Marie-Claire Caloz-Tschopp, CIPh
Introduction
Je vous remercie pour votre invitation. C’est délicat pour moi d’intervenir après mes deux collègues médecins, parce qu’on aurait envie d’engager le débat tout de suite. Je vais tenter d’apporter quelques éléments, vous m’arrêterez si je suis trop longue. J’ai intitulé mon exposé : Politique, Histoire et Vulnérabilité. Le spectre qui habite les pratiques (clinique, recherche, citoyenneté). Ce qui nous occupe articule de manière nouvelle les rapports entre science, activités professionnelles et politique.
Si les questions concernent aussi les neurosciences, elles ne sont pas épuisés par les débats sur les neurosciences. Elles concernent à la fois le type de société, de projet de société et les usages politiques des découvertes, des dispositifs des outils (au sens de Foucault) et le statut, les conditions de celles et ceux qui les pratiquent.
On va voir que le spectre désigne les conflits que nous vivons aujourd’hui tous les professionnels appliquant des lois injustes, brutales, qui parfois contient ce que l’on peut appeler le meurtre d’Etat. L’enjeu est de pouvoir dépasser la « banalité du mal » et une position d’ambiguïté (Amati) pour redéfinir nos professions et nos actions et cela exige des déplacements et des conditions.
Mon intervention se situe, aux côtés de deux collègues médecins sur le thème « Asile et médecine, de l’aide d’urgence à la vulnérabilité ». D’où je parle ? J’interviens à partir de mes domaines de compétence qui sont la théorie politique et la philosophie politique. Je travaille depuis les années 1970 sur le droit d’asile, et les politiques d’immigration en Suisse, en Europe et dans d’autres continents. C’est mon terrain de travail philosophique.
En quittant l’UNIL, j’ai organisé un colloque de réflexion sur les passions politiques, sur COLERE, COURAGE, CREATION POLITIQUE. Actes, 8 volumes à la BCU. Je dirige actuellement un Programme au Collège international de philosophie en 6 étapes entre 2010-2016 intitulé EXIL, CREATION POLITIQUE ET PHILOSOPHIQUE qui se déroule en Suisse entre Genève et Lausanne, au Chili en 2012 et en Turquie en 2014. Vous pouvez consulter l’information et des matériaux dans le site : exil-ciph.com
Soulignons dès le départ, que la philosophie et les sciences ont une caractéristique commune depuis Socrate, Elles exigent la faculté de s’étonner.Une telle faculté première est donc nécessaire pour faire des découvertes scientifiques (pas la seule condition) et pour pratiquer la philosophie (on est nulle part quand on pense). Voyons donc ce qui nous étonne dans le thème abordé aujourd’hui et qui nous amènent à faire un travail de compréhension critique et à pratiquer la dialectique du mouvement visible dans les pieds, les corps, la tête (mouvement du devenir).
Aujourd’hui, mon propos en partageant une réflexion sur l’asile et la migration, la vie politique, depuis le lieu où je travaille, est d’éclairer une façon d’imaginer, de raisonner, de penser, de juger des situations qui concernent les conditions matérielles d’existence de millions d’humains dont nous faisons partie. Qu’est-ce qu’il y a derrière des mots comme « droits », « égalité d’accès aux soins » ou politique de la santé, ou encore vulnérabilité ?
Samedi passé, dans le cadre d’un Séminaire One World, Démocratiser la démocratie, organisé avec mes collègues Graziella de Coulon et Christophe Tafelmacher, nous avons eu un exposé très intéressant du philosophe Christian Laval, dir. CIPH : Qu’est-ce que le Commun ? Le 3 mai, avec le philosophe Edouard Delruel, prof. à Liège et dir. Du Bureau de l’égalité en Belgique, nous aurons un exposé et atelier sur le thème : Le droit et l’horizon du droit.Les exposés et textes seront prochainement sur le site.
I. Trois cas, trois faits de vulnérabilité et de violence
Trois faits concrets concernant des référents d’odre divers (principe d’égalité d’accès aux soins, intérêt général, équité, vulnérabilité, etc. .
Commençons en évoquant trois cas :
(1) Nous savons que ce qui était très problématique dans les NEM, en situation de vulnérabilité aigue, le fait d’avoir un forfait sans couverture de base, à la suite de débats juridiques et politiques sur les fondements constitutionnels d’une telle mesure où le consensus des juges n’a pas existé (3 juges sur 5 se sont prononcés pour ne rien donner), on a passé du forfait à l’accès à une couverture de base. Il existe une ordonnance de l’assurance maladie à ce sujet. Deux choses sont importantes à ce niveau :
° conditions déontologiques : rappel du principe d’égalité aux soins qui est la base de la position du professionnel de la santé ;
° les conditions administratives et politiques de la mise en pratique, où interviennent des différences de traitement au niveau de la Confédération, de certains cantons, certaines communes (cas de Soleure par ex.).
Le professionnel de la santé a une position particulière par rapport aux autres acteurs : dans l’égalité d’accès aux soins, le critère de l’accès au soin prime. Chaque individu a droit à l’accès aux soins, quelles que soient ses actes (vol, meurtre, viol, etc.). Le rôle du professionnel de la santé assume cette responsabilité professionnelle. Leur rôle n’est pas un rôle de juge, c’est un rôle de soignant. Peur de l’afflux, on ne peut pas tout donner… Dans la pratique des HUG à Genève, par exemple, voir les recommandations du Conseil d’éthique clinique des hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En cas d’urgence, on ne discute pas, on entre en matière et cela d’autant plus quand il n’y a pas de ressources. Hors urgence, d’autres critères peuvent intervenir, avec possibilité de demander une participation. La situation entre un patient qui fait du tourisme médical et un NEM, en vulnérabilité économico-politique, n’est pas la même. Une fois l’urgence passée, nécessité du travail étroit avec les AS.
(2) La consultation du CAMSCO (consultation ambulatoire mobile de soins communautaire, directeur Marius Besson) ouverte aux sans-papiers (2010, 14.730 consultations, 4000 patients) aux côté du « Programme santé migrants » pour les requérants d’asile, il appartient aux HUGS (budget alloué aux missions d’intérêt général : urgences, dépistage, médecine légale et pénitenciaire, prévention ou application des politiques publiques). N’ayant pas de statut légal, les SP ne peuvent bénéficier des aides d’une assurance-maladie. Les SP ont le droit de contracter une assurance qui est obligée d’accepter. Les conditions financières empêchent souvent les SP de contracter une assurance (7,5 fr de l’heure). Evaluation des capacités financières en se basant sur les barèmes de l’HG. Souci d’équité par rapport à la population assurée. Le personnel médical doit apprendre à faire payer les médicaments… ils ne vont pas les chercheur car ne peuvent pas payer. Pratiques d’auto-médication (importation d’antibiotiques).
(3) L’article de mes collègues évoque la situation dans le canton de Vaud, où les médecins traitants peuvent solliciter un aménagement des conditions d’hébergement des requérants d’asile à l’aide d’urgence, en adressant un formulaire de vulnérabilité au groupe de travail PMU/CHUV, qui est chargé de préaviser l’EVAM sur ces questions. Constats : 70% des cas relèvent d’un diagnostic psychiatrique (troubles anxieux, dépressifs, stress post-traumatique liés à situation dans le pays d’origine et en Suisse).
En clair, la politique d’immigration, du droit d’asile, des camps, de l’hébergement forcé, – et aussi d’autres politiques plus largement – qui n’a pas toujours existé en Suisse et en Europe, début années 1980 (ex. Sevin), participe à la vulnérabilisation de personnes, les rend fragiles physiquement et psychiquement. Porte atteinte à la santé de personnes qui demandent la protection de la Suisse (ici).
Elle fait plus, elle s’inscrit dans un projet de démantèlement de notre « civilisation » (j’utilise le mot entre guillemets).
On peut postuler que la politique des camps ne concerne pas seulement ceux qui y sont confinés, mais qu’elle concerne le devenir de nos sociétés. En clair, il y a un lien entre vulnérabilité, accès aux soins, politiques de la santé et devenir de la politique et des droits, ce qui nous met face au défi de « démocratiser la démocratie ». Mais que faire, comment faire ? Je vais tenter d’apporter certains éléments se réflexion à ce sujet.
II. La fragilité, le droit et l’au-delà du droit. En arrière-fond des tentatives pour nommer la violence, la brutalité guerrière
Ce qui nous est dit, c’est qu’on ne s’habitue pas à la violence, au degré de la brutalité… On est à chaque fois étonné, pou plutôt ébahi et on a peur. Surtout quand cela a lieu, non dans le nazisme, la dictature des militaires en Argentine, mais ici en Suisse qui se revendique d’une démocratie parlementaire avec une Constitution qui se réclame des droits fondamentaux.
Dans les trois cas, la référence d’une part à des principes sous-jacents aux droits et à la vulnérabilité est essentielle. Ethymologiquement, le caractère vulnérable évoque unefragilité (1676 : latin vulnerabilis, « blesser ». 1. Qui peut être blessé, frappé par un mal physique ; 2. (moral) Qui peut être facilement atteint, se défend mal, défaut de la cuirasse, talon d’Achille.
Vulnérabilité – Insensibilité, Invulnérabilité.
Ce que je retiens, c’est que la vulnérabilité est cachée par l’ambiguïté et la servitude légitimée. Elle s’inscrit à la fois dans les corps, les psychismes, et dans un rapport social(droit aux droits, droit à la santé, droit aux soins). Ou si l’on veut dans les structures et les individus dans le processus de désubjectivation. Il y a une combinaison entre un fait médical et un fait politique. Soulignons un autre registre de la vulnérabilité : quel type de lien entre droit au soin et droit à la santé ? Tous les deux s’inscrivent dans des rapports sociaux plus vastes qui pèsent lourdement sur l’accès au soin et à la santé.
Il y a d’autres lieux, d’autres faits qui concernent la vulnérabilité. Il y a d’autres facteurs macro-sociauxconcernant le personnel des hôpitaux qui pèsent aussi. Au moment où j’écris le texte de mon intervention, je reçois un appel public de soutien aux salariés du CHUV. Hier je lisais un article d’une permanente syndicale, Manuela Cattani sur le Courrier (19 mars 2012) à la suite d’une grève en novembre 2011, commentant les liens entre l’argument de la « préférence nationale » entre personnel suisse et frontaliers et restructurations dans les conditions de travail du personnel de la santé aux HUG (manque d’effectifs, lutte pour les droits égaux, contre les politiques d’austérité et pour de meilleures conditions de travail).
Le débat politique pèse aussi, avec les actions de certains partis, groupes qui utilisent les instruments de la démocratie directe pour introduire dans les lois, des principes, des pratiques en contradiction de plus en plus ouverte avec la Constitution, le droit international, les droits fondamentaux. Ils tentent d’installer une « guerre des civilisations » identitaire et sécuritaire pour laisser le terrain totalement ouvert aux règles du marché. Ce débat civilisationnel se déroule aussi ailleurs en Europe. Le livre de Lucien Febvre et François Crouset, Nous sommes tous des sangs mêlés, Paris, Albin Michel, 2012, ressort aujourd’hui, à propos d’un débat initié par l’UNESCO dans les années 1950.
Il faudrait encore évoquer les situations dans plus de la centaine de pays d’origine d’où proviennent les migrants.
En suivant ces références diverses dans ces 3 faits, on constate qu’un puzzle de rapports sociaux pèse sur la fragilité, le droit et l’au-delà dans l’accès aux soins et au droit de la santé. Le travail sur les concepts qui sont des outils de pensée peut ouvrir des pistes, avant d’aller plus loin.
En fait dans les glissements, les transformations du langage, on saisit non une ESSENCE, UN RESULTAT MAIS UN MOUVEMENT accompagnant les pratiques de domination et de lutte. La banalité du mal, l’ambiguïté et aussi l’appel à céder, à obéir, à se soumettre ou à résister est déjà là à ce niveau.
Povlakic (exclusion de l’aide sociale et dignité, et instrument de contrainte), quand on parle de dignité, c’est qu’il n’y a plus d’égalité… de droit d’avoir des droits.
Référence à quels concepts ? En arrière-fonds on constate trois choses qui se déroulent dans un contexte de violence guerrière déniée :
1) IMPORTANT. Le passage d’une culture des droits à une culture humanitaire. DIH, droit de la guerre, DH, CICR autre contexte. Confusions… Donc exigence de défendre les droits, tout en faisant une analyse critique des droits et en pensant à l’au-delà du droit
2) la tension entre dignité et égalité… glissement égadignité, égaliberté, Balibar?
3) dans cette tension, la référence par une juriste, Povlakic, à un dispositif, un des outil de contrainte que les professionnels sont appelés et légitimés à fabriquer.
D’autres chercheurs (RE1, Toledo, etc.) se sont demandés à quoi sert l’outil, le dispositif (modifier le droit, y introduire des notions qui mettent en cause les droits eux-mêmes) et à qui il est destiné.
La défense du droit et de l’au-delà du droit est fondamentale pour assurer les soins et le droit à la santé.
Depuis la théorie politique et la philosophie politique, il est possible d’apporter des éléments du cadre plus général, pour éclairer à la fois la vulnérabilité et le principe d’égalité dans l’accès aux soins et à la santé publique, la pratique de mise en œuvre, l’intervention de professionnels de la santé. Il nous faut dégager d’autres voies professionnelles d’action.
III. Exigence d’une nouvelle position et d’une nouvelle épistémologie pour intégrer la rupture historique de la modernité
Faisons un pas de plus.
Commençons par le diagnostic, par identifier le problème du point de vue de la théorie politique, de la philosophie politique et de l’éthique politique.
On verra avec Zigmund Bauman que cela nous conduit à une nouvelle position et à une nouvelle épistémologie pour les sciences humaines, sociales, et même les « sciences dites dures.
D’un point de vue descriptif et interprétatif, ces faits doivent être placés dans un contexte historique et politique des politiques migratoires et du droit d’asile.
° Une rupture historique dans la modernité.
Tout d’abord, nous sommes les héritiers de l’histoire du XXe siècle et de sa longue genèse (Conquista, Impérialisme, Invention totalitaire, avec l’extermination de masse et les chambres à gaz). La globalisation actuelle n’est pas une répétition de l’histoire. Une telle philosophie de l’histoire est inappropriée par déterminisme et mécaniste. Cependant, nous sommes mis au défi d’élaborer une philosophie de l’histoire positive qui intègre une invention de destruction nihiliste et qui soit capable de s’affronter au présent et de rêver l’avenir. Elle a été notamment élaborée par Arendt avec sa notion d’Humains superflus et de droit d’avoir des droits et par Walter Benjamin, un exilé du XXe siècle quand il parle de l’ange du progrès dans ses travaux sur le concept d’histoire. Il y a de multiples interprétations de la fameuse citation, dont celle d’Arendt (pêcheur de perle), de Michael Löwy (avertisseur d’incendie).
L’ange du progrès
« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble sur le point de s’éloigner de quelque chose qu’il fixe du regard. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. C’est à cela que doit ressembler l’Ange de l’Histoire. Son visage est tourné vers le passé. Là où nous apparaît une chaîne d’événements, il ne voit. lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui sans cesse amoncelle ruines sur ruines et les précipite à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler ce qui a été démembré. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si violemment que l’ange ne peut plus les refermer. Cette tempête le pousse irrésistiblement vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès », Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire.
Une telle philosophie de l’histoire, inscrit un doute quant au progrès mise en avant par Hegel.
Autre avertissement (Arendt)
Human superfluity
«Les hommes, dans la mesure où ils sont plus que la réaction animale et que l’accomplissement de fonctions, sont entièrement superflus pour les régimes totalitaires. Le totalitarisme ne tend pas vers un règne despotique sur les hommes, mais vers un système dans lequel les hommes sont de trop. Le pouvoir total ne peut être achevé et préservé que dans un mode de réflexes conditionnés, de marionnettes ne présentant pas le moindre soupçon de spontanéité. Justement parce qu’il possède en lui tant de ressources, l’homme ne peut être pleinement dominé qu’à condition de devenir un spécimen de l’espèce animale homme» (OT, 1972, vol. 3, ST, 197).
Ce qui a précédé la superfluité humaine (Human superfluity)
La superfluité humaine a été précédée par certains faits historiques et politiques:
«La fabrication massive et démentielle de cadavres est précédée par la préparation historiquement et politiquement intelligible de cadavres vivants» (Arendt, OTIII, 185)
Elle a rappelé trois pas avant l’extermination (190):
- tuer en l’homme la personne juridique
° situer le camp de concentration en dehors du système pénal normal en fabriquant une nouvelle catégorie de criminels et en amalgamant les politiques, les criminels et les innocents
° l’arrestation d’innocents (la majorité de la population des camps) et la sélection arbitraire des victimes.
2) tuer en l’homme la personne morale
3) tuer toute individualité
Le drame
« Le drame (trouble), c’est que cette catastrophe n’est pas née d’un manque de civilisation, d’un état arriéré, ou tout simplement d’une tyrannie, mais qu’elle était au contraire inéluctable, parce qu’il n’y avait plus un seul endroit « non civilisé » sur la terre, parce que bon gré mal gré nous avons vraiment commencé à vivre dans un Monde (One World). Seule une humanité complètement organisée pouvait faire que la perte de résidence (loss of home) et de statut politique (political status) revienne à être expulsé de l’humanité entière » (OTII, 282.
Le “droit d’avoir des droits”
«Nous n’avons pris conscience de l’existence du droit d’avoir des droits (ce qui signifie: vivre dans une structure où l’on est jugé en fonction de ses actes et de ses opinions) et du droit d’appartenir à une certaine catégorie de communauté organisée que lorsque des millions de gens ont subitement perdu ces droits sans espoir de retour par suite de la nouvelle situation politique globale» (Arendt, OTII, 281-282).
Comment elle pense ?
° Penser la rupture en regard à la violence actuelle dans les pratiques cliniques, de recherche de citoyenneté : exigence d’une nouvelle position et d’une nouvelle épistémologie.
De nombreux chercheurs, cliniciens, politique ont montré que l’objectivité scientifique et clinique, que la neutralité dans le travail est une exigence qui doit être radicalement transformée pour intégrer la rupture historique.
Les psychanalystes (Viñar, Gampel) et certains philosophes (Arendt, Anders, Ecole de Frankfort) nous ont montré deux choses
° combien au nom du soin de la torture, on peut en arriver à circonscrire l’analyse à une question technique, plutôt que de situer la torture dans la politique de la terreur de l’ensemble de la population. Combien aussi, en parlant de « victime », plutôt que de « sujets de droits », on s’inscrit dans la même logique. (voir site exil-ciph.com).
° combien nous résistons à penser la rupture de l’histoire qui a suivi une longue genèse. Compréhension chez Arendt implique de résister à la résistance à connaître.
° combien ce travail sur la résistance à imaginer, à penser influe sur nos pratiques… nouvelle épistémologie positive qui intègre résistance à connaître et création (Castoriadis).
° que nous devons prendre en compte les traces et les transmissions de l’invention. Gérard Haddad, parle de la lumière des astres éteints en parlant de la psychanalyse face aux cmps. Yolanda Gampel utilise la métaphore du nucléaire pour montrer les trace qui est intergénérationnelle.
IV. Démocratiser la démocratie. Le conflit entre Apartheid et Commun
Les faits, l’usage de références dans les discours, le travail de conceptualisation évoqués concerne en théorie politique en philosophie politique trois niveaux de travail où il est possible d’articuler le travail professionnel des professionnels de la santé ici, la recherche et la citoyenneté. Il est des choses qui sont de l’ordre du GENERAL.
Et ce GENERAL peut être appréhendé par l’entremise des concepts de démocratie, d’apartheid et de commun.
Il peut être appréhendé en insistant sur l’importance du droit ce qui exige de réfléchir sur ce qu’est le droit et l’au-delà du droit
Voir le site textes de Monnier et Urs Marti sur la démocratie, et de Christian Laval sur le commun et d’Edouard Delruelle.
Depuis la théorie politique et philosophie politique, on peut traduire la question en terme de connaissance, de résistance et de création.
Que nous apprennent la dialectique entre Apartheid et Commun que l’on voit à l’œuvre dans les soins et ailleurs ?
°1) une question ontologique est en mouvement dans un conflit de société d’ordre civilisationnel.
Très brièvement, je dirai qu’elle se donne dans la dialectique entre l’APARTHEID et le COMMUN, dans un contexte de transformation de la GUERRE. C’est là que se situe l’enjeu de « démocratiser la démocratie », réappropriation de la puissance d’être et de devenir. Spinoza, Deleuze.
Une remarque sur le travail de pensée critique : tisser des concepts, en intégrant à la fois la domination et les luttes permet de renverser les interprétations, les affirmations et de se renforcer face à l’aliénation, à la servitude présentée comme « naturelle ».
Le 3e terme du droit d’avoir des droits permet dans l’usage d’un socle, des déplacements, des renversements,
Le travail de pensée soutient la résistance et l’action.
La question de l’Etre et du Devenir commun, avec Castoriadis, l’Etre, le devenir du social-historique qui est à la fois instituée et instituante. La fragilité des acquis de civilisation montrent la tension, le conflit plus ou moins aigu selon les moments historique entre une parte d’ombre et de lumière, entre les anti-Lumières et les acquis des Lumières et ce qu’ils ont permis après.
Le conflit se donne entre une perspective qui part de l’unité du genre humain, la liberté, l’autonomie, la responsabilité et une autre qui postule une conception du pouvoir oligarchique ou même dictatorial, totalitaire, une hiérarchie d’Etre à classer en classe, en passeport (nationalité), en race, en sexe, et à expulser du Commun, etc… et qui postule la transformation de la pensée en propagande, qui exige la servitude.
Dans la modernité le débat n’est plus celui de la Conquista : les indiens ont-ils une âme, mais de l’expulsion d’individus humains, de groupes humains par d’autres individus, groupes humains tout à fait démocratiquement (Arendt). C’est le racisme moderne.
Traduction : l’Etre, le devenir du social-historique concerne les rapports sociaux dans l’ensemble de la société, la généralité des droits où sont inscrits les rapports professionnels et les rapports professionnels-patient, notamment.
Tout mécanisme d’essentialisation, de naturalisation de l’Autre, ce qui est à la base d’un traitement d’objet doit être repéré et dénoncé publiquement et non banalisé.
V. PISTES ET DEPLACEMENT DANS L’ACTION PROFESSIONNELLE ET CITOYENNE : COMMENT PASSER AU PUBLIC EN CONSTRUISANT COLLECTIVEMENT LE COMMUN ?
Il existe des piste de résistance individuelle. Quelques pistes que je développe dans mes recherches :
° Dans le lien entre patient et professionnel. Socle et Charte du « droit d’avoir des droits ».
° Dans l’attention aux mots et à leur usage. Kraus. Détérioration, manipulations, banalisations…
° Dans le lien public. Répercuter partout dans l’espace public, et surtout peut-être dans les espace professionnels, la dialectique entre apartheid et commun.
Espace public, parole, jugement et Commun
Dans les lieux professionnels, les espaces publics ont diminué, remplacements par administration.
° Dans l’analyse critique des outils.
Les outils fournis par les découvertes techniques aident à formuler des diagnostics plus fins d’accord, mais…Les outils ne remplacent pas les liens… elles en sont le support.
Ex. Tel et mail, le mail, plus de contact direct…
Pensons aux travaux de Foucault. Les dispositifs et les outils comme instruments de pouvoir et de violence…
° une question éthico-politique basée sur une ontologie politique de l’Etre et du Devenir social-historique post-habeas corpus.
La vulnérabilité est une notion particulièrement importante à ce niveau. Elle nous montre qu’un seuil de déshumanisation a été franchi.
Elle signale les risques.
Elle permet non seulement de repérer les zones grises, mais de repérer, de dénoncer, de limiter les situations-limites.
Le formulaire est très intéressant à ce niveau. C’est un outil de travail très intéressant.
Renvois forcés est un autre exemple. Il cache une situation-limite de meurtre d’Etat.
La référence au tabou est intéressante….
Nous sommes dans une situation historique où il nous faut faire un pas de plus : ce que Christian Laval, appelle le passage du PUBLIC AU COMMUN.
TOUT CELA PERMET DE RENFORCER LE TRAVAIL PROFESSIONNEL INDIVIDUEL, MAIS LE DEPASSEMENT DE SITUATIONS OU LE MAL POLITIQUE EST BANALISE EXIGE DE DEGAGER DES ESPACES COLLECTIFS DE REFLEXION ET D’ACTION COLLECTIVES QUI REGROUPENT DES SECTEURS, DES PROFESSIONS QUI N’ONT PAS L’HABITUDE DE TRAVAILLER ENSEMBLE.
C’EST CE QUE VEUT L’APPEL DES APPELS
C’EST CE QUE NOUS PRATIQUONS DANS LE TRAVAIL COLLECTIF DU SEMINAIRE 2012, ONE WORLD. Prochaine séance 21 avril très importante, car analyse des 40 mesures et éventuelle création d’un COLLECTIF DE REFLEXION
En conclusion
Après des années dominées par l’Ueberfremdung dans la loi sur l’immigration, nous avons passé au modèle des cercle (condamné pour racisme d’Etat) qui a installé ce racisme dans l’UE et dans un monde globalisé. Ce concept et cet outils légitimaient, légitime l’exploitation de la force de travail étrangère par le langage, les dispositifs (quotas, rotation des permis, cercles, travail clandestin structurel, déf. Étroite de l’intégration, etc.) et les intérêts internationaux de la Suisse. Le débat sur les banques amplifie tout cela à la sphère du capital, sans déplacer les référents fondamentaux. La légitimité s’est appuyée sur l’ambiguïté : nous ne sommes pas un pays d’immigration, alors que…
Avec ce qui est appelé la « crise », qui se manifeste ailleurs que dans la migration, nous assistons à la banalisation d’une violence institutionnalisée, nous avons passé l’étape de l’ambiguïté, de la confusion, de la simple manipulation des notions (démocratie, droits de l’homme, etc.) de la haine et à l’appel à la servitude par peur. Aujourd’hui, se dessine en Suisse et en Europe une contre-révolution liée à l’étape de la « crise » clairement anti-démocratique.
C’est toute la société qui est interpellée et en particulier les professionnels qui non seulement constatent la violation des principes et des droits des usagers, mais la détérioration de leur conditions de travail au moment où ont lieu de profondes transformations politique.
Nous ne pouvons plus en rester coincés dans une position qui nous demande d’occulter ce qui se passe. Le travail conjugué d’expert et de témoin doit trouver de nouvelles voies d’expression et d’action publique.
Texte écrit de l’intervention lors du séminaire « Clinique, neurosciences, sciences humaines et sociales ». Session : « Les usages politique de la clinique neuropsychiâtrique ». Jeudi 22 mars 2012 : Asile et médecine, de l’aide d’urgence à la vulnérabilité, Patrick Bodenmann, Michaël Sarara (PMU) et Marie-Claire Caloz-Tschopp (Collège international de philosophie, CIPh).