À propos du mythe de la fin de l’histoire et de la torture

Pierre Vidal Naquet, historien, 1972

« On pourrait peut-être proposer l’axiome suivant : toute conception apocalyptique de la Révolution, c’est-à-dire toute conception qui pose en principe qu’à un Etat souverainement mauvais a succédé ou succédera brusquement un Etat souverainement bon – que ce soit après l’« l’éclair de Juillet » dont parlait Michelet ou après l’insurrection du prolétariat de Petrograd -, toute conception bâtie sur ce modèle est de nature à favoriser la naissance d’un Etat tortionnaire. La société sans classes peut apparaître légitimement comme l’horizon de l’Histoire, mais, dès lors que ce concept se transforme en mythe, celui de la fin de l’Histoire, « il engendre toutes les conséquences des mythes utopiques quant leurs porteurs arrivent au pouvoir » : un « cycle infernal » où se succéderaient « le monde douceâtre de la société du spectacle et celui de l’univers tortionnaire ».

Pierre Vidal-Naquet, La Torture dans la République, 1954-1962, Minuit, Paris, 1972, p. 176.