite, partis populistes), étapes par étapes radicalement (Tafelmacher 2011), en changeant le régime, le système politique dans son ensemble pour l’adapter aux exigences du capitalisme globalisé. En d’autres termes, de remplacer la politique par le marché et la guerre dérégulée dans la globalisation.
On peut se rappeler les ruses et les ambiguïtés ayant mené à l’échec de la révolution en 1918 en Allemagne (Haffner, 2011). Plus tard, l’exemple historique de la République de Weimar à laquelle a succédé Hitler permet d’identifier ce qui est en jeu dans les deux types d’attaques de l’Etat et du droit évoqués plus haut[lvi]. A ce propos, Carl Schmitt (Beaud, 1997) par exemple, de fait a inventé une théorie de l’état d’exception et de la dictature au moment du nazisme reste un lieu d’analyse de la philosophie du droit et du droit important. Des questions ont fortement intéressé les juristes et les politologues à des moments de crise de l’Etat et du droit avec le danger de basculement vers des systèmes autoritaires, dictatoriaux, totalitaires : qui sont – non pas les adversaires, mais – les ennemis[lvii] de la démocratie ? Quelle attitude adopter face à des mouvements anti-démocratiques, à des ennemis de la démocratie quant à la liberté d’expression, de presse, d’association d’un régime démocratique plus ou moins avancé, qui en usent pour le détruire ? Jusqu’où le régime, le projet, l’imaginaire démocratique doivent-ils rester tolérants à l’égard de groupements politiques intolérants qui veulent sa destruction? Des mesures préventives (surveillance, police, mise hors la loi) et répressives (état d’urgence, loi martiale) ont été étudiées pour prévenir des coups d’état, des prises de pouvoir par la violence et même, plus récemment, des opérations de guerre non légitimes. Des cas de crise fournissent des exemples : fin de la République de Weimar, extrémisme politique du rabbin Kahane en Israël, illégalité du Front national en France, suspension des élections algériennes le 12 janvier 1992, opérations de police déguisées en opérations de guerre et leur légitimité juridico-politique lors de l’assassinat de Ben Laden, etc.).
Face à de telles tendances, comment agir dans les conflits autour de l’Etat et du droit en évitant le détournement de la puissance politique, de se laisser entraîner sur le terrain de la force guerrière plutôt que sur celui de la puissance de l’action et du débat sur l’importance d’un cadre politique (Etat, droit)? Quel équilibre possible entre pouvoirs internationaux et pouvoirs nationaux à l’étape de la globalisation actuelle ? Que devient la séparation et l’équilibre des pouvoirs (non seulement entre police et politique mais aussi entre pouvoir politique et juges) ? Faut-il mettre hors la loi l’UDC[lviii] et/ou les groupes d’extrême-droite?
Ces questions sont tragiques car elles touchent à la maintenance de la démocratie directe en tant que pouvoir du « peuple » dans un contexte de globalisation. Elles n’ont aucune réponse satisfaisante quand le peuple est cantonné sur le terrain « national », que les enjeux sont de plus en plus internationaux et que l’ambiguïté des acteurs politiques empêche l’identification des conflits en cours et de l’autonomie, de la puissance réelle des acteurs.
Les attaques de l’Etat et du droit au nom des droits populaires
« Il faut une volonté politique pour que la démocratie directe ne devienne pas une poubelle à émotion », a déclaré M. Ouardiri, coprésident de la fondation genevoise de l’entre-connaissance, lorsque la CEDH a jugé irrecevable des requêtes arguant que l’interdiction des minarets violerait la CIDH. Ces requêtes ont été déposées à la suite de la modification constitutionnelle suisse acceptée le 29 novembre 2009 par 57,5% des votants suisses (minarets).
Les minarets ne sont pas une initiative isolée. La conjoncture en Suisse autour de débats successifs sur des initiatives concernant l’internement à vie des délinquants sexuels ou violents, le renvoi des étrangers criminels, l’interdiction des minarets, le retour de contingents dans les politiques migratoires, par exemple, permet d’évaluer la gravité des attaques non seulement aux droits fondamentaux mais aussi à l’exercice démocratique situées de plus en plus dans l’articulation entre politique intérieure et politique internationale dans les rapports de force internationaux. Rappelons que la Suisse ne fait pas partie de l’UE mais pratique des accords bilatéraux. Les attaques de l’Etat de droit et du droit n’atteignent pas le seuil franchi par l’Etat des USA à Guantanamo[lix] mais on peut craindre qu’elles y conduisent. Autre problème. D’autres forces politiques anti-démocratiques s’engouffrent dans le débat ouvert par les forces populistes pour restreindre non seulement les droits populaires mais les libertés publiques qui ont été une avancée dans la création de la démocratie directe en Suisse.
Ces initiatives sont pratiquement inapplicables dans le cadre légal existant. Concernant, par exemple, l’initiative populaire sur le renvoi des étrangers, quatre variantes sont sur la table de la commission du Parlement et le compromis semble bloqué. Impossible en l’état d’appliquer la loi. Cependant la police fait son travail. Après quelques mois de suspension des vols à cause du décès d’un Nigérian, un avion a été affrété pour renvoyer d’autres requérants déboutés par la force. Pendant que l’UDC menace de lancer une nouvelle initiative plus dure sur les renvois pour faire pression. Le seuil du désaccord est d’un côté l’incompatibilité juridique de la loi avec le droit international, le respect du principe de proportionnalité dans la gravité des délits (pas d’expulsion pour les petits délits) et de l’autre l’exigence de respecter la souveraineté de la Suisse qui ne doit s’incliner devant aucun traité international (CIDH) y compris devant l’instance de la CEDH, tout en respectant les droits fondamentaux. C’est la quadrature du cercle.
Dans deux rapports (2010, 2011), le Conseil fédéral s’est emparé de la question des droits populaires en droit international. A l’heure actuelle une votation sur des traités internationaux est facultative (elle a eu lieu pour Schengen), le peuple étant appelé à voter pour les modifications de la constitution. Au Parlement suisse, une proposition sur le contrôle préalable des initiatives et des référendums par le Tribunal fédéral (pouvoir judiciaire) a été balayée au profit d’un contrôle non contraignant à partir de l’examen du respect des droits fondamentaux. Le Conseil des Etats vient de refuser l’usage par le Conseil fédéral du contre-projet face à une initiative de l’Action pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN) qui a lancé en 2009 une initiative « Accords internationaux : la parole au peuple » (108.000 signatures). Le texte exige que tout engagement international et que toutes dépenses dépassant un milliard de francs suisses soient soumis au référendum populaire. En cas de succès, une telle initiative augmenterait les votations populaires de 40%. Le débat a lieu actuellement quant au choix des thèmes à débattre (transports, impôts, finances, etc.) et quant au contrôle préalable contraignant des initiatives (proposition de la Commission des institutions politiques et Conseil des Etats).
Il a aussi lieu sur les rôles respectifs du pouvoir politique et juridique, par le biais des instances et des normes. Une proposition émanant, par exemple, d’un Think tank met en avant un changement de « paradigme majeur » permettant de concilier les droits populaires avec les droits fondamentaux. Il s’agirait de partir du socle des droits fondamentaux auquel doit répondre toute constitution, de «donner la priorité du respect d’un droit fondamental sur une autre norme », en clair d’introduire « une hiérarchie entre les différentes normes de la Constitution fédérale » à partir de la priorité aux droits fondamentaux. Une telle solution prendrait à contre-pied les adversaires des droits populaires, tout en renforçant la constitution[lx]. Elle ne poserait pas de limites directes aux droits populaires mais en renforçant le pouvoir exécutif national majeur. Le débat est placé au niveau de la hiérarchie des normes et des instances. Le Think tank refuse que la CEDH, instance internationale, tranche le débat en donnant tout pouvoir au Conseil fédéral, instance nationale. La proposition apparaît comme un renforcement du pouvoir exécutif majeur et national (une sorte de voie vers la présidentialisation du pouvoir suisse). Le Think tank en question ne signale pas un vide institutionnel majeur concernant la séparation des pouvoirs qui peut contrôler le pouvoir exécutif : l’absence d’une Cour constitutionnelle indépendante en Suisse qui puisse à la fois juger de l’adéquation d’initiatives, de référendums aux droits fondamentaux, le cas échéant les interdire par des voies politiques et/ou juridiques et contrôler le travail du Conseil fédéral. Rappelons-nous que les droits populaires ont été construits pour contrôler l’Etat au XIXe siècle.
En bref, depuis les années 1980, les contradictions, les conflits inscrits pas à pas dans l’agenda électoral, orchestrés par les médias, montrent que les transformations politiques, de l’Etat, du droit, la recherche d’hégémonie fait feu de tout bois en s’appuyant notamment sur une alliance entre un « chef » et le « peuple ». Au risque de mettre en cause à la fois les droits populaires de la démocratie directe, le droit et même la politique sur le terrain de la politique intérieure et externe (Europe). Ce qui est recherché, n’est pas une réflexion sur les rapports entre l’UE et l’Etat suisse, l’Etat, la « société civile », des individus en vue d’un projet d’autonomie (Pedraza 2011). C’est une nouvelle forme politique de rapport entre le « peuple », les partis, l’Etat, les puissances multinationales, en vue d’un projet guerrier d’hégémonie politique et économique dans un Etat radicalement transformé et internationalisé avec le discours sur l’illusion que la pièce de théâtre se joue sur une scène nationale isolée. Or, la scène du repli national ne peut plus apporter de sûreté au « peuple » effrayé par la globalisation. Le débat sur le secret bancaire est un bon terrain d’observation à ce sujet. Le paradoxe est bien l’appel au « peuple », à la tradition des droits populaires pour installer des forces politiques qui ne veulent pas de démocratie. Ni directe, ni parlementaire. En clair, la question n’est donc pas seulement une question juridique mais politique et philosophique à la fois nationale et internationale (Europe et politique étrangère).
Comme pour le refus de la libre circulation de l’UE, on peut remarquer que l’argument avancé par les forces populistes est la « souveraineté nationale » et non la « souveraineté populaire » : en clair, la contradiction à l’œuvre n’est pas uniquement une contradiction entre les terrains national et international mais entre la nation et le peuple. Le peuple, instrumentalisé, est assimilé à la nation contrôlé par un Etat-nation autoritaire. L’UDC, parti des milliardaires et des intérêts de multinationales[lxi], confine la mésentente des sans part, dont parlait Jacques Rancière, non à des intérêts de peuple, de classe mais à les intérêts des forces ultra-libérales, y compris dans l’organisation du marché du travail s’appuyant sur la manipulation d’une identité nationaliste mythique. Sur la scène de la globalisation, au nom du sauvetage de la Suisse, se joue le choix entre la politique, le marché et la guerre globalisés.
Dans un tel contexte, comment refuser d’être entraîné sur le terrain de la guerre avec le risque du transfert de responsabilité pour assumer les échecs, le franchissement de limites dangereuses et faire face aux dégâts comme le montre amplement l’histoire allemande, française, suisse ? A l’encontre du projet guerrier d’attaque du droit et de l’Etat, on peut espérer des projets alternatifs pour « tenir » et faire évoluer le conflit en transformant la tension national-international en conflit de classe internationalisé. Le doute s’installe quant à la possibilité de dépasser des formes d’ambiguïté actuelles et de l’absence de véritables alternatives. Ne faut-il pas être identifié et différent pour avoir un projet et tenir un conflit ? Revenons à la politique migratoire avec deux exemples pour illustrer combien l’ambiguïté masque les causes réelles du conflit. Le premier concerne la gestion des renvois forcés aux mains de la Conseillère fédérale, Simonetta Sommaruga, socialiste, cheffe du Département fédéral de Justice et Police (DFJP). Au lieu de contrôler l’administration policière[lxii], de renforcer la formation du personnel, elle pratique une politique de la « main de fer » à l’encontre des étrangers extra-européens (freins sur le regroupement familial et autres mesures comme la mise sur pied de camps fédéraux éloignés par exemple)[lxiii]. Elle organise un exercice de communication médiatique autour des renvois forcés (terrain de l’UDC) à quelques mois des élections. Une telle stratégie apparaît comme un signe de la difficulté des défis, et peut-être aussi comme un aveu de faiblesse d’une stratégie perdante[lxiv].
Dans le conflit sur le terrain des droits populaires, un programme politique alternatif clairement profilé sur une alternative au marché ultra libérale de la globalisation s’appuyant sur les droits fondamentaux à appliquer aux deux niveaux (interne, externe, Suisse, Europe) est le grand absent des débats. Les stratégies ambiguës comportent des risques politiques non négligeables. La délégation de la responsabilité du haut en bas de l’échelle du service public, aux fonctionnaires de police et à d’autres instances (Fédération des Eglises protestantes), la légitimation par une Ministre socialiste des renvois forcés au nom de la légitimité du pouvoir d’Etat[lxv] conduit à de nouveaux morts dans les renvois forcés qui rejoignent les milliers de morts aux frontières de l’Europe, au durcissement du droit d’asile par le Parlement, à la radicalisation et au désespoir des mouvements sociaux avec un risque de violence. Deuxième exemple. Est-il suffisant, comme évoqué plus haut, de dénoncer les mesures et actes racistes pour mobiliser contre un danger politique réel de transformation de l’Etat et des droits ? Assurément pas. Le champ de bataille de la migration nous apprend à ne pas nous tromper d’objet, de rythme, de stratégie, de terrain, en nous laissant enfermer dans la logique d’apartheid guerrier de la globalisation et ses ambiguïtés et la logique de la différence qui révèlent une autre guerre bien plus vaste et dangereuse où les rapports de force sont en train de changer rapidement.
En conclusion : (re)trouver la politique en ne déniant pas la violence, c’est refuser de banaliser la guerre moderne et contemporaine et l’apartheid
A partir de la situation globale des rapports sociaux et sur le champ de bataille de la migration, comment agir juridiquement, politiquement, philosophiquement ? Pourquoi et comment défendre un cadre politique ambivalent (Etat) et le droit ? La question du travail sur la contradiction entre Etat sécuritaire et Etat social, entre Etat providence et dépendance au marché (consommation, civilisation de la carte de crédit installant l’endettement à vie), à l’Etat au risque de l’autonomie (question des jeunes endettés à l’assistance, au chômage, notamment) qui – au-delà des droits populaires – concerne la réappropriation de l’autonomie et de la politique est l’objet d’un autre article.
En évoquant l’Etat et le droit, il n’est pas dans mon propos d’établir un inventaire des mesures juridiques et politiques à prendre pour défendre un Etat de droit intégrant les droits des étrangers, la constitution, les droits nationaux, les conventions internationales des droits fondamentaux dans les politiques migratoires et les autres domaines. Tout au plus comme mesure urgente en Suisse, soulignons au niveau des structures, l’absence d’une Cour constitutionnelle indépendante, la non distinction entre la justice et la police dans la structure du Département fédéral de « justice et police » (DFJP) et le fait que le dossier des étrangers dépende du DFJP et non du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE), par exemple, ou même de l’ensemble des Départements de l’Etat en Suisse avec des contre-pouvoirs réellement autonomes (en commençant par l’autonomie financière de tels contre-pouvoirs).
Résister aux tentatives hégémoniques par la transformation de l’Etat et du droit dangereuses pour la démocratie radicale en tant que régime, projet, imaginaire toujours en construction au sens où Castoriadis en a parlé dans son œuvre signifie non seulement mettre en cause toute forme de nationalisme, de xénophobie, de racisme en articulant les niveaux nationaux et internationaux. Le défi consiste aussi à lever l’ambiguïté théorique de la longue tradition de la philosophie politique entre Macht et Gewalt, entre force et puissance, entre guerre et politique, pour ne pas accepter la guerre comme unique horizon, voie d’action et perdre le trésor de la création politique enfoui dans les droits populaires et dans d’autres exemples de pratiques politiques (Conseils, etc.). Qu’il s’agit de retrouver. La possibilité de la puissance du devenir de la politique est à ce prix.
En synthèse, (re)trouver la politique, c’est refuser de banaliser la guerre et la mort. C’est retrouver l’exigence incontournable d’un cadre politique articulé à la création démocratique fulgurante, incessante (forme d’Etat, construction du droit, puissance de l’action d’auto-gouvernement, d’une pensée autonome), d’un droit ancré dans l’autonomie (Castoriadis 1975), et aussi d’un droit au-delà du droit situé dans le lieu imprévisible de la création et de la sauvegarde incessante « du droit d’avoir des droits » (Arendt, 1972a), de l’hospitalité (Scherrer, 2005, Caloz-Tschopp, 2008, 303-400) et de l’égaliberté (Balibar, 2010). C’est l’horizon à la fois de la citoyenneté et de la connaissance. Un tel horizon est à la fois local, national, européen et international. Il est certain que les droits populaires sont un « défi pour la globalisation » (Linder, 2011). Il est tout aussi certain que la globalisation est un défi pour la forme d’Etat, les droits populaires, l’autonomie, la citoyenneté, le droit, la politique.
Juste avant la deuxième guerre mondiale dans un livre passionnant, Arthur Koestler (2011, 34) écrivait: « Ce n’est que très rarement et dans ses moment les plus sombres que l’humanité s’est trouvée sans foi spécifique pour laquelle vivre et mourir (…). Il est dur pour les hommes de se battre s’ils ne savent pas pourquoi ils se battent, mais seulement contre quoi ». Aujourd’hui savons-nous non seulement contre quoi mais pourquoi, comment et avec qui nous nous battons ? Avons-nous abandonné tout désir de liberté et d’autonomie ? Avons-nous oublié l’autonomie, l’hospitalité et l’égalité remplacés par la dignité plutôt que ces référents soient articulés entre eux ? Le souffle d’un tel désir, d’un tel savoir s’appuyant sur la mémoire, la réappropriation de la puissance d’agir et de penser permet de reconnaître l’impasse de la guerre, de ruser avec la violence extrême sans la dénier et de trouver des passages praticables pour héros ordinaires et non héros guerriers. Nous le voyons avec les révolutions en marche, même si la contre-révolution est là. Le mouvement du désir de la politique sauve des évaluations pessimistes, des fausses illusions, de la désespérance. Il réoriente la colère. Il renforce la curiosité, l’optimisme, la possibilité de voir, de saisir l’événement imprévisible, de rêver. Il peut fonder non seulement un nouveau paradigme pour aborder la migration (Caloz-Tschopp 2007), mais une révolution découvrant de nouveaux passages dans l’imaginaire et la pratique pour l’autonomie, la politique, le droit et la citoyenneté.
Genève, juillet 2011.
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[i] Butler « Supposons que l’envahisseur ne vienne pas en bottes, mais en pantoufles ou en souliers vernis, comment me comporterai-je et comment se comporteront les respectables X, et les patriotes Y, et les pieux Z ? » se demande l’auteur à propos de l’arrivée du fascisme et du nazisme, (Butler, 1985,82).
[ii] Un exemple de la transformation du rôle de l’Etat nousest donné dans un article sur Etat et Citoyenneté en Ex-Yougoslavie : « The State reduces and extends people’s rights in order to achieve the goal of “competitiveness”, while the instruments how to achieve it are designed within the frame of negotiations between local dominant classes and international organisations », Breznik Maja, Mocnik Rastko, Erasing residence rithts in Slovenia, University of Ljubljana (texte des auteurs), 2011.
[iii] L’attitude des banques et de leurs dirigeants et avant eux des dirigeants de multinationales est un bon terrain d’observation à ce propos. Dernier fait permettant d’illustrer la spéculation à outrance, des instruments financiers opaques, des pratiques illégales, un laisser-faire des autorités suisses et l’impunité d’actes criminels par manque de lois. Trois ans après le krak mondial, un trader de l’UBS, multinationale bancaire ayant son siège en Suisse a perdu 2,3 milliards de frs. en menant des opérations sur plus de 10 milliards de frs. La perte est due à une spéculation sur le franc fort qui a mal tourné, à la suite d’un plancher euro/franc posé par la Banque nationale suisse pour décourager les spéculateurs… internationaux.
[iv] Des conflits mettent en cause la politique dont le conflit sur les liens entre guerre et politique qui fait l’objet de cet article et des conflits qui fragmentent la puissance d’agir, épuisent en voilant notre lucidité (observable dans les mouvements sociaux de migration notamment, question que je ne peux aborder ici).
[v] « Il est utile de comprendre que les rapports « orient-occident », « est-ouest », « masculin-féminin », « bien-mal » sont autant de partages de la raison, puisqu’ils soulignent notamment de nos jours, le fossé entre la modernité « fluide » (Bauman) entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors : citoyens/migrants. J’ai suggéré à cet égard le concept de citoyen manquant. Le conflit le plus nocif résultant d’une telle dynamique fermée est actuellement le conflit généralisé entre l’Occident et le monde musulman. Il se traduit en termes mondialisés par la « guerre à la terreur » de quelques pays occidentaux contre l’idéologie islamique extrémiste », (Ivekovic, 2008, 75).
[vi] F. Hayek écrit en 1979: « Ma conviction que ce dangereux glissement vers l’Etat totalitaire est rendu inévitable par certains vices de la construction, profondément situés dans le type généralement accepté de gouvernement dit démocratique, m’a obligé à envisager attentivement des solutions de remplacement. (… je crois profondément aux principes de base de la démocratie en tant que la seule méthode encore connue pour rendre possibles des changements non violents; je suis par conséquent très inquiet de voir combien la désillusion grandit chez ses partisans en tant que méthode souhaitable de gouvernement – désillusion considérablement renforcée par l’abus de plus en plus fréquent du mot pour désigner de prétendues finalités de gouvernement. (…) l’intention est de fournir une sorte de dispositif intellectuel de réserve, en vue du moment – peut-être pas très éloigné – où la déconfiture des institutions existantes deviendra manifeste; mon espoir est qu’alors ces propositions indiqueront une sortie possible de l’impasse » (p. XI et XII). Et plus loin… « Ce fut une illusion tragique que d’imaginer que l’adoption de procédures démocratiques permettait de se dispenser de toute autre limitation du pouvoir gouvernemental” (p. 3). Et plus loin, “Nous ne pouvons retracer ici tout le processus par lequel la conception initiale quant à la nature des constitutions démocratiques s’est graduellement effacé pour faire place à l’idée d’un pouvoir illimité aux mains d’une assemblée démocratiquement élue » (p. 25). Voir aussi la distinction qu’il fait entre « démocratie » et « démarchie », (Hayek, 1995, p. 46-47-48).
[vii] philosophie d’évolution sociale basée sur le marché libre, voir l’épilogue dans le même livre.
[viii] Voir à ce propos les grandes transformations des politiques de formation et de recherche. Voir notamment (Malrieu, 2011).
[ix] En Suisse, une publication appelée « Le livre blanc » a marqué ce tournant (De Pury et al, 1995 ; Jaggi Yvette, 1996).
[x] A propos des débats syndicaux et aussi des forces de la gauche, de l’extrême-gauche dans le contexte du canton de Genève et d’ailleurs en Suisse, voir Schwery Michel, « La division ajoute à la faiblesse », Le Courrier, 9 juillet 2011.
[xi] Pour la migration (empreintes digitales, camps, modèle des cercles, etc.), pour la population (caméras, etc.).
[xii] Il suffit de penser aux « chiffres » des renvois forcés face à l’ampleur des renvois qui devraient être effectués ou encore au débat sur l’efficacité des caméras de surveillance mises en cause dans un rapport récent sur la sécurité en France.
[xiii] La TV 10vor10 de Zurich a retransmis des images de tabassage de requérants nigérians qui ont résisté à leur renvoi forcé et cela malgré la présence de deux membres de la Commission de prévention contre la torture censés contrôler l’usage « mesuré de la force » et qui n’ont rien vu. Les faits se sont passés sur le tarmac et ils étaient déjà dans l’avion. A la suite de la décision de la Fédération des Eglises Protestantes de Suisse (FEPS) d’accepter le mandat de l’Office fédéral des migrations (ODM) de « surveiller » les renvois, un vif débat a lieu dans diverses institutions des églises protestantes, catholiques et du mouvement d’asile. « Les renvois forcés ne peuvent être une réponse digne d’un Etat de droit », a déclaré la juriste, M.C. Kunz, du Centre Social Protestant (CSP). « Dans sa longue histoire, l’Eglise (catholique) a toujours accompagné les condamnés à mort. Mais son rôle n’était pas d’inspecter les rouages de la guillotine ou de vérifier la résistance et la hauteur de la corde. (…). De même l’aumônier de prison n’est pas chargé de surveiller l’application des peines (…) Toute loi n’est pas « juste » du seul fait qu’elle a reçu l’approbation du corps électoral ou l’aval de la majorité du parlement. Je peux accompagner un condamné à subir une injection létale imposée par un tribunal, tout en m’opposant fermement à la peine de mort et en luttant pour sa suppression. Mais encore faut-il que je m’abstienne de tout comportement équivoque qui laisserait penser que j’approuve une disposition légale que je réprouve par ailleurs », Musy Guy, Le Courrier 9 juillet 2011.
[xiv] Souvenons-nous des images, des slogans de la campagne des moutons, des minarets et aujourd’hui une nouvelle affiche parlant d’invasion, campagne électorale oblige. Une visite sur site de l’UDC est instructive.
[xv] Qui mérite d’être réexaminée. Voir notamment (Lojkine). Les nouveaux rapports de classe ne se limitent pas à l’opposition bourgeoisie/classe ouvrière. Les contributions font état de l’atomisation des statuts (Castel), sur les frontières du salariat pris entre autonomie, précarité, flexibilité dans une recomposition du salariat au niveau mondial, dont la migration est un acteur important.
[xvi] Pascal, Pensée, frag. 297.
[xvii] « Au sens large, le terrorisme d’Etat inclut la terreur para-étatique (groupes para-militaires), les stratégies de contre-insurrection internationales, les guerres, la torture, les transferts spéciaux, l’extraterritorialité et l’extralégalité de la détention, la détention secrète, les sécheresses produites par l’homme, la pollution, les perturbations climatiques, les famines, l’émigration forcée, la terreur contre les femmes, le trafic d’humains, le tourisme sexuel, le racket armé, ainsi que les attentats-suicides comme forme de « résistance suicidaire », etc. », (Ivekovic, 1988, p. 68-77. Voir l’ensemble du numéro spécial de la revue Rue Descartes no. 62.
[xviii] C’est la question de départ du Programme du Collège international de philosophie (CIPh), Paris, que je dirige entre 2010-2016. Il est intitulé : Exil, création philosophique et politique. Philosophie et Citoyenneté contemporaine. Voir le site du Programme, exil-ciph.com
[xix] Les exemples pullulent. Le dernier au moment où j’écris ces lignes : sont débattus la mise sous tutelle de l’économie de la formation et de la recherche en Suisse et le transfert de ces questions au Département de l’économie, ce qui a été finalement la décision prise.
[xx] On se souvient du Club du Mont Pellerin à la sortie de la deuxième guerre mondiale où se réunissaient les ultra-libéraux dont F. Hayek de l’Ecole de Chicago, dont le Chili de Pinochet a été le laboratoire. Aujourd’hui, 128 participants du club fermé de Bilderberg (séance juin 2011) s’est réuni à St-Moritz avec les points suivants à l’ordre du jour : 1) futur financier de l’Europe 2) guerre de Lybie 3) succession de D. Strauss-Kahn au FMI, 4) expansion de l’islam en Europe.
[xxi] Notons que les agences de notation sont très sévères avec ces pays, mais pourquoi ne le sont-elles pas avec les Etats-Unis et sa dette abyssale par exemple ?
[xxii] Pensons aux génocides qui continuent et aussi aux 18.000 morts comptabilisés aux frontières de l’Europe entre 1988 et l’été 2011. Voir, Sandro Mezzadra/Brett Neilson, “Borders as Method”, at the 2nd Flying University of Transnational Humanities, RICH, Hanyang University, Seoul, juin 25-29, 2011; Mezzadra, “Aventure mediterranee della libertà”(forthcoming 2011): dal ? 1988. Pensons aussi à la famine de la corne de l’Afrique par exemple.
[xxiii] On pense au glissement du corpus du droit international, des droits fondamentaux vers le droit international humanitaire (DIH) qui rappelons-le est un droit de la guerre.
[xxiv] Voir notamment la revue Mots.
[xxv] Nicole Loraux, Pierre Vidal-Naquet ont montré que trois conflits structurent les débats au Ve siècle avant J.-Ch. en Grèce : la place des femmes, des étrangers et la guerre.
[xxvi] Je pense ici à la lutte des 523 permis obtenus pour des sans-papiers dans le canton de Vaud (Suisse) après des mois de lutte très difficiles.
[xxvii] Aujourd’hui, nous avons toujours besoin de bras et aussi de cerveaux.
[xxviii] Dans les partis de droite (parti radical, libéral refondu en partie libéralradical, le PDC), des alliances avec l’UDC (à Genève) et des tensions (Vaud) se font et se défont. Un ex-UDC, candidat actuel du parti libéral vaudois au Conseil national (Parlement) dénonce dans une lettre ouverte (Le Temps, 29 juin 2011) les dérapages, l’irresponsabilité de l’UDC, son attaque en règle contre l’économie suisse en attaquant la libre-circulation, la mise en danger de “l’essence même des entreprises suisses” qui a un besoin croissant de main-d’œuvre et risque un manque à gagner de 4,2 milliards de frs par année. Commentant l’initiative il écrit “L’initiative contre la libre-circulation des personnes est donc le geste de trop de la part de l’UDC. Paradoxalement, et contrairement aux habitudes du parti, il n’y a rien d’ouvertement choquant ou provoquant dans son propos: pas de minarets, pas de moutons, pas de missiles. Mais cette initiative est un révélateur: l’UDC est prête à tout pour gagner de nouveaux électeurs, y compris pénaliser l’économie suisse. Le succès de l’UDC à tout prix. Contre la Suisse. Pour l’UDC, la croissance du parti est le seul élément qui compte”.
[xxix] Les conditions de naturalisation sont très restrictives et les possibilité d’annulation de la naturalisation viennent d’être amplifiées dans la loi suisse. Voir le texte légal : http://www.admin.ch/ch/f/rs/141_0/a41.html
[xxx] L’ODM a annoncé (août 2011) une mesure qui avait fait scandale pour les travailleurs immigrants dans les années 1960 en Suisse : un examen médical obligatoire à l’arrivée établi par des médecins officiels de l’Assurance Invalidité (AI) pour que l’argument de la santé (ex. torture) ne puisse plus être avancé pour empêcher les renvois forcés. La fédération des médecins suisses a dénoncé à la fois la mesure et l’atteinte à l’autonomie de la médecine. Le HCR a exprimé des réserves (les tortures ne sont pas décelables dans un tel examen).
[xxxi] Voir parmi l’abondante littérature, (Caloz-Tschopp, 2004); (Valluy Jérôme et al. 2005); (Le Cour Grandmaison et al., 2007) ; (Bernardot 2008).
[xxxii] Voir la préface écrite par Stéphanie Prezioso et Jean Batou. Reprise en partie, in, “Faudra-t-il lutter pour abolir l’esclavage une seconde fois?”, Solidarités, no. 190, Genève, 2011.
[xxxiii] Proposition du 11 mars 2011 du président Sarkozy à Bruxelles à mettre en œuvre en Afrique du nord face aux révolutions arabes et au soi-disant danger d’invasion migratoire.
[xxxiv] Plusieurs contributions au Groupe « Violence et droit d’asile en Europe » (N. Busch, Ch. Tafelfacher, E. Balibar, etc.) en ont fait état entre 1986 et les années 2000. Voir pour une partie de la bibliographie (Caloz-Tschopp, 2002, p. 32-45), Une juriste a montré comment la conjonction de nouveaux dangers et les mesures anti-terroristes n’ont pas seulement mis en cause les libertés, le droit international, mais aussi les droits nationaux (dont le droit pénal) au nom de la « sûreté ». On assiste à un enchevêtrement du droit international et des droits « nationaux » de tous ordres (Delmas-Marty, 2010).
[xxxv] La proposition du parlementaire Matteo Salvini de la Ligue du nord (Italie) de réserver des wagons aux seuls milanais et la proposition d’une autre députée de réserver des wagons aux extra-communautaires en est un autre exemple.
[xxxvi] Une des participantes au Groupe de Genève « Violence et droit d’asile en Europe », sociologue de Trinidad, s’exprimait en ces termes à ce propos (en 1993) : « La crise actuelle n’est donc pas du tout la même chose que les crises précédentes. Elle menace tous les Etats, toutes les communautés, tout véritable libéralisme, en même temps qu’elle détruit sa propre raison d’être : les traditions démocratiques. La nécessité s’impose de ré-énoncer ces dernières. La nécessité d’analyser, d’enregistrer, d’évaluer, devient le devoir des universitaires. Car la nature même du travail académique est mise aujourd’hui en péril. Et celui.-ci est peut-être, en ce moment, le seul rempart contre la nature soit-disant force aveugle des forces d’un marché sans entraves, contre un racisme sans entraves, et contre le démantèlement de l’Etat-nation », O’Callagan Marion, « Fin des immigrants, création des réfugiés. Fin de l’Etat-nation, création du nettoyage ethnique, (Caloz-Tschopp et al., 1994, 191).
[xxxvii] L’initiative a abouti en août 2001 (114 529 signatures, dont 113011 valables) et la votation aura lieu.
[xxxviii] Une initiative de l’UDC a abouti le 2.9.2010. Les votants suisses devront se prononcer sur une hausse des déductions fiscales pour les familles ne faisant pas garder leurs enfants à l’extérieur. Le texte demande que les parents qui gardent eux-mêmes leurs enfants bénéficient de la même déduction fiscale que celle accordée aux familles qui confient leur progéniture à des tiers (frais de garde).
[xxxix] C’est le fait d’un policier, inspecteur de la brigade des stupéfiants, par ailleurs parlementaire fédéral de l’UDC, Yvan Perrin, alors que la torture est formellement interdite par les Constitutions fédérale et du canton de Neuchâtel où il travaille. Un enquête disciplinaire a été ouverte.
[xl] On peut évoquer ici les expulsions forcées ayant entraîné la mort, en ne respectant pas le principe de non refoulement.
[xli] Il existe une vaste littérature sur le sujet. Voir notamment, (Arendt 1993), (Weil 2006), (Caloz-Tschopp 2011, 27-73), Gomez-Mango 2011).
[xlii] Voir revue Mots, no. 73, 2003 sur les discours de la guerre.
[xliii] Voir les articles d’E. Balibar, de Ch. Delphy, d’A. Callinicos, de M. Chemillier-Gendreau dans ce même livre (Bidet 2005).
[xliv] Concept qui mériterait d’être situé dans un large débat. Je propose une référence provisoire (Ogilvie, 2008).
[xlv] Plus tard en France, un colonel vétéran de la guerre de 1870, engagé dans la défense du capitaine Dreyfus prédisait que le canon détrônerait la baïonnette et que la guerre de l’avenir serait une guerre figée « mettant face à face deux murailles humaines obligées de se terrer » (Duclert, 2007).
[xlvi] La question qu’il soit possible de maîtriser une violence ne connaîssant pas de limites au moyen d’une force est au centre de la réflexion de Clausewitz après son expérience en tant que capitaine dans l’armée prussienne en 1806 à la bataille de Iéna. L’armée de Frédéric II se situait dans l’époque des « guerres limitées » et se trouve face à Napoléon dont la logique est une ascension aux extrêmes. Il en tire une conclusion : « Celui qui ne recule devant aucune effusion de sang prendra l’avantage sur celui qui n’agit pas de même », tout en postulant un principe d’équilibre avant l’anéantissement réciproque. Son principe de non limitation de la violence sera vérifié avec la guerre « totale » moderne, les millions de morts du XXe siècle, l’émergence de l’arme nucléaire. On retrouve une telle logique dans de nombreux conflits qui vont de l’Algérie à la Colombie) et aussi dans la torture et les modes d’emprisonnement comme ceux de Guantanamo qui tout en s’inscrivant dans la même logique, la nourissent. Celui qui ne plie pas à cette logique, par respect de la vie, par valeurs humanistes se met dans une position de faiblesse.
[xlvii] Au XXe siècle Theodor Adorno, voit l’esprit du monde arriver sur les ailes des fusées V2 hitlériens, ces bombes-robots qui alliaient la perfection technique et la cécité la plus totale.
[xlviii] Un projet de loi permettrait aux enquêteurs d’accéder secrètement, sans consentement, à des ordinateurs de particuliers, de cabinets d’avocats, de médecins, d’huissiers, de locaux de journaux, d’associations, etc. Voir Le Monde, 25.7.2009.
[xlix] Le 31 octobre 2007, un décret-loi du traité de Schengen rend déjà possible l’expulsion immédiate de citoyens de l’UE accusés de certains crimes. Sans procès, sans recours et débat parlementaire possible. Les premiers arrêtés d’expulsion sont intervenus dès la publication du décret (novembre 2007).
[l] Sur les viols, assassinats, tortures des femmes clandestines à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis entre les années 1990 et 2007.
[li] Etrangement tout en développant cette importante distinction, Arendt ne clarifie pas la distinction importante entre guerre et conflit dans l’action politique (Caloz-Tschopp, 2008, 177-228).
[lii] Après le parti socialiste (deux initiatives en 1900 et 1942 ont échoué), le 8 juillet 2011, L’UDC a lancé une initiative proposant l’élection du Conseil fédéral par le peuple, pour courcircuiter le Parlement et mettre fin à une gouvernance de concordance.
[liii] En période électorale, l’UDC vient de lancer (25.7.2011) une nouvelle initiative « contre l’immigration de masse » avec une affiche montrant des jambes noires foulant le drapeau suisse (gestion de la libre circulation par la Suisse, quotas en fonction des intérêts économiques, limitation du droit de séjour durable.
[liv] Voir à ce propos notamment, les travaux de la revue Genre humain.
[lv] C’est l’axe central de l’essai d’Arendt sur la « condition humaine » (1983)
[lvi] Il y en a d’autres observables en Suisse (notamment sur le terrain des banques, du trafic des multinationales des matières premières où la Suisse est une plaque-tournante des trafics à cause de l’absence de lois de régulation par exemple, que nous ne prenons pas en compte ici).
[lvii] Carl Schmitt qui se situe sur le terrain de la guerre a posé la distinction entre « amis et ennemis » pour fonder les relations internationales. La désignation de l’autre en terme d’ennemi est un vocabulaire guerrier. Le terme d’adversaire se situe au contraire sur le terrain du conflit politique.
[lviii] L’Union démocratique du centre, parti d’origine agrarienne qui loin d’être rétrograde est un « parti bourgeois d’avant-garde et de rupture ». Voir (Tafelmacher, 2011).
[lix] Même si la Suisse a été condamnée à plusieurs reprises en matière de politique des étrangers par la CEDH.
[lx] Il s’agit du groupe FORAUS. Voir Lammers Guillaume, « Réconcilier les droits populaires avec les droits fondamentaux », Le Temps, 29 juin 2011.
[lxi] Le débat sur le refus de la libre-circulation laisse apparaître des contradictions entre l’aile nationaliste et l’aile qui défend des intérêts multinationaux de l’UDC.
[lxii] Selon une enquête interne récente de l’ODM, les dysfonctionnements et la mauvaise qualité des décisions rendues sont un fait préoccupant
[lxiii] « S. Sommaruga croit à la politique des cercles : elle veut favoriser les Européens et durcir la politique pour tous les autres. De mon point de vue, un permis de travail doit donner droit à un permis de séjour », Ada Marra, parlementaire socialiste, Le Courrier 13 juillet 2011.
[lxiv] Un fait récent a mis en exergue une autre stratégie payante dans le canton de Genève. Tous les partis de la droite (radicaux, libéraux, démocrates chrétiens) ont fait alliance avec l’UDC pour l’élection d’un juge à la cour des Comptes. Ils ont perdu, face à un candidat de Solidarités appuyé par l’ensemble de la gauche dont les socialistes, qui a recueilli 52,7% des suffrages des votants (votation du 19.9.2011).
[lxv] « Si l’Etat renonce à faire appliquer ses décisions, tout le système d’asile s’écroule et perd de sa crédibilité (…). La question que l’on doit se poser est : quelle est l’alternative ? Supprimer les renvois forcés décrédibilise notre politique d’asile », Simonetta Sommaruga, Conseillère Fédérale, Le Temps, 17.9.2011.