Rosa Luxemburg lue par Hannah Arendt

Ilaria Possenti

Prémisse

Hannah Arendt n’est pas une philosophe marxiste. En 1958, dans La condition de l’homme moderne, elle demande de ne pas être associée aux détracteurs de Karl Marx, mais elle est très critique envers la notion marxienne du travail[1]; et encore, en 1963, dans son Essai sur la Révolution, elle s’en prend à la révolution française, responsable d’avoir privilégié la «question sociale»[2]. Mais il en va tout autrement s’agissant de Rosa Luxemburg, pour laquelle Arendt nourrit une réelle admiration. La figure de Luxemburg est bien présente dans sa biographie comme une sorte de légende: elle est encore une enfant lorsque sa mère suit activement à Königsberg la révolte spartakiste de janvier 1919; plus tard son deuxième mari, Heinrich Blucher, sera un communiste condamné à l’exil, un homme qui avait pris part à la révolte spartakiste[3]. L’admiration d’Hannah Arendt pour Rosa Luxemburg est donc liée, tout d’abord, à l’image qu’elle s’est formée dans son milieu personnel: l’image d’une révolutionnaire qui avait défendu une conception radicalement participative de la révolution et de la vie politique.

Toutefois, l’admiration personnelle n’est en fait qu’un point de départ: dans une certaine mesure c’est ce qui permet à Hannah Arendt de lire sans préjugés les pages d’une intellectuelle qui n’abandonne jamais la question de l’émancipation sociale; qui s’était formée sur les écrits de Marx et du marxisme et non sur ceux de Platon et d’Immanuel Kant; qui avait parmi ses interlocuteurs Vladimir Lénine, et non pas Martin Heidegger; qui, enfin, avait écrit une thèse de doctorat sur Le développement industriel de la Pologne (1898), et non pas sur Le concept d’amour chez Augustin (1929).

Pendant les années quarante, alors qu’elle prépare sa trilogie sur Les origines du totalitarisme[4], Arendt réfléchit sur au moins deux textes de  Rosa Luxemburg: le premier est L’accumulation du capital[5], paru en 1913, qui est cité dans le deuxième volume de la trilogie (L’impérialisme); le deuxième texte est La révolution russe[6] de 1918, auquel Hannah Arendt fera référence plus tard dans son Essai sur la révolution. En outre, en 1966 elle rend hommage à Rosa Luxemburg  dans un article qui est inclus dans le recueil américain Men in Dark Times (en français on le retrouve dans Vies politiques)[7] : en effet, elle situe Rosa Luxemburg parmi ces êtres humains sur lesquels on peut compter dans les moments les plus sombres de la vie politique, lorsque la pensée critique devient indispensable.

Dans cet article, Arendt reprends ses lectures précédentes: d’un coté, elle partage avec d’autres l’idée que L’accumulation du capital est un « curieux travail de génie » et  une réalisation «sans égale depuis la mort de Marx »[8]; de l’autre, elle fait à nouveau référence aux réflexions de Rosa Luxemburg sur la révolution russe, en se déclarant plus que jamais convaincue de l’importance considérable de sa théorie politique. On pourrait dire, pour être plus précis, que cet article nous permet de mieux évaluer la lecture arendtienne de Luxemburg. Nous y retrouvons, en effet, les deux principales intuitions qu’Hannah Arendt lui attribue: la première concerne le caractère réitéré de l’expropriation capitaliste, qui ne serait pas exclusivement lié au moment de l’accumulation originaire; la seconde concerne, par contre, la liberté publique comme manière de conduire l’action politique (c’est pourquoi Arendt l’appelle aussi «liberté politique»).

Ce que je me propose de faire est donc de présenter ces deux « intuitions » et d’illustrer la raison pour laquelle Hannah Arendt les considérait comme actuelles, pour me demander si elles sont encore actuelles aujourd’hui  pour nous.

1. Pars destruens. L’accumulation du capital

Rosa Luxemburg s’est longtemps demandée pourquoi le capitalisme ne montrait pas les signes de crise que la théorie marxiste avait annoncés. Pour Arendt, ses intuitions brillantes sur ce thème dépendaient essentiellement du fait que elle n’avait pas cherché à conformer la réalité à la théorie, mais elle avait admis qu’on pouvait remettre en cause la théorie.

En particulier, dans la deuxième partie de Les origines du totalitarisme  Arendt rappelle – en les citant en note – deux passages fondamentaux de L’accumulation du capital, dans lesquels Luxemburg affirme que l’accumulation capitaliste ne peut pas exister sans les structures non capitalistes[9], et notamment que “l’impérialisme est l’expression politique du processus de l’accumulation capita­liste, se manifestant par la concurrence entre les capitalismes nationaux autour des derniers territoires non capitalistes encore libres du monde”[10].

Ainsi, le capitalisme ne donne pas de signe de crise, ne s’effondre pas sous le poids de ses contradictions internes, car l’impérialisme lui ouvre des perspectives que la théorie n’avait pas envisagées. L’expansion des territoires d’Outre-mer permet en effet de réaliser de nouvelles expropriations dans des milieux non-capitalistes, donnant lieu à des scènes de violence comparables à celles que Marx décrit quand il parle de l’«accumulation originaire».

Dans cette perspective, Rosa Luxemburg se distingue de Marx en soutenant que les violents processus de transformation et d’expropriation qui marquent la genèse du capitalisme n’appartiennent pas seulement à sa « préhistoire », mais se répètent à nouveau dans les colonies. Ce faisant Luxemburg ne remet pas en cause uniquement un passage théorique de l’œuvre de Marx, mais également une façon de raisonner particulièrement chère aux marxistes de son époque: elle réfute une philosophie de l’histoire où le capitalisme apparaît comme un système qui, après sa genèse, ne se développe et ne peut pas être surmonté qu’à partir de ses propres contradictions.

A ce propos, dans Vies politiques Arendt observe que pour Rosa Luxemburg « le capitalisme n’est plus un système clos qui engendre ses propres contradictions, et qui est ‘gros’ de la révolution’»[11], mais il est bien au contraire un phénomène du monde commun, du réseau des relations humaines. En tant que tel, il se nourrit aussi de facteurs externes et imprévus, raison pour laquelle son effondrement ne pourra avoir lieu de manière automatique et prévisible (à moins que, ainsi comme l’ajoute Hannah Arendt avec une ironie amère, on n’attende qu’il ait dévoré la planète)[12].

On sait qu’au moment de sa publication l’ouvrage sur l’accumulation du capital fut largement critiqué. Aujourd’hui, en revanche, on reconnaît que Luxemburg s’était sérieusement interrogée sur les faits historiques de son temps, comme tout porte à croire que Marx aussi l’aurait fait à sa place (n’oublions pas que le dernier chapitre du Capital est consacré au colonialisme)[13].

Il convient de souligner ici qu’Hannah Arendt, dans l’article de 1966, interprète de manière particulièrement extensive la réflexion de Rosa Luxemburg, en observant que la scène de l’accumulation originaire peut se répéter de temps en temps, ou mieux qu’elle doit être répétéedès qu’on veut éviter l’arrêt du développement capitaliste (« l’expropriation doit être répétée de temps à autre pour maintenir le système en marche »[14]). D’autre part, une interprétation encore plus extensive avait été présentée quelques années plus tôt dans La condition de l’homme moderne. Dans le dernier chapitre, Arendt ne cite pas Rosa Luxemburg et elle ne fait pas non plus référence à la question de l’impérialisme, mais elle considère l’expropriation des terres communes – le péché originel du capitalisme – comme un événement paradigmatique de la modernité: cet événement ne rappelle pas seulement l’expropriation des origines, mais nous parle également d’une expropriation qui devient quotidienne – d’un modèle économique et social qui réduit le monde commun et ses acteurs à de simples fonctions du processus d’accumulation des richesses, au point que le marché supplante la sphère publique. C’est pourquoi Arendt, en se rapprochant de Max Weber, parle de « l’aliénation du monde »[15] comme d’une violence extrême contre la condition plurielle et relationnelle de l’existence humaine: la société contemporaine serait une société privatisée, où le travail est au centre de la vie sociale, mais uniquement comme travail isolé et asocial, où l’homme n’est pas présent au monde[16].  Le problème abordé est notamment celui de la société des travailleurs-consommateurs, c’est-à-dire de la réduction de l’homme à la condition d’un “animal qui travaille” (animal laborans): un animal qui travaille pour consommer et qui consomme pour travailler, un animal qui a perdu l’expérience d’exercer l’activité d’artisan et la liberté politique du citoyen. Dans ces pages affleurent certaines des difficultés caractéristiques de la pensée arendtienne, des difficultés qui concernent notamment la conception du travail, mais je n’insisterai pas ici sur ces questions[17]. Ce sur quoi je voudrais mettre l’accent est que Arendt semble interroger le sens le plus profond de la réflexion de Rosa Luxemburg. A ses yeux, Luxemburg ne pense pas seulement que l’accumulation capitaliste développe sa violence à partir de facteurs externes et imprévisibles, mais elle suggère également que le capitalisme exprime parfaitement le caractère antipolitique de la modernité, son mépris du monde commun et des destins du monde.

On pourrait ici ajouter que la scène de l’expropriation, de l’aliénation du monde, semble aujourd’hui se répéter grâce à la construction – comme Sandro Mezzadra le dit – de certains phénomènes de la vie sociale comme facteurs «externes»[18]. Je me limite à observer avec d’autres, que le welfare est désormais perçu comme une sorte de dimension non capitaliste des sociétés européennes, de telle manière que le droit du travail est agressé et que des secteurs traditionnellement réservés à l’Etat (comme ceux de la santé et de l’instruction publique) sont colonisés par le marché sous l’influence du dogme néolibérale. Dans cette perspective, il faudrait bien reconsidérer le lien entre la question de l’émancipation sociale et la question de la liberté publique ou – au sens arendtien – politique. Il s’agit effectivement de se demander si la question sociale est tout simplement opposée à la question de la liberté « politique», ou, au contraire, s’il est possible de relire la première à la lumière de l’autre.

2. Pars construens. La liberté politique

En accueillant les thèses de Luxemburg sur l’accumulation du capital, Arendt apprécie beaucoup sa démystification des « lois » de l’histoire – qu’on présume inflexibles et incontournables. Elle admire Rosa Luxemburg comme la femme de pensée et d’action qui refuse une vision sapientielle de l’histoire et de la politique – une vision qui attribue à ceux qui détiennent « le savoir », à ceux « qui savent », la responsabilité et le pouvoir de gouverner les masses.

A ce propos, Hannah Arendt souligne notamment que lorsqu’elle a été confrontée à une « révolution réelle » – la révolution russe – Rosa Luxemburg a été profondément marquée par l’expérience des conseils ouvriers, alors qu’elle prend ses distances des « cadres du parti » qui s’autoproclament les interprètes et les guides d’un processus historique révolutionnaire. Ainsi, Arendt consacre son Essai sur la révolution à la « tradition révolutionnaire », en observant qu’une caractéristique spécifique de cette tradition est l’introduction du système participatif des « conseils »[19].

Les conseils sont d’entrée de jeu caractérisés, dans ces pages, comme des assemblées ou comités qui émergent « de la base » et qui voient le jour « partout où les gens vivent et travaillent ensemble». Ils peuvent être qualifiés non seulement d’« organes d’action », mais également d’« organes d’ordre », dans la mesure où ils aspirent à fonder « un ordre nouveau ». Les conseils ne semblent donc pas se présenter comme des instruments temporaires de la révolution, mais comme les « embryons » des nouvelles institutions politiques et d’une nouvelle forme de gouvernement, ayant comme objectif d’éviter que le pouvoir constitué n’élimine de la scène le pouvoir constituant. Arendt utilise rarement le terme « démocratie » qui renvoie dans le monde contemporain à des formes de gouvernement purement représentatives. Il apparaît toutefois clairement que sa réflexion est axée vers une démocratie qui ne serait pas réduite à « de l’administration et de la représentation », et qui envisage même, renforce et encourage les institutions et les pratiques participatives.

Dans le dernier chapitre de l’Essai sur la révolution on perçoit clairement l’écho de la critique luxemburgienne des partis révolutionnaires, toujours prêts à rédiger des programmes qui n’ont pas besoin d’action mais d’une exécution. Arendt rappelle ici, et ce n’est pas un hasard, que La révolution russe conteste de manière très éloquente les gouvernements révolutionnaires : «quelques douzaines de chefs de parti animés d’une énergie inépuisable et d’un idéalisme sans bornes – Luxemburg écrit – dirigent et gouvernent; le pouvoir réel se trouve aux mains d’une douzaine d’entre eux doués d’une intelligence éminente; et l’élite ouvrière est invitée de temps en temps à assister à des réunions pour applaudir les discours des dirigeants et voter à l’unanimité les résolutions proposées»[20]. La lecture arendtienne de Luxemburg est d’ailleurs volontairement sélective. Arendt veut mettre l’accent sur la conception luxemburgienne des modalités de la politique, raison pour laquelle elle élimine toute référence aux contenus politiques – à partir du fait que, pour Rosa Luxemburg, la démocratie des conseils, c’est-à-dire une démocratie à vaste participation, estune«démocratie socialiste »[21].

Dans ce contexte, la seconde intuition qu’Arendt attribue à Rosa Luxemburg ne concerne pas ce que font les conseils, mais la manière dont ils le font, le type d’expérience sur laquelle se fondent les conseils: celle de la « liberté politique ». Mais qu’est-ce que la liberté politique ? Ou plutôt en quoi consiste-t-elle ?

Dans Vies politiques, Arendt écrit que Luxemburg « était seule […] quand elle insistait sur la nécessité absolue d’une liberté pas seulement individuelle mais publique en toutes circonstances »[22], en soulignant que pour elle la révolution a besoin de « l’école de la vie publique elle-même, la démocratie et l’opinion publique les plus illimitées, les plus vastes »[23], dans la perspective d’une éducation politique et une transformation intellectuelle des masses populaires[24]. Il ne s’agit naturellement pas d’une vision pédagogique de la politique – selon l’acception traditionnelle et scolaire du terme ‘pédagogie’. En effet, Luxemburg prend ses distances par rapport aux « impositions hiérarchiques » et aux « punitions sévères », en identifiant l’« école de la vie publique », « l’éducation politique », avec « la participation active » en tant que telle. Dans ses écrits et dans sa correspondance on trouve en outre des références aux multiples manières, langages et pratiques à travers lesquels s’exprime la participation. Les expériences des conseils se nourrissent de différences: elles réunissent des personnes différentes qui vivent et travaillent au même endroit, et elles incluent les exclus, les « sans part », en tant que membres à plein titre de ces institutions.

On pourrait se servir, à propos des conseils, de la définition arendtienne du monde commun comme « réseau de relations humaines » qui se réalise sous le signe d’une pluralité relationnelle, dynamique et même conflictuelle[25]. Ce genre de réseau confère une forme à la communauté à partir de la pluralité de ses membres, de l’unicité de chacun – donc à partir de la possibilité que des imprévus, des conflits, des processus d’apprentissage et transformationengagent en même temps la communauté et les individus. Tout cela s’inscrit dans la liberté politique. Et tout cela ne peut être vécu qu’au sein d’une sphère publique qui échappe à une vision sapientielle – autoritaire et hiérarchique –  de la politique. Pour d’Hannah Arendt, la liberté politique est « le salut » de la révolution car l’autoritarisme peut dramatiquement déformer une perspective révolutionnaire. Mais il ne s’agit pas seulement des révolutions déformées. Le problème de la liberté politique concerne également, à ses yeux, la démocratie ‘de tous les jours’ et sa dégénération en une forme d’administration et de représentation sans participation. Là encore, l’oubli de la liberté politique nous exclue de l’école de la vie publique et nous laisse incapables d’agir et de penser en tant que citoyens. C’est en ce sens que La condition de l’homme moderne ne fait aucune référence aux démocraties de l’après-guerre, tout en célébrant le modèle de l’agorà et de la vie publique dans la cité grecque; et c’est en ce sens, encore, que l’Essai sur la révolution s’interroge sur les conseils en tant qu’institutions politiques qui devraient survivre à la révolution.

Il convient ici souligner, encore une fois, que Arendt donne une interprétation extensive de la pensé luxemburgienne, en reconsidérant le problème de la liberté politique ou de la démocratie des conseils comme un problème de démocratie effective. Il est donc évident l’actualité de cette réflexion, au moment où nous sommes de plus en plus concernés par le problème de la crise de la démocratie et par l’urgence de sa ‘démocratisation’. Mais nous nous confrontons également – il faut bien y revenir – avec ce qu’on appelle ‘question sociale’. Cette question n’a jamais cessé de se poser, entre le XXe et le XXIe siècle, dans le monde colonial et postcolonial – à savoir dans une multiplicité d’histoires du travail, dans l’histoire des migrations internationales, dans l’histoire des femmes et du travail précarisé. D’autre part, la lecture arendtienne de Luxemburg n’empêche pas de soulever la question sociale, car Arendt n’arrive jamais à condamner la considération luxemburgienne du social, ni à le traiter comme un obstacle à la compréhension de la liberté politique. En tant que lectrice de Rosa Luxemburg, Hannah Arendt  nous suggère uniquement de comprendre – comme Luxemburg l’avais compris – que la question sociale ne peut pas être séparée de la question de la liberté politique, et que l’inverse est d’ailleurs également vrai. Arendt écrit que Luxemburg « ne croyait pas en une victoire où le peuple au sens large n’avait ni part ni voix »[26]. Et il est certain qu’elle partage cette conviction.  


[1] Cf. Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne (1958), traduit de l’anglais par G. Fradier, Préface de P. Ricoeur, Calmann-Lévy, Paris 1983, p. 123 ss.. Sur Arendt et Marx, cf. A. Amiel, La non-philosophie de Hannah Arendt: révolution et jugement, Puf, Paris 2001, pp. 117-218 et L. Baccelli, Praxis e poiesis nella filosofia politica moderna, Franco Angeli, Milano 1991, pp. 19-50 et 65-117.

[2] H. Arendt, Essai sur la révolution (19631, 19652) Gallimard, Paris 1985. Cf. par exemple, selon des perspectives différentes, E. Hobsbawm, “Hannah Arendt on Revolution” (1965), dans Revolutionaries. Contemporary Essays, Pantheon Books, New York 1973; J. Habermas, Die Geschichte von den zwei Revolutionen. Hannah Arendt (1966), dans Philosophisch-politische Profile, Suhrkamp, Frankfurt a. M.1981, pp. 223-227; R. J. Bernstein, “Rethinking the Social and the Political”, dans Philosophical Profiles, University of Pennsylvania, 1986; H. Pitkin, The Attack of the Blob. Hannah Arendt’s Concept of the Social, The University of Chicago Press, 1998; S. Benhabib, The Reluctant Modernism of Hannah Arendt, Rowman & Littlefield Publishers, 2003, pp. 22 ss. et 138 ss.

[3] Cf. notamment E. Young-Bruehl, Hannah Arendt (1982), traduit de l’anglais par J. Roman et É. Tassin, Anthropos, Paris 1986.

[4] Cf. H. Arendt, Les origins du totalitarisme (19511, 19582), dans  Les origins du totalitarisme. Eichmann à Jérusalem, sous la direction de P. Bouretz, Gallimard, Paris 2002.

[5] R. Luxemburg, L’accumulation du capital (1913), I et II, par Jean-Marie Tremblay, collection “Les classiques des sciences sociales”, Université du Québec, Chicoutimi (sans date), dans http://classiques.uqac.ca/classiques/luxemburg_rosa/oeuvres_3/oeuvres_3.html et http://classiques.uqac.ca/classiques/luxemburg_rosa/oeuvres_4/oeuvres_4.html (édition électronique produite à partir de R. Luxemburg, L’accumulation du capital, I et II, François Maspero, Paris 1969).

[6] R. Luxemburg, La revolution russe (1918, publié posthume en 1922), dans Ecrits politiques 1917-18, par Jean-Marie Tremblay, collection “Les classiques des sciences sociales”, Université du Québec, Chicoutimi (sans date), http://classiques.uqac.ca/classiques/luxemburg_rosa/oeuvres_2/oeuvres_2.html (édition électronique produite à partir de R. Luxemburg, Oeuvres 2. Écrits politiques 1917-1918, Maspero, Paris 1971).

[7] Cf. H. Arendt, Rosa Luxemburg, 1871-1919 (1966), traduit de l’anglais par Barbara Cassin, dans Vies politiques, Gallimard, Paris 1974.

[8] H. Arendt, Rosa Luxemburg, cité, p. 49.

[9] Cfr. Rosa Luxemburg, L’accumulation du capital, II, cité, p. 79.

[10] Ivi, p. 103.

[11] H. Arendt, Rosa Luxemburg, cité, p. 49.

[12] Cf. ivi, p. 49: “son effondrement automatique ne pourrait se produire, s’il se produit, qu’une fois toute la surface de la terre conquise et devorée”.

[13] Voir à cet égard S. Mezzadra, Nei cantieri marxiani. Il soggetto e la sua produzione, manifestolibri, Roma 2014, p. 117 ss. Sur L’accumulation du capital cf. en outre R. Bellofiore, dir., Rosa Luxemburg and the Critique of Political Economy, Routledge, London 2009 et très recemment M. Turchetto, Leggere ‘L’accumulazione del capitale’, dans la revue « DEP. Deportate, esili, profughe », n. 28, juliet 2015, (numéro monographique dedié à Rosa Luxemburg).

[14] H. Arendt, Rosa Luxemburg, cité, p. 49.

[15] Cf. H. Arendt, La condition de l’homme moderne, cité, Chapitre VI, p. 315 ss.

[16] Cf. ivi, p. 274.

[17] Je me permets de renvoyer à I. Possenti, Flessibilità. Retoriche e politiche di una condizione contemporanea, Ombre corte, Verona, 2012 (chap. 4).

[18] S. Mezzadra, Nei cantieri marxiani, cité, p. 125.

[19] Cf. surtout le dernier chapitre de H. Arendt, Essai sur la révolution, cité.

[20] R. Luxemburg, La révolution russe, cité, p. 66.

[21] M. Leibovici, Rosa Luxemburg: révolution et démocratie, “Revue française de science politique”, n. 1, 1991, insiste sur le fait que chez Luxemburg (autrement que chez Bernstein) la démocratie n’est pas seulement “bourgeoise”. Sur la “democratie socialiste” et la “liberté socialiste” dans les pages de La révolution russe, cf. très recemment M. Cangiani, La rivoluzione russa nell’“apprezzamento critico” di Rosa Luxemburg, dans “DEP. Deportate, esuli, profughe”, cité. Voir aussi, très recemment, A. Gusev, Rosa Luxemburg et la démocratie socialiste. Un jalon essentiel dans l’histoire de la pensée marxiste, “Agone”, 59, 2016, qui revient sur la nécessité, chez Luxemburg, de « ‘distinguer le noyau social de la forme politique de la démocratie bourgeoise’ afin de préserver cette forme pour y placer un ‘nouveau contenu social’ » (p. 6). Ainsi, Gusev ajoute que “cette idée, défendue entre autres par Rosa Luxemburg, n’était pas seulement le produit de la pensée socialiste marxiste mais aussi celui du mouvement spontané des classes laborieuses”. Voir aussi les autres contributions inclues dans ce numéro monographique, qui est consacré à “Révolution et démocratie. Actualité de Rosa Luxemburg”.

[22] H. Arendt, Rosa Luxemburg, cité, p. 63.

[23] Cf. H. Arendt, Rosa Luxemburg, cité, p. 66. 

[24] Cf. par exemple R. Luxemburg, La révolution russe, cité, pp. 65-66: «Seule une vie bouillonnante et sans entra­ves se diffracte en mille formes nouvelles, en mille improvisations, illumine la puis­sance créatrice, corrige elle-même toutes ses erreurs. Si la vie publique des états à liberté limitée est si terne, si misérable, si schématique, si inféconde, c’est justement parce qu’en excluant la démocratie, elle tarit les sources vivantes de toute richesse et de tout progrès intellectuel. (Preuve : les années 1905 et les mois de février à octobre 1917). Sur le plan politique, mais tout autant sur le plan économique et social. La masse populaire doit participer dans son ensemble. Sinon, le socialisme est décrété, octroyé par une douzaine d’intellectuels réunis autour d’un tapis vert.

Contrôle public absolument indispensable. Sinon l’échange d’expériences demeure pri­son­nier du cercle restreint des fonctionnaires du nouveau gouvernement. Corruption iné­vitable. (Paroles de Lénine, Mitteilungsblatt, n. 29) . La pratique du socialisme exige un bouleversement complet dans l’esprit des masses dégradé par des siècles de domination de classe bourgeoise. Instincts sociaux à la place des instincts égoïstes, initiative des masses à la place de l’inertie, idéalisme qui fait surmonter toutes les souffrances, etc. Personne ne le sait mieux, ne le dépeint avec plus de précision, ne le répète avec plus d’obstination que Lénine. Mais il se trompe intégralement dans l’emploi des moyens. Décret, puissance dictatoriale des inspecteurs d’usines, sanctions draconiennes, terreur, ce ne sont là que des palliatifs. La seule voie qui mène à une renaissance est l’école même de la vie publique, une démocratie très large, sans la moindre limitation, l’opinion publique. C’est justement la terreur qui démoralise».

[25] Je fais référence, à ce propos, à la conception agonale du politique chez Arendt. D’un coté, ses reflections sur l’action renvoient à la possibilité d’une distinction entre les citoyens (les “égaux” au sens de l’isonomia, de l’égale participation à l’exercice du pouvoir) et d’une confrontation agonale qu’on dirait en même temps conflictuelle et anti-violente (cf. la notion d’“anti-violence” proposée par E. Balibar dans Violence et civilité, Galilée, Paris 2010). De l’autre, ses reflections sur la pensée et le jugement rappellent que le monde commun – bien loin de l’empêcher – permet aux êtres humains de se distinguer non seulement par rapport aux autres (“pluralité”) mais aussi par rapport à eux-mêmes (“dualité” ou “deux-en-un”; dans I. Possenti, Flessibilità, cit., chap. 4-5, j’ai essayé d’aborder ce point comme problème politique et non pas moral). Il faudrait interroger à nouveau, dans cette perspective, les analyses arendtiennes sur le monde commun, l’agon et l’isonomia, compte tenu notamment de E. Balibar, Arendt, le droit aux droits et la désobéissance civique, dans La proposition de l’égaliberté, Puf, Paris 2010 (voir aussi Z. Gambetti, Au-delà de la  violence institutionnelle et insurrectionnelle: Balibar, Arendt et l’agon, “Rue Descartes”, n. 85-86, 2015, numéro monographique “Lire Etienne Balibar à Istanbul. Violence et civilité”).

[26] H. Arendt, Vies politiques, cité, p. 65.